Par Dieudonné ANTOINE-GANGA
Au moment où certains peuples en général et les peuples africains en particulier, sont en train de perdre leur identité, il est important de se ressaisir en rappelant aux uns et aux autres que dans nos états ou dans nos royaumes, il existait des écoles du savoir, des écoles initiatiques. Ce fut le cas du Royaume du Kongo, le Kongo dia ntotila, c’est-à-dire, le Kongo Fédéral : un grand royaume, un grand empire de l’Afrique du Sud- Ouest, avec quatre grandes provinces : Mvita dia nza, Kongo dia Mpangala, Kongo dia Mulaza et Kongo dia Mpanza et six états : Mbamba, Mbata, Mpangu, Mpemba, Nsundi et Soyo. Il était situé au nord de l’Angola. À son apogée, il s’étendait de l’Océan Atlantique jusqu’à l’ouest de la rivière Kwango à l’est, et du fleuve Congo jusqu’à la rivière Lojé au sud. Il avait une superficie de plus de 300.000 Km2. Sa capitale était Mbanza Kongo que les colonialistes portugais appelèrent San Salvador en hommage au Christ, le Saint Sauveur. Littéralement, Mbanza signifie en français, chef-lieu, grand village ou capitale. Mbanza Kongo signifie chef-lieu ou capitale du royaume Kongo.
D’autre part, le Royaume du Kongo avait trois institutions importantes :
- Le Roi ;
- Le Conseil d’État, composé d’une part de trois ministres, de l’intérieur, de la justice et des finances, et d’autre part de douze sages-conseillers à qui incombait le rôle crucial de choisir et d’élire le nouveau roi, en cas de décès de ce dernier. En réalité, ils étaient les vrais dirigeants du royaume, car ils avaient un droit de regard sur les actions du roi. Ce dernier ne pouvait rien décider sans leur avis ;
- Le Corps Administratif qui comprenait les gouverneurs, les chefs et les fonctionnaires de la cour royale et des provinces, ainsi que les prêtres qui eux étaient chargés du culte des ancêtres, les Mbuulas.
Le Royaume Kongo se développa sous plusieurs migrations du VIIème au XVème siècle, puis entra en contact avec le Portugal et le Vatican avec lesquels, il établit des relations diplomatiques respectivement en 1485 et en 1604.
Avant l’arrivée des Portugais, le Royaume du Kongo fut un État très développé, avec un large réseau commercial. À part les ressources naturelles et l’ivoire, le Royaume du Kongo fondait l’or et le cuivre qu’il vendait avec d’autres produits comme les vêtements en raphia (mpusu) et de la poterie. Il disposait aussi d’une monnaie en coquillage (nzimbu) et en raphia (lubongo) et des finances publiques. C’est de la monnaie en raphia que vient l’expression « lubongo lwa baka mputu » que l’on emploie pour se moquer d’une personne devenue subitement détentrice d’une richesse et qui s’en vante. L’on y pratiquait aussi l’agriculture, la chasse et l’élevage. Le peuple Koongo (les habitants dudit royaume) y apprenait un métier de leur choix en intégrant de grandes écoles initiatiques dont les plus connues et les plus prestigieuses furent Buelo, Kimpassi, Kinkimba et Lemba. C’est dans lesdites écoles où l’accès était libre, qu’était éduquée et formée l’élite koongo (notables, juges (nzonzis), guérisseurs (ngangas mpodis), prêtres), et dont la devise était « kuna Bakoongo, ka ku butuka nga bizoba ko) c’est-à-dire chez les Koongos, il n’y a pas d’ignorants. Néanmoins, il fallait passer par des cérémonies d’initiation aux critères de sélection très stricts. D’autre part, l’accès auxdites écoles était interdit aux étrangers et aux non-koongos. Comme on le dit dans la bible, « il ne faut pas jeter des perles aux pourceaux. » Ce qui amena les étrangers à jeter l’anathème sur ces écoles qu’ils traitaient par ailleurs d’écoles secrètes voire ésotériques.
