Révolution ou Évolution ? Les secrets de la R-Évolution (suite) ; par Pascal Malanda

Dans la première partie de cette réflexion Révolution ou Évolution ? Les secrets de la R-Évolution, il était question de différences entre les modes de développement des sociétés face aux crises. L’accent était mis sur la voie évolutive qui intègre progressivement les changements intervenus dans la société et la voie révolutionnaire qui intervient lorsque les changements n’ont pas été intégrés et conduisent à l’explosion.

La deuxième partie aspire à introduire la notion d’évolution dans notre pensée collective, trop encline à la violence gratuite sous le couvert des révolutions. Notre héritage colonial nous a certainement ‘inoculé’ un modèle de fonctionnement révolutionnaire: refuser tout changement (même évident) jusqu’à ce que ce dernier, par sa propre logique, devienne inéluctable et s’impose par la force. Ce n’est pas par hasard, qu’ayant à peine accédé à l’indépendance, nous nous embarquons dans une révolution matinale. En effet, déjà en 1963, aux cris de « Youlou a tout volé… » (le reste de cette prose de haut vol vous est épargné) nous avons chassé le premier président du Congo. S’il eut la vie sauve, l’humiliation ne lui fut aucunement épargnée et il dut boire son calice jusqu’à la lie. Qui ne se souvient de cette photo où l’abbé-président déchu attendait son train dans une gare espagnole comme un vulgaire passager ? D’aucuns y ont vu la punition exemplaire pour ce ‘bourreau’ du peuple. Ne faut-il pas y voir au contraire les germes de notre mal ancestral, confondant justice et humiliation? La suite de cette saga est éloquente.

Massamba-Débat fut exilé sur ses terres de Boko puis sauvagement exécuté en 1977 dans la foulée de la mort de Marien Ngouabi. Ce dernier fut, lui-même, abattu dans son palais devant sa famille à l’heure du déjeuner. Yhombi fut chassé comme un vulgaire malfrat sous la huée des badauds hilares avant de purger 11 ans de prison sans jugement. Sassou I, battu à la régulière lors des élections les plus libres et démocratiques qu’avait connus le pays depuis l’indépendance, mais quittant le pays sous la cohue et la huée à Maya-Maya où les milices du nouveau pouvoir s’opposant à son embarquement l’avait traité en bandit de grand chemin. Il n’eut la vie sauve que grâce au carré des derniers fidèles qui firent écran de leurs corps pour le protéger. Combien sont-ils aujourd’hui encore à penser que l’occasion fut ratée de le réduire définitivement au silence pour le bien de la nation, lui le mal absolu, ce qui aurait épargné au pays tant de souffrance à venir. Enfin, le sort réservé au dernier président n’échappe pas à la règle générale: Lissouba déchu et contraint de partir en exil, mais avant cela, traqué comme un pauvre rat de campagne, extirpé in extremis de son pays par les bonnes grâces de Bongo. La liste de nos concitoyens exposés à ce triste sort pourrait être complétée par Kolélas, dont le destin à lui seul résume la profondeur de notre tragédie. L’homme qui s’est exposé dès les premières heures à la dérive pseudo marxisante de notre univers socio politique a tout vécu: torture, persécution, exil, humiliation. Il a quitté ce monde en laissant le sentiment d’un combat inachevé. Quid des Thystère Tchikaya, des Bongo Nouara .

S’il y a une constance dans notre rapport à ceux qui nous dirigent, elle se résume en une seule expression: la violence aveugle, gratuite et endémique. Diriger le Congo s’apparente alors à une sorte de masochisme. Est-il étonnant dès lors de voir nos dirigeants s’accrocher désespérément au pouvoir? Toute perte de pouvoir étant inévitablement assimilée à la déchéance totale.

Pendant la traversée du désert, l’ex-président en particulier et l’ex-dirigeant en général sont soumis à la rude et constante épreuve des vexations, humiliations, etc. Non seulement de la part du nouveau pouvoir, mais de façon plus insidieuse de la part d’une grande partie de la population. A la moindre situation trouble dans le pays, les anciens dirigeants sont les premiers visés: arrêtés, torturés, humiliés, tués. Ceux qui survivent ne le doivent souvent qu’au hasard ou la complicité de puissants intervenants extérieurs.

