Pourquoi la Russie de Poutine s’intéresse-t-elle à l’Afrique ?

Ibrahim Traore du Burkina-Faso et Vladimir Putin de Russie à St. Petersburg, Russia, 27 juillet 2023. (Sergei Bobylev/TASS Host Photo Agency Pool Photo via AP)

Par Lucien Pambou

            Après les nombreux coups d’État en Afrique de l’ouest, l’Afrique « redevient » un continent intéressant pour la Russie de Poutine. Les disparitions de Prigojine et de son état-major ouvrent de nouvelles perspectives à Poutine pour le continent africain qui, jusque-là, était largement sous influence politique occidentale avec la France, la Grande Bretagne et les États-Unis comme figures de proue en matière de domination politique, économique, financière et culturelle.

Pour la Russie de Poutine le moment est venu d’être présente en Afrique et de tirer les mêmes avantages que les pays dominants de l’Occident. C’est une bataille politique feutrée et objective car les soutiens des différents coups d’État en Afrique de l’ouest par la Russie sont devenus monnaie courante. Les relations entre l’Afrique et la Russie sont anciennes/nouvelles. Anciennes parce que la Russie a soutenu la plupart des mouvements de libération africains pour leur indépendance en Angola, en Guinée Bissau, au Mozambique. La nouveauté des relations est liée à une forme de neutralité de la Russie qui, plus connue sous le nom de l’URSS, a observé une position de neutralité  en permettant à l’Occident de penser que l’Afrique était son territoire de jeu, de domination  et de prédation des richesses naturelles pour son compte aux dépends des populations africaines. La Russie de Poutine et la mort de Prigojine siffle la fin de cet accord tacite entre la Russie et l’Occident. Pour Poutine il s’agit de contenir l’Occident expansionniste dans une Afrique dépourvue de moyens de riposte politiques, militaires et économiques.

Pourquoi Poutine s’interpose-t-il face à l’Occident en Afrique ?

            Pour Poutine, comme pour l’Occident, l’Afrique, avec sa démographie galopante et ses ressources naturelles importantes, deviendra le nouvel horizon du monde en termes de production des richesses. La Russie estime qu’il ne faut pas laisser la part belle aux Occidentaux et que le temps est venu pour elle de croiser le fer avec les Occidentaux dont les élites et les dirigeants politiques sont faibles et dominées par l’Occident.

Pour Poutine, les Occidentaux ont affaibli et appauvri l’Afrique comme aimait à le répéter l’affidé et l’impétrant Prigojine, membre du réseau politique russe qui n’a pas tout à fait compris les lois centrales, sacrales et indépassables du réseau, ce qui a entraîné sa mort. La notion de réseau est fondamentale car elle permet à Poutine d’utiliser les erreurs de Prigojine pour installer un nouveau réseau avec un membre influent de la police militaire russe à sa tête. Les évènements actuels dans le monde sont intéressants au plan théorique car ils permettent d’augmenter la capacité de connaissance des uns et des autres sur des notions simples comme le réseau.

Pour Poutine, le réseau appartient au monde social, celui de la dynamique et des configurations multiples. Pour Prigojine, le réseau était un champ clos, il n’a rien compris et, malheureusement, les intellectuels africains adeptes du réseau ou non considèrent le monde comme un champ clos, ce qui explique leur perdition et, au nom d’un conformisme, leur incapacité à trouver des modèles de régulation des sociétés africaines qui mélangent régularité fonctionnelle et contradiction.

Pourquoi les intellectuels africains de la diaspora ne disent-ils rien à propos de l’offensive de Poutine en Afrique ?

            Il y a très peu d’intellectuels africains de la diaspora, en dehors d’Achille M’Bembé, philosophe camerounais, professeur en Afrique du sud, qui osent donner leur point de vue sur la nouvelle influence de la Russie en Afrique. Par méconnaissance, inculture ou peur ces élites et intellectuels africains préfèrent par lâcheté et par convenance attaquer la France qui leur offre séjour démocratique, logement, emploi et tolérance politique. La France est vraiment un pays exquis, on la critique mais on y est bien sans que rien ne vous arrive en termes d’embastillement. C’est bien de cracher dans la soupe, mais il n’en faut pas trop quand même et on attend que ces intellectuels relativisent, s’ils le peuvent, la présence politique nouvelle de la Russie en Afrique. Je ne suis pas un impétrant de la Françafrique que je critique tout le temps et vous pouvez le vérifier sur Google.