À propos du Lemba, l’une de ces écoles, nos ainés chargés d’apprendre et de transmettre par l’oralité aux générations futures, à travers les siècles, la culture koongo affirment que « le Lemba fut une grande école d’initiation dont les directives étaient précises à savoir : enseigner et protéger le savoir, la civilisation et la culture des pays et des peuples koongos, servir le peuple avec amour et désintéressement, respecter et défendre les droits de l’homme, favoriser l’éducation morale et spirituelle, promouvoir le développement intégral de l’homme et de la société, promouvoir la solidarité, protéger contre les manœuvres maléfiques de la sorcellerie. »
INITIATION AU LEMBA.
Qui pouvait être initié au Lemba ?
A priori, tout homme de bonnes mœurs, valide, vaillant et éloquent ; donc, pas n’importe quel homme. La plupart des élèves provenaient des familles quoique modestes mais ayant des moyens financiers consistants. Car il fallait être capable de payer tout ce qui y était exigé. Toutefois l’adhésion au Lemba restait libre. Néanmoins, les postulants au Lemba, devaient remplir l’une des trois conditions :
- Hériter du bracelet lemba et succéder à un Nganga-Lemba. Au cas où ce dernier venait à mourir, le clan était obligé de choisir celui qui devait lui succéder. Hériter d’un bracelet Lemba était considéré comme un droit acquis dans un clan. Celui qui était choisi devait donc être initié au Lemba.
- Avoir été soigné au Lemba. En effet, une fois guéri, tout individu était obligé d’être initié pour soigner à son tour ceux qui souffriraient de la même maladie que lui.
- Découvrir fortuitement le lieu du Lemba. En tout cas, lors des cérémonies, excepté les membres du Lemba c’est-à-dire, les Ngangas et les néophytes, personne ne pouvait entrer dans l’enceinte du Lemba. Celui qui par hasard y entrait sans autorisation et était surpris, donc reconnu comme ayant enfreint les lois du Lemba, devait en conséquence payer une forte amende en l’occurrence un gros porc et se faire initier illico au Lemba, tout en se retirant sous la loi du silence aux fins de ne rien dévoiler de tout ce qu’il aurait vécu et vu pendant la cérémonie et en prononçant la formule suivante : « Au nom de mon père, au nom de ma mère, au nom de mes ancêtres Koongos, je jure de ne jamais divulguer tout secret, que ce soit le matin, que ce soit le soir. Que Lemba accepte mon serment. » ; d’où le proverbe koongo (mia ku lemba ka mi tego ko) c’est-à-dire « ne rien dévoiler sur le Lemba. » Ce qui fut une protection du savoir et de la culture koongos contre les étrangers et les non adeptes du Lemba.
L’initiation au Lemba se déroulait en six phases :
A/ Le « Mbundulu ma koto » qui consistait à purifier et à bénir le profane. Cette cérémonie se déroulait en dehors du sanctuaire du Lemba, lieu sacré où ne devaient entrer que les initiés.
B/ Le « Sinda », cérémonie au cours de laquelle l’on immolait un porc.
C/ Le « Sansu », phase de formation.
D/ Le « Tungu », phase d’endurance.
E/ Le « Nkulumukunu a Lemba » (descente au Lemba), phase de l’initiation proprement dite et au cours de laquelle le nouvel initié ayant réussi aux précédentes épreuves, recevait un bracelet et un coffret contenant des objets symboliques.
F/ Le « Koonko kia Lemba » (le coin du Lemba) où étaient regroupés les ngangas, c’est-à-dire les initiés. Ces derniers, après avoir prêté serment, recevaient un bracelet en cuivre, un coffret (lukobé plus grand et contenant des nsaku-nsakus pilés, du sel, une amande de palmier (sombo), un lumbu, un muzita, un fil de raphia, du luvemba, du tukula et un minuscule cauris.
D’autre part l’initié pouvait ou ne pas être marié. Néanmoins, au cas où il serait marié, son épouse devait automatiquement être initiée et avoir une formation aux fins d’être purifiée, car le Nganga-Lemba (le prêtre) censé être pur, son épouse devait l’être ipso facto. Ainsi elle devait être bénie et purifiée par les autres épouses des Ngangas Lemba, avec les racines écrasées d’une plante (le bumpolopolo),mélangées avec les feuilles d’une autre plante le (lemba-lemba). On lui faisait prêter le serment de ne point entrer dans le sanctuaire, en période de menstruation et de rester fidèle à son époux. Après, on lui appliquait sur le visage du « mpemba » et du « tukula ». Enfin on lui donnait un deuxième nom « Mubanda », c’est-à-dire, l’origine de la vie de l’homme.
