La problématique de l’élection du président de la République au suffrage universel en Afrique francophone.

Par José Mene Berre

Dans l’immense majorité des États africains, le président de la République incarne le sommet de l’État : il est le chef de l’État et des armées. Il est élu selon le principe du « suffrage universel » c’est-à-dire à l’issue d’un vote impliquant l’ensemble des citoyens. Comment les États africains actuels sont-ils arrivés à utiliser ce mode d’expression de la volonté populaire ? Examinons le cas des pays francophones.

La constitution du 4 octobre 1958 instituant la Ve république française est le reflet des idées constitutionnelles du général De Gaulle qui était partisan d’un pouvoir exécutif fort avec à sa tête un homme fort. Cette constitution adoptée par les Français à travers le référendum du 28 septembre 1958, consacrait la suprématie de l’exécutif sur les autres pouvoirs (législatif et judiciaire). Mais, pour faire du Président de la République le chef incontesté de l’exécutif, De Gaulle avait besoin d’un autre instrument : son élection au suffrage universel. Il écrit : « Le référendum, enfin, institué comme le premier et le dernier acte de l’œuvre constitutionnelle m’offrirait la possibilité de saisir le peuple français et procurerait à celui-ci la faculté de me donner raison, ou tort, sur un sujet dont son destin allait dépendre pendant des générations. » (1). Il l’obtint grâce au référendum qu’il organisa le 28 octobre 1962. Il fit ainsi du « chef du pouvoir des pouvoirs » une sorte de « monarque » mais « républicain » car son autorité découlait d’une bataille électorale populaire. Tout cela eut lieu dans un contexte qui n’a plus lieu d’être.

Un bilan négatif de l’élection du président au suffrage universel

La France est à sa Ve République. Dans toutes les républiques qui précédèrent cette dernière, le président jouait un rôle d’arbitre. Les uns diraient qu’il régnait mais ne gouvernait pas. L’élection du président au suffrage universel ne fut introduite qu’au cours de la cinquième république par le fait d’un homme, De Gaulle. Un demi-siècle après l’instauration de l’élection présidentielle au suffrage universel, la classe politique de l’hexagone dresse un bilan plutôt négatif. Les dernières déclarations médiatiques d’Hervé Morin sur ce sujet sont plus qu’éloquentes : l’élection du président de la république au suffrage universel est la « gangrène de la démocratie française […]. Un système qui ne fait pas de démocratie […], qui fait de la concentration des pouvoirs dans les mains d’un seul homme avec une cour. […] Une vie politique qui se résume à une bataille d’ego où chacun essaie de démontrer sa différence par rapport à l’autre dans la même famille politique ». (2)

En Afrique, la réalité est le fidèle reflet de ces déclarations. À chaque élection présidentielle au suffrage universelle, le choix de celui qui est censé incarner l’unité nationale laisse planer le spectre d’une menace pour la sécurité et la paix. Et pour cause : la constitution (loi fondamentale) qui régit les États africains notamment francophones est une copie quasi-conforme et conformiste de la constitution de la Ve République française. Et comme les mêmes causes produisent les mêmes effets, le recours au suffrage universel pour élire le président de la République dans les États africains est une des principales sources de désaccord populaire en Afrique. Ce procédé doit être purement et simplement aboli des constitutions africaines comme mesure de préservation de la sécurité et de la paix.

Des alternatives au suffrage universel

Les régimes présidentialistes en vigueur en Afrique font du poste de président un enjeu trop important : celui qui a le pouvoir a tout ! Et ceux qui n’ont rien, n’ont plus rien à perdre ! Voilà le terreau idéal de l’insécurité. Supprimer le suffrage universel suppose de réviser totalement les régimes politiques selon lesquels les États actuels sont gouvernés pour les rendre compatibles avec cette nouvelle condition.

Les régimes « présidentialistes » africains peuvent être substitués par d’autres modèles moins focalisés sur « une personne » et plus ouvertes sur « plusieurs acteurs » politique. On peut citer les régimes semi-présidentiels (comme c’est déjà le cas au Cap – Vert) ou parlementaires (cas de la république de Maurice) ou encore le système de présidence tournante entre régions (cas de l’Union des Comores depuis 2001). Mais, comme disait Napoléon, les demi-mesures sont sources de perte de temps, le summum de la perfection serait d’arriver à un régime collégial à présidence tournante dont la Suisse est le seul pays au monde à en jouir ! Et ce pays réputé « pacifique » est aussi le champion d’une autre mesure qui nous semble indispensable pour garantir la sécurité des populations en Afrique : l’armée de milice en complément d’une armée de métier.

Redéfinir les rôles du sommet et de la base : passer des États-unitaires actuels à des États fédéraux

Parler de l’autonomisation du peuple ne peut se limiter qu’aux aspects sécuritaires. La sécurité et la paix doivent être un tremplin vers le développement et la démocratie donc vers une certaine prospérité.

Aujourd’hui, dans l’immense majorité des pays africains, les capitales, lieux où sont basés les pouvoirs centraux de l’État sont les uniques points d’impulsion de toutes les décisions politiques. L’influence quasi-monopolistique du pouvoir central s’étend alors sur tous les domaines sans distinction.

