INTERVIEW EXCLUSIVE: Dix questions de fond au juriste et constitutionnaliste congolais Félix BANKOUNDA-MPELE


INTERVIEW EXCLUSIVE: DIX QUESTIONS DE FOND à Félix BANKOUNDA-MPELE, Juriste, diplômé de science politique, chercheur et membre de l’Association Française de Droit Constitutionnel. 

Nous diffuserons chaque semaine une ou deux questions clefs que nous lui avons posé car aujourd’hui plus que jamais les congolais doivent avoir l’avis de véritables spécialistes et experts.

 

CONGO-LIBERTY :

Vous êtes constitutionnaliste et beaucoup d’observateurs disent que la Constitution actuelle de Sassou Nguesso est non seulement illégale, mais antidémocratique. Quel est votre avis à ce sujet ?

Félix BANKOUNDA-MPELE :

Ce n’est pas la bonne approche, ne fusse-que parce qu’en Afrique bien souvent l’étiquette n’est en rien conforme au contenu, même si elle en donne une indication. Toutes les constitutions, aujourd’hui comme hier, y compris sous le monopartisme où l’on torturait et tuait aussi copieusement, se parent, à travers quelques dispositions, d’une façade démocratique sans toutefois réussir à s’affranchir des vestiges autocratiques. Ainsi, par exemple, toutes les constitutions congolaises, depuis l’indépendance, prévoyaient tout un titre sur les libertés publiques. En général c’était le titre 2.

La bonne approche c’est d’abord le mode d’établissement d’une constitution, qui s’apprécie par l’organe d’élaboration et le contexte. En termes simples, qui a fait le texte et comment ? Selon que l’organe initial d’élaboration de la constitution est ouvert, c’est-à-dire constitué en collège formé après débats ou consultations, sans emprise personnelle ou partisane, et dans un contexte démocratique, ou au contraire si le texte initial qui en général sert de socle est octroyé, selon la volonté du ‘prince’, vous aurez un mode d’établissement soit démocratique soit autocratique. La suite, après cette période initiale, c’est une affaire de respect strict des règles et formes.

Les deux dernières constitutions congolaises illustrent bien ces deux modes d’établissement. Nous connaissons tous le débat au sein de la conférence nationale pour le maintien ou pas de la dernière Constitution du mono de juillet 1979 jusqu’au choix de l’Acte fondamental du 4 juin 1991 qui préfigurait la Constitution du 15 mars 1992. Avec des bas et des hauts, cette première constitution qui prévoyait des possibilités de modification, c’est-à-dire d’amélioration, est indiscutablement démocratique, et personne ne vous dira jamais le contraire. A l’inverse, après la débâcle démocratique de l’été 1997, l’avènement de l’Acte fondamental du 24 octobre 1997, socle de la constitution de 2002, et qui a tout l’air d’une colombe sortie du mouchoir d’un magicien, porte tous les signes de ce qu’on appelle en droit constitutionnel un texte octroyé, c’est-à-dire un régime unilatéralement défini par un individu ou un groupe, en toute opacité, selon ses propres intérêts d’abord. La particularité de l’acte octroyé, et de ce qui en découle, est qu’il reste perpétuellement soumis aux caprices de son auteur. Vous comprenez ainsi que prévu pour deux ou trois ans par ses auteurs, l’Acte de 1997 a tout de même vécu cinq ans, de la même façon que vous comprendrez toute l’effervescence autour de la ‘Constitution’ de l’heure pendant tout l’été 2010 pour l’adapter aux nouveaux désirs du chef qui n’ont été refrénés qu’en raison du mouvement dans le monde arabe.

Les Congolais se rappelleront que le forum organisé par la suite, au printemps 98, lieu dit-on de débat, n’a pas changé une virgule à ce texte de 1997, démontrant par là-même, comme par le passé, la poudre aux yeux qu’aura constitué le forum, que les règles sont en réalité arrêtées d’avance par un petit temple, et la soumission de l’ensemble du peuple à la volonté d’un individu ou d’un petit groupe. La suite, y compris la construction et le scénario du texte de janvier 2002, n’est que mise en scène puisque, selon les règles d’usage, rien objectivement, sauf bien sûr le coup d’Etat qu’ont du mal à assumer les pontifes du régime, ne peut expliquer le passage de l’une à l’autre au mépris des formes impératives, ou pourquoi ce nouveau texte et pas le précédent démocratiquement adopté en 1992 !

En effet, le texte dont vous me parlez est d’inspiration et de souche autocratique d’abord en raison de son mode d’adoption comme je viens de vous l’expliquer, mais ensuite et surtout à propos de son contenu car beaucoup de dispositions du régime de 2002 constituent un recul que, dans mes écrits, j’ai résumé en une expression, un présidentialisme forcené et archaïque, avec, notamment : un mandat sans précédent de sept ans alors que l’ère est à la réduction de la durée des mandats ; un régime présidentiel formel sans vice-président contrairement au modèle américain de référence et au régime présidentiel congolais de la 1ère République ; des ‘sages’ tous nommés contrairement au dispositif de 1992 et dont on ne s’étonnera par conséquent pas qu’ils se permettent de petits arrangements ; le retour au dispositif des ordonnances et des pouvoirs exceptionnels dont la nocivité dans notre histoire économique et politique est établie…

Bref, au Congo, depuis octobre 1997, c’est, grosso modo, l’ancien régime ressuscité, parce que nous vivons, au-delà d’une façade démocratique affichée par certaines dispositions constitutionnelles comme par le passé, une véritable transition autocratique dont on ne peut tout à fait maitriser l’issue, comme il en va de tout régime issu et fondé sur la force et le sang.

Congo-liberty :

Avant de suspendre cette première partie de l’interview, une question subsidiaire : vous avez préfacé l’ouvrage posthume du ministre Moungounga qui paraît dans quelques jours. Pourquoi vous ?

Félix BANKOUNDA-MPELE :

Et pourquoi pas moi ! Sérieusement, c’est simplement parce que Jean-Saturnin Boungou, alias Yitzhak Koula, a de la mémoire, puisque c’est lui qui me l’a proposé. Il s’est certainement rappelé qu’en 1998, au lendemain de la débâcle de la démocratie congolaise, nous avons cherché à rencontrer le seul éléphant du régime renversé alors sur place à Paris pour en savoir un peu plus sur les différentes et graves allégations aussi bien de certains médias que du régime dictatorial restauré. C’était très compliqué de discuter avec le Ministre Moungounga, avec ses certitudes. Il a fallu au moins trois tentatives pour que la discussion ait enfin lieu, pour comprendre qu’il y’avait, globalement, machination sur beaucoup de points mais que la communication du régime avait été médiocre. Dès cette période, nous avions recensé au moins cinquante questions, je me rappelle bien, pour avoir ses réponses et plus tard peut-être recenser les réponses d’autres acteurs. En vain… « C’est vous les enseignants, avec votre naïveté, qui nous avez mis dans des problèmes… », nous avait-il flanqué, hermétique ! C’était assez frustrant parce que l’on pensait à ce moment que le recueil de ces avis, et peut-être d’autres, était important. Qu’à cela ne tienne, Yitzhak, déterminé, parce qu’il pensait qu’il était important de confondre la dictature et la françafrique, a continué une recherche et des investigations en solitaire, avec le succès que vous connaissez puisqu’il a publié deux ouvrages sur le sujet. Je m’étais, moi, peu auparavant, contenté de l’élaboration et de la diffusion d’un petit document intitulé, Congo-Brazzaville : la démocratie trahie. Revisitant le Ministre plus de dix ans après, avec le même souci, il a enfin obtenu son assentiment, dans le contexte qu’il explique dans l’avertissement à l’ouvrage. Il a peut-être pensé que c’est une démarche communément menée ensemble au départ, mais qu’il a poursuivi seul parce que vivant en Ile-de-France comme le Ministre, mais qu’ainsi, il compensait ou partageait un peu avec moi, le projet loupé en 1998. Voilà…