Il sied aussi de signaler qu’en plus des écoles traditionnelles, modernisme et colonisation obligent, il y avait à San Salvador, Mbanza Kongo, une école moderne construite pour 600 élèves par le Roi Nzinga Nkuwu qui s’était converti au catholicisme et qu’il confia aux pères jésuites qu’il demanda au Roi du Portugal et que Saint Ignace de Loyola lui envoya en 1548. C’est d’ailleurs, dans cette école où l’enseignement était donné gratuitement en latin et en portugais que furent formés beaucoup d’étudiants dont les plus méritants allèrent parfaire leurs études à Lisbonne au Portugal. Parmi ces étudiants, le prince Antonio Manuel Nsaku ne Vunda, ambassadeur du Royaume du Congo au Vatican, qui y présenta, en latin, ses lettres de créance au Pape Clément VIII, et Monseigneur Henrique Lukeni lua Nzinga, le premier évêque noir africain et du monde.
Aujourd’hui, malheureusement suite à l’influence de l’administration coloniale et de l’Eglise qui dans leurs missions respectives ont manqué du respect envers les cultures africaines qui selon elles « avaient dans le cœur la malédiction de Cham, assises encore dans les ténèbres et à l’ombre de la mort et attachées à leurs idoles » (sic), les écoles initiatiques traditionnelles comme le Lemba, onttotalement disparu avec leurs rites initiatiques. Le rare rite initiatique qui soit encore pratiqué à nos jours par la gent féminine, chez les Koongos, est le Tchikumbi, rite initiatique et de fécondité, pratiqué par lesKoongos (les vilis) de la région du Kouilou et du Cabinda, et permettant à la jeune fille pubère d’entrer de plain-pied dans l’âge nubile, c’est-à-dire, la jeune fille pubère en âge de se marier.
Quant au peuple koongo proprement dit, il fut décimé d’une part suite au commerce d’esclaves que pratiquaient les Portugais et les autres européens d’autre part, suite à la bataille d’Ambuila en octobre 1665. Ce qui accéléra le déclin et la désagrégation du Royaume du Kongo ainsi que la dispersion du peuple Koongo. D’aucuns se retrouvèrent à cause de l’esclavage dans les Caraïbes, en Amérique du Sud, notamment à Cuba, au Pérou, au Brésil, en Colombie, dans les Antilles Françaises (Guadeloupe et Martinique avec plus de 6.000 entre 1857 et 1861) et aux États-Unis d’Amérique (en Louisiane où dans la ville de la Nouvelle-Orléans l’on trouve le grand parc mythique « Kongo Square », où se regroupaient les Koongos. D’autres restèrent en Angola et d’autres encore se dirigèrent au Cabinda, en République Démocratique du Congo (dans les provinces du Bas-Congo et de Bandundu), au sud du Gabon et d’autres enfin, au Congo-Brazzaville dans les régions de la Bouenza, du Kouilou, de la Lékoumou, du Niari et du Pool.
À en croire le professeur Engelbert Mveng, cité par Adrien Diakodi, « en tout il y eut pour le seul Royaume du Kongo, treize millions cinq cent mille (13.500.000) Koongos exportés pendant toute la période du commerce triangulaire des esclaves noirs. »
Le ministre et écrivain Guy Menga dit « qu’Amadou Hampaté Ba, grand défenseur de l’oralité africaine, qualifia un jour ce mode d’expression de « Grand Parler. » Et il s’empressa d’ajouter : « Que l’on mette par écrit ce Grand parler, et cela deviendra notre littérature. » Par cet article, je transmets ce que je sais du grand peuple Koongo et d’une partie de sa culture qui m’a été transmise oralement par mes aînés au mbongui, soulignons-le, aux fins de sauver, grâce à l’écriture, ce qui peut l’être encore.
Dieudonné ANTOINE-GANGA
Ancien Ministre des Affaires Etrangère du Congo-Brazzaville
Ancien Ambassadeur du Congo-Brazzaville à Washington (USA)
Diffusé le 25 février 2023, par www.congo-liberty.org
Bonjour Monsieur le ministre, et merci pour c bel article qui nous édifie sur une partie de notre histoire.