Si chaque peuple a les dirigeants qu’il mérite, nous sommes ‘régicides’ par excellence en véritables héritiers (par nos colonisateurs interposés) de la révolution française de juillet 1789. Nous adorons prendre des bastilles et tuer nos « rois » éprouvant en passant une morbide jouissance. Pas étonnant que nos rois s’accrochent alors au pouvoir comme à leur vie. Pendant leur règne interminable, ils se livrent à l’encontre du peuple à une violence anticipée, une compensation de l’éventuel sort qui leur sera inévitablement réservé. On pourrait résumer la situation en une phrase: Les Congolais détestent leurs dirigeants qui le leur bien. On pourrait tout aussi, sans risque de se tromper, inverser la phrase et affirmer que les dirigeants congolais détestent leur peuple qui le leur rend au centuple.

Et voilà que l’histoire, bégayant une fois encore, réunit les conditions dans lesquelles nous excellons. Nombreux sont ceux qui voient déjà Sassou trainé comme un chien dans les rues de Brazza. Ils y rêvent avec une morbide délectation. Nombreux sont aussi ceux qui pensent qu’il vendra cher sa peau bénéficiant pour cela de la fidélité d’une garde rapprochée prête à mourir pour lui. Dans un cas, comme dans l’autre, le prix à payer sera évalué en milliers de morts. Ou peut-être pas, si le bon sens triomphe enfin. Mais c’est quoi le bon sens ?

Dans le tumulte qui s’annonce, le risque d’ingratitude est immense de choisir la voie du milieu. Malgré cela, cette réflexion se veut avant toute chose un appel à la sagesse et au dépassement de soi. Le seul risque encouru est de susciter la haine des jusqu’au-boutistes du pouvoir et le dédain des revanchards de l’opposition. Les uns comme les autres ont fait de cette macabre devise leur credo: « Le pouvoir est au bout du fusil; il ne se donne pas, il s’arrache ».Tous crieront à la naïveté. Qu’importe si le Congo profond, celui des oubliés et des sacrifiés sur l’autel de l’égoïsme en sort vainqueur !

Si le pouvoir applaudit ce message tandis que l’opposition le maudit, alors nous aurons failli par naïveté; si l’opposition l’applaudit tandis que le pouvoir crie à la trahison, alors nous aurons péché par aveuglement. Si l’opposition et le pouvoir ne se reconnaissent qu’à moitié dans ce message, alors ce sera la preuve qu’un appel à mettre l’église au milieu du village est encore possible.

Dans une négociation, la preuve d’un dépassement de soi de la part du pouvoir et de l’opposition c’est quand les deux parties repartent à moitié satisfaites, donc par la force des choses à moitié déçues. Le pouvoir pourra affirmer avoir sauvé l’essentiel tandis que l’opposition se targuera d’avoir obtenu l’essentiel.

Osons le Congo!

Petite ombre au tableau. En 1977, Ngouabi ayant senti le pays embourbé dans une impasse sociale, politique et économique avait, paraît-il, préconisé un partage du pouvoir avec son prédécesseur dans un schéma où il s’engageait à garder la haute main sur le parti et la politique (à l’image de ce que fit Deng Xiao Ping en 1978, donc bien avant ce dernier!) tandis que Massambat-Débat se chargerait de relancer l’économie. Tout le monde y trouvait son compte en se concentrant sur ce qu’il savait faire le mieux. Un an avant les Chinois, nous avions une solution pragmatique dans les mains, nous la noyâmes sans état d’âme dans le sang.

Oh, ne sombrons pas dans la béatitude. Le simple fait d’instaurer ce système de partage de pouvoir n’aurait pas résolu tous nos maux, mais il aurait au moins eu l’audace d’explorer une piste nouvelle aboutissant à terme au renforcement des institutions au détriment de la toute-puissance des individus. Nous savons tous ce qu’il est advenu de ces négociations secrètes et de ce rêve d’évolution. Est-ce une raison suffisante pour ne pas explorer aujourd’hui une piste qui conduirait à plus de justice et d’équité sans passer par plus de morts ? Le temps n’est-il pas venu de surmonter nos peurs, notre arrogance, notre suffisance et nous humilier dans un vrai compromis dont le seul but serait de sauver le Congo en lui épargnant une violence inutile, la violence de trop. Ne sommes-nous pas mûrs et capables pour une fois d’oser le Congo à la place de nos égoïsmes ataviques et destructeurs ?

Adeptes des révolutions sanglantes, méditons cette réflexion qui fut adressée à Gorbatchev au plus fort de la péréstroïka par un parlementaire soviétique : « Camarade Gorbatchev, vous nous avez embarqués dans un avion (la péréstroïka). Nous venons de décoller et volons certes, mais nous ne savons ni la destination finale ni s’il y a risque d’explosion en plein vol. »

L’histoire nous a entre-temps appris que l’URSS a implosé en plein vol et donc la perestroïka n’a pu conduire le peuple à bon port: elle était arrivée bien trop tard.

