L’introuvable régime présidentiel , par le constitutionnaliste Félix Bankounda Mpélé

INTERVIEW EXCLUSIVE: DIX QUESTIONS DE FOND à Félix BANKOUNDA-MPELE, Juriste, diplômé de science politique, chercheur et membre de l’Association Française de Droit Constitutionnel.

Nous diffuserons chaque semaine une ou deux questions clefs que nous lui avons posé car aujourd’hui plus que jamais les congolais doivent avoir l’avis de véritables spécialistes et experts.

 

Congo-liberty: 

Avant de terminer cette partie sur les institutions, les autorités congolaises ou leurs représentants se targuent d’avoir instauré ici, comme aux Etats-Unis et au bénin, un régime présidentiel parce que plus adapté au contexte socio-politique congolais. Qu’en pensez-vous ? 

Félix Bankounda-Mpélé :

 Je pense avoir, dans la réponse à la première [ndlr : cf. « L’ancien régime ressuscité, 29/11/11»], et à la deuxième question [ndlr : cf. « De l’escroquerie politique, 04/12/11 »], dit et démontré en quoi la naissance et l’érection du régime politique congolais de l’heure constituaient une immense escroquerie. La question du régime constitutionnel en est, de façon évidente, une autre et parfaite illustration.

Ni dans l’esprit, ni dans la lettre, la Constitution du pouvoir congolais instauré en janvier 2002, d’inspiration et de souche autocratique je l’avais déjà dit, n’établit un régime présidentiel, même si, par commodité, on se plaît souvent à le présenter comme tel, parce que beaucoup d’analystes ont du mal à raisonner en dehors des canaux classiques.

L’esprit de ce texte, tout d’abord, est tout à fait aux antipodes aussi bien du régime présidentiel que de l’ensemble du mouvement constitutionnel occidental originel rappelé par l’article 16 de la Déclaration française des Droits de l’Homme et du Citoyen, c’est-à-dire la garantie des droits par la séparation des pouvoirs comme condition justificative d’une constitution. Ce référent, on le sait, était déjà bien — et peut-être même de façon assez rigide — assuré dans la Constitution de 1992, et confirmé par le juge constitutionnel congolais en 1996. Contrairement à tout ce qui est dit et écrit ici et là, et encore tout récemment dans un hebdomadaire congolais par un journaliste congolais [ndlr : J. Bitala-Bitemo] plus expert dans la communication personnelle et la flatterie — qu’il puise d’ailleurs dans sa formation — que dans le domaine constitutionnel, les crises congolaises des cinq premières années de l’expérience démocratique au Congo ne doivent pas être recherchées dans la Constitution ; ces crises trouvent leur source dans la moralité des acteurs politiques qui, dédaignant l’idée de constitution et les règles du jeu politique, non seulement ne digèrent jamais l’échec mais sont, par ailleurs, impatients dans l’accès et l’exercice du pouvoir, et donc ne peuvent assumer conséquemment ni leur étiquette politique, ni l’opposition. C’était le cas pendant cette période, c’en est encore le cas aujourd’hui. De ce point de vue, la Constitution n’aura été qu’un prétexte et asseoir le coup d’Etat de 1997 et le nouveau texte et son régime sur cette crise c’est, une fois de plus, insulter l’intelligence et la raison. D’autres Etats africains dont le Niger qui ont connu l’activation des moyens d’action réciproques, c’est-à-dire le renversement et la dissolution, avec des conséquences graves, n’ont pas pour autant remis en cause le régime semi-parlementaire ou semi-présidentiel.

La préoccupation fondamentale des rédacteurs du texte de janvier 2002 était, une fois le pouvoir conquis par les moyens que l’on connaît, et convaincus de l’absence de charisme et de l’impopularité du chef éjecté dès le premier tour des seules élections disputées et transparentes du pays en 1992 – et qui, fait sans précédent dans l’histoire du pays et pas du tout conventionnel, pour asseoir son pouvoir a recouru aux armées étrangères (tchadiennes et angolaises principalement) les plus féroces de la sous-région avec chacune plus d’un quart de siècle d’expérience de guerre sauvage — , mais aussi de son addiction pour le pouvoir et de son envie de s’y éterniser, de trouver le dispositif constitutionnel approprié pour cela, comme façade bien sûr, dans un contexte qui était désormais celui du regain du constitutionnalisme et de l’Etat du droit ! Rien à voir, vous en conviendrez, avec l’esprit de 1787 aux Etats-Unis, terre d’élection du régime présidentiel, où, selon les « Pères fondateurs », il s’agissait avant tout d’empêcher l’exercice d’un pouvoir arbitraire. Or, l’on sait depuis, et un expert en la matière, Louis Dubouis, l’avait très tôt démontré, en 1962, que l’engouement pour ce régime par la majorité des anciennes colonies françaises au lendemain de l’accès aux indépendances, répondait à la recherche délibérée de l’omnipotence et de l’autoritarisme que confirma le recours quasi général au monopartisme. Rien d’étonnant puisque, paradoxalement, ni au moment des indépendances, ni présentement, les tenants du régime présidentiel ne peuvent se prévaloir d’un arbitraire autre que le leur !

