UN MONOLOGUE INTÉRIEUR , par l’écrivain congolais Dina Mahoungou

Pour les gens de mon âge, notre héritage dans le lointain sur la liberté du peuple est celui de la chute du régime de l’Abbé Fulbert Youlou. Je me souviens encore, tout le quartier était en effervescence.

Nous habitions au centre de Bacongo, au 218, rue Père Dréan. Aussi loin que remontent mes souvenirs, cette liberté exposait en termes imagés la terrible destruction des biens et des valeurs, des hommes de Monsieur le Président Abbé, qui menaient une vie de pacha avec ostentation et impertinence.

Le petit peuple dans la rue croyait casser du bourgeois, la bande des repus, vautrée dans un élitisme aristocratique, des conseillers et des hauts fonctionnaires, issus pour la plupart d’entre eux de la région du pool au sud du Congo. En effet, l’univers de contestation pour l’incarnation de la démocratie ne date pas d’aujourd’hui. L’exclusivisme d’une gouvernance à raisons claniques a toujours été défiée dans notre pays. La jeunesse a pris position, d’aucuns ont donné de leurs vies, en martyrs volontaires …

Ces héros inconnus, dans leur furia excessive, puissante, complexe, refusèrent le conditionnement et la soumission au mensonge d’Etat.

Des années plus tard, revenant de France, son excellence Monsieur Tati-Loutard, alors Ministre de l’Education Nationale, m’envoya à l’école normale des instituteurs, en qualité de professeur de littératures et encadreur de stage.

Pendant deux ans, je n’ai connu aucun sentiment d’insécurité. Issu du sud profond, natif de la région du Pool et en poste dans la région du nord Congo, j’évoluais dans les milieux Kouyou avec aisance. Je fus respecté, les collègues de l’administration, la plupart originaires de la région, étaient accueillants. Nous étions condamnés à vivre dans la sincérité et l’amitié.

A mon départ d’Owando, pour participer avec certains de mes amis aux travaux d’experts avant la conférence souveraine de 1991, j’avais la mélancolie du déchirement pour la petite province de Fort Rousset que je venais de quitter pour rejoindre le cabinet de Monsieur Antoine Letembet-Ambily, un notable de Boundji, au Ministère de la Culture et des Arts, dès 1992.

Jadis, dans les rues de Brazzaville, lors des surprises-parties pour les plus jeunes d’entre nous, dans nos années d’enfadolescence, dans les années 1972-1973, et en France dans les années 80, une époque divine, celle de l’exubérance de la sape (société des ambianceurs et des personnes élégantes), nos habitudes étaient centrées sur la fraternité et la solidarité.

A Ouenzé, Talangai, Moukondo, M’Pila, plateaux des quinze ans, des relents tribaliques, des sons du clanisme, les jeunes n’en connaissaient même pas les échos. Et ce, jusqu’à la bataille de Brazzaville.

A un âge tonnant et fougueux, les jeunes congolais, du nord comme du sud, pour la plupart, où qu’ils soient, sont à faire partager l’amour du pays à leurs amis.

J’en ai eu l’occasion à plusieurs reprises, en discutant avec eux, lors des séances de lecture pour mon dernier ouvrage : « Agonies en Françafrique ».

Ceux qui ont tout perdu pendant les années de guerre civile, lors de la bataille de Brazzaville, essaient d’oublier le passé. Le fait d’être encore en vie, pour la plupart d’entre nous, des rescapés, des fuyards, des déplacés et des exilés, nous amène à décider toujours de notre destin.

La jeunesse résiste et parvient à percevoir que l’insignifiance super structurelle du déni de l’autre est un poison.

Cette jeunesse n’ose s’imaginer en spectateur amnésié et passif.

Des cénacles, des think tanks, des associations autour de la notion de nation congolaise font une réflexion sur la frustration, les raisons et le poids de ce décadentisme.

Pauvre jeunesse qui sort de la guerre civile ! 1993-1999, caustique et désabusée, ne mangera plus de ce pain-là, ne prendra plus les armes. Il est évident difficile pour les jeunes sans avenir, sans soutien, sans modèle, de changer leur conception des choses sans l’appui de leurs aînés.

Nous nous ferons un devoir de leur apprendre la compassion, l’altruisme et le meilleur d’entre nous l’altérité.

Méfions-nous, jeunes adultes et aînés, tant que nous sommes, méfions-nous en vérité de nos croyances, de nos certitudes, de nos convictions, de nos a priori et de nos préjugés.

La guerre est finie, le meilleur est devant nous, l’union des uns et des autres. L’unité, cette nature péremptoire et protectrice, est à nous.

Assez de nos enfants dans la rue, anémiés et mal nutris. Les pauvres mômes sans issue étaient face à la guerre qui menaçait les horreurs de la guerre.