Congo-liberty.com : Les ténors du régime de Brazzaville soutiennent toujours que Sassou avait accepté l’alternance en 1992, et que la situation de 1997 est le fait de Lissouba qui, ayant tribalisé son régime, a refusé ou n’a pu organiser les élections dans les délais par peur de perdre. Par ailleurs ils ajoutent que la Constitution de 2002 a été votée par référendum.
Félix bankounda Mpélé : Je connais ces thèses, qui étaient mises en exergue par certains médias en 1997, et qui, curieusement, sont encore soutenues par ceux dont vous parlez. Pas plus tard qu’au dernier anniversaire de l’indépendance, le 15 août de cette année, un représentant du pouvoir en place a repris, sans gêne, le même discours dans une grande chaîne de télévision africaine située à Paris. Elles ont évidemment tout faux.
D’abord, à propos de l’alternance, démocratique j’espère, la conférence nationale souveraine congolaise du printemps 1991 en avait fait le dessin, de manière claire, en retenant que le dernier président de l’ère monopartite, Sassou-Nguesso, qui avait pourtant perdu de façon évidente toute légitimité, ne pouvait être délogé de la présidence que par un successeur élu. C’est sur la base de ce principe, fort et pertinent à mon avis, que les demandes massives en faveur de son départ avaient été rejetées et que, pour la première fois, dans l’histoire constitutionnelle et politique congolaise, l’adoption d’un Acte fondamental ou régime provisoire n’a pas coïncidé avec le départ du président en place. Car, depuis l’indépendance, cela a été la règle absolue dans notre pays : Youlou, comme vous le savez, est éjecté formellement par le régime provisoire du 11 septembre 1963, Massambat Débat par celui du 14 août 1968, et la mort de Ngouabi est aussi, curieusement, consacrée par  l’Acte fondamental du 5 avril 1977. Même le court séjour présidentiel de Yhombi et donc son départ est couronné par l’Acte du 7 février 1979.
Pourquoi donc, comme par le passé et  de manière exclusive, l’Acte fondamental du 4 juin 1991 n’a pas entraîné le départ du général Sassou ? C’est, au nom de ce principe fondamental et autonome du droit constitutionnel congolais, fort et pertinent je le répète, et pour une fois répondant à une pratique endogène rétrograde qu’il fallait juguler et exorciser, que la Conférence nationale souveraine a fixé que désormais l’alternance démocratique, hors cas classiques et universels comme l’empêchement, la démission ou la mort, c’est le départ de l’ancien président et l’arrivée du nouveau par la voie des urnes. C’est cela l’alternance ! Reconnaissons que dans un pays où, selon la formule même de la Constitution unanime de 1992, « Le coup d’Etat s’est inscrit dans l’histoire politique… comme seul moyen d’accès au pouvoir… » (Préambule), c’était un principe à la fois réaliste, préventif et évidemment démocratique. C’est d’ailleurs au nom de ce principe, d’une acuité particulière au regard de notre histoire politique et constitutionnelle comme je viens de le rappeler, qu’il faut lire la décision à tort critiquée du Conseil constitutionnel (aux membres élus aux 2 /3 par leurs corporations) en date du 19 juillet 1997, puisque celle-ci, tout en demandant expressément « au Gouvernement, en accord avec l’ensemble de la classe politique, de fixer la période de l’élection présidentielle » pour prévenir toute dérive arbitraire de l’Exécutif, a, en contrepartie et pour prévenir le coup d’Etat comme seul moyen d’accéder au pouvoir, décidé que « le Président … demeure en fonction jusqu’à la passation des pouvoirs avec son successeur élu au suffrage universel direct » ; un président qui, s’ il « conserve toutes ses prérogatives constitutionnelles » selon la même décision, a peu de pouvoirs puisque, rappelons-le, sans pouvoirs d’ordonnances ni pouvoirs exceptionnels au contraire de la situation antérieure et d’aujourd’hui, et avec un gouvernement en cohabitation de fait avec l’opposition selon cette décision mais aussi dans la réalité de façon préventive [NDLR : cf. son étude: Bankounda-Mpélé F., « Vain sauvetage pour la démocratie : à propos de la décision du Conseil constitutionnel congolais du 19 juillet 1997 »].
Soyons clair : si, bien que jamais élu démocratiquement auparavant, le général Sassou manifestement délégitimé pourtant avec la fièvre démocratique du début des années 90, a survécu et profité en 1991, pour la première fois dans l’histoire constitutionnelle et politique congolaise, à un Acte fondamental, en raison du principe fondamental de l’alternance démocratique tel que défini par la conférence nationale souveraine comme je viens de le rappeler, il n’a pas laissé la possibilité d’application du même principe au premier président démocratiquement élu. Ainsi, sauf à considérer que d’être battu à la première élection présidentielle disputée du pays est un exploit, l’affirmation selon laquelle le général Sassou avait accepté et réussi l’alternance relève d’une véritable escroquerie politique, tout comme l’argument du retard dans l’organisation de l’élection de 1997 car, ni avant le président Lissouba, ni après lui, l’élection présidentielle ne fut organisée dans les délais : prévue textuellement par l’Acte fondamental pour une durée de douze mois, la transition post-conférence nationale, qui a clos ses portes le 10 juin 1991, et démarré immédiatement, n’a pu organiser les élections dans les délais puisqu’il a fallu proroger par consensus la transition de deux mois, jusqu’à la fin août. De même, comme je l’ai dit en réponse à la question précédente, la transition de l’Acte fondamental post-coup d’Etat du 24 octobre 1997, nulle part prévue par la Constitution démocratiquement adoptée du 15 mars 1992,  et donc caprice de son auteur, prévue par lui-même pour une durée flexible de deux à trois ans pour l’organisation des élections, n’a pu organiser celles-ci qu’au bout de cinq longues années !
Cinq ans d’exercice du pouvoir sans mandat ! Cinq ans jonchés de graves et massives atteintes aux droits de l’homme, et de milliers de morts selon les rapports unanimes de toutes les organisations humanitaires habituelles, et dont l’épisode connu des ‘Disparus du Beach’, peu banal, n’est qu’un parmi tant d’autres ! C’était déjà suffisamment constitutif d’un profil despotique et tyrannique! Cinq ans pour accoucher, en dernière instance, non pas du rétablissement de l’ordre démocratique et impersonnel adopté pour la première fois dans l’histoire constitutionnelle et politique du pays en 1992, mais plutôt des élections illégitimes parce que viciées et truquées!
Ainsi, la réalité, le droit et les principes démocratiques ne vont pas dans le sens du discours des ténors du pouvoir autocratique de Brazzaville sur la prétendue qualité de président de l’alternance de Sassou-Nguesso et rendent, par là-même, le référendum constitutionnel de 2002 juridiquement nul car, il est établi dans la doctrine et la jurisprudence françaises tout au moins, depuis l’expérience gaullienne de 1962, qu’un référendum n’est valide que si son recours est conforme à l’ordre en vigueur que, sur le fond, le juge constitutionnel vérifie depuis septembre 2000. Ordre qui, ici, comme on l’a démontré, aura été malmené par ce que l’on ne peut appeler autrement que par un coup d’Etat, et en cela, constitutionnellement condamné par la Constitution de 1992 au dernier alinéa de son préambule.
Ces questions, en dehors du contexte congolais plongé dans un véritable solipsisme politique, volontairement entretenu pour manipuler l’opinion nationale et justifier le retour sanglant du dictateur, sont de peu de portée car la nature putschiste du régime est sans équivoque aujourd’hui : quel rapport peut-on établir entre le prétendu retard d’organisation d’une élection présidentielle, monnaie courante en Afrique, et l’étranglement d’une Constitution régulièrement adoptée, ou encore le retour par effraction au pouvoir, sans préjudice des dizaines de milliers de morts, du général Sassou régulièrement battu antérieurement ! L’histoire universelle, je l’ai déjà dit, ne donne aucun exemple d’une prétendue provocation ou d’une guerre civile qui carbonise une constitution régulièrement adoptée !
L’escroquerie politique, seule, peut expliquer cela, tout comme elle explique la thèse d’un tribalisme ‘génération spontanée’, qui serait subitement arrivé en 1992 avec l’élection de Lissouba et se serait évanoui en 1997 avec son éviction ! Combien de Congolais y croiront ! L’histoire politique du continent noir, depuis les indépendances, à l’exception relative de quelques îlots d’Etats démocratiques, est celle de la démonstration d’un mariage perpétuel et intime entre dictature et tribalisme qui, tous les deux, s’entretiennent réciproquement. Ce qui signifie qu’en brisant la dictature, on déclenche, par ricochet et de façon progressive, le processus d’anéantissement du tribalisme, l’erreur jusque-là ayant consisté à croire à la disparition immédiate comme par enchantement du tribalisme après l’instauration de la démocratie, et donc à faire le procès prématuré de celle-ci, et favoriser la restauration autocratique…

 

Congo-liberty : Vous avez en tant que constitutionnaliste et politiste fait plusieurs publications, mais dans le contexte actuel en Afrique, une a retenu mon attention : Repenser le président africain1. Pensez-vous que la fonction est la cause des chaos postélectoraux dans le continent noir ?

Félix Bankounda Mpélé: Merci pour la question. Je n’en parlerai jamais assez, parce que « le président de la République » est une idée bien ancrée dans la mentalité des africains. Je sais que beaucoup, y compris parmi les plus proches, restent obnubilés, je dirais même émerveillés par « le président de la République ». Pour beaucoup encore, cela relève de la croyance, un peu comme si vous vous évertuez à dire à un croyant d’essayer de se passer de l’existence de Dieu, toutes proportions gardées bien entendu.

