POUR UNE VRAIE INDÉPENDANCE MONÉTAIRE DES ZONES FRANC CFA ? , par Thomas Melonio

Quelle politique africaine pour la France en 2012 ? 

Voir la première partie de l’essai

Des politiques à rénover 

Quatrième débat : pour une vraie indépendance monétaire des zones franc CFA ? 

Autre symbole important des nations, la monnaie reste,dans les pays d’Afrique francophone, dans une situation tout à fait étonnante héritée de la colonisation.

Aujourd’hui encore, le cours du franc CFA, utilisé dans quatorze pays d’Afrique et par plus de 135 millions d’habitants,est garanti par le Trésor français. En réalité, trois monnaies différentes sont alignées sur l’euro. Ce système de parité en générale fixe (à l’exception de possibles dévaluations) repose sur l’existence, en France, de comptes d’opérations hébergeant contre rémunération au moins 50 % des réserves en avoirs extérieurs de la BCEAO (Banque centrale des Etats d’Afrique de l’Ouest), de la BEAC (Banque des Etats d’Afrique centrale) et de la Banque centrale des Comores. Politiquement, cette étrangeté est pour le moins surprenante cinquante ans après les indépendances.

Il serait évidemment tentant, dans ce contexte, de hurler au néocolonialisme puisque des banques centrales étrangères sont contraintes de déposer en France des réserves pour que le cours de leur monnaie soit garanti. La situation est néanmoins plus complexe que les apparences ne le suggèrent, puisque ces Banques centrales, compte tenu de la rémunération de ces réserves, laissent souvent « en France » plus d’argent qu’elles n’y sont contraintes réglementairement !

Si le franc CFA interroge symboliquement, sa pertinence économique peut également être débattue. Dans la zone franc ouest-africaine, tous les pays sont en effet en déficit commercial, à l’exception – notable – de la Côte d’Ivoire. En Afrique centrale, tous les pays sont au contraire excédentaires, en particulier grâce aux exportations d’hydrocarbures, seule la Centrafrique faisant exception. Pourtant, ces deux zones, aux réalités et aux cycles économiques bien différents, ont une monnaie alignée sur l’euro et, lorsque le cours de l’euro s’apprécie,leur commerce extérieur et l’emploi sont affectés. Dans la « guerre des monnaies » qui fait rage depuis plusieurs années, l’ancrage sur une monnaie très forte comme l’euro a un avantage, celui de faciliter les importations et la consommation, et un inconvénient, celui de décourager la production, notamment agricole et industrielle, et les exportations. En effet, l’activité économique d’un pays à monnaie forte se trouve nécessairement concurrencée par des importations à bas prix venant de pays suivant une politique opposée, à l’image de la Chine.

Les pays dont la monnaie est arrimée à l’euro ne gagneraient-ils pas à s’émanciper monétairement ? La responsabilité de cette décision leur incombe évidemment.

On se contentera ici de rappeler qu’un système de parité flexible permet de laisser les ajustements liés à des chocs économiques (mouvement des prix des matières premières, cours de l’euro-dollar, chocs financiers) s’amortir par des fluctuations des monnaies, alors qu’un système de parité fixe reporte ces ajustements directement sur l’économie productive, via les salaires, l’emploi,les résultats des entreprises ou le budget de l’Etat, ajustements qui peuvent s’avérer douloureux. Dans la période actuelle, les cours élevés du pétrole et du cacao permettraient d’ailleurs de passer en régime de change flexible en limitant les risques, jamais inexistants, d’attaques contre les deux francs CFA. La parité fixe donne, elle,une solidité à ces deux monnaies permettant, au plan théorique, d’attirer ou de retenir plus facilement des investissements et également, si et seulement si le risque de dévaluation est jugé faible par des prêteurs, de financer la dette publique ou privée à un coût peu élevé.

L’existence de zones monétaires régionales est en revanche une question qui n’est pas nécessairement liée à celle du cours de change. Ce type de coopération monétaire peut en effet tout à fait fonctionner sur la base d’un change flexible, tout en gardant une gestion fédéralisée et multinationale de la monnaie. Cette gestion mutualisée permet de rendre plus difficile des attaques spéculatives en cas de choc économique et d’abaisser les coûts de financement des Etats grâce à une diminution du risque de change pour les prêteurs. Un changement du mécanisme d’ajustement du cours du CFA (aujourd’hui des ajustements rares mais brutaux, demain peut-être une parité flexible) n’impliquerait donc en aucune manière une fin de l’existence de monnaies uniques en UEMOA (Union économique et monétaire ouest-africaine) et en CEMAC (Communauté économique et monétaire des Etats de l’Afrique centrale). Aujourd’hui, tous les grands Etats africains (Afrique du Sud, Algérie, Egypte, Ethiopie,Ghana, Kenya, Maroc, Nigeria, République démocratique du Congo, Soudan, Tunisie) ont leur propre monnaie et un régime de change où les ajustements se font sur le change plutôt que sur l’économie réelle avec des variétés sur le contrôle des changes ou le choix d’un panier de monnaies de références. En Amérique du Sud, les systèmes de parité fixe qui existaient, par exemple en Argentine, ont pour l’essentiel disparu, mais il est vrai qu’ils ne bénéficiaient pas d’une garantie par une grande puissance étrangère.

De manière générale, la féroce compétition commerciale que se livrent les pays émergents favorise ceux qui ont des monnaies faibles, ce qui encourage leur développement industriel, et marginalise ceux qui ont des monnaies trop fortes, même si une monnaie forte favorise, à court terme, le pouvoir d’achat. Le yuan chinois évolue ainsi globalement comme le dollar et a perdu près de la moitié de sa valeur par rapport à l’euro et au CFA depuis 2002.

Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que les produits chinois aient conquis d’impressionnantes parts de marché à la fois en zone euro et en zone CFA, mais aussi que le rythme de développement de la Chine et d’autres pays émergents dépasse celui des zones aux monnaies strictement alignées sur l’euro.

Auteur : Thomas Mélonio , pour la Fondation Jean Jaures

Economiste, spécialiste de l’Afrique et des questions de développement, il travaille en particulier sur les méthodes de valorisation du capital humain. Animateur du cercle de réflexion « A gauche, en Europe », co-fondé par Dominique Strauss-Kahn, Pierre Moscovici et Michel Rocard. Oeuvre aujourd’hui à la structuration d’un mouvement social-démocrate au sein du parti socialiste. Il est délégué national en charge de l’Afrique au PS et représente à ce titre le PS au comité Afrique de l’Internationale socialiste

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