Quand on regarde les vingt dernières années où des talents, des patriotes, sont morts pour rien. Des pauvres rêveurs qui ont cru à des révolutions truquées. Ils ont détruit leurs énergies cosmiques.

Hélas ! C’est le côté ambigu du drame humain. Nous avions participé d’une existence assez commune, dans l’écart entre la vie réelle et les illusions : médiocrité d’âme ou absence de jugement ?

De tous temps, le pouvoir a toujours acheté la jeunesse, comme on paie une pute, voyez-vous comme les maisons de tolérance se portent à merveille. La seule contrainte des corps par les corps.

Nous aussi, en notre temps, on nous a proposé beaucoup d’argent, des honneurs, des postes à responsabilités, un profil au contenu mal défini.

A la fin arrive l’entourloupe, les vieux roublards de la politique ne vous céderont rien du tout. Vous faites du sur place, dans vos sensations souterraines et fugitives, il vous faudra un détachement nécessaire, de la dignité.

Aucune limitation d’âge, de cette prégnance de la travée mythique du temps qui passe. Ah ! Réussir dans sa vie.

Pauvre Congo, tous ces intellectuels organiques dans un pittoresque cortège, fourvoyés à une certaine complaisance, au formalisme, aux salamalecs, à des vénérations insignes, vis-à-vis du « patriarche ».

Une république viciée, une propagande en miroir, la dégradation ahurissante de l’autorité et de toutes les supposées cités administratives. Voir tous ces féodaux aux doigts crochus qui s’accaparent de tout.

Les angoisses de notre modernité reposent dorénavant sur la trahison de soi. Là-bas, au bled, la fourberie est une vertu. Tous ces moyenâgeux qui se sont accaparés le pouvoir politique, ils sont méthodiques et calculateurs, sans remords. Ils sont dans une logique de violence et de déchirement de haine sans précédent …

Main-basse sur les médias…Anéantissement de l’opposition … Intervention des forces spéciales qui répriment de façon cruelle toute manifestation publique. On n’a rien a envier à la Corée du Nord et à la Birmanie … La chasse au dissident … Instrumentalisation de la jeunesse … Enfin, tout le stéréotype du régime totalitaire.

Partout ailleurs, c’est le désordre et la pauvreté.

Quant au vénérable « Messire Grande » qui s’est prévalu dans sa vanité de tout régenter et gérer à sa façon le règne de la grande corruption, est aux anges. Un pauvre bougre insignifiant et asexué, un paranoïaque.

Le Congo devient un important repère de « pirates », de « forbans » et de « corsaires ».

Loin de l’effondrement des structures étatiques, les mafias et les contrebandes diverses font mécaniquement leur chemin.

Il est tout de même curieux que ce paradigme soit né accidentellement. Nous vivons dans une réalité qui nous est toujours habituelle : le chaos.

 

Dina Mahoungou, le 17 janvier 2012.

Dernier ouvrage paru : « Agonies en Françafrique » paru chez l’Harmattan dans la collection Ecrire l’Afrique.

Ce contenu a été publié dans Les articles. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

4 réponses à UN MONOLOGUE INTÉRIEUR , par l’écrivain congolais Dina Mahoungou

  1. natty-congo dit :

    excellent point de vue mon grand il ya longtemps qu on attendait sur la situation du pays car tu es le HBL DU CONGO FELICITATION de ton courage en tant que intellectuelle, car beaucoup de nos intellectuels se taisent face au chaos du pays il oublient que en 1789 dans ce pays ont jouié un grand role encore une fois felicitation toi qui aime la primus

  2. Loango dit :

    Monsieur,
    Je viens de lire avec délectation ces quelques lignes, qui sont les prémisses d’ un futur réveil des Congolais et d’autres peuples Africains. Après le combat de nos pères pour les indépendances, où la reconnaissance de nos Etats souverains, arrive l’obligation d’utilité, de viabilité de ces derniers. Notre génération est interpellée, nos reculades, nos renoncements, conduisent au néant, à effacer le futur. L’inverse par contre redonnera un sens à notre histoire et une espérance à nos enfants.

    Loango

  3. Loango dit :

    Où lire Ou

  4. nkoria nkuata dit :

    Merci cher compatrote, le congo a malheureusement des enfants compétents, mais le chemin d’avenir, les à tous exilés,politiques, étudiants,écrivains,jeunes,vieux,fonctionnaires.
    le congo meurtri par sassou nguesso a besoin d’homme comme vous ,M. Dina. Néanmoins soyez fort et restez vigilant et résister à toutes les tentations, surtout financières de la pieuvre de mpila;
    Pensez au peuple, en continuant à écrire car cela nous réconforte.

    très belle plume

Laisser un commentaire