Malgré plus de cinq décennies d’échec du modèle présidentiel gaullien, les africains continuent à croire, à rêver et espérer de l’homme providentiel ! Pas un seul, parmi les quelques membres de la classe politique congolaise à qui j’en ai parlés, n’a ‘branché’ ! Vous trouvez ici, en filigrane, l’idée d’Albert Mémi dans son fameux « Portrait du colonisé », évidemment inséparable du « Portrait du colonisateur », parce que, l’inconscient, l’un des problèmes de l’homme un peu en mal d’équilibre, de mesure ou de confiance, c’est d’être dominé ou de dominer. D’où la bataille sanguinaire pour le pouvoir, pour cette institution qui donne tous les privilèges, permet tous les excès et irrationalités…

Ainsi, cette institution a couté très cher à l’Afrique, et particulièrement au Congo-Brazzaville ! J’écrivais au printemps 2009, avant la rocambolesque élection présidentielle congolaise de juillet, dans une petite réflexion diffusée alors en anonyme auprès d’un de vos confrères, et consultable encore en ligne, sous l’intitulé « L’incroyable naïveté électorale », ce qui suit :, « réservé quant aux ‘hommes charismatiques’, et en raison de la déliquescence aujourd’hui des valeurs congolaises, l’auteur de ces lignes en doute sérieusement, et invite à une interrogation : ‘ Et si les Congolais refusaient un président de la République ! ‘. A première vue utopique, l’idée n’est pas pour autant saugrenue quand on sait que le modèle institutionnel français reproduit ici est plutôt une exception en Europe.
Que de temps, d’argent, de compétences, de valeurs, de rendez-vous, de vies sacrifiés à cause des … présidents de la République ! ». Sur cette question, les conclusions du deuxième colloque international sur Les tabous du constitutionnalisme en Afrique, qui s’est réuni en juin dernier au Togo, vont largement dans le sens de ce que j’ai soutenu au Congrès français de 2008 et dans la réflexion ci-dessus citée.

Toute l’histoire politique congolaise est l’illustration d’une institution globalement calamiteuse, et les derniers et graves événements de 1997 à 2001 principalement, me confortent dans cette idée. Bien sûr, il faut se garder des généralisations, comme c’est bien souvent le cas, certains pays africains présentant des particularismes. Reconnaissons cependant que personne ne peut jurer que tel pays africain est à l’abri d’un éclatement ou d’une guerre de pouvoir. Vous me direz également que la situation congolaise est le fait d’un « fou » du pouvoir qui n’aura pas hésité à sacrifier des dizaines de milliers de vies congolaises, nombreuses sous les balles des armées étrangères et mercenaires, pour conquérir et conserver un pouvoir démocratiquement perdu ! La Côte d’Ivoire hier, le Tchad, le Burkina, l’Angola, le Centrafrique, le Congo-Démocratique, le Kenya,… la liste est très longue vous le savez, et je ne vais pas refaire ici ma communication qui est consultable. Si vous comptez en Afrique les véritables présidents qui acceptent et assument l’alternance, ou qui ne remettent pas en cause la limitation des mandats qui est dans l’ADN du principe démocratique des années 90, et qui participe pourtant au droit de la paix constitutionnellement retenu par presque toutes les constitutions africaines, vous aurez beaucoup du mal à en citer cinq sur les cinquante quatre que compte le continent ! Il va de soi à ce moment que l’issue d’un pouvoir qui se pérennise, comme cela demeure la mode, avec tous les graves maux bien connus qu’illustre le Congo, c’est potentiellement le désastre.

Si bien entendu cette institution n’est pas la cause exclusive, elle est la cause principale et déterminante puisqu’objet de la grande corruption, de marchandages divers, de frustrations, de prédations, de violences et de luttes tribales, …

Le but du contrat socio-politique que constitue l’organisation étatique ce n’est pas de se battre pour la maîtrise du pouvoir et pour en jouir, mais plutôt, comme vous le savez, pour assurer la sécurité sous toutes les formes de l’ensemble des gouvernés. Reconnaissons que jusqu’ici, au Congo sans nul doute, mais aussi largement ailleurs en Afrique, c’est l’inverse qui est vécu. Sans bataille pour la conquête de ce pouvoir suprême, il n’y a plus de grand enjeu des luttes tribales et l’on peut gagner du temps, aller droit au but, à l’essentiel, aux questions de fond du pays et mieux exploiter les importantes ressources financières et humaines dont regorgent aujourd’hui le petit Congo de moins de quatre millions… Même la diaspora, je le dis sans rire, peut se réunir tranquillement sans suspicion et méfiance de servir de tremplin aux ‘autres’, ou d’être le dindon de la farce, ou encore de se voir reprocher la naïveté par ses proches. L’immobilisme ou la réserve des Congolais du Congo mais aussi de la diaspora aujourd’hui pour bouter le système despotique, c’est, consciemment ou inconsciemment, et fondamentalement, cet enjeu. Sans cette institution telle qu’elle est organisée aujourd’hui, on enlève également aux forces et intérêts étrangers leur moyen de pression, leur guichet unique de la corruption parce que le président de la République en Afrique est très exposé et ‘désarmé’ face aux pressions tant étrangères que tribales et régionalistes parce que, de la même façon qu’un président recherche ces soutiens-là, ces derniers aussi, en contrepartie, comptent sur lui. L’ardoise, évidemment extraordinairement lourde, est supportée par le trésor public. La tentative de remise en cause ou de perte de ce privilège c’est, en général, la guerre civile assurée, comme ne le dément pas l’actualité constante en Afrique…

Chaque fois qu’une élection présidentielle est organisée dans un pays africain, le pays est potentiellement en position d’éclatement. L’évidence du risque majeur de l’enjeu n’étant plus à douter, si l’Union africaine ne présentait pas ce profil qu’on a souvent dénoncé du syndicat des présidents, et si ces derniers étaient probes à cet égard et suffisamment intégrationnistes, au moins on aurait évolué vers une véritable union africaine électorale dont la conséquence serait de confier la compétence en la matière aux instances continentales, avec les garanties qui s’ensuivraient contre les contestations violentes, et surtout les coups d’Etat… Mais, reconnaissons que l’intégration africaine n’en est pas encore là et que, pour le Congo et beaucoup d’autres Etats, la reconstruction nationale rapide et à moindres coûts et risques impose la trêve de l’institution présidentielle telle qu’elle est organisée actuellement, et un réaménagement de fond des institutions constitutionnelles et politiques…

Congo-liberty.com : Les intellectuels et universitaires occupent des postes importants dans les institutions du pouvoir de Brazzaville, mais ceux-ci brillent par leur incompétence et deviennent des véritables prédateurs et fossoyeurs de nos richesses.

Comprenez-vous que les congolais ne fassent plus confiance à leurs élites ?

 

Félix BANKOUNDA-MPELE : Les valeurs, aussi bien morales, intellectuelles que politiques, occupent une place très marginale au Congo. Les intellectuels comme vous les appelez, et les universitaires, de façon quasi générale, font de l’université un tremplin. Le but ce n’est pas de faire une bonne carrière universitaire, d’initier doctrine, théories et débats intellectuels comme on s’y attendrait pour faire progresser la société, mais plutôt de s’enrichir, de se ‘vendre’ auprès du politique et d’accumuler un patrimoine. Le déferlement de l’élite congolaise sur le marché français de l’immobilier, dans certains pays africains mais aussi localement en est une des illustrations. Dans cet esprit, tous les moyens sont bons. Le cantonnement dans l’activité intellectuelle ou universitaire est considéré comme relevant de la naïveté, voire de l’irréalisme, par l’écrasante majorité du corps social congolais. Les politiques, et surtout le grand architecte de la dictature au Congo, parce qu’ils y ont contribué, le savent et, partant, exercent une véritable emprise sur les universitaires bien entendu, comme sur le reste de la société, en faisant de l’argent la valeur primordiale de la société congolaise. Vous penserez peut-être que le Congo n’en a pas le monopole et que même dans les sociétés occidentales l’argent a une portée considérable. La différence est qu’alors qu’au Congo pouvoir et argent sont confondus, appartiennent globalement au même clan qui ne brille pas par le labeur, l’éducation ou le savoir bien au contraire, ailleurs l’existence et la reconnaissance d’autres valeurs, le contexte démocratique et le relatif éparpillement des forces financières assurent un certain contrepoids et un relatif équilibre des forces, une autonomie par rapport au pouvoir et aux valeurs d’argent, et donc une identité et une visibilité que celles incarnées par le pouvoir et/ou l’argent.

Au Congo, si vous n’avez pas d’argent, ou si vous n’êtes pas dans une position de pouvoir, quelle que soit votre valeur intrinsèque, vous n’existez pas. C’est ainsi que le pouvoir et ses relais, avec une certaine arrogance qui souvent frise la bêtise, parce que convaincu de l’envie qu’il suscite, cultive ces deux valeurs principales et exerce une emprise sur toute la société. Accepter de conseiller auprès des pouvoirs publics au Congo, dans le contexte d’aujourd’hui, c’est d’abord et avant tout se taire, obtempérer, se fondre dans les antivaleurs et donc consolider le système pour, en contrepartie, se servir tranquillement. C’est le canal de l’argent rapide, facile et à flots. L’universitaire ou l’élite de façon générale s’est expertisé dans le double discours : si en off il critique un peu, en clair il acclame le pouvoir parce qu’il y va de son intérêt auquel il n’a initié aucune autre alternative. Ainsi, les régimes se succèdent, mais vous trouvez quasiment la même élite, éternellement en compétition pour accrocher les postes ou d’autres opportunités, accouchant d’un phénomène que les Congolais définissent, assez pertinemment, comme de la prostitution politique.

