Les grands travaux comme argument de brouillage des antivaleurs et des crimes multiformes

congo-liberty : Comment expliquez- vous qu’aux revendications de la restauration de la démocratie, les chantres du pouvoir opposent l’argumentaire des grands travaux.

La démocratie est-elle un luxe pour les congolais ?

 

Félix Bankounda-Mpélé. : Il n’y a hélas pas que les chantres du pouvoir comme vous le dites qui le chantent. Même certains qui ne sont pas proches du pouvoir, sans doute amnésiques ou peu formés et informés, abondent dans ce sens. A tord bien entendu. Tout d’abord, j’ai souvent considéré que le recours à cet argument était suffisamment sordide. Un peu comme si un voisin, entrant par effraction chez vous, après avoir volé et bradé le patrimoine familial, torturé, violé et tué quelques membres de votre famille, se targue qu’après tout il vient de peindre votre maison et de vous contracter un abonnement d’eau et de vous faire des installations électriques ! C’est à peu près dans cette situation que nous nous trouvons au Congo ! Avouez que c’est indécent et cynique qu’après le recours aux armées étrangères et mercenaires — que ne dément pas la résolution 867 d’octobre 1997 du Conseil de sécurité et les rapports des organisations humanitaires habituelles — qui pendant plus de trois ans ont torturé, violé et tué à satiété dans une large partie du territoire pour installer le pouvoir d’un individu, que l’on prétende compenser ces crimes massifs, à juste titre qualifiés par lesdites organisations comme étant des crimes contre l’humanité, par des grands travaux ! Mais parlons-en.

Une bonne observation de la situation de l’heure laisse l’impression de l’éternel recommencement, des rendez-vous toujours manqués et de la ‘scénarisation’ excessive. Je m’explique.

Vers le début des années 80, c’était je pense en 1982-83, relisez les différents hebdomadaires africains ou autres journaux relatant l’événement africain, comme les fameux MTM (Marchés Tropicaux et Méditerranéens). En tout cas, moi je m’en rappelle très bien comme si c’était hier, puisqu’à ce propos j’avais publié ma première étude, en relation avec la fonction publique [NDLR : La fonction publique congolaise à l’heure du programme d’ajustement structurel : une fonction publique d’exception ?]. A la une des hebdo, c’était notamment : « Le Congo décolle », « Une croissance sans précédent », « Le temps des grands travaux », « L’heure de la modernisation a sonné au Congo», etc. et, en moins de trois ans, patapouf, c’était le désenchantement total au motif exclusif, selon le pouvoir en place, de « la baisse conjuguée du dollar et du prix du baril de pétrole » ! Le désenclavement du pays, qui était le maître mot du moment, aurait englouti, selon les pouvoirs publics eux-mêmes, plus de mille milliards de Cfa et le redressement des entreprises d’Etat un peu moins de cinq cent milliards de Cfa ! Le pays, endetté à l’extrême, tenta de se tourner vers le FMI, et l’on connait la suite… Ce que l’on saura mieux plus tard, c’est qu’alors que les fameux grands travaux avaient été réalisés essentiellement par endettement, les recettes réelles de l’Etat, issues du pétrole évidemment, avaient pour une partie importante, terminé dans des acquisitions immobilières et comptes privés. Selon l’ancien hebdomadaire français, L’Evénement du Jeudi, du 22 au 29 mai 1997, jamais contredit, pendant longtemps 1,2 milliards ff (120 milliards cfa) avaient été planqués dans quelques comptes personnels !

