Du côté de Dolisie au Congo-Brazzaville, deux plumes féminines se remarquent par leur écriture incisive et militant : Marie-Louise Abia et Destinée Doukaga qui interpellent le politique pour une prise de conscience nationale. Plongée dans Terre battue, premier roman de Destinée Doukaga.
C’est un récit qui s’ouvre par la fenêtre politique, par laquelle on découvre Melama qui doit se rendre à un meeting pour assister un acteur politique, fondateur d’un parti qui doit distribuer des cadeaux à ses militants. Et quand le récit change de trajectoire diégétique, se découvre une autre personnalité du héros dont le destin sera marqué par moult mésaventures. Il se fait escroqué par le petit Eyand qui lui vole ses bidons d’eau, un cauchemar qui le pousse à aller voir son pasteur afin qu’il le délivre de cette situation maléfique. A partir de ce moment, le narrateur nous fait découvrir le véritable destin du héros. Jeune professeur de mathématiques, Melama va affronter les antivaleurs de la société, plus particulièrement celles du monde de l’enseignement. Il se confronte à l’injustice sociale, quand son ami de jeunesse Mayenewa devenu militaire, l’invite à la cérémonie de la nomination des nouveaux promus. Mayenawa, aidé par son oncle pour son intégration dans l’armée malgré sa faible instruction, est passé au grade de commandant après plusieurs stages. Homme intègre, Melama est obligé de subir la réalité sociale devant la résolution de certains problèmes administratifs. Il doit corrompre des agents de la mairie pour se faire délivrer des documents. Il est lui-même victime de la corruption dans l’exercice de son métier. Son rendez-vous avec son ami Mayenewa qui se termine mal et lui fait découvrir d’autres antivaleurs de la société où l’alcool et le sexe occupent une place primordiale. La fenêtre politique par laquelle nous avions découvert Melama se rendant à un meeting, s’ouvre de nouveau au lecteur avec une marche pacifique qui sera réprimée violemment par le pouvoir. Une faction de l’opposition est soutenue par des étudiants qui dénoncent la précarité dans laquelle ils vivent. Le discours incendiaire et révolutionnaire du leader politique de l’opposition n’est pas toléré par le pouvoir qui réagit brutalement. Sauvé de justesse de la mort après son hospitalisation consécutive aux sévices corporels à lui infligés par la garde républicaine, le leader de l’opposition revient à la raison quand il se voit corrompu par le pouvoir. Et cela va entrainer une dissidence dans son parti qui le traite de traitre et qui se donne un nouveau chef pour continuer la lutte. Terre battue se caractérise essentiellement par un diptyque fondé sur la société africaine et la place de l’acteur politique, deux aspects narratifs qui nous sont présentés par l’univers clos du quartier de Lékoulèbary.
Terre battue ou la société africaine en déliquescence
Le quartier de Lékoulèbary et ses environs nous offrent un tableau sombre et lugubre du social africain. C’est à travers les personnages de Melama et Mayenewa que se révèle l’afro-pessimisme dans le roman de Destinée Doukaga. Aucune perspective d’avenir pour le jeune Melama qui semble embrasser tous les malheurs de son destin. Il habite un quartier sans eau, se fait voler ses bidons d’eau qui lui procure un peu d’argent pour boucler les fins de mois ainsi que ses économies par un petit de confiance de l’autre rive du fleuve : « [Eyang] avait pris les bidons , l’argent des bidons (…), les économies de Melama, avait en suite pris une direction inconnue… » (p.31). Et le malheur du héros se poursuit quand il s’adresse à son pasteur pour le cauchemar des bidons qui ne cesse de le hanter. Mais ne savait-il pas qu’il serait victime d’escroquerie de la part de son pasteur ? Il doit offrir au Seigneur tout ce [qu’il] a de valeureux. Terre battue, un pays où les antivaleurs se manifestent presque dans toutes les couches sociales. La police routière sensée d’appliquer la loi, finit toujours par avoir raison pour extorquer de l’argent aux pauvres transporteurs comme le constate le héros quand il emprunte les transports en commun dans ses déplacements. Tout est déliquescence à Lékoulèbary où Melama se confronte à la pagaille qui règne dans l’administration municipale ; il est obligé de soudoyer une dame pour avoir les documents nécessaires pour sa situation sociale. Mais c’est surtout au niveau des services sociaux comme l’enseignement et la santé que le récit de Destinée nous plonge dans l’afro-pessimisme qui règne au pays de Melama. L’école a perdu ses valeurs éducatives comme on peut le remarquer chez le professeur de mathématiques Melama qui obligé de monnayer, malgré lui, les notes de ses élèves qui le corrompent. Aussi est-il séduit par une élève : « Et ma note ? interrogea essoufflée la gamine éhontée dans l’étreinte de son partenaire qui n’avait eu pour réponse que – On va arranger ça… tellement pris désormais dans la tâche idyllique de leurs ébats » (p.73). Le fossé entre professeur et élève, synonyme de prostitution dans le métier, est comparable aux relations entre médecin et malade dans Terre battue. Le leader de l’opposition admis à l’hôpital après avoir été bien bastonné à cause son discours antigouvernemental pendant la marche populaire, ne peut pas être soigné car les médecins exigent d’abord de l’argent. Des médecins foulant aux pieds le fameux serment d’Hippocrate : « Le personnel médical de l’hôpital général avait exigé le payement des frais de prise en charge au préalable avant l’administration de soins au moribond » (p.108). Et ces antivaleurs sociales n’échappent pas aux dirigeants politiques de Terre battue.