En clair, au Congo-Brazzaville, quel que soit le domaine, vous devez compter avec le pouvoir en place pour émerger, sinon vous n’êtes rien, vous ne parvenez que très difficilement à quelque chose de brillant, même si vous êtes universitaire. Ainsi donc, la compétition ici, de plus en plus, n’est plus que dans la pugnacité à l’appel du pied au pouvoir qui, bien entendu, joue, abuse et s’amuse avec l’ensemble de la société et les universitaires particulièrement ! Partant, vous attendrez en vain à la télévision congolaise un débat de l’élite sur les grands maux sociopolitiques et économiques qui minent le pays. Parce que contredire c’est hypothéquer ses chances, voire son avenir ! Les journalistes de la principale chaîne de télévision ne vous laisseront de toute façon pas la possibilité puisqu’au moindre écart, comme vous avez dû le voir déjà, ils vocifèrent, aboient et se comportent en véritables pitbulls. C’est là, un des grands vestiges du monopartisme auquel l’élite, dans sa variété, s’est très vite et facilement réconciliée. Rappelez-vous comment à l’occasion de l’ affaire gravissime des « Biens mal acquis », à l’automne 2010, pendant plus d’un mois, le personnel formé, les juristes notamment, se sont défilés sur le plateau de la télévision congolaise pour proposer leur savoir-faire, alors que la corruption et la vénalité des autorités et de ses soutiens sont manifestes et ne sont plus à démontrer. Communications et déclarations à longueur de journée étaient toutes à sens unique : un véritable état d’urgence politico-médiatique…

Quant à la situation de ces personnels, vous y ajoutez les origines très modestes de l’écrasante majorité, et les frustrations multiformes longtemps comprimées, avec en toile de fonds ce qu’implique « le complexe du colonisé », selon le terme d’Albert Mémi, dont l’ambition plus ou moins secrète est de régner ou de dominer l’autre, vous avez là tout le cocktail de l’incompétence, de l’incivisme, des antivaleurs et de la vénalité de la classe dirigeante et de la majorité desdits intellectuels.

Dans le contexte congolais de l’autocratie, un petit conseil : méfiez-vous desdits intellectuels. L’on peut ne pas toujours être d’accord avec l’intellectuel français Alain Minc mais, lorsqu’il affirme dès l’introduction de son Histoire politique des intellectuels à peu près ceci que l’intellectuel moderne naît…lorsqu’il échappe à la mainmise du pouvoir, …lorsqu’il prend place pour un face-à-face avec le pouvoir et que cet affrontement définit son identité autant que le travail de création, il définit, a contrario et indirectement, dans une certaine mesure, l’état d’apathie, la servilité et l’antinomie à toute conviction et à toute éthique de l’élite intellectuelle congolaise, sous d’autres temps déjà magistralement décrits et dénoncés par Etienne de La Boëtie dans son irremplaçable et calibre Discours de la servitude volontaire, avec ses inoubliables assertions : « Soyez résolus à ne plus servir, et vous voilà libres », ou encore, « Les tyrans ne sont grands que parce que nous sommes à genoux ». L’existence ou l’émergence de l’intellectuel congolais, et avec elle celle de la société civile et de l’ensemble du corps social de façon relative, est ainsi sérieusement soumise à caution parce qu’il manque d’autonomie, d’identité, de conviction comme je disais…et du sens réel de la création.

Ne vous y trompez donc jamais : l’objectif premier, très tôt caressé par l’élite africaine, congolaise particulièrement, c’est l’argent et le pouvoir. Le « bourgeois authentique », comme l’appelle le célèbre sociologue Max weber, qui est suffisamment préparé et blindé face à ces deux valeurs, est un oiseau rare sinon inexistant au Congo. Tenez, le pape Benoit XVI, qui séjourne au Bénin en ce moment-même, demande aux africains, je le cite, «  de résister contre les valeurs d’argent et de pouvoir », confirmant et dénonçant ainsi la grande perversion qu’elles constituent de plus en plus en Afrique puisqu’elles laminent les vertus…et donc participent gravement à la régression ! Si, dans le contexte français, le Pr Alain Garrigou, chercheur critique, a constaté, dans son brillant essai, Les élites contre la République, certains conservatismes, mais dans des usages plus nobles liés aux écoles et leurs difficultés d’adaptation au nouveau contexte, au Congo-Brazzaville, aujourd’hui, clairement, l’élite, en raison des considérations plutôt viles et indécentes, est majoritairement complice, experte et mercenaire contre les intérêts fondamentaux du pays, consciemment ou inconsciemment. Son mutisme, notamment, sur l’article 48 de la Constitution du régime qui oblige à déclarer son patrimoine avant et après l’exercice de toute fonction, non fortuit, en est le corollaire. De ce point de vue, et au contraire de la situation post-conférence nationale, Il sera difficile, à l’issue de la dictature, au risque de l’habitus, de faire l’économie d’un traitement approfondi de ces vastes et morbides complicités.

En définitive, la grande bataille de l’avenir, qui sera de longue haleine au Congo-Brazzaville, après le long règne de la bêtise, de la barbarie, de la vénalité, de l’autocratie et de la honte, est celle de l’éthique. Ne vous étonnez donc pas que dans cet idéal, beaucoup d’universitaires, mais aussi nombreux de vos plus proches, amis ou famille, fassent de la résistance active…

congo-liberty : Comment expliquez- vous qu’aux revendications de la restauration de la démocratie, les chantres du pouvoir opposent l’argumentaire des grands travaux.

La démocratie est-elle un luxe pour les congolais ?

 

Félix Bankounda-Mpélé. : Il n’y a hélas pas que les chantres du pouvoir comme vous le dites qui le chantent. Même certains qui ne sont pas proches du pouvoir, sans doute amnésiques ou peu formés et informés, abondent dans ce sens. A tord bien entendu. Tout d’abord, j’ai souvent considéré que le recours à cet argument était suffisamment sordide. Un peu comme si un voisin, entrant par effraction chez vous, après avoir volé et bradé le patrimoine familial, torturé, violé et tué quelques membres de votre famille, se targue qu’après tout il vient de peindre votre maison et de vous contracter un abonnement d’eau et de vous faire des installations électriques ! C’est à peu près dans cette situation que nous nous trouvons au Congo ! Avouez que c’est indécent et cynique qu’après le recours aux armées étrangères et mercenaires — que ne dément pas la résolution 867 d’octobre 1997 du Conseil de sécurité et les rapports des organisations humanitaires habituelles — qui pendant plus de trois ans ont torturé, violé et tué à satiété dans une large partie du territoire pour installer le pouvoir d’un individu, que l’on prétende compenser ces crimes massifs, à juste titre qualifiés par lesdites organisations comme étant des crimes contre l’humanité, par des grands travaux ! Mais parlons-en.

Une bonne observation de la situation de l’heure laisse l’impression de l’éternel recommencement, des rendez-vous toujours manqués et de la ‘scénarisation’ excessive. Je m’explique.

Vers le début des années 80, c’était je pense en 1982-83, relisez les différents hebdomadaires africains ou autres journaux relatant l’événement africain, comme les fameux MTM (Marchés Tropicaux et Méditerranéens). En tout cas, moi je m’en rappelle très bien comme si c’était hier, puisqu’à ce propos j’avais publié ma première étude, en relation avec la fonction publique [NDLR : La fonction publique congolaise à l’heure du programme d’ajustement structurel : une fonction publique d’exception ?]. A la une des hebdo, c’était notamment : « Le Congo décolle », « Une croissance sans précédent », « Le temps des grands travaux », « L’heure de la modernisation a sonné au Congo», etc. et, en moins de trois ans, patapouf, c’était le désenchantement total au motif exclusif, selon le pouvoir en place, de « la baisse conjuguée du dollar et du prix du baril de pétrole » ! Le désenclavement du pays, qui était le maître mot du moment, aurait englouti, selon les pouvoirs publics eux-mêmes, plus de mille milliards de Cfa et le redressement des entreprises d’Etat un peu moins de cinq cent milliards de Cfa ! Le pays, endetté à l’extrême, tenta de se tourner vers le FMI, et l’on connait la suite… Ce que l’on saura mieux plus tard, c’est qu’alors que les fameux grands travaux avaient été réalisés essentiellement par endettement, les recettes réelles de l’Etat, issues du pétrole évidemment, avaient pour une partie importante, terminé dans des acquisitions immobilières et comptes privés. Selon l’ancien hebdomadaire français, L’Evénement du Jeudi, du 22 au 29 mai 1997, jamais contredit, pendant longtemps 1,2 milliards ff (120 milliards cfa) avaient été planqués dans quelques comptes personnels !