On attend de ces intellectuels qu’ils organisent en France des débats sur les enjeux et les limites de l’influence russe en Afrique. C’est bien de bavarder, c’est bien d’attaquer la France (et je ne m’exclus pas de ce lot de sachants africains et non d’intellectuels pour lesquels la critique est facile vis à vis de la France) mais il faut réagir et organiser par la déconstruction intellectuelle notre regard et nos analyses vis à vis des anciennes puissances et des nouvelles puissances comme la Russie qui ne demandent qu’à nous dicter un nouveau bréviaire de la géopolitique mondiale, alors que nous avons les capacités intellectuelles et démocratiques (car la démocratie c’est d’abord la liberté, l’égalité et le pouvoir de discuter avec l’autre quelle que soit sa taille).

Je demande aux intellectuels africains d’aider leurs dirigeants politiques, qui restent pour la plupart soumis, à penser le monde autrement en dépit de nos faiblesses scientifiques, économiques et technologiques et financières. Il reste aux élites africaines et à leurs dirigeants de s’inspirer de la parabole antique hébraïque de David et Goliath et de s’interroger sur la ruse et les moyens utilisés par David pour vaincre Goliath.

Lucien PAMBOU

Diffusé le 30 septembre 2023, par www.congo-liberty.org

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3 réponses à Pourquoi la Russie de Poutine s’intéresse-t-elle à l’Afrique ?

  1. Val de Nantes. dit :

    Peut être que tout le monde ne partage pas la même appétence pour l’écriture , et le déploiement intellectuel que ( tout le monde).
    Y aurait il un monde de la connaissance intrinsèquement enfouie,qui se contemplerait soi même ??.
    Y aurait t il une élite à la rhétorique verbeuse ou une élite réfléchie et donc savante ??
    cette question vaut son pesant d’or .
    Cependant, je remarque un silence inouï sur des sujets dont je pense qu’ils susciteraient plus de débats que l’indifférence intellectuelle affichée…
    Le grand @Lucien en appelle à l’élite africaine .. Ce geste panafricaniste est en soi un secours à la réflexion collective sur les réponses diverses aux questions prégnantes auxquelles l’Afrique fait face ,dans un contexte de démocratie africaine dévoyée par la junte militaire et les conséquences multiformes qui s’y rattachent…
    Que doit attendre une Afrique noire des élites fabriquées par la France ??…
    La transmission de la culture occidentale par le biais de la formation intellectuelle n’aide pas cette dernière à se dédire de sa substance élitaire c’est à dire ce qui fait ce qu’elle est. Autrement dit, un reflet de la pensée néo colonialiste…
    À l’image d’Achille Bembe ,la diaspora aurait voulu que l’initiateur de la « petite vérole » soit actif sur les débats politiques contemporains . Mais que nini.!!..
    À la différence de la diaspora anglaise intellectuelle et africaine, celle portant le drapeau français parait absente et se contente d’assister au lieu d’agir…
    L’être intellectuel africain se dédouane des difficultés inhérentes à sa propre survie intellectuelle et sociale. ..
    Â quand le réveil intellectuel??.
    L’exil est- il un naufrage intellectuel ou une zone de confort social et sociétal ??…
    Car se représenter une vie d’ermite sans possibilité de retour chez soi est inconcevable,.La contribution aux divers échanges contradictoires alimente une incontestable envie de reprendre le chemin du pays. Peut être une convergence de vue avec le doyen @ Lucien sur ce désir de collaborer à la construction d’un pôle d’analyse des conflictualités africaines du moment.Mais j’estime que le mutisme diasporique sur cette question d’éveil de conscience africaine est fort dommageable pour la survie des nations africaines qui peinent à transformer l’essai économique…
    Un exemple –
    Comment les africains intéressés à la magie de l’esprit, à la rationalité peuvent ils concevoir que les comptes d’opérations situés au trésor public français soient la garantie monétaire des transactions financières africaines ??…
    Vous vendez le pétrole en dollars,la France vous remet une monnaie coloniale au pouvoir d’achat limité…
    Et que le CFA ne soit pas échangeable en France d’où il émane ;, n’y aurait il pas anguille sous arnaque ??…
    Autrement dit,la France bloque les devises étrangères à fort potentiel monétaire pour les remplacer par des CFA à faible valeur ajoutée..
    Pour ceux qui ont étudié l’économie monétaire, cette transaction est l’ultime punition appliquée à l’Afrique noire….car une devise étrangères démultiplie la valeur monétaire des pays qui les reçoivent…
    Pourquoi le yen chinois est si fort ?
    Réponse !
    C’est à cause des devises que la Chine reçoit des autres pays.. La Chine détient une qualité effroyable des dollars dans sa banque centrale ,ce qui valorise le yen sur le marché monétaire… J’y reviendrai plus tard.
    Question :
    Sommes nous réellement indépendants ??.
    Faudrait il penser une autre forme de coopération monétaire avec la France ??.
    La France, quoi qu’on en dise , est le virus actif de la maladie africaine..L’en dispenser serait faire preuve d’un angélisme passif et complice..

