Ô pays, couleur de cendre : le Congo malade de ses politiques ; le roman de Dina Mahoungou

Roman Dina Mahoungou

 

Ô pays, couleur de cendre (1) : le Congo malade de ses politiques

Les douloureux évènements de Brazzaville de la décennie 90 ont beaucoup marqué les écrivains congolais, de près ou de loin. Ils ont bousculé l’imaginaire de la création littéraire. Ainsi le roman de Dina Mahoungou apparait comme un miroir extérieur de cette tragédie provoquée par les politiques et que ce dernier nous rappelle avec acidité et rage, à partir de sa patrie d’adoption, l’Hexagone.

Tout se joue à travers l’énigmatique personnage central M’Passi Zi Yokélé qui va se muer au cours du récit en Colombiano, en Yandi Mossi et en émir au dernier moment. Un roman qui nous plonge d’abord dans la réalité congolaise à travers l’enfance du héros avant de nous révéler son véritable image machiavélique. Un roman où il n y a ni rire, ni sourire et où la réalité de certains évènements sont amplifiés de l’extérieur. Une hyperbole diégétique qui donne une autre dimension à ce drame de Brazzaville que l’auteur a vécu, comme son héros, loin de son natal. Aussi, à travers cette fiction qui dépasse la réalité, Dina Mahoungou tente de conscientiser ses compatriotes à sa manière.

Ayant grandi avec son oncle, M’passi Zi Yokélé quitte le pays à quinze ans pour Cuba après avoir été perverti par le vicaire de l’école militaire du pays : encore élève au lycée à quinze ans, il avait rêvé d’être militaire. Etudes militaires à Cuba avant de se retrouver à Paris où il relate comment son pays a été détruit sur fond de considération tribale dans une guerre qui a emporté ses parents. Et la mort de ces derniers le transforme en vengeur-tueur. Tous ceux qui incarnent le pouvoir de Brazzaville doivent payer cher et très cher la mort de ses parents. Paris devient un véritable enfer pour les diplomates congolais et quelques étrangers associés au pouvoir destructeur de Brazzaville. Aussi, le récit prend l’allure d’un film d’horreur, véritable roman d’épouvante où le héros devient un assassin, un exécuteur, un tueur à gage qui donne cruellement et atrocement la mort à tous ceux qui ont participé à la guerre de Brazzaville. Il tue à Paris et dans certaines banlieues dont il connait les coins er recoins, déjouant ainsi tous les plans de la police à sa recherche. Colombanio, un véritable Francilien. Mais il ne réussira pas à quitter la France comme il le souhaitait. Il meurt d’une mort paisible qui le surprend en plein sommeil dans les bras de sa dernière compagne de lutte, une Somalienne. Cette dernière désemparée, «  avait mis du cyanure dans [leur] café, plus de la moitié dans le thé (…) une forte dose de cocaïne pure de quoi assommer un cheval » (p.331).

Les politiques du continent au pilori

L’Afrique des guerres se révèle dans ce roman comme un échec d’une politique africaine à plusieurs vitesses. Tribalisme, régionalisme et ethnicité gangrènent les Etats africains et le Congo, le pays de l’auteur n’échappe pas à ces maux. Colombiano ne comprend pas la résignation des Congolais devant le pouvoir politique. Aussi, dénonce-t-il les malheurs que l’on fait subir à son peuple originel, malheurs qu’il ne peut supporter et qui le poussent à la vengeance : « El Colombiano était devenu une machine à tuer parce que son peuple kongo était meurtri, humilié, vaincu » (p.111). L’Afrique des dictateurs se découvre à travers le récit de Dina Mahoungou qui lie l’humour à la satire pour nous présenter ceux qui gouvernent le continent d’une « façon acrobatique ». Prend-t-il alors l’exemple de son propre pays qui malheureusement s’apprête bien à sa dénonciation de la mauvaise gouvernance de l’Etat : « Au Congo Brazzaville, le gangstérisme d’Etat est une affaire de culture, tous les cadres détournent ce qu’ils peuvent trouver dans les caisses publiques » (p.331). Et quelques pages avant, il notait : « Le dictateur mobilisait les ressources nécessaires » (p.228). Marqué par cette désinvolture que crée l’homme politique dans son pays et qui le pousse à la révolte, M’passi Zi Yokélé devenu Colombiano « [s’est] donné comme raison de vivre la haine coriace, le désir de venger les siens et combattre les gens du pouvoir » (p.226)

