L’influence française en déclin en Afrique noire

Les présidents Paul Biya du Caméroun et Emmanuel Macron de la France

Lucien PAMBOU

Dans un ouvrage récent publié aux éditions Jacob en 2022, Frédéric Charillon (Guerre d’influence : les Etats à la conquête des esprits) établit une différence entre l’influence, l’ingérence et le lobbying. Dans la pratique, les trois temps se cumulent ; l’influence c’est parvenir à faire changer un acteur tiers de comportement sans utiliser la violence physique, l’ingérence et le lobbying peuvent constituer des maillons de politiques d’influence. Comment est-il possible de lire la régression de l’influence française en Afrique noire (occidentale et centrale) ? Comment expliquer les décisions politiques du gouvernement français qui, par l’intermédiaire de son ministre de l’Économie et des finances (Bruno Le Maire), a décidé de tracer six voies stratégiques de la France pour le siècle à venir ?

Le président Macron lui-même ne s’y est pas trompé car récemment, devant l’Assemblée des Ambassadeurs, il déclare faire de la France une nation d’équilibre, ce qui apparaît comme un concept vague, sans contenu stratégique réel. En Afrique du Nord, la France essaie de renouer avec l’Algérie à cause de la frontière malienne qui pose problème, même si on sait que le voyage du président Macron est d’abord motivé par des intérêts économiques, pétroliers et gaziers. En Afrique noire, la régression de l’influence française, malgré une aide significative des pouvoirs publics français de l’ordre de 12 milliards d’euros en 2020 pour toute la coopération africaine et pas simplement en Afrique noire, on constate que l’enveloppe budgétaire reste insuffisante et aucune stratégie de reconquête n’émerge de la part des autorités françaises, même si dans les discours depuis Paris ou depuis les capitales africaines lors de la visite du président français, on déclare vouloir établir une coopération permanente et durable entre la France et ses anciennes colonies.

Comment expliquer la régression de l’influence française ?

Malgré ses engagements dans le domaine de la défense, la France a perdu son statut de gardien militaire et stratégique de l’Afrique. Des nouveaux partenariats de sécurité émergent. Des pays comme la Russie, la Turquie souhaitent remplacer la France en tant que gendarme de l’Afrique. Doit-on accepter cet état de fait ? Pourquoi les Africains acceptent cette domination française sans réagir : car soumis, passifs et apathiques les pays africains n’ont pas réfléchi à la stratégie globale à adopter vis à vis de la France et ces pays africains, souvent dirigés par des vieux régimes politiques, acceptent la domination française au nom de leurs privilèges personnels sans tenir compte des conditions de développement de leur population.

On peut aussi noter que les armées africaines sont plus des milices à la solde des différents présidents en place, aptes à mâter la population pour la préservation du pouvoir du président élu ou arrivé au pouvoir par un coup d’État.  La France le sait et, même si son influence diminue, elle reste présente en Afrique centrale par la langue, le franc CFA qui est chahuté par certains Etats et par la coopération militaire certes en voie de régression mais existante. Dans la zone sahélo-saharienne, le repli de la force Barkhane et son départ du Mali obligent la France à bâtir une nouvelle stratégie militaire de domination autour des pays comme la Mauritanie, le Cameroun, le Tchad, le Niger et le Burkina-Faso.

La France n’a pas su opérer le virage entre le soutien traditionnel aux vieux régimes politiques corrompus, aux élites traditionnelles issues de l’indépendance et les nouvelles générations africaines, plus désireuses de partenariats réels et de partages d’expériences. Dans la réalité la France demande aux populations africaines et surtout à leurs dirigeants corrompus une soumission sans faille alors que dans les faits il y a un sentiment anti-français qui est en train de naître.

Continuité et rupture

La régression d’influence s’inscrit dans une espèce de rupture héritée du passé colonial de la France, de ses pratiques d’ingérence et de la valorisation de la Françafrique qui est un modèle consanguin de pratiques économiques et politiques entre l’Afrique et la France. La Françafrique n’a pas disparu, elle a simplement changé de configuration. Les jeunesses africaines, surtout d’Afrique noire, ont besoin de sortir du verbiage permanent sur les politiques de développement que l’on trouve du côté de Paris et qui sont véhiculées en Afrique par des dirigeants plus préoccupés par leurs privilèges que par le développement économique, l’éducation, le système de santé, les infrastructures et l’organisation de la production, tant sur le plan économique que commercial.

Il faut donc une rupture dans les mentalités et dans les pratiques entre la France et ses anciennes colonies. Sans excuser l’hypothèse des biens mal acquis par la plupart des responsables africains (il faut le condamner), force est de constater que ce modèle de biens mal acquis trouve ses racines en Europe, en France où le vote démocratique clôt tout débat et permet à certains élus de pouvoir manipuler les fonds à leur profit. Ceci n’est pas un acte d’accusation mais une vérité que semblent soutenir certains responsables africains pour s’excuser de leurs mauvais comportements envers leurs populations. En Afrique le vote n’est pas très significatif, c’est la violence physique grâce aux appareils de répression (judiciaires, militaires, politiques, etc.) qui font taire la population.