  2. Lpambou mkaya mvoka dit :

    Mabanckou, notre porte parole »intellectuel initiateur de la petite verole » est absent des debats au congo car il a volontairement quitte son champ d ecrivain et de romancietr pour endosser l habit de l ideologue et du politique, c est bien encore faut il dire quelles ont ete ses relations avec le gouvernement Sassou

    Je connais bien Alain mabanckou, nous avons ete invites lui et moi a brazza lui en tant que romancier et moi en tant redacteur adjoint de la revue geopolitique africaine j ai fourni un travail de reflexion et d ecriture ; j ai ete paye pour cela et le President Sassou etait le president d honneur de geopo africaine

    A lheure actuelle geopo africaine n exite plus par incontinence manageriale des gestionnaires financiers de la revue

    La viree a brazza avait ete initiee par une association bretonne les » Etonnants voyageurs »

    Mabanckou etait au lait et au miel de la part de Sassou et de son réseau et il ne trouvait rien dire et a redire sur la brutalite  » verolee » de sassou

    il n ya que les imbeciles qui ne changent pas d avis mais tout de meme

    On attendrait de Mabanckou qu il mette sa surface enorme de romancier pour eclairer les elites congolaises defaillantes sur la valorisation des activites artistiques

    Il a essaye en avec la responsable du monument Savorgnan de brazza dont j oublie le nom, et ce fut un flop car le projet n avait pas ete pense jusqu au bout

    Voici comment avancent les intellectuels congolais , masques et caches pour satisfaire leur gout du pouvoir et des privileges personnels meme sils vous disent le contraire et declarer haut et fort qu ils travaillent pour le peuple

    Ce texte n est pas un reglement de compte avec Alain qui connait mon cote « brutal’ dans nos discussions meme si je l ai perdu de vue depuis qu il est aux states(Etats Unis)
    C’est une mise au point pour l honnete intellectuelle et comportementale

  3. Zando ya buemba dit :

    Le Congo a déjà connu la coopération avec l’URSS donc la Russie.
    Nous ne pouvons pas nier tous les biens faits de cette coopération surtout dans la formation d’étudiants. Mais aujourd’hui, que attendre le Congo d’une coopération avec la Russie pour son développement économique ? Que peut-on attendre de la Russie dans le cadre de la bonne gouvernance et les Droits de l’homme ?
    Pour ma part, je pense que nous ne pouvons rien attendre de Vladimir Putin ,car nous n’avons pas au Congo de problème sécuritaire. Notre principal problème est de chasser Sassou et sa famille du pouvoir.
    En ce qui concerne les autres Etats africains, ce qui est bon pour le Mali ou le Niger, n’est peut-être pas bon pour le Gabon, la Côte d’Ivoire ou le Congo .
    Merci cher Lucien Pambou pour cette excellente interpellation des

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