Cette préoccupation de la sauvegarde du pouvoir du chef au Congo-Brazzaville est telle qu’elle frise la paranoïa qu’illustre parfaitement l’article 114 de cette constitution dont les termes, pour le moins insolites et constitutionnellement vains, selon lesquels « …l’Assemblée nationale ne peut démettre le président de la République »( !) sont introuvables ailleurs dans les régimes de même profil, ou même dans les régimes parlementaires où l’assemblée ne peut que renverser le gouvernement et non le président de la République, celui-ci étant toujours au-dessus quel que soit le régime, exception dans l’hypothèse de trahison où tous les régimes constitutionnels aménagent une responsabilité particulière, y compris dans le texte de 2002.

Ainsi, les préoccupations et l’esprit de la Constitution de 2002, liés à un pouvoir pillé hanté par la peur de le partager ou de le perdre, n’ont rien à voir avec un régime présidentiel, dans sa conception d’origine, résultat d’une réflexion et d’une systématisation rationnelles du fonctionnement empirique du pouvoir jusque-là en Occident (Locke, Montesquieu), et le dispositif le confirme.

La lettre de la Constitution de 2002 efface, en effet, définitivement toute allusion au régime présidentiel.

D’abord sur l’équilibre général des pouvoirs qui est la grande marque du régime présidentiel, sans doute l’accent est-il souvent théoriquement mis sur la séparation ‘stricte’ des pouvoirs, c’est-à-dire la distinction des domaines d’action entre les trois principaux pouvoirs constitutionnels (exécutif, législatif et le judiciaire), mais, sont moins souvent soulignées l’indépendance et la puissance du parlement dont le Congrès américain notamment en est l’illustration. Evidemment, l’équivalent, ou même le début de cela, est introuvable au Congo. Quelques exemples le prouvent.

Sur les domaines d’action distincts, et à titre indicatif, si pour justifier le rejet du régime parlementaire précédent et donc le choix du ‘régime présidentiel’ actuel, l’on a formellement proscrit la dissolution et la motion de censure, à l’inverse, tous les moyens de maîtrise du parlement, généralement appelés ‘techniques du parlementarisme rationalisé’ de la Cinquième République française, régime parlementaire d’essence rappelons-le, et qui constituent autant d’empiètements dans le domaine législatif, et donc incompatibles avec le régime présidentiel, sont reconduites ici : ainsi, les ordonnances qui n’ont aucun équivalent dans le régime présidentiel — et qui ne peuvent être mis en balance avec les « Executive orders » américains strictement contrôlés — et qui avaient même été évacuées du précédent régime, parlementaire pourtant, sont ici expressément retenues. De même, les circonstances exceptionnelles, autre spécificité de la Cinquième République française, parlementaire, bannie des constitutions congolaises depuis 1979, y compris sous la Constitution de 1992, parlementaire rappelons-le encore, sont formellement retenues dans le régime dit présidentiel congolais. S’ensuivent d’autres recettes dans le même sens, comme, notamment, les lois organiques et le pouvoir règlementaire autonome qui participent à la subordination du législatif à l’exécutif.

Ainsi, et ironie du sort, si selon la théorie classique des pouvoirs, l’identité majeure du régime présidentiel réside dans une séparation plus poussée des pouvoirs et que celle du régime parlementaire est au contraire dans une collaboration assumée des pouvoirs, curieusement, au Congo-Brazzaville, le régime constitutionnel de 1992, parlementaire en raison de l’existence des moyens d’action réciproques que sont la dissolution et la motion de censure, apparaît, aussi incroyable que cela paraisse, en raison du rejet du procédé des ordonnances et celui des pouvoirs exceptionnels notamment, plus ‘séparatiste’ que le régime dit présidentiel de 2002 !

En vain, on cherchera dans le régime constitutionnel congolais de 2002, à l’image du Congrès américain, un début de puissance parlementaire, bien au contraire. Le contrôle, réputé, du parlement en régime présidentiel est strictement symbolique au Congo, et l’irrégularité voire la non intervention de la loi de règlement ou contrôle parlementaire de l’exécution du budget sur différents exercices, pourtant constitutionnellement prévue comme obligatoire chaque année, et ce malgré le rappel séquentiel de certains députés, en est le meilleur indicateur. Tout comme l’inertie et le mutisme du parlement congolais dans les gravissimes et pourtant très médiatisées affaires des ‘disparus du Beach’ des ‘biens mal acquis’, des ‘mallettes’, etc. où le chef de l’exécutif congolais est nommément régulièrement cité ! Qui peut imaginer un seul instant que dans une démocratie digne de ce nom, ce genre d’affaires laisse le principal organe de contrôle sans réaction ! Le parlement au Congo est ainsi réduit au rôle de simple arbre à palabres, sur des affaires accessoires !