L’idée de l’autonomisation des populations est de confier aux pouvoirs locaux tous les moyens légaux pour mener à bien leur développement local : Éducation, Culture, Logement, Urbanisme, Environnement, Exploitation forestière, Santé, Assistance sociale, Agriculture, Chasse, Pêche, Tourisme, Loisirs, Langues locales, etc. Dans ces conditions, l’Etat central ne serait plus chargé que des fonctions dites régaliennes : – Sécurité extérieure (Affaires Étrangères, Diplomatie, Défense nationale, Armée) ; – Sécurité intérieure et ordre public (Immigration, Police fédérale) ; – Souveraineté économique et financière (banque centrale, Émission de monnaie) ; – Droit et Justice.

L’organisation qui permet une répartition aussi rigoureuse et responsabilise réellement les populations locales dans le processus de leur développement est le fédéralisme. Signalons au passage que dans un État fédéral réussi, l’armée nationale est représentative de la diversité culturelle du pays et de toutes les entités fédérées du pays. Il joue un rôle de ciment fédérateur et unificateur de la nation. Dans notre proposition, elle est le fruit d’une étroite collaboration entre les militaires professionnels et les militaires de réserves ou miliciens au sens suisse du terme.

En somme, le fédéralisme est par excellence l’organisation qui répond le mieux et le plus complètement au leitmotiv du développement durable : « Penser global et Agir local ». Mais, pour éviter les désagréments qu’on connu les apprentis sorciers dans ce domaine (tel fut le cas de l’ex-Yougoslavie), il faut savoir que le secret d’un bon État fédéral réside dans le choix de la taille des entités fédérées et s’inspirer des modèles en la matière. Ainsi, la Suisse qui est un État fédéral dont l’existence remonte à l’an 1291 est divisée en 26 Cantons suisses pour une superficie de 41.285 km2. Dans les pays francophones, le département pourrait constituer une taille rationnelle. On aurait pour un pays comme le Gabon, constitué de 50 départements, l’État fédéral comprendrait « 50 départements autonomes ». Sachant que chaque département autonome serait à son tour constitué de communes urbaines et/ou de communes rurales (appelées « cantons » actuellement).

En conclusion, la résolution de la problématique de la sécurité et de la paix en Afrique doit s’inscrire dans une approche innovante, intégrée, combinant à la fois les méthodes analytiques et systémiques. Elle suppose quelque part, une réforme profonde de l’organisation et du fonctionnement des États africains.

José Mene Berre interviendra à la Conférence débat sur les Forces de Défense et de Sécurité du 25 juin 2022 à Paris, sur la thématique : Quelle Forces Armées et perspectives dans un Etat Fédéral avec quelles

Notes

Biographie de l’Auteur : est ingénieur de formation, certifié en management de projets, consultant en projets de développement des territoires, ancien chef de projet et conseiller de ministres en infrastructures et urbanisme pour la Coopération française en Afrique.
Initiateur du courant de pensée de la fédéralitude qui milite pour une nouvelle
approche de la gouvernance dans les États multiculturels et fondateur du site www.federalitude.org

José Mene Berre parle du Fédéralisme en Afrique, de l’avenir du CFA et de la gouvernane fantomatique au Gabon

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4 réponses à La problématique de l’élection du président de la République au suffrage universel en Afrique francophone.

  1. Djess dit :

    Un article très intéressant de Thierry Michelin sur la problématique avait été publié par le Monde Diplomatique en 1998. A lire ici https://www.monde-diplomatique.fr/1998/01/MICHALON/4268

  2. Mingwa BIANGO dit :

    Cher José,

    Merci pour cette brillante contribution à cette problématique de l’institution présidence de la République en Afrique francophone, et de ton combat pour la Paix et la Sécurité avec pour base le Fédéralisme.
    Rendez-vous le 25 juin 2022 à notre conférence-débat sur la thématique de l’Armée en Afrique au Novotel Porte de Bagnolet (Paris) : https://congo-liberty.org/la-problematique-de-lelection-du-president-de-la-republique-au-suffrage-universel-en-afrique/

  3. Samba dia Moupata dit :

    Comme disait Montesquieu , tout homme qui a le pouvoir est poussé à en abusé . Un pouvoir doit avoir un début et un terme autrement ça devient une dictature ou une barbarie comme le cas du Congo Brazzaville depuis juillet 1968 les Mbochis se sont accaparés du pouvoir et se livrent à des assassinats crapuleux contre les Kongo jusqu’au génocide . Face aux assassinats et au génocide notre désobéissance et désolidarisions au fou furieux Sassou Dénis est absolument impératif .sinon nous mourrons tous au pays Kongo.

  4. VAL DE NANTES . dit :

    Il va nous falloir arracher ce pouvoir aux mains de ces criminels dont l’un d’eux au nom de BRUNO ITOUA a juré ne plus le céder ,quoi qu’il en coûte à la nation .
    Voilà un message qui se veut guerrier et vindicatif car il défie les valeurs humanistes dont ils se disent porteurs .
    Vous aurez compris pourquoi la franc- maçonnerie au CONGO est une association des jouisseurs des largesses de l’Etat .Cette idéologie est un cache crimes au détriment de tout un pays .
    Que pourrait ,encore BRUNO ITOUA , demander plus au pays ,au regard de tous les crimes économiques et financiers dont il a profité sous SASSOU ?
    On comprend aisément son acharnement à sucer davantage le cadavre congolais jusqu’à ce que mort s’ensuive .Si tant est que ce dernier soit toujours vivant .
    Bruno vient de planter ,au détour de cette phrase , le décor d’une éternité laîque d’un pouvoir transcendant au sommet duquel on retrouverait la même galaxie mbochi .
    La démocratie y est une parodie .Car le souverain premier , au sens ROUSSEAUIEN , au sein de ce village en est SASSOU .

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