CONTRE L’INCOMPETENCE ET LA BARBARIE,LA RAISON ET LA DEMOCRATIE, par le constitutionnaliste Félix Bankounda Mpélé

Congo-liberty.com:Tribalisme, clientélisme, clanisme et pillage inouï constituent les piliers et le quotidien du pouvoir de Brazzaville et prennent une envergure sans précédent aujourd’hui. De sorte que certains Congolais n’hésitent plus à demander une partition du pays. Quel est votre avis ?

On pourrait être tenté de définir ou de gratter chacun des maux que vous citez pour savoir ce qu’ils recouvrent. En l’occurrence, cela aurait peu d’intérêt puisque l’ensemble converge vers  une situation qui n’a plus rien d’étonnant dans certains pays d’Afrique, au Congo en particuliers, parce que décrit depuis longtemps par un intellectuel africain, comme relevant du despotisme obscur (terme de Edem kodjo, dans Et demain l’Afrique), c’est-à-dire d’un régime qui a résolument tourné le dos aux principes les plus élémentaires de la raison, du droit et, naturellement, de la démocratie. Perspicaces, les rédacteurs de la Constitution liquidée de mars 1992 avaient déjà dénoncé ces maux dès le premier alinéa de son préambule. Ce qui, une fois de plus, est l’illustration de la résurrection de l’ancien régime.

Ainsi, le tribalisme et les autres maux dont vous faites état sont dans la logique du système autocratique et, je pense que je ne vous étonnerais pas en vous disant que ces maux ne peuvent qu’aller croissant. Sans doute certains penseront que le régime de Brazzaville n’en a pas le monopole et qu’on retrouverait les mêmes maux ailleurs, dans d’autres pays africains, ou même hors du continent. La différence est que l’origine autocratique et mafieuse du régime, c’est-à-dire de ses dirigeants principalement, neutralise toute action de correction ou de conjuration. Là se trouve tout le danger : la dictature se nourrit du tribalisme et s’enracine grâce à lui, tout en entretenant d’autres circuits semblables comme le népotisme ou le clientélisme, mais aussi des parrains ethniques ou régionaux pour confectionner un équilibre régional artificiel. En contrepartie, les bénéficiaires, des miettes évidemment, immunisés contre toute sanction, quelle que soit leur origine, consolident le système. Ainsi, le tribalisme, en créant des circuits parallèles dans l’Etat, en perturbant gravement l’efficacité des services publics, constitue un obstacle majeur à la gestation d’une éthique politique en Afrique et ne peut assurer la force de l’Etat africain (cf. en ce sens G. Pambou-Tchivounda). Il instaure l’irrationalité de l’Etat dont l’issue, à terme, est la perpétuation du sous-développement socio-politique et la barbarie.

Vous aurez compris que les maux que vous avez cités, auxquels on peut ajouter d’autres comme la grande corruption par exemple, constituent une chaine dont la dictature, le despotisme obscur comme on l’a dit, constitue le terreau. Le pouvoir est dans une course effrénée pour la satisfaction des besoins, toujours croissants, de ses satellites, soutiens intérieurs et parrains extérieurs. C’est cela qui explique ‘l’envergure’ dont vous parlez, et dont les manifestations les plus visibles sont la popularisation de la corruption, l’enrichissement illicite et rapide, le tribalisme et le pillage décomplexés. Piliers du système, ces maux en sont aussi ses talons d’Achille car, le pouvoir, au risque de l’effondrement, est tenu d’entretenir à l’infini ces circuits toujours plus gloutons et véritables tonneaux des danaïdes. Vous remarquerez ainsi que le système, son chef, depuis plus de vingt ans, pour la forme, dénonce les mêmes maux mais ne peut les éradiquer parce que, comme on le dit, le mal est à la racine, c’est-à-dire depuis la tête.

Cela dit, je ne comprends cependant pas le rapport avec la partition du pays que revendiqueraient certains Congolais, comme vous dites.

S’il est une erreur à éviter, c’est celle qui consiste à coller à toute une collectivité, une ethnie ou une région, la bêtise ou les errements d’un dictateur ou d’un régime au motif qu’en bénéficieraient, essentiellement, les membres de son ethnie ou de sa région.  Outre que la grande majorité des originaires de la région du dictateur ne bénéficie et ne bénéficiera jamais de ses ‘largesses’, cette lecture contraint ces membres, malgré leur frustration comme le reste de la collectivité nationale, à soutenir le dictateur. En cela, inconsciemment, l’on fait le jeu du régime qui, utilisant le tribalisme comme idéologie, réussit à consolider son système en y englobant stratégiquement l’ensemble des membres de la ou des régions accablées qui, par ailleurs, trivialement « entre le marteau et l’enclume », est réduit à la plainte silencieuse ou inerte. Une chose est sûre en tout cas, cette lecture est contre-performante dans la stratégie de la conscience et de l’action nationales contre le régime despotique puisqu’elle ne laisse pas d’autre alternative à l’ensemble des membres ressortissants de la région du dictateur que celle de son soutien. C’est le coup de maître de l’idéologie tribale qui, visant d’abord et avant tout la satisfaction des intérêts personnels ou claniques, réussit à faire croire, par des distributions ou réalisations dérisoires, à un pouvoir au service d’une tribu ou d’une région.