Reconnaissez que les similitudes sont frappantes avec la situation de l’heure : lesdits grands travaux d’aujourd’hui, dont l’aéroport de Brazzaville et le barrage d’Imboulou, sont principalement réalisés sur fonds étrangers, jusqu’à 85°/° pour ce dernier selon les officiels eux-mêmes et près de mille milliards de fcfa (299,4 pour le tronçon Pointe-Noire /Dolisie et 665,9 pour la partie Dolisie/Bzv) de la chine pour la route Pointe-Noire Brazzaville selon une agence d’information chinoise (Radio Chine Internationale) , tandis que le pillage agressif et décomplexé du pays gagne du terrain puisque le ton est donné par les plus hautes autorités de l’Etat, comme nous édifient notamment divers journaux de grande notoriété et Xavier Harel dans Pillage à huis clos, indications à l’appui. Les fameuses municipalisations accélérées qui coûtent chaque année des centaines de milliards Cfa se font hors de tout cadre juridique ! Vous vous rendez compte ! L’un des plus grands rendez-vous annuels des travaux publics, peut-être même le plus grand, qui mobilise des moyens financiers impressionnants, s’opère en dehors de tout aménagement juridique! Par ailleurs vous avez suivi comme moi le dernier rapport de la Commission permanente contre la corruption qui, bien entendu, on l’imagine aisément, est forcément stratégique ou tout au moins euphémique. Cela, pour tenter de forcer l’idée d’une démocratie qui fonctionne face à un phénomène fort gênant devenu trop visible, alors que ni les fameux « biens mal acquis », ni autres affaires du même genre n’ont suscité une Commission parlementaire comme on l’imaginerait dans toute démocratie digne de ce nom ! Le rapport cité trouve expressément des ‘circonstances atténuantes’ aux contrevenants, et la « municipalisation accélérée » informelle, véritable batterie de la corruption par l’érection des macro entrepreneurs arrivistes notamment, n’est en rien mise en cause ; l’article 48 de la Constitution du régime dont on présumerait la teneur en vue de la limitation de la corruption, par l’obligation de déclaration du patrimoine avant l’exercice de toute fonction, n’est toujours pas à l’ordre du jour, dix ans après !…

Dans le même esprit, l’on constatera qu’au Congo le fonctionnement normal des pouvoirs publics qui suppose la réalisation régulière de certains édifices n’existe plus, c’est-à-dire est instrumentalisé. Tout au Congo est solennel et sujet à l’hypermédiatisation, accusant par là, curieusement, le dysfonctionnement ou la non-existence de l’Etat, comme l’a démontré dernièrement la municipalisation de la Cuvette-ouest. Sans doute s’agit-il ici du dernier-né des départements congolais, mais cela donne une image des collectivités territoriales congolaises, au-delà des capitales départementales, où, plus de cinquante ans après l’indépendance, non seulement les signes d’existence ou de présence de l’Etat restent très embryonnaires mais, plus grave, les populations restent largement réduites à l’état végétatif. Le gouvernement se targue pourtant d’un budget de 3640 milliards de Cfa aujourd’hui, contre moins de 400 milliards avant le coup d’Etat, soit presque dix fois plus.

Soyons clair et précis : l’argument du pouvoir à propos des grands travaux, comme la médiatisation excessive et répétitive de ceux-ci, procèdent d’un bourrage de crâne volontairement pensé pour brouiller la nature dictatoriale et criminelle du régime, masquer l’incompétence et la vénalité d’un pouvoir de plus d’un quart de siècle qui en est encore à la quête de la satisfaction de ‘besoins animaux’, là où Ben Ali, Moubarak, Pinochet, et autres personnalités de la même catégorie ont, comme on le sait, fait nettement mieux, en un temps moindre et avec des moyens parfois peu importants, et que les seuls faits de guerre ne justifient bien entendu pas.

Remarquez qu’avec la flambée mondiale du prix du baril de pétrole, qui est passé de moins de 20 euros avant 1997 à 95 euros à peu près aujourd’hui, d’autres pays autrefois très endettés comme la Russie ou l’Algérie notamment ont non seulement apuré toute leur dette et esquivé ainsi les institutions de Brettons Woods, mais, mieux, ont fait de sérieuses réserves : jusqu’à 1500 milliards de dollars de réserve pour l’Algérie qui a connu une guerre civile plus longue et plus dévastatrice que le Congo, et qui, rien que pour l’année 2012, prévoit un fonds d’investissements de 1300 milliards dollars pour les dépenses sociales et de solidarité nationale et 2849 milliards à la poursuite des réalisations du programme quinquennal d’investissements publics sur fonds propres ! Ces quelques comparaisons, purement indicatives, vous donnent une idée de l’incompétence, de l’escroquerie, du pillage et de la manipulation du pouvoir congolais et de ses thuriféraires.

 

Congo-liberty:

 

Avant de terminer cette partie sur les institutions, les autorités congolaises ou ses représentants se targuent d’avoir instauré ici, comme aux Etats-Unis et au bénin, un régime présidentiel parce que plus adapté au contexte socio-politique congolais. Qu’en pensez-vous ?

 

Je pense avoir, dans la réponse à la première [ndlr : cf. « L’ancien régime ressuscité, 29/11/11»], et à la deuxième question [ndlr : cf. « De l’escroquerie politique, 04/12/11 »], dit et démontré en quoi la naissance et l’érection du régime politique congolais de l’heure constituaient une immense escroquerie. La question du régime constitutionnel en est, de façon évidente, une autre et parfaite illustration.

 

Ni dans l’esprit, ni dans la lettre, la Constitution du pouvoir congolais instauré en janvier 2002, d’inspiration et de souche autocratique je l’avais déjà dit, n’établit un régime présidentiel, même si, par commodité, on se plaît souvent à le présenter comme tel, parce que beaucoup d’analystes ont du mal à raisonner en dehors des canaux classiques.

 

L’esprit de ce texte, tout d’abord, est tout à fait aux antipodes aussi bien du régime présidentiel que de l’ensemble du mouvement constitutionnel occidental originel rappelé par l’article 16 de la Déclaration française des Droits de l’Homme et du Citoyen, c’est-à-dire la garantie des droits par la séparation des pouvoirs comme condition justificative d’une constitution. Ce référent, on le sait, était déjà bien — et peut-être même de façon assez rigide — assuré dans la Constitution de 1992, et confirmé par le juge constitutionnel congolais en 1996. Contrairement à tout ce qui est dit et écrit ici et là, et encore tout récemment dans un hebdomadaire congolais par un journaliste congolais [ndlr : J. Bitala-Bitemo] plus expert dans la communication personnelle et la flatterie — qu’il puise d’ailleurs dans sa formation — que dans le domaine constitutionnel, les crises congolaises des cinq premières années de l’expérience démocratique au Congo ne doivent pas être recherchées dans la Constitution ; ces crises trouvent leur source dans la moralité des acteurs politiques qui, dédaignant l’idée de constitution et les règles du jeu politique, non seulement ne digèrent jamais l’échec mais sont, par ailleurs, impatients dans l’accès et l’exercice du pouvoir, et donc ne peuvent assumer conséquemment ni leur étiquette politique, ni l’opposition. C’était le cas pendant cette période, c’en est encore le cas aujourd’hui. De ce point de vue, la Constitution n’aura été qu’un prétexte et asseoir le coup d’Etat de 1997 et le nouveau texte et son régime sur cette crise c’est, une fois de plus, insulter l’intelligence et la raison. D’autres Etats africains dont le Niger qui ont connu l’activation des moyens d’action réciproques, c’est-à-dire le renversement et la dissolution, avec des conséquences graves, n’ont pas pour autant remis en cause le régime semi-parlementaire ou semi-présidentiel.

 

La préoccupation fondamentale des rédacteurs du texte de janvier 2002 était, une fois le pouvoir conquis par les moyens que l’on connaît, et convaincus de l’absence de charisme et de l’impopularité du chef éjecté dès le premier tour des seules élections disputées et transparentes du pays en 1992 – et qui, fait sans précédent dans l’histoire du pays et pas du tout conventionnel, pour asseoir son pouvoir a recouru aux armées étrangères (tchadiennes et angolaises principalement) les plus féroces de la sous-région avec chacune plus d’un quart de siècle d’expérience de guerre sauvage — , mais aussi de son addiction pour le pouvoir et de son envie de s’y éterniser, de trouver le dispositif constitutionnel approprié pour cela, comme façade bien sûr, dans un contexte qui était désormais celui du regain du constitutionnalisme et de l’Etat du droit ! Rien à voir, vous en conviendrez, avec l’esprit de 1787 aux Etats-Unis, terre d’élection du régime présidentiel, où, selon les « Pères fondateurs », il s’agissait avant tout d’empêcher l’exercice d’un pouvoir arbitraire. Or, l’on sait depuis, et un expert en la matière, Louis Dubouis, l’avait très tôt démontré, en 1962, que l’engouement pour ce régime par la majorité des anciennes colonies françaises au lendemain de l’accès aux indépendances, répondait à la recherche délibérée de l’omnipotence et de l’autoritarisme que confirma le recours quasi général au monopartisme. Rien d’étonnant puisque, paradoxalement, ni au moment des indépendances, ni présentement, les tenants du régime présidentiel ne peuvent se prévaloir d’un arbitraire autre que le leur !