L’emprise sur la justice, outre la présidence formelle du Conseil supérieur de la magistrature par le président de la république, trouve son apogée dans la nomination régulière et en dernière instance des ‘sages’ par le chef de l’exécutif, au contraire d’une nomination à vie dans le système américain qui leur assure plus d’indépendance.

Ni parlementaire évidemment, ni présidentiel comme on vient de le voir en raison de l’organisation formelle d’une collaboration léonine des pouvoirs au profit de l’institution présidentielle bien sûr, le régime de la constitution du 20 janvier 2002, régime issu du coup d’Etat et maintenu dans cet esprit, est ainsi, en réalité, un régime de subtile confusion des pouvoirs, le seul que le maître du pouvoir ait auparavant expérimenté pendant dix sept ans de pouvoir sans partage. C’est, disais-je, un présidentialisme forcené et archaïque.

On rappellera, pour la petite histoire, qu’après avoir érigé un Premier ministre avec des pouvoirs autonomes sous la Constitution du 8 juillet 1979, le président, insatiable au pouvoir, s’empressa, à la suite de plusieurs frictions de compétences, de vider son second de toutes les prérogatives avec la réforme d’août 1984, réduisant ainsi l’institution au statut de simple grand commis de l’Etat.

Adeptes d’un vil et perfide marketing politique pendant longtemps entretenu, celui de l’opposition nord-sud au Congo, auquel n’y trouverait validité qu’un esprit tordu et de machiavélisme étroit, les tenants du régime présidentiel, même de façade, pour la raison principale susmentionnée de la protection du chef, n’ont toutefois pas réussi à crever l’embarras résultant de l’implication institutionnelle et sociologique de cette opposition artificielle, celle d’un bicéphalisme correspondant, formel ou symbolique, constant dans l’histoire politique du Congo.

En effet, en raison des fameux événements de 1959, et précisément depuis l’inauguration par l’abbé Youlou (originaire du sud) d’une vice-présidence opportune (assurée par Jacques-Opangault, originaire du nord) et non issue d’une liste commune comme aux USA, le président et son second de l’Exécutif au Congo ont toujours, formellement ou symboliquement, respecté cette ‘opposition’. Il apparaissait ici, en régime dit présidentiel dont on connait le principe, difficile, dans la logique de la conservation du pouvoir, et dans un contexte de regain du constitutionnalisme, de consacrer cette ‘loi’ qui comporterait le risque, dans l’hypothèse d’une vacance toujours possible et imprévisible du pouvoir, de permettre la succession au pouvoir d’une personnalité n’appartenant pas au ‘temple’. L’on sait comment, en 1977, suite à la vacance résultant de la mort du président Marien Ngouabi, et pour éviter la succession constitutionnelle d’une personnalité pas du tout attendue, il a fallu militariser la situation pour éviter toute lecture sereine et constitutionnelle de la situation.

Ainsi, pour les besoins de la conservation du pouvoir et pour esquiver, par ailleurs, la ‘loi’ historique du bicéphalisme respectée jusqu’en 1997, a-t-on préféré, avec le ‘régime présidentiel’ de 2002 qui plus que tout autre l’imposait pourtant, tout simplement… ne pas organiser de vice-présidence.

Mais, il est aussi, accessoirement, une autre raison, d’ordre stratégique, à ce choix : laisser pendante cette situation permet, dans l’hypothèse d’une situation sociale ou politique détériorée ou en voie de l’être, de briser une éventuelle coalition de l’opposition en faisant miroiter son occupation. Telle est, certainement, en ce moment, et peut-être encore pour un certain temps, la stratégie du pouvoir et, corrélativement, la raison de la frivolité de ‘l’opposition’ congolaise, sans étiquette ni conviction politiques, et éternellement à la quête d’une opportunité de poste, au grand dam de la démocratie…

Voir la 1ere partie INTERVIEW EXCLUSIVE: Dix questions de fond au juriste et constitutionnaliste congolais Félix BANKOUNDA-MPELE

Propos recueillis par Mingua mia Biango pour www.congo-liberty.org

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Une réponse à L’introuvable régime présidentiel , par le constitutionnaliste Félix Bankounda Mpélé

  1. Anonyme dit :

    prière de mettre en PDF les documents pour faciliter les lecteurs

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