C’est aussi une erreur parce que l’on se place sur le terrain choisi par le dictateur et, en la matière, lui est en position de force : il n’en parle pas ouvertement mais agit en conséquence, et a des moyens puissants pour cela, c’est-à-dire l’ensemble des moyens de l’Etat que sont l’administration, les entreprises publiques, l’armée et les moyens financiers principalement. Sauf à compter sur un accident politique ou une pression extérieure, toujours possible mais incertaine, cette démarche offre plus de chance à la reconduction ou perpétuation du système dictatorial.

L’on notera que cette démarche procède souvent d’une confusion entre plus proches du dictateur appelés clan, et élite des  mêmes origines qui en profitent et entretiennent évidemment le système, en ignorant la grande majorité des populations de la même origine, pas proche du dictateur et n’appartenant pas à l’élite, qui, elle, trime également.

Enfin, il faut constater que la thèse de la partition du pays, outre qu’elle est incongrue au regard du courant mondial qui va plutôt dans le sens des grands ensembles,  relève plus d’une réaction émotionnelle ou irrationnelle, voire immature, que d’une réflexion profonde et rationnelle.

En effet, soutenir la partition du pays c’est croire à d’autres solidarités, notamment régionales qu’on érigerait alors en collectivités étatiques. A titre indicatif, l’idée rappelle notamment l’ouvrage du juriste français, Thierry Michalon, intitulé ‘Quel Etat pour l’Afrique ?’ Or, ces solidarités, que cet auteur aussi soutient,  ne sont pas tout à fait évidentes. Leur autonomie ou indépendance, avec en conséquence un pouvoir à l’image du pouvoir d’Etat, démontrerait assez rapidement la fragilité de ces solidarités régionales. La petite histoire politique du Congo, à travers les parenthèses de rotation du pouvoir, ne dément pas cette situation : les régions les plus fissurées du Congo sont en effet celles qui ont connu l’exercice du pouvoir et, s’il n’est pas opportun de ressasser ici certains faits, les Congolais, avec un peu de mémoire et d’objectivité, le savent. En tout cas, pour au moins la base territoriale du pouvoir récemment déchu, les fissures étaient très vivaces et ont précipité nombreux des membres de l’élite des régions plus liées au régime à basculer, au nom des intérêts personnels essentiellement, auprès du pouvoir autoproclamé.

C’est dire que plus que le débat sur la partition du pays, dans un contexte où le sens du bien commun, les valeurs et l’éthique politique sont plutôt marginales, aussi bien au  niveau de l’élite que de la grande majorité des citoyens, au risque d’entraîner le délitement des régions à cause des mêmes pratiques déjà connues, c’est plutôt les valeurs démocratiques et nationales qu’il faut exalter. En allant de cette vérité qu’aucun sujet n’est tabou en démocratie. C’est au nom de celle-ci que, devant l’évidence et la gravité des pratiques tribales, l’on ne saurait, à l’avenir, mais bien dans un contexte national, démocratique et apaisé, faire l’économie du traitement du phénomène.

Dans cet esprit, la raison, le droit et la démocratie offrent une panoplie d’instruments, d’aménagements et d’institutions qui, en permettant l’inventaire et le point des dotations allouées à certaines localités, obligent à un rééquilibrage, au nom de l’égalité et des spécificités territoriales, de l’aménagement et de l’urbanisme notamment. Ce sont là, des réponses, des moyens rationnels et éprouvés ailleurs, pour le développement local, à l’abri des manipulations politiciennes, de l’enrichissement personnel des élites et de la corruption. Mieux, ces propositions, bien pensées et discutées, préservent l’Etat et mettent les collectivités territoriales à l’abri des mésaventures vécues au niveau central. Une fois de plus donc, l’objectif doit être la bataille pour la restauration démocratique, et non le recyclage des pratiques et valeurs immorales, rétrogrades et barbares inspirées par le régime despotique

 

Voir la 1ere partie INTERVIEW EXCLUSIVE: Dix questions de fond au juriste et constitutionnaliste congolais Félix BANKOUNDA-MPELE

Par le juriste et constitutionnaliste Félix-Bankounda-Mpélé 

Propos recueillis par Mingua mia Biango pour www.congo-liberty.org

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Une réponse à CONTRE L’INCOMPETENCE ET LA BARBARIE,LA RAISON ET LA DEMOCRATIE, par le constitutionnaliste Félix Bankounda Mpélé

  1. Thierry Michalon dit :

    Mes idées ont considérablement évolué depuis 1984 et la publication aux éditions L’Harmattan de mon petit ouvrage « Quel Etat pour l’Afrique ? ». Je suis devenu très méfiant envers la décentralisation dans les Etats d’Afrique et place plutôt ma confiance dans un corps préfectoral bien formé et bien géré capable d’appliquer la loi à tous de la même manière, tout en étant favorable à la mise en place des mécanismes de la « démocratie consociative », que j’ai proposée dans un article du « Monde diplomatique » il y a quelques années.

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