Cette préoccupation de la sauvegarde du pouvoir du chef au Congo-Brazzaville est telle qu’elle frise la paranoïa qu’illustre parfaitement l’article 114 de cette constitution dont les termes, pour le moins insolites et constitutionnellement vains, selon lesquels « …l’Assemblée nationale ne peut démettre le président de la République »( !) sont introuvables ailleurs dans les régimes de même profil, ou même dans les régimes parlementaires où l’assemblée ne peut que renverser le gouvernement et non le président de la République, celui-ci étant toujours au-dessus quel que soit le régime, exception dans l’hypothèse de trahison où tous les régimes constitutionnels aménagent une responsabilité particulière, y compris dans le texte de 2002.

 

Ainsi, les préoccupations et l’esprit de la Constitution de 2002, liés à un pouvoir pillé hanté par la peur de le partager ou de le perdre, n’ont rien à voir avec un régime présidentiel, dans sa conception d’origine, résultat d’une réflexion et d’une systématisation rationnelles du fonctionnement empirique du pouvoir jusque-là en Occident (Locke, Montesquieu), et le dispositif le confirme.

La lettre de la Constitution de 2002 efface, en effet, définitivement toute allusion au régime présidentiel.

 

D’abord sur l’équilibre général des pouvoirs qui est la grande marque du régime présidentiel, sans doute l’accent est-il souvent théoriquement mis sur la séparation ‘stricte’ des pouvoirs, c’est-à-dire la distinction des domaines d’action entre les trois principaux pouvoirs constitutionnels (exécutif, législatif et le judiciaire), mais, sont moins souvent soulignées l’indépendance et la puissance du parlement dont le Congrès américain notamment en est l’illustration. Evidemment, l’équivalent, ou même le début de cela, est introuvable au Congo. Quelques exemples le prouvent.

Sur les domaines d’action distincts, et à titre indicatif, si pour justifier le rejet du régime parlementaire précédent et donc le choix du ‘régime présidentiel’ actuel, l’on a formellement proscrit la dissolution et la motion de censure, à l’inverse, tous les moyens de maîtrise du parlement, généralement appelés ‘techniques du parlementarisme rationalisé’ de la Cinquième République française, régime parlementaire d’essence rappelons-le, et qui constituent autant d’empiètements dans le domaine législatif, et donc incompatibles avec le régime présidentiel, sont reconduites ici : ainsi, les ordonnances qui n’ont aucun équivalent dans le régime présidentiel — et qui ne peuvent être mis en balance avec les « Executive orders » américains strictement contrôlés — et qui avaient même été évacuées du précédent régime, parlementaire pourtant, sont ici expressément retenues. De même, les circonstances exceptionnelles, autre spécificité de la Cinquième République française, parlementaire, bannie des constitutions congolaises depuis 1979, y compris sous la Constitution de 1992, parlementaire rappelons-le encore, sont formellement retenues dans le régime dit présidentiel congolais. S’ensuivent d’autres recettes dans le même sens, comme, notamment, les lois organiques et le pouvoir règlementaire autonome qui participent à la subordination du législatif à l’exécutif.

Ainsi, et ironie du sort, si selon la théorie classique des pouvoirs, l’identité majeure du régime présidentiel réside dans une séparation plus poussée des pouvoirs et que celle du régime parlementaire est au contraire dans une collaboration assumée des pouvoirs, curieusement, au Congo-Brazzaville, le régime constitutionnel de 1992, parlementaire en raison de l’existence des moyens d’action réciproques que sont la dissolution et la motion de censure, apparaît, aussi incroyable que cela paraisse, en raison du rejet du procédé des ordonnances et celui des pouvoirs exceptionnels notamment, plus ‘séparatiste’ que le régime dit présidentiel de 2002 !

En vain, on cherchera dans le régime constitutionnel congolais de 2002, à l’image du Congrès américain, un début de puissance parlementaire, bien au contraire. Le contrôle, réputé, du parlement en régime présidentiel est strictement symbolique au Congo, et l’irrégularité voire la non intervention de la loi de règlement ou contrôle parlementaire de l’exécution du budget sur différents exercices, pourtant constitutionnellement prévue comme obligatoire chaque année, et ce malgré le rappel séquentiel de certains députés, en est le meilleur indicateur. Tout comme l’inertie et le mutisme du parlement congolais dans les gravissimes et pourtant très médiatisées affaires des ‘disparus du Beach’ des ‘biens mal acquis’, des ‘mallettes’, etc. où le chef de l’exécutif congolais est nommément régulièrement cité ! Qui peut imaginer un seul instant que dans une démocratie digne de ce nom, ce genre d’affaires laisse le principal organe de contrôle sans réaction ! Le parlement au Congo est ainsi réduit au rôle de simple arbre à palabres, sur des affaires accessoires !

L’emprise sur la justice, outre la présidence formelle du Conseil supérieur de la magistrature par le président de la république, trouve son apogée dans la nomination régulière et en dernière instance des ‘sages’ par le chef de l’exécutif, au contraire d’une nomination à vie dans le système américain qui leur assure plus d’indépendance.

Ni parlementaire évidemment, ni présidentiel comme on vient de le voir en raison de l’organisation formelle d’une collaboration léonine des pouvoirs au profit de l’institution présidentielle bien sûr, le régime de la constitution du 20 janvier 2002, régime issu du coup d’Etat et maintenu dans cet esprit, est ainsi, en réalité, un régime de subtile confusion des pouvoirs, le seul que le maître du pouvoir ait auparavant expérimenté pendant dix sept ans de pouvoir sans partage. C’est, disais-je, un présidentialisme forcené et archaïque.

On rappellera, pour la petite histoire, qu’après avoir érigé un Premier ministre avec des pouvoirs autonomes sous la Constitution du 8 juillet 1979, le président, insatiable au pouvoir, s’empressa, à la suite de plusieurs frictions de compétences, de vider son second de toutes les prérogatives avec la réforme d’août 1984réduisant ainsi l’institution au statut de simple grand commis de l’Etat.

Adeptes d’un vil et perfide marketing politique pendant longtemps entretenu, celui de l’opposition nord-sud au Congo, auquel n’y trouverait validité qu’un esprit tordu et de machiavélique étroit, les tenants du régime présidentiel, même de façade, pour la raison principale susmentionnée de la protection du chef, n’ont toutefois pas réussi à crever l’embarras résultant de l’implication institutionnelle et sociologique de cette opposition artificielle, celle d’un bicéphalisme correspondant, formel ou symbolique, constant dans l’histoire politique du Congo.

En effet, en raison des fameux événements de 1959, et précisément depuis l’inauguration par l’abbé Youlou (originaire du sud) d’une vice-présidence opportune (assurée par Jacques-Opangault, originaire du nord) et non issue d’une liste commune comme aux USA, le président et son second de l’Exécutif au Congo ont toujours, formellement ou symboliquement, respecté cette ‘opposition’. Il apparaissait ici, en régime dit présidentiel dont on connait le principe, difficile, dans la logique de la conservation du pouvoir, et dans un contexte de regain du constitutionnalisme, de consacrer cette ‘loi’ qui comporterait le risque, dans l’hypothèse d’une vacance toujours possible et imprévisible du pouvoir, de permettre la succession au pouvoir d’une personnalité n’appartenant pas au ‘temple’. L’on sait comment, en 1977, suite à la vacance résultant de la mort du président Marien Ngouabi, et pour éviter la succession constitutionnelle d’une personnalité pas du tout attendue, il a fallu militariser la situation pour éviter toute lecture sereine et constitutionnelle de la situation.

Ainsi, pour les besoins de la conservation du pouvoir et pour esquiver, par ailleurs, la ‘loi’ historique du bicéphalisme respectée jusqu’en 1997, a-t-on préféré, avec le ‘régime présidentiel’ de 2002 qui plus que tout autre l’imposait pourtant, tout simplement… ne pas organiser de vice-présidence.

Mais, il est aussi, accessoirement, une autre raison, d’ordre stratégique, à ce choix : laisser pendante cette situation permet, dans l’hypothèse d’une situation sociale ou politique détériorée ou en voie de l’être, de briser une éventuelle coalition de l’opposition en faisant miroiter son occupation. Telle est, certainement, en ce moment, et peut-être encore pour un certain temps, la stratégie du pouvoir et, corrélativement, la raison de la frivolité de ‘l’opposition’ congolaise, sans étiquette ni conviction politiques, et éternellement à la quête d’une opportunité de poste, au grand dam de la démocratie…

Congo-liberty : Comment définirez-vous l’opposition actuelle « mcddi, upads… » à Sassou Nguesso et leur participation aux élections législatives de 2012 ?