Le printemps arabe est encore en cours. Des pouvoirs, parmi les plus « solides » d’Afrique, se sont effondrés avec une rapidité étonnante comme en Tunisie et en Égypte ou après une guerre fratricide comme en Libye. Le sort de la Syrie est pratiquement scellé.

Il est certes trop tôt pour tirer des enseignements définitifs de ce processus inachevé. Les nouveaux pouvoirs connaissent des destins divergents; quoi de plus naturel? La Libye souffre d’un côté d’une hypothèque liée au caractère décisif de l’apport extérieur dans son processus de libération, de l’autre d’une tentation à peine voilée de l’islamisme. L’Égypte semble hésiter entre consolidation des acquis d’une révolution populaire et approfondissement des changements en écartant les militaires accusés de perpétuer sous un manteau pseudo-réformiste, le régime honni laissé par Moubarak. La Tunisie, malgré les inquiétudes des chancelleries occidentales, semble expérimenter une piste inspirée de la Turquie et évoluant vers un État islamo-démocrate à l’image de ce que furent à leurs débuts les États chrétiens-démocrates de l’Europe. L’Algérie a su jusqu’à lors étouffer les aspirations populaires (mais pour combien de temps ?)

Dans ce Maghreb en ébullition et en pleine mutation, le Maroc fait figure d’exception. Le royaume chérifien a su, jusqu’à ce jour, faire preuve d’une grande habilité politique. Il a été le seul à privilégier l’évolution par une sincère anticipation des aspirations du peuple tout en conservant la stabilité et la paix dans le pays. Gouverner c’est anticiper et quel peut être meilleur moyen d’anticiper que celui qui consiste à observer les fautes des autres et en tirer les enseignements qui s’imposent? Rappelons que cette pensée très orientale: « Les sages apprennent par les fautes des autres tandis que les fous n’apprennent (si jamais ils apprennent) que par leurs propres fautes. »

La concertation qui vient de se tenir à Ewo est un des premiers signes indiquant que le Congo, pour une fois, semble emprunter la voie de la sagesse.

Opération cosmétique de communication en trompe-l’œil pour les uns, réelle ouverture pour les autres, seul l’avenir nous dira s’il s’agit enfin d’un moment historique pour notre pays. La tentation est forte d’y croire. Le Congo nous a cependant tellement habitués depuis 1963 aux promesses non tenues que sans sombrer dans l’incrédulité gratuite et cynique, nous avons le droit d’exiger de notre classe dirigeante un minimum de bonne volonté et de bon sens afin de privilégier les intérêts supérieurs de la nation. Il y va de l’intérêt de tous et surtout des générations futures. La bonne gouvernance ne s’improvise pas, elle s’invente par la patience et l’abnégation.

Au-delà de l’admiration béate des uns et du scepticisme viscéral des autres, la bonne foi collective ne pourra être évaluée qu’à l’aune des actes concrets exprimant une réelle volonté d’évolution. Le temps nous est à présent compté. Fasse Dieu que la sagesse et la modération triomphent enfin.

Pour finir, voici quelques mesures-phares dont l’initiation permettrait de rassurer tout le monde au sein d’un processus d’évolution ou de maturation démocratique.

– Un gouvernement d’union nationale avec la clé de répartition suivante: 45 % (pouvoir), 35% (opposition), 20% (société civile) en charge d’une transition de trois à cinq ans (Les pourcentages sont ici à titre indicatif)

– Création d’une commission électorale consensuelle et réellement indépendante qui organisera des scrutins sanctionnant la fin de la transition.

– Nominations paritaires (pouvoir-opposition) dans les principales institutions ainsi que dans les entreprises clés (SNPC etc.)

– Institution d’une commission ‘Vérité et réconciliation’ chargée de consolider la paix dans le pays à l’image de ce que fut l’Afrique du Sud post-apartheid.

– Instauration d’une instance destinée à inventorier tous les problèmes qui ont miné la paix sociale, le développement économique et la stabilité politique dans le pays depuis 1959. L’instance se chargerait notamment de proposer une piste de réflexion sur une réforme politique profonde permettant de rassurer toutes les composantes de la nation; d’instaurer une décentralisation administrative liée à un renfort de solidarité par le biais d’un système transparent de péréquation et de subsidiarité.

 

Pascal Malanda

Vuurbloem : Centre flamand pour la communication non-violente

Prévention et résolution pacifique des conflits.

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Une réponse à Révolution ou Évolution ? Les secrets de la R-Évolution (suite) ; par Pascal Malanda

  1. Anonyme dit :

    Il faut espérer que Denis Sassou Nguesso lira ce papier !

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