Des valeurs et des principes à affirmer : Quels mots justes pour parler de l’Afrique et de notre histoire commune ?

Quelle politique africaine pour la France en 2012 ? 

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Des valeurs et des principes à affirmer

Premier débat : quels mots justes pour parler de l’Afrique et de notre histoire commune ?

Le malaise franco-africain se caractérise d’abord par un déficit de travail politique sur notre histoire commune,d’une difficulté à trouver les mots justes pour rassembler plutôt que diviser.

Peut-on parler d’« Afrique » ? Réalité complexe, diverse,changeante, l’Afrique se prête mal, tout comme les autres grands continents, aux généralités. Seule la méconnaissance de l’histoire africaine, de son peuplement, de ses empires et royaumes passés, de ses résistances, de ses cultures mouvantes,de ses langues, de son intégration à la première mondialisation, de ses rapports avec l’Europe, l’Asie, les Amériques, de sa colonisation, de son indépendance, de sa difficile insertion dans la deuxième mondialisation peut laisser penser qu’elle serait une ou uniforme, indivisible et étrangère aux mouvements de l’histoire.

Quelle vision le pouvoir actuel propose-t-il de l’Afrique ? 

Puisque les mots du président de la République sont sans équivoque, contentons-nous de citer son discours de Dakar plutôt que de céder aux plaisirs de l’exégèse.

« L’influence de l’Afrique a contribué à changer non seulement l’idée de la beauté, non seulement le sens du rythme, de la musique, de la danse, mais même dit Senghor, la manière de marcher ou de rire du monde du XXème siècle. […] Je suis venu vous dire que l’homme moderne qui éprouve le besoin de se réconcilier avec la nature a beaucoup à apprendre de l’homme africain qui vit en symbiose avec la nature depuis des millénaires.

[…] Le drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire. Le paysan africain qui,depuis des millénaires, vit avec les saisons, dont l’idéal de vie est d’être en harmonie avec la nature, ne connaît que l’éternel recommencement du temps rythmé par la répétition sans fin des mêmes gestes et des mêmes paroles.

Dans cet imaginaire où tout recommence toujours, il n’y a de place ni pour l’aventure humaine, ni pour l’idée de progrès. Dans cet univers où la nature commande tout,l’homme échappe à l’angoisse de l’histoire qui tenaille l’homme moderne mais l’homme reste immobile au milieu d’un ordre immuable où tout semble être écrit d’avance. Jamais l’homme ne s’élance vers l’avenir. Jamais il ne lui vient à l’idée de sortir de la répétition pour s’inventer un destin. Le problème de l’Afrique et permettez à un ami de l’Afrique de le dire, il est là. »

Chacun conservera, n’en doutons pas, son appréciation personnelle sur ce discours. L’objectif de ce texte n’est pas d’entretenir une polémique, mais d’exposer clairement ce que pourrait être une vision « de gauche » de l’Afrique. L’Afrique est diverse, plurielle, et de nombreux pays prennent leur destin en main, entamant de manière endogène un développement que les partenaires extérieurs peuvent parfois accélérer, souvent accompagner techniquement et financièrement, mais en aucun cas initier.

Certains pays ont amorcé un décollage économique,d’autres stagnent, quelques-uns régressent. Il ne faut pas chercher là d’explications culturalistes. Les pays africains qui ne décollent pas peuvent souffrir de divers maux :

mauvaise gouvernance, services publics (d’éducation, de santé) insuffisants pour répondre à la croissance démographique,programmes sauvages de démantèlement des politiques publiques imposés dans les années 1980 et 1990, manque d’investissement privé,faiblesse des systèmes judiciaires, niveau structurellement bas des cours de certaines matières premières agricoles non-vivrières (le coton par exemple, fortement subventionné aux Etats-Unis), conditions naturelles très défavorables,chocs externes récurrents, surévaluation de la monnaie nationale, crises politiques ou militaires, pandémies…

Les explications peuvent être multiples et se croisent souvent, mais on se contentera de rappeler ici que l’Afrique est un continent dynamique, avec une croissance économique significative (autour de 5 % par an),même si certains pays restent confrontés à de graves difficultés et que les fruits de cette croissance sont assez inégalement répartis au sein même de chaque pays. Bien sûr, les points de vue nuancés sont toujours promis à moins d’éclat médiatique que les visions radicales de l’afro-optimisme et de l’afro-pessimisme, mais il n’en demeure pas moins qu’ils correspondent bien mieux aux réalités actuelles du continent africain.

Une deuxième question divise. Comment parler de la colonisation ?

Depuis la loi du 23 février 2005 imposant la reconnaissance du « rôle positif » de la France outre-mer, la gêne ne s’est pas véritablement dissipée et le cinquantenaire des indépendances des anciennes colonies sub-sahariennes de la France n’a pas permis de tourner dignement et définitivement cette page de l’histoire nationale. La lecture de la liste des parlementaires ayant soutenu cette loi est d’ailleurs éclairante. On y trouve pour l’essentiel des élus issus de circonscriptions où les rapatriés d’Algérie sont nombreux. Voilà un signe qui démontre de manière évidente que cette question est aussi un enjeu de politique intérieure fort, susceptible de renforcer ou d’affaiblir la cohésion nationale. La suite de l’épisode du vote de la loi du 23 février 2005 est connue. Le président Chirac refusa, à juste titre, une lecture de l’histoire de France qui serait imposée à tous par une fraction minoritaire de l’Assemblée, sans pour autant énoncer de manière audible une lecture alternative.

