Réflexion sur la portée juridique et politique de la procédure judiciaire en FRANCE sur le dossier des disparus du BEACH de Brazzaville

LES FAITS

Réfugiés en République démocratique du Congo (RDC) après avoir fui les affrontements au Congo-Brazzaville, 350 Congolais auraient été portés disparus après leur retour dans leur pays en 1999 où ils avaient accosté au Beach, principal port fluvial de Brazzaville sur le fleuve Congo. Une procédure avait été ouverte à Meaux  en 2002 en raison de la domiciliation en France d’un des protagonistes présumés, le général Norbert Dabira, inspecteur général des armées, cité dans une plainte déposée par plusieurs associations de défense des droits de l’Homme.

L’affaire des disparus du Beach avait fait l’objet d’un procès à Brazzaville durant l’été 2005. La Chambre criminelle congolaise a acquitté les 15 suspects, dont des généraux, des accusations de génocide et crimes contre l’humanité. Ce tribunal n’a pas reconnu la disparition des 353 jeunes ex-réfugiés mais il a accordé une indemnisation de 10 millions de francs CFA aux familles d’une centaine de victimes identifiées. Ce verdict a été contesté par les familles des disparus et par les associations de défense des droits de l’homme qui ont qualifié ce procès de «mascarade».

Après la décision de la cour d’appel, les avocats de ces associations avaient formé un pourvoi en cassation qui a été examiné le 29 novembre. Dans leur arrêt, les magistrats de la chambre criminelle de la Cour de cassation, présidée par Bruno Cotte, ont estimé que la chambre de l’instruction de la Cour d’appel avait « méconnu le sens et la portée » du code de procédure pénale en annulant l’enquête. La Cour de cassation a désigné la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Versailles pour reprendre l’instruction.

QUESTIONS EN LITIGE

1- Les accusés acquités de Brazzaville ont-ils été jugés pour les actes de génocide, les actes de torture, les exécutions extrajudiciaires, les disparitions forcées, les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité et les crimes contre les droits de l’homme?

2- Y a-t-il eu erreur de jugement à Brazzaville?

3- La France a-telle compétence d’enquêter et de poursuivre des gens pour des crimes qui ont été commis sur un autre territoire?

4- L’enquête actuelle porte-t-elle sur les mêmes questions que celles soulevées dans l’instance antérieure à Brazzaville?

5- Même s’il s’agissait d’un cas de chose jugée, cette doctrine peut-elle être écartée par les principes du droit?

6-Le juge français peut-il relier les accusés à leur chef hiérarchique pour le rendre responsable et l’impliquer dans des crimes qui ont été commis par ses subordonnés?

7- Voilà une panoplie de  questions, non exaustive, à laquelle le juge d’instruction français doit porter des réponses dans son enquête avant de procéder aux mises en examen et d’intenter une action en justice.

ACCUSATION

Dans la poursuite contre les crimes touchant les droits de l’homme, le ministère public français tentera très probablement de soutenir devant le tribunal que les prévenus sont pénalement individuellement responsables des crimes visés par le tribunal et exposés dans un acte d’accusation, crimes qu’ils ont planifiés, incité à commettre, ordonnés, commis, ou de toute autre manière aidé et encouragé à planifier, préparer ou exécuter.

Par le terme « commettre », le Procureur n’entend pas suggérer dans un acte d’accusation que les accusés ont commis eux-mêmes l’un quelconque ou la totalité des crimes qui leur sont personnellement reprochés. Dans un acte d’accusation, le terme « commettre » se limite à la participation de chacun des accusés à une entreprise criminelle commune.

Cette entreprise criminelle commune aurait pour but de persécuter, de torturer de faire subir un traitement cruel, d’assassiner, d’exterminer un groupe de personnes convoyés de Kinshasa et qui se trouvaient sur le site du port fluvial de Brazzaville (Beach).

Les crimes qui pourraient être énumérés aux chefs de l’acte d’accusation s’inscriraient dans le cadre de l’objectif assigné à l’entreprise criminelle commune, et chaque accusé aurait possédé l’état d’esprit nécessaire à la commission de chacun de ces crimes. À défaut, les crimes visés aux chefs d’accusation étaient la conséquence naturelle et prévisible de la réalisation de l’entreprise criminelle commune, et chacun des accusés avait conscience que de tels crimes étaient l’aboutissement possible de la réalisation de l’entreprise criminelle commune.

L’entreprise criminelle commune existait à l’époque de la commission des actes criminels sous-jacents allégués dans l’acte d’accusation, et à l’époque où chacun des accusés a participé auxdits actes afin de contribuer à la réalisation de cette entreprise. Parmi les individus qui ont pris part à cette entreprise criminelle commune se trouvaient notamment X (le tribunal citera probablement des noms) ainsi que d’autres individus, dont l’identité est connue ou non. Tous ces membres de l’entreprise criminelle commune ont servi de concert et avec d’autres participants à cette entreprise, et ont agi soit directement soit par le truchement de leurs subordonnés, tous placés sous le commandement de x (le tribunal citera probablement des noms).

Tous les participants à cette entreprise ont contribué, par leurs actes ou omissions, à atteindre l’objectif de celle-ci. En tant que supérieurs hiérarchiques, les accusés sont également pénalement individuellement responsables, des actes ou omissions de leurs subordonnés. Un supérieur est responsable des actes criminels de ses subordonnés s’il savait ou avait des raisons de savoir que ceux-ci s’apprêtaient à commettre ces actes ou l’avaient fait, et s’il n’a pas pris les mesures nécessaires et raisonnables pour empêcher que lesdits actes ne soient commis ou pour en punir les auteurs.

Sont ainsi passibles non seulement ceux qui ont la responsabilité directe des crimes, mais aussi ceux qui ont « planifié, incité à commettre, ordonné, commis ou de toute autre manière aidé et encouragé à planifier » l’un de ces crimes dans le cadre du droit humanitaire. Le droit humanitaire ou pénal international reconnaît donc la responsabilité pénale individuelle et empêche l’impunité systématique des individus qui voudraient jeter le blâme sur l’État, leurs supérieurs ou leurs subordonnés.

Christian Lépine,                                                                                                                                                   Juriste Canadien

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