Félix BANKOUNDA-MPELE : Vous avez bien dit opposition ! Cela n’engage que vous car, dans le contexte congolais actuel, l’usage de cette expression, au-delà de sa constitutionnalisation, est très impropre, discutable et insolite parce qu’elle participe à la légitimation du pouvoir autocratique qui, dans cette confusion, peut bien se frotter les mains et s’exclamer « stratégie réussie ».
En effet, il ne faut jamais oublier le mode d’établissement du régime actuel.  C’est très important. On l’a déjà dit, et c’est un truisme de le rappeler, l’origine et le mode d’exercice du pouvoir au Congo, depuis 1997, est essentiellement autocratique. Parce que, s’il est vrai qu’on ne peut un seul instant envisager l’efficacité du droit et  l’exercice du pouvoir sans la force, au contraire, la force et le pouvoir en dehors du droit, comme il en est le cas du régime actuel, c’est la dictature. L’analyse politique déduit de ce mode de gouvernement non seulement le laminage du droit, mais aussi celui de la politique. Autrement dit, le recours à la force dans la conquête et l’exercice du pouvoir, c’est la fin du politique dans son sens noble.
Si, au regard de leur attitude depuis 1997,  les autorités actuelles du Congo en sont conscientes et l’assument, au-delà d’un discours démocratique incantatoire, il semble  que ceci ne soit pas très évident auprès des autres forces politiques, abusivement appelées opposition parce que, objectivement, dans l’impossibilité d’assurer l’alternance démocratique.
Dès lors, la question qui se pose est celle du rôle et des intentions des forces politiques qui, ouvertement, ne se prévalent pas du pouvoir établi, par essence autocratique, avons-nous dit.
Vous avez dit MCDDI et UPADS ? Il me semble que, au-delà d’un positionnement  déroutant, parce qu’instable, officiellement, le MCDDI se réclame ouvertement du pouvoir en place et l’on a du mal à comprendre le classement que vous en faites. Se pose plus particulièrement le rôle de l’UPADS et des autres entités politiques. Un regard rétrospectif sur la vie et l’histoire politique congolaises est édifiant à cet égard.
L’avènement du pouvoir actuel, avions nous dit, c’est ‘l’ancien régime ressuscité ‘ et celui-ci, à l’image des autres systèmes de l’époque en Afrique, comme vous le savez, ne tolérait pas l’opposition. Le général Mobutu ne qualifiait-il pas les opposants d’ « enfants égarés de la nation » ! Au Congo, je ne vous apprends rien, les opposants étaient clairement qualifiés de « réactionnaires ». C’est parce que le contexte mondial depuis le début des années 90 contraint au discours démocratique que ‘l’ancien régime ressuscité’ se doit de sauver les apparences, tolérer ‘l’opposition’, sans évidemment, vous vous en doutez, permettre le fonctionnement réel du jeu politique dont la conséquence serait, tout naturellement, l’effondrement de la dictature.
Comment définir ‘l’opposition’ actuelle et sa participation aux prochaines élections législatives, me demandez-vous ?
Sur la base de ce que je viens de vous expliquer, la réponse s’impose d’elle-même, il me semble.
Le pouvoir, par la force, ne pouvant plus, comme par le passé, se prévaloir du socialisme pour masquer la   dictature, tout comme il ne peut permettre le jeu démocratique pour des raisons évidentes, ‘l’opposition’ ne peut de ce point de vue qu’être postiche. N’existerait-elle pas qu’il aurait fallu la créer de toutes pièces. Au Congo, le pouvoir joue sur les deux tableaux. Usant à la fois de la force, des manipulations et de l’argent, il a réduit les autres forces politiques, ou ce qui en est l’apparence,  en marionnettes soit par des intimidations, soit en multipliant le nombre de partis politiques.
Ainsi, c’est clair, le seul rôle de ‘ l’opposition’ ou de ce qui s’en prévaut aujourd’hui au Congo, c’est de créditer le pouvoir en place, de lui donner une apparence démocratique et, manifestement, l’ensemble de la classe politique l’a bien intériorisé, assez facilement, puisque la réminiscence au regard des pratiques sous l’ancien système monopartite a bien joué. La dictature a besoin de faux opposants pour se maintenir et ceux-ci ont besoin de la dictature pour survivre ou vivre tout simplement car, la vie au Congo, en dehors du pouvoir et de ses relais, n’est pas une sinécure. C’est la nouvelle entreprise et une entreprise florissante. Plus que jamais, se trouve illustrée aujourd’hui, la théorie, discutée par certains, de ‘la politique du ventre’ d’un auteur français, Jean-François Bayart…
Illustre cela certaines pratiques et déclarations desdits ‘opposants’ : à l’occasion de l’affaire des ‘biens mal acquis’, affaire on ne peut plus grave, mais superbement ignorée par les pouvoirs publics congolais, c’est un membre de l’opposition qui a fait le tour des chaines de télévision africaines d’Ile-de-France pour contester la compétence de la juridiction française, sans préjudice de menaces pour le moins saugrenues ! Par ailleurs, plusieurs éminents représentants desdits partis de l’opposition ont ouvertement reconnu et démontré, pièces à l’appui,  que le système électoral est de bout en bout maitrisé par le régime dictatorial, sans que cela ne les empêche de briguer ! Comme s’il pouvait en être autrement ! Il est mille fois plus facile de réussir une manipulation électorale que de réussir un coup d’état qui est, par essence, la négation d’un vote transparent. L’esquive, jusqu’ici, par le pouvoir en place, aussi bien de la Déclaration de Bamako sur la démocratie dans les pays francophones que des autres conventions sous-régionales et régionales, dont la Charte panafricaine sur la démocratie, confortent l’institutionnalisation de l’état d’exception et la persistance de l’esprit du coup d’état au Congo-Brazzaville.
Ceci dit, peut-on réduire toutes les forces politiques en pantins ? Pas dans l’absolu. Aucune des parties en présence n’est dupe. Ni le pouvoir, ni les autres forces ne sont tout à fait convaincus de la bonne foi et de la fidélité de l’autre partie. La situation de l’heure est, bien entendu, le résultat des rapports de forces non pas politiques mais militaro-financiers et de certains soutiens  extérieurs qui sont ouvertement en faveur du pouvoir. Ainsi, tout rendez-vous politique, les prochaines législatives en l’occurrence,  est l’occasion pour les parties de se jauger, de vérifier leur force ou la fidélité de l’autre, d’user de tous les stratagèmes, non pas politiques mais de tous les autres imaginables dans un état de nature pour, soit maintenir le système, soit l’accabler ou éventuellement pousser l’autre à l’erreur. C’est dans ce sens qu’il faut comprendre, localement, l’intérêt du rendez-vous des prochaines législatives, sans préjudice d’une opportunité d’enrichissement pour certains.
Il faut se rendre à l’évidence. En ayant accédé au pouvoir par la force, et en maintenant cet esprit par le refus obstiné tant du retour à l’ordre démocratique que de la ratification des diverses conventions du continent sur la démocratie, le pouvoir de Brazzaville a, tout naturellement, laminé les règles du jeu politique, opté pour la force brute,  et donc, délibérément, banni la politique au profit du plus vieux système politique au monde : l’état de nature où tout est  dicté par le plus fort. Ce n’était, on s’en doute, pas gratuit. Ce choix pour le moins grave, avec ses lourdes conséquences, n’a pu s’opérer que parce que ses instigateurs étaient convaincus de l’impossibilité d’accès au pouvoir par la voie rationnelle qui est celle des urnes. De ce point de vue, il n’est point besoin d’être un as de la science politique pour comprendre que le principe, le seul valable pour l’accès au pouvoir au Congo ou gagner une quelconque élection, sauf à croire à la main invisible en politique ou à faire preuve d’une naïveté exorbitante [ndlr : cf. « L’incroyable naïveté électorale », en ligne, de l’auteur, sous le pseudonyme, L’éclaireur], c’est celui que le pouvoir établi a défini, et que le reste n’est que diversion, manipulation, cafouillage et stratégie. Toute la classe politique congolaise le sait puisque les fraudes électorales massives et répétées sont manifestes. La pérennisation et l’affermissement de ce système a entraîné sa déconcentration qui n’oblige plus nécessairement le pouvoir central à se ‘mouiller’, à intervenir pour imposer la mise en veilleuse du droit et de la politique. Désormais des organes secondaires dictent et imposent les comportements nécessaires à la sauvegarde du système : c’est  le couvre-feu illimité sur la politique… corollaire de l’état d’exception institué, dont les restrictions régulières à certaines manifestations, meetings et réunions,  pourtant constitutionnellement reconnus, en sont les symptômes…

congo-liberty.org : Pourquoi a-t-on l’impression que, comme au niveau local congolais, la diaspora congolaise en France notamment est divisée. Que faut-il pour une plate-forme tout au moins ?

La diaspora congolaise, il me semble, souffre de plusieurs handicaps. Mais, le plus grave c’est son inconscience de ceux-ci car, rappelez-vous cette bonne maxime des psychanalystes : un fou qui sait qu’il est fou est déjà à moitié guéri. Ainsi, la diaspora a un grand besoin de faire son introspection, du moins celle qui est de bonne foi, au regard des drames du Congo, et principalement de l’autocratie et des crimes multiformes du moment. C’est une condition impérative sans laquelle, même dans l’hypothèse, inéluctable à terme mais aléatoire pour le moment, du changement de régime, il n’est pas sûr que les maladresses et drames ne se reproduisent pas, et que les tenants de la dictature, plus pugnaces parce que machiavéliques, rééditent le coup du ‘dictateur-libérateur’, et alors déifient le grand architecte de la dictature aujourd’hui.