El Colombiano : de la vengeance à la tragédie du pouvoir

Exilé à Paris, Colombiano vit de loin le drame de Brazzaville où ses parents ont trouvé la mort. Le Congo devient une nostalgie difficile à combler. M’Passi Zi Yokélé, un homme marqué par la tragédie qu’a connue son pays par la faute de ses hommes politiques. Il fustige le régionalisme et le tribalisme dans cette guerre de Brazzaville : « Dans ce pays scindé en deux camps : les Han Bodji au nord et les M’Bata du sud, l’on observe des attentats politiques, la sédition sous toutes les formes » (p.64). Aussi l’auteur nous révèle-t-il que « le Congo Brazzaville, en pleine déconfiture morale, c’est le poids de ses tragédies passées sur sa conscience politiques » (p.65). Se remarquent autour du chef, des privilèges illégaux, ainsi que des patrimoines insensés, une grande fascination qui met la fortune en spectacle. Et le sectarisme est décrié par Dina Mahoungou quand le récit annonce que « les hommes [du mercenaire Sierra léonais Lake Jackson] arrivèrent à Diatakolo, village des Soundi-Mbata (…) armés jusqu’aux dents » (p.73). Pour avoir constaté que le pouvoir de Brazzaville a mené une politique d’extermination de son peuple du sud Congo, Colombiano se transforme en tueur en série sur la place de Paris et sa banlieue pour venger les siens morts au pays. Tous ceux qui ont aidé les dirigeants politiques et militaires dans la guerre de Brazzaville ainsi que les diplomates congolais seront dans le collimateur de Colombiano et ses « impénitents ». Une diplomate congolaise qui avait rendez-vous avec l’ambassadeur de Guinée pour blanchiment d’argent est enlevée. Colombiano tue Anne Léontine, la fille d’un certain Sir Wallace Cornwell mouillé dans le complot de la guerre de Brazzaville. La ministre Elysée Bintou, complice du général président est aussi une victime du héros. Avec les femmes, Colombiano trouve plaisir à montrer son sadisme : il trouve plaisir à leur faire violemment l’amour avant de les tuer froidement : « (…) Madame Bintou ressentit tout ce plaisir douloureux, elle hurla (…) quand la jouissance la submergea (…). Après avoir eu beaucoup de droits sur elle, du cuissage à l’humiliation, il s’apprêtait à lui offrir la cérémonie de la mort » (pp.192-193). Avec le personnage de Colombiano, Ô pays, couleur de cendre peut être défini comme un récit de la mort. Un certain monsieur X, colonel de renseignements au service du pouvoir est exécuté à l’ambassade du Congo. On découvre des corps calcinés au domicile de Colombiano en région parisienne. Le président du Conseil de surveillance du pétrole du Congo ne pourra échapper à la vengeance de Colombiano qui, avant de lui donner la mort, lui rappelle sa complicité avec le pouvoir : « Vous êtes un roumi, un hérétique. Votre fonction est recouverte de sang du peuple congolais » (p. 278). Quelque temps avant, Wallace, le père de Anne Léontine était assassinée dans Paris car ayant travaillé pour le dictateur. Devant ces tueries en cascade, le professeur Macaire Douwélé, aux ordres du pouvoir de Brazzaville, décide de capturer le héros. Mais il n’arrive pas à mettre la main sur Colombiano qui poursuit son macabre désir et tue violemment la femme japonaise du professeur Douwélé. Entouré des chefs de guerre de la cité de Blanc Mesnil et alentour, Colombiano qui a pris entre temps le surnom de l’émir continue à s’en prendre à tous ses ennemis qu’il rencontre à son passage. Et pour se soustraire de la police qui est à sa recherche, il propose à sa nouvelle compagne de lutte, une Somalienne, de quitter le territoire français. Mais cette dernière ne sera pas de son avis. Elle préfère préparer un suicide à deux par le cyanure que l’homme absorbe sans s’en rendre compte. Ainsi va se terminer l’étrange destin de Colombiano qui « meurt sans savoir qu’il est en train de mourir ».

Après son premier roman Agonies en Françafrique, et un recueil de nouvelles Les Parodies du bonheur, l’écriture romanesque de Dina Mahoungou s’affirme comme l’une des révélations de la littérature congolaise. Ô pays, couleur de cendre, un roman polyphonique qui pourrait fournir d’autres thèmes appelant à d’autres analyses. De la thématique, on peut par exemple citer la pertinence anthropologique congolaise, présentée particulièrement dans la première partie du livre. L’auteur promène le lecteur dans presque toutes les régions du Congo, du nord au sud. Ce voyage dans la nature écologique fait écho à la cohabitation entre bantous et pygmées. Ajouté à cela la faune et la flore qui occupent une grande partie du récit et qui pourrait définir cette partie de l’ouvrage comme un éco-roman. Du style du romancier, l’on constate une recherche au niveau du vocabulaire qui se caractérise par sa richesse sémantique. Et le texte exprime la rage des mots d’un homme qui souffre moralement de ce que vit son peuple, un martyre qui le transforme en tueur à travers la plume de l’auteur.

Noël Kodia, critique littéraire et analyste pour Libre Afrique

  1. Dina Mahoungou, Ô pays, couleur de cendre, éd. Edilivre, Paris, 2015, 349p.

« O pays, couleur de cendre », le nouveau roman de DINA MAHOUNGOU

Mama Théotokos, âgée de 90 ans, sur son lit d’hôpital se souvient de son peuple pygmée mis à l’épreuve qui n’a pu triompher du sort auquel les événements l’ont soumis. Elle évoque ce passé grâce à la mémoire d’une personne amnésique. Loin de son pays, réfugié à Paris après de brillantes études d’officier supérieur à Cuba, M’Passi Zi Yokélé surnommé par ses amis de lutte « El Colombiano », cherche son salut au terme d’une difficile errance sur le sol français. Son obsession de vouloir éliminer tous les officiels de son pays en poste en Europe, le conduira à sa perte. Nos deux protagonistes, Mama Théotokos et Colombiano, personnages désabusés, ont des points communs. Ils portent en eux la névrose d’une révolte de millions de personnes, mutilées par la vie dans un continent violent et agité.

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2 réponses à Ô pays, couleur de cendre : le Congo malade de ses politiques ; le roman de Dina Mahoungou

  1. Anonyme dit :

    Merci Dina Mahoungou, une des meilleurs plumes du Congo-Brazza,une fois merci

  2. Bonne année 2016 à tous les internautes de Congo Liberty amateurs de littérature. Je tiens à remercier le docteur Kodia Noël, auteur de cet article, brillant critique littéraire qui depuis longtemps, s’active à faire connaitre notre belle littérature congolaise. Ses analyses pour toute la littérature africaine confondue sont un condensé de pédagogie et de lucidité. Encore mille fois merci, Dieu veille sur nous et la lutte continue !

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