Rupture

Il reste aux Africains, aux nouvelles générations mais aussi aux vieilles générations de bonne volonté, de réinventer les politiques africaines vis à vis de la France. Il s’agit de sortir du pré carré français et d’élargir des partenariats économiques en direction des pays pour lesquels une réflexion stratégique aura été menée auparavant. Les chefs d’État africains doivent créer des espaces de réflexion stratégique pour les aider à la prise de décision. Nous sommes là, ici et maintenant, au cœur d’un vaste problème qui risque de dépasser les générations actuelles et de se prolonger dans le futur. Encore faut-il que les générations actuelles tracent un chemin malgré les difficultés de gouvernance politique et réfléchissent stratégiquement. Je ne suis pas naïf, cette entreprise sera difficile, encore cela vaut la peine d’essayer.

Lucien PAMBOU

Diffusé le 04 septembre 2022, par www.congo-liberty.org

La Chronique : France, Russie, le duel en Afrique. Par Alain Foka

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5 réponses à L’influence française en déclin en Afrique noire

  1. Val de Nantes dit :

    C’est Descartes qui disait s’assurer de la validité de son édifice conceptuel la vérité scientifique en croyant en l’existence de Dieu, c’est à dire un être infini et parfait ( argument ontologique ).
    Il en va de même pour le Congo , où la dictature s’assure un soutien français pour se déployer dans la durée .
    Les nouvelles pensées africaines veulent se délester de l’emprise néo – colonialiste pour une Afrique et notamment pour un congo aux nouvelles couleurs institutionnelles…
    Ce déclin français en Afrique est le début des manifestations des cogitations intellectuelles ,qui commencent à problématiser et conceptualiser les malheurs de l’Afrique et ceux du Congo.
    En un mot ,il faudrait questionner cette francofolie à sens unique.

  2. Samba dia Moupata dit :

    Cher Lucien Pambou ces accords de défense ne font que perdurer les régimes barbares dans nos pays, cependant la situation économique va de mal en pire ! Arrêtez de divertir nos populations meurtries par l’extrême pauvreté ! En dénonçant ces accords mafieux de défense ! Ce genre d’article c’est du carburant pour Sassou Dénis. Alors que cet homme sans mérite a plongé le pays dans un désastre sans précédent. Note devoir sévirait plutôt à dénoncer cette barbarie Mbochi, à fin que nos populations sortent dans les rues pour changer les choses.

  3. Val de Nantes dit :

    La nouvelle génération a bien compris ,en dépit , de la résilience intellectuelle et morale de ceux qui ont fait du droit constitutionnel français , leur magistère professoral sur les non initiés , que la sortie des dispositifs de production de la servitude volontaire conçus par la France pour des pays africains passe par le  » penser par soi même »….
    D’ou ce souhait pugnace de voir cette aliénation mentale transformée en révolution congolaise basée sur la libération des chaînes de sujétions. .

  4. Val de Nantes dit :

    Ne jamais perdre de vue que , nonobstant les simulacres de gouvernance erratique ,le pouvoir de Sassou est une arme de distraction massive ,tant les conditions de vie relèvent de l’antiquité .Et une arme de destruction massive ,.car elle ne répond à aucun logos , l’état physique du Congo en est la cynique illustration…
    Le Congo est d’abord ontologiquement malade des mauvais choix de ses dirigeants avant d’en accuser l’étranger…
    Le colonel Malien nous en donne la démonstration.

  5. Val de Nantes dit :

    La durée de ce pouvoir devient intenable et révèle une anomalie souffreteuse pour la population congolaise…
    Le mal est dans le pouvoir et donc il revient aux Congolais réduits à de simples spectateurs d’opérer une révolution congolaise à l’instar de la révolution française..
    Puis je vous rappeler que cette révolution française était la conséquence des inégalités sociales où les sans culottes appuyés par un certain Robespierre brutal ,sui mit fin aux privilèges des rois .
    Mais il y a un aspect important dans cette révolution qui échappe à tant des personnes , c’est la divergence de la nature profonde de la forme d’État.D’un côté ,vous avez les jacobins issus de Paris et de l’autre les Girondins décomplexés du tout État.C’est la préfiguration du fédéralisme …
    Le motif de ce conflit qui fit plusieurs morts , c’est l’autonomie des provinces ou régions ,cette thèse libertaire était soutenue par les Girondins jugés fédéralistes,car le centralisme d’État d’origine jacobine était contraire à l’évolution économique des provinces..L.’un des artisans de ce fédéralisme fut Condorcet …
    L’explication philosophique de cette nouvelle forme de gouvernance de la « res publica » reposait sur la prise en compte des spécificités économiques de chaque province . L’ autre argument idéologique s’opposait à la concentration des pouvoirs entre les mains d’un individu car cela revenait à légitimer les causes pour lesquelles la révolution française était née.
    Le pouvoir de Sassou en porte les stigmates et une révolution congolaise en serait la meilleure réponse..
    D’ou l’urgence d’un changement tectonique du paysage politique congolais.
    Cette révolution française pourrait nous servir d’exemples à notre combat contre le totalitarisme étatique , lieu de tous les crimes possibles…

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