Quand je dis bonne foi, je veux signifier par là qu’au sein de la diaspora, comme au Congo évidemment, il ya quelques compatriotes qui ont un intérêt au maintien de la dictature, pour des raisons subjectives. Il n’y a qu’à voir par exemple comment ils entretiennent la subversion dans les sites congolais dès le moment où une question sérieuse est abordée. Cela n’a évidemment rien de surprenant car ce courant était déjà visible et actif, c’est-à-dire subversif, dès les premiers mois sur la place de Paris où plusieurs colloques sur le Congo avaient été organisés dès 1998, au lendemain du renversement des institutions démocratiques. A l’endroit de ceux-ci, tout discours rationnel sur la démocratie est vain.

C’est l’occasion de signaler également que la diaspora comporte en elle les différents courants ou mouvements qui se sont exprimés dès les premiers moments de l’ouverture démocratique au Congo. Ce n’est pas en soi une mauvaise chose, bien au contraire ; mais, sont souvent oubliés le fait que pour vaincre la dictature au début des années 90, les forces politiques autres que conservatrices avaient circonstanciellement fait bloc, mais aussi que le moment de la politique est, depuis le coup d’Etat, aux oubliettes. Force est de constater que ces situations sont ignorées et méconnues et, alors, la question essentielle est de savoir comment réinitialiser le bloc.

Il n’y a, dans ce sens, pas meilleure démarche, que celle qui consiste à mettre en évidence les tares qui gangrènent la diaspora, et leurs causes.

Du conservatisme et de l’infécondité de la diaspora

Point n’est besoin d’être un fin observateur pour constater que, bien souvent, la diaspora se complaît, à juste titre d’ailleurs, de dénoncer les pratiques politiques au Congo, sans jamais réussir à se démarquer elle-même, par des attitudes contraires. Des exemples ?

Vous aurez du mal à dénombrer, en France notamment, le nombre des associations ou groupements politiques, avoués ou non, et leurs étiquettes, c’est-à-dire l’idée spécifique qui les anime. Sans doute, les animateurs de ceux-ci vous répondront tout de go que l’objectif est la restauration démocratique au Congo. Mais alors, l’on se demanderait pourquoi l’objectif commun n’entraîne pas l’unité d’action, ou des passerelles entre ces différents groupements ? Cette dernière forme, c’est-à-dire les passerelles, ce fut la méthode des opposants congolais en 1990, dès que les signes du printemps démocratique en Afrique subsaharienne s’annoncèrent : La lettre ouverte de l’opposition au président fin juillet début août 1990, forme de coalition de circonstance, en fut l’illustration, sans que les associations politiques déjà créées ne se remettent en cause.

A ce défaut de l’unité d’action, certainement conséquence du soupçon, cancer des relations entre Congolais de la diaspora notamment, il faut souligner le désert des idées, valeurs ou convictions réellement affirmées qui supplanteraient les contradictions ou querelles mineures. Autrement dit, si l’écrasante majorité des membres de la diaspora, ou principalement les responsables des associations politiques congolaises en France notamment, affirment qu’ils se battent pour restaurer la démocratie au Congo, ils n’en ont pas véritablement la conviction sinon l’unité d’action irait de soi. Auraient-ils cette conviction que l’on se demanderait alors pourquoi n’arrivent-ils pas à convaincre. Objectivement, l’un va difficilement sans l’autre.

En vérité, les idées ou les valeurs, essentiellement politiques, ne sont pas le véritable déterminant de l’activisme des Congolais. Que ce soit sur place au Congo, ou dans la diaspora, en général les Congolais suivent ou font d’abord confiance à un homme, démontrant ainsi leur immaturité à cet égard. Ils adorent ou exècrent un homme : dans le premier cas ils le suivent et le défendent aveuglément, tandis que dans le second cas ils le rejettent sans autre forme de procès, au grand dam de la démocratie. C’est cela qui explique largement les déboires de l’ère démocratique, mais aussi le blocage de l’heure, l’incapacité et l’inaction de la diaspora qui, sur ce point, encore encontretemps sur le discours, a très peu de leçons à donner aux militants locaux ou à la classe politique congolaise. Quand vous y ajoutez la donne financière ou mercantile, qui souvent supplante ou bat en brèche les relations subjectives connues, ou encore pousse certains à ‘changer de veste’, vous avez toute la clé de l’immobilité et du marasme d’aujourd’hui.

En résumé donc, contretemps sur le discoursdéfaut de thème majeur et mobilisateuret défaut d’unité d’action, tels sont, grosso modo, les obstacles majeurs au sursaut de la diaspora et qui constituent, en même temps les éléments de base de construction de sa fertilité et de son efficacité.

Réinitialisation d’un bloc opérationnel

 Ni fusion des associations, ni choix d’un hypothétique ‘homme providentiel’, la réinitialisation du bloc s’entend ici, simplement, comme une reconnaissance réelle et active des obstacles ci-dessus énumérées et des potions pour y remédier. Comment faire alors ?

D’abord, l’on se demanderait pourquoi la diaspora n’a jusqu’ici pas réussi à faire elle-même le diagnostic de ces maux ! C’est parce que, comme je le disais, elle en est inconsciente. Elle en est aussi inapte et ne se doute pas que cela l’amoindri. Honnêtement, sur la base de son profil actuel, quel crédit un organisme donnerait-il sérieusement à une frange de la diaspora ?

S’impose ainsi, d’abord et avant tout, la nécessité pour la diaspora de faire le point. La diaspora ne peut pas, comme il est courant, demander perpétuellement au pouvoir autocratique de Brazzaville de convoquer un débat national sans qu’elle-même ait, par exemple, esquissé ce débat, mais en allant à l’essentiel. C’est-à-dire élaborer des thèmes majeurs, mais strictement nationaux, liés à la démocratie, à la nation et au patriotisme, et non comme on le constate de temps en temps ici, aux antipodes de l’idée nationale justement. Car, des thèmes comme ‘la tribalité’, justement, s’ils peuvent avoir un grand intérêt dans un contexte normal apaisé, c’est-à-dire au Congo et dans un contexte politique – ce qui n’est pas le cas aujourd’hui –, participent au contraire à l’anesthésie de l’action de la diaspora.

C’est l’aveu que, inconsciemment comme je disais, la diaspora est à la remorque des idées et pratiques du pouvoir et n’arrivent pas, ainsi, à se démarquer du conservatisme, à féconder un discours véritablement constructeur ou patriotique, c’est-à-dire mobilisateur, et donc se disqualifie au regard des observateurs extérieurs et objectifs, et même auprès des patriotes, car il y’en a, originaires de tout le pays. Quand bien même on saurait ou dirait que le régime de Brazzaville est tribaliste ou régionaliste – ce dont les principaux observateurs se doutent déjà–, en quoi cela crédibilise-t-il celui qui le claironne, sinon démontrer plutôt que vous êtes sur le même terrain ! Il importe ainsi de définir les thèmes conséquents et, à cet égard, il me semble qu’il n’en est pas de plus galvanisant, objectif dans le sens du patriotisme que celui qui serait lié à l’agression du Congo par les troupes armées étrangères en octobre 1997 où serait initiée une action des patriotes pour demander auprès des instances habilitées d’établir l’instigateur et les responsabilités, puisqu’existe déjà, comme on le sait, la résolution 867, du 29 octobre 1997, du Conseil de sécurité. Thème indiscutable d’affirmation du patriotisme, et sur lequel votre serviteur et d’autres ont réuni suffisamment de documentation, est un instrument puissant de démonstration de l’antipatriotisme du régime et de ses soutiens tant intérieurs qu’extérieurs, de par l’instigation d’une agression et d’une humiliation inouïe et  inédite du Congo postcolonial. En même temps qu’il permettrait de distinguer les vrais patriotes par l’adhésion à demander en vue de l’action judiciaire internationale, il serait plus probant auprès des partenaires et organismes internationaux à contacter.

En définitive, il faut que la diaspora congolaise se rende compte, si ce n’est par son introspection, au moins par des états généraux de celle-ci à convoquer, pour paraître sérieux et crédible, qu’elle est en contretemps en raison des sujets souvent soulevés qui ne peuvent l’être que quand on est dans le temps politique, c’est-à-dire au Congo et en démocratie, sinon elle sape elle-même ses ambitions. Les sujets comme ceux des fautes ou responsabilité de Kolélas ou Lissouba par exemple, prétextes instrumentalisés et exploités par le général pour justifier son putsch, s’ils ont un intérêt, ne le sont que dans le contexte national et apaisé et démocratique. Il faut également que la diaspora détermine quelques thèmes essentiels, comme celui avancé sur «  l’agression méprisée »1 pour mobiliser, unir, battre campagne sérieusement en national comme à l’extérieur, et mette enfin en place, comme signe de maturité, enfin, un genre d’Exécutif de la diaspora, qui serait une projection de la réforme et du gouvernement, aux antipodes du modèle jusque-là en vigueur dans nos pays.


Propos recueillis par Mingua mia Biango et diffusés par www.congo-liberty.org

le 23 novembre 2011

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