Cher Ya DIAG soyez en remercié , pour ce petit recueil de l’éveil aux kongo ! C’est mon jeune frère franc maçon au grand d’orient de France, qui m’apprend que l’initiation au Lemba ressemble beaucoup à celle de la franc- maçonnerie .
Merci, mon TC YAYA,
Ce texte est clair et sans ambiguïté. Parce que ces derniers temps il y a une confusion née de la passion nostalgique de la »vie quotidienne au Royaume Koongo ». Sur ce plan, nos recherches souffrent d’une constellation ethnocentrique et qu’il faut dorénavant opérer une rupture épistémologique pour réhabiliter notre histoire. Même s’il faut remonter le temps, dire que le LEMBA ressemble beaucoup à l’initiation maçonnique, c’est raisonner par analogie et cela semble réconfortant, c’est un conformisme inquiétant vécu comme un soulagement. Pourquoi faut-il toujours comparer pour faire bien. Le LEMBA c’est un rite KOONGO avec une connotation symbolique spécifique. C’est un autre débat… Merci pour cet éveil historique.
Jacques VACKINO .
J’ai vraiment appris beaucoup de choses, merci beaucoup Monsieur le ministre pour ce texte a portée éducative.
Difficile de faire la part des choses entre mythe, utopie et réalité quand il s’agit de l’histoire du royaume kongo. L’oralité avec ses faiblesses l’emporte sur l’écrit. On se fonde (comme Antoine Ganga, l’auteur du papier sur le Lemba), sur les récits reçus des aînés au mbongui. Ca ne suffit pas. Trop d’exaltation. Ici fonctionne alors la dichotomie construction/déconstruction. Mais au bout du compte quels sont les enjeux ? Revenir à l’ancien ordre royal ou transcender cette historicité ontologique. Jacques Vackino a proposé le bonne méthode : la rupture épistémologique. En procédant à une démarche critique on pourra trier le bon grain de l’ivraie. Si en effet le Royaume est entré en décadence c’est qu’il était porteur de plusieurs anomalies. Une Institution comme le Lemba ne devrait plus exister à moins que d’ésotérique cette école de la vie ne devienne publique et laïque.
tres instructif mais n oublions pas le roi da silva representant du royaume kongo en 1450 en hollande et en angleterre par contre j aimerai savoir comment les portugais ont fait pour capturer 13millions de congolais?c est incroyable,insense,et une insulte pour les congolais que des bateaux soit venus et repartis sans problemes avec des centaines de congolais a son bord.
BRAVO, CETTE INFORMATION SUR UNE SOCIÉTÉ INITIATIQUE DES KONGOS EST FORT UTILE POUR NOTRE JEUBESSE.
Monsieur le Ministre, c’est un grand plaisir de vous lire. Voici ma requête! Nous en apprenons un peu plus sur nos origines et nos connaissances, au fur et à mesure de l’évolution. Oui, par le moyen de ces quelques écrits glanés ci et là, le puzzle ne cesse de se former.
Par ailleurs, cette connaissance, du moins dans ses bases, est suffisamment et largement diffusée et maîtrisée grâce à vos travaux, vous tous les ancêtres méritants, revenus en incarnation nous apporter cette Lumière.
Je crois qu’il est temps, au regard de l’évolution et surtout du contexte actuel de changement de paradigme, il est important que nous puissions passer à une étape suivante de notre connaissance: celle d’élaboration des équations et théories pour des innovations et des découvertes.
Depuis quelque temps déjà le monde est aux arrêts, quant à ce qui concerne les découvertes. De simples virus comme Ebola et Coronavirus doivent faire autant de morts! Les physiciens peinent, depuis quelque temps, à mettre en place des processus de fusion nucléaire, comme on le voit avec les projet JET et ITER.
Entre-temps, dans la seule République Démocratique du Congo on découvre, à plus de deux endroits différents, des pierres électriquement chargées, comme on en a trouvé d’électrique dans un autre pays.
Le temps est venu pour l’humanité de découvrir l’application du feu comme facteur unificateur, un nouvel emploi de l’électricité.
Pouvez-vous donc, ancêtre, aider notre génération à donner à ce monde les nouvelles formules qui lui manque pour franchir le prochain pas de son évolution!
grace a monsieur le ministre mr okondjo a tout compris.