Voter au Congo : Mode d’emploi: Extrait de Bienvenue au royaume du Sida, Par MARIE LOUISE ABIA

Voter au Congo : Mode d’emploi

Extrait de Bienvenue au royaume du Sida

Roman

Marie-louise ABIA

 

Je prenais plaisir à cette vie et donnais raison au Seigneur : un bon soldat africain, c’est celui qui travaille pour son ventre et non pour les autres. J’appliquais ainsi la règle du Seigneur. Tout ce que nous avions à faire était de tirer sur les gens, de compter ensuite le nombre de cadavres et nous étions payés des fortunes en fonction du nombre de cadavres qui jonchaient les rues : symbole de notre force et de notre virilité.

À la fin des hostilités, la ville était totalement détruite. Les survivants étaient complètement méconnaissables ; ils étaient comme des morts-vivants sortis droit de leurs tombes. Ils étaient tous malingres, n’avaient rien à manger et ne pouvaient même pas aller en chercher, non seulement parce qu’ils n’en avaient pas la force et les moyens, mais en plus, parce qu’ils étaient terrifiés à l’idée de se faire rattraper par une balle perdue.

Ayant ainsi réussi à détrôner le Président de la République qui prit la fuite pour aller se réfugier chez leur ami commun l’occident, Le Seigneur devint le méga maître au Congo et, tout le pays, toute la population, fut désormais sous son contrôle : le Seigneur devint président. Non content de sa victoire – qui ne lui donnait que l’insignifiant titre de président de la république – il se réveilla un bon matin, puis lança un communiqué à sa radio:

«Mon peuple à moi,

J’ai décidé, aujourd’hui, de tout changer au Congo, et vous allez désormais utiliser de nouveaux mots et concepts. À l’avenir, plus personne n’aura le droit d’employer l’expression monopartisme, celui ou celle qui l’osera, sera sévèrement châtié. À la place, vous devez dire démocratie.

Vous êtes tous convoqués, demain matin, à 6h30, à mon élection présidentielle, celui ou celle qui ne viendra pas, sera sévèrement châtié.

Je ne veux plus n’être que président de la république, je veux devenir Président de la République. Celui qui s’y opposera, sera sévèrement châtié.

Je sais que vous êtes très fatigués, que vous n’avez rien mangé ni bu depuis des semaines, et que vous êtes malades depuis des mois, sans possibilité de vous soigner ; mais ça, ce n’est pas un problème, vous ne risquez pas pire que la mort qui, je vous le rappelle, est votre délivrance, votre salut, car vous vous rendrez directement au paradis, où coule du lait et du miel. N’oubliez pas que le Congo est trop étroit pour tous vous maintenir en vie sur le même territoire, et trop pauvre pour nourrir plus de deux millions de bouches, il y a à peine de quoi subvenir aux petits besoins de mon clan. Mais le dieu du paradis, lui, a les moyens de tous vous accommoder, et de tous vous nourrir, c’est pourquoi chez lui, il y a de la place et des richesses pour tous.

Si quelqu’un n’arrive pas à marcher pour aller voter, qu’il me téléphone au 06660000, je lui enverrai de l’argent pour le transport. Si quelqu’un n’a même plus de lambeau de vêtements à se mettre, qu’il est tout nu et ne peut pas sortir, qu’il me téléphone au même numéro, je lui enverrai un t-shirt dédicacé.

Tout le monde doit voter, que vous soyez déjà morts ou que vous veniez juste de naître, s’il ne vous est pas possible de vous déplacer, je ferai déplacer l’urne jusqu’à chez vous car vous devez faire votre devoir ; c’est cela la démocratie.

Celui ou celle qui refusera de voter, sera sévèrement châtié.

Je vous attends donc devant chez moi, demain matin, 6h30, si vous n’êtes pas là, ma milice, mon armée, ma gendarmerie, et mes copains feront gicler votre sang partout dans tout le pays.

À bon entendeur, salut. »

Malgré l’éloquence de ces horribles menaces, les Congolais, trop moribonds, ne s’étaient pas déplacés pour aller voter. Ils avaient pourtant téléphoné pour avoir T-shirts dédicacés et argent du transport, mais ne s’étaient pas rendus au vote. Le président de la république, courroucé, avait rempli, tout seul, ses urnes avec des bouts de papiers portant son nom et son effigie, les avait présentées à son protecteur et défenseur monsieur ONU–UE–UA qui avait tout entériné, et s’était auto élu Président de la République.

Comme il l’avait promis, il nous avait ordonné de «sévèrement châtier» les Congolais et nous avions continué à assassiner les populations.

Je vécus de cette façon pendant cinq ans, jusqu’au jour où le Président auto élu fut retrouvé chez lui, dans son palais, à 14h30, avec un trou bizarre dans le crâne.

Il voulait simplement devenir un Grand Homme, mais il n’y avait malheureusement pas une Grande dame derrière lui pour le guider, et le pauvre a fini sa vie, en dépit de tous ses efforts, comme un Petit Homme de rien du tout, un homme qui ne manque à personne. Sa mort non plus n’a jamais été élucidée.

Certains disent que le fantôme du 18 mars 1977 était à nouveau passé par là, d’autres, au contraire, pensent qu’il avait décidé de mettre fin à ses jours avec son propre pistolet. Je crois qu’il en avait marre de la routine de sa vie. Il me paraissait capable de rien d’autre que tuer.

Il souriait avec tout le monde pourtant il détestait tout le monde. Il faisait tuer tout le monde parce qu’il s’ennuyait et avait besoin de spectacle. La vue des cadavres et du sang l’excitait et le faisait jouir ; elle lui procurait de l’extase !

Diffusé par www.congo-liberty.org

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