Pourtant, le discours de Jacques Chirac sur la Shoah au Vélodrome d’Hiver a largement démontré, si besoin était,que porter un regard lucide sur l’histoire de France et ses zones d‘ombre ne déclenchait nul cataclysme ou hystérie collective mais pouvait, bien au contraire, contribuer à la concorde et à l’unité nationale. Un même effort s’impose aujourd’hui sur la colonisation. En 2012, les 50 ans de l’indépendance algérienne en fourniront une deuxième occasion, après les très discrets anniversaires des indépendances en 2010.

Ce moment historique demandera un travail politique important. Cet anniversaire ne doit en aucun cas se transformer en exercice de stigmatisation des hommes et des femmes ayant, de manière volontaire ou non, été des témoins proches ou des acteurs du système colonial, simples résidents dans des territoires colonisés ou encore soldats… Les Français résidant alors en Afrique occidentale française, en Afrique équatoriale française, en Algérie ou ailleurs étaient, au même titre que les résidents de métropole, des citoyens membres d’une République qui avait institué des discriminations en son sein. A ce titre,la responsabilité de tous les Français est égale, qu’ils aient été alsaciens, bretons, franciliens, limousins ou résidant en Afrique subsaharienne ou en Algérie. Le déni de citoyenneté des Africains colonisés et des musulmans d’Algérie fut une indignité politique collective, contraire en tous points aux valeurs de la République. Le statut de sous-citoyen attribué aux femmes et hommes qui partageaient le destin national, pour le meilleur et pour le pire,fut donc une faute historique inexcusable. La responsabilité politique collective, de l’Etat, devra être reconnue sans y chercher d’excuses ou de circonstances atténuantes.

Parallèlement, il va de soi que, même dans un système politique profondément vicié, de nombreux Français ont,par leur travail ou investissements économiques, par leur implication dans des activités collectives, par leur engagement social, réalisé des choses positives en métropole ou outre-mer. La dénonciation de la colonisation ne doit pas être confondue avec une chasse aux sorcières et, bien au contraire, la reconnaissance d’une erreur collective doit aussi être l’occasion de saluer le rôle des oubliés de l’histoire.

Enfin, le 7 avril 2014 marquera les vingt ans du début du génocide rwandais de 1994. Ce génocide reste une blessure non cicatrisée, qui continue d’envenimer les relations franco-rwandaises. Rappelons les faits. Entre avril et juillet 1994, dans un contexte de guerre civile, les extrémistes Hutu au pouvoir à Kigali organisaient puis mettaient en œuvre un atroce génocide qui devait conduire à la mort au moins 800 000 Rwandais. La France, qui avait soutenu le régime Hutu au pouvoir pendant plusieurs années avant le déclenchement du génocide, s’est donc radicalement trompée, droite et gauche confondues. La visite présidentielle au Rwanda en 2010 a permis, en reconnaissant « l’aveuglement » du soutien de la France au régime raciste et autoritaire d’Habyarimana, de confirmer enfin au niveau présidentiel les conclusions de la mission parlementaire dirigée par Paul Quilès en 1998 lorsque la gauche était majoritaire à l’Assemblée nationale. Le travail historique, mémoriel et politique de connaissance et de reconnaissance de la réalité doit se poursuivre. Il n’existe aujourd’hui en France quasiment aucun lieu de mémoire et de recueillement pour les familles des victimes du génocide et le reste de la population, elle aussi concernée par ce crime contre l’Humanité. Le malaise qui subsiste en France sur le sujet obscurcit le discours public. Comment, enfin, ne pas s’inquiéter de l’extrême lenteur des procédures judiciaires engagées en France contre des personnes suspectées d’implication dans le génocide ? Si chacun doit avoir droit à un procès équitable, il est indispensable que l’instruction des dossiers en question soit faite dans des délais raisonnables, avec les moyens nécessaires à l’établissement de la vérité. Les cas d’Eugène Rwamucyo et de Wenceslas Munyeshyaka sont particulièrement préoccupants. La France a déjà, dans le second cas, été condamnée par la Cour européenne des droits de l’Homme en raison de la lenteur de la procédure. La France doit donc consacrer à ces instructions et à toutes celles liées à des génocides ou crimes contre l’humanité des moyens adéquats.

L’histoire de France et l’histoire de l’Afrique sont liées. Elles l’ont été dans le passé, elles le seront également à l’avenir. Porter un regard objectif sur les soubresauts de cette histoire commune n’empêchera en rien d’imaginer ensemble un avenir meilleur.

 

Auteur : Thomas Mélonio , pour la Fondation Jean Jaures

Economiste, spécialiste de l’Afrique et des questions de développement, il travaille en particulier sur les méthodes de valorisation du capital humain. Animateur du cercle de réflexion « A gauche, en Europe », co-fondé par Dominique Strauss-Kahn, Pierre Moscovici et Michel Rocard. Oeuvre aujourd’hui à la structuration d’un mouvement social-démocrate au sein du parti socialiste. Il est délégué national en charge de l’Afrique au PS et représente à ce titre le PS au comité Afrique de l’Internationale socialiste.

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