Reconnaissez que les similitudes sont frappantes avec la situation de l’heure : lesdits grands travaux d’aujourd’hui, dont l’aéroport de Brazzaville et le barrage d’Imboulou, sont principalement réalisés sur fonds étrangers, jusqu’à 85°/° pour ce dernier selon les officiels eux-mêmes et près de mille milliards de fcfa (299,4 pour le tronçon Pointe-Noire /Dolisie et 665,9 pour la partie Dolisie/Bzv) de la chine pour la route Pointe-Noire Brazzaville selon une agence d’information chinoise (Radio Chine Internationale) , tandis que le pillage agressif et décomplexé du pays gagne du terrain puisque le ton est donné par les plus hautes autorités de l’Etat, comme nous édifient notamment divers journaux de grande notoriété et Xavier Harel dans Pillage à huis clos, indications à l’appui. Les fameuses municipalisations accélérées qui coûtent chaque année des centaines de milliards Cfa se font hors de tout cadre juridique ! Vous vous rendez compte ! L’un des plus grands rendez-vous annuels des travaux publics, peut-être même le plus grand, qui mobilise des moyens financiers impressionnants, s’opère en dehors de tout aménagement juridique! Par ailleurs vous avez suivi comme moi le dernier rapport de la Commission permanente contre la corruption qui, bien entendu, on l’imagine aisément, est forcément stratégique ou tout au moins euphémique. Cela, pour tenter de forcer l’idée d’une démocratie qui fonctionne face à un phénomène fort gênant devenu trop visible, alors que ni les fameux « biens mal acquis », ni autres affaires du même genre n’ont suscité une Commission parlementaire comme on l’imaginerait dans toute démocratie digne de ce nom ! Le rapport cité trouve expressément des ‘circonstances atténuantes’ aux contrevenants, et la « municipalisation accélérée » informelle, véritable batterie de la corruption par l’érection des macro entrepreneurs arrivistes notamment, n’est en rien mise en cause ; l’article 48 de la Constitution du régime dont on présumerait la teneur en vue de la limitation de la corruption, par l’obligation de déclaration du patrimoine avant l’exercice de toute fonction, n’est toujours pas à l’ordre du jour, dix ans après !…

Dans le même esprit, l’on constatera qu’au Congo le fonctionnement normal des pouvoirs publics qui suppose la réalisation régulière de certains édifices n’existe plus, c’est-à-dire est instrumentalisé. Tout au Congo est solennel et sujet à l’hypermédiatisation, accusant par là, curieusement, le dysfonctionnement ou la non-existence de l’Etat, comme l’a démontré dernièrement la municipalisation de la Cuvette-ouest. Sans doute s’agit-il ici du dernier-né des départements congolais, mais cela donne une image des collectivités territoriales congolaises, au-delà des capitales départementales, où, plus de cinquante ans après l’indépendance, non seulement les signes d’existence ou de présence de l’Etat restent très embryonnaires mais, plus grave, les populations restent largement réduites à l’état végétatif. Le gouvernement se targue pourtant d’un budget de 3640 milliards de Cfa aujourd’hui, contre moins de 400 milliards avant le coup d’Etat, soit presque dix fois plus.

Soyons clair et précis : l’argument du pouvoir à propos des grands travaux, comme la médiatisation excessive et répétitive de ceux-ci, procèdent d’un bourrage de crâne volontairement pensé pour brouiller la nature dictatoriale et criminelle du régime, masquer l’incompétence et la vénalité d’un pouvoir de plus d’un quart de siècle qui en est encore à la quête de la satisfaction de ‘besoins animaux’, là où Ben Ali, Moubarak, Pinochet, et autres personnalités de la même catégorie ont, comme on le sait, fait nettement mieux, en un temps moindre et avec des moyens parfois peu importants, et que les seuls faits de guerre ne justifient bien entendu pas.

Remarquez qu’avec la flambée mondiale du prix du baril de pétrole, qui est passé de moins de 20 euros avant 1997 à 95 euros à peu près aujourd’hui, d’autres pays autrefois très endettés comme la Russie ou l’Algérie notamment ont non seulement apuré toute leur dette et esquivé ainsi les institutions de Brettons Woods, mais, mieux, ont fait de sérieuses réserves : jusqu’à 1500 milliards de dollars de réserve pour l’Algérie qui a connu une guerre civile plus longue et plus dévastatrice que le Congo, et qui, rien que pour l’année 2012, prévoit un fonds d’investissements de 1300 milliards dollars pour les dépenses sociales et de solidarité nationale et 2849 milliards à la poursuite des réalisations du programme quinquennal d’investissements publics sur fonds propres ! Ces quelques comparaisons, purement indicatives, vous donnent une idée de l’incompétence, de l’escroquerie, du pillage et de la manipulation du pouvoir congolais et de ses thuriféraires.

 

Voir la 1ere partie INTERVIEW EXCLUSIVE: Dix questions de fond au juriste et constitutionnaliste congolais Félix BANKOUNDA-MPELE

Propos recueillis par Mingua Mia Biango le 23 novembre 2011

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