Le politique dans Terre battue
Tout est désenchantement au niveau de l’homme politique dans le récit de Destinée Doukaga qui, avec courage et rigueur, critique le politique dans Terre battue, reflet du politique africain. On laisse se développer le tribalisme et le régionalisme comme on le constate « dans [ce] pays [où] la politique était d’abord une affaire d’appartenance régionale » (p.19). Et c’est à travers le discours du leader de l’opposition que l’on peut vivre la véritable satire du politique africain dans ce roman. Sont décriés dans ce discours le tribalisme dans l’armée et la police ainsi que dans l’administration, la démagogie du politique qui prône l’égalité dans la société alors que leurs enfants étudient à l’étranger où ils vont se faire soigner, évitant les hôpitaux du pays. Ce discours accueilli avec enthousiasme par les étudiants en quête du mieux vivre ne va pas laisser indifférent le pouvoir. Pour le leader de l’opposition, il faut « adopter une loi interdisant aux enfants des membres du gouvernement d’accéder aux universités étrangères » (p.97). A propos de la situation sanitaire, il prend le peuple à témoin : « Combien voit-on de ministres dans les salles de l’hôpital général dans ce pays ? » (p. 98). Et de proposer la création d’ « une armée nationale et non ce groupement de corporations ethniques » (p.100). Stoppée avec force par la garde républicaine, la manifestation se termine mal car il y a beaucoup d’interpellations avec des victimes à la maison d’arrêt, à l’hôpital et à la morgue. Par coup de chance, le leader de l’opposition est secouru par la Croix rouge qui l’a pris pour mort. Il sera sauvé grâce à sa femme qui sera alertée et qui va payer ses factures de l’hôpital.
Unité de lieu dans le roman de Destinée Doukaga
Contrairement à la plupart de ses compatriotes écrivaines et écrivains de la diaspora qui font voyager inconsciemment ou consciemment leurs personnages à travers plusieurs espaces, Destinée Doukaga « enferme » les siens dans un lieu clos. Une caractéristique qui donne une autre dimension au roman congolais qui en général présente une diégèse évoluant dans un univers multiple.
Terre battue rappelle certaines œuvres engagées et engageantes de Marie-Louise Abia(2) comme Afrique : Alerte à la bombe et Ils naquirent libres et égaux. L’ouvrage s’avère riche en thématiques qui peuvent soulever d’autres analyses. Il montre, à partir d’une lecture plurielle, que les femmes s’inquiètent aussi des antivaleurs sociopolitiques du continent qu’elles dénoncent, à l’instar de Destinée Doukaga, en n’y allant pas de main morte.
Noël Kodia-Ramata, Critique littéraire et Analyste pour Libre Afrique
- Destinée Doukaga, Terre battue, éd. du Panthéon, Paris, 2015
- Femme activiste, elle a souvent dénoncé les dérives politiques dans son pays et partout ailleurs en Afrique.
Je m’adresse a DESTINEE DOUKAGA,
Entre-nous Destinee; j’admire toutes tes qualites, sauf que j’ai du mal a te contenir entre:
1- Mecanicien d’instruments de bord avion;
2- Eleve-pilote d’avion;
3- Membre du PCT;
4- Presidente d’un Parti recemment creee.
Maman Marie-Louise ABIA est une combattante reconnue avec une position claire comme l’eau de source; il n’y’a donc pas de comparaison entre vous deux. Tu es notre Soeur et notre Fille, mais d’une dangerosite a na pas negliger quant-a tes rapprochement avec Mme KAMA NIAMA YOUA. Restons Bantous ma Soeur, qui trop embrasse mal etreint!
Le Peuple Congolais meurtri est dans un combat qui est devenu Hautement spirituel; Si c’est pour la publicite de ton savoir intellectuel, franchement tu ne devrais pas avoir ta place ici. Tu ne termines jamais ce que tu fais, quel gachis pour une Technicienne qui devait avoir un Grand nom dans notre Pays!
Si tu t’approches de Maman ABIA, daignes lui demander conseil quant-au terrain sur lequel nous t’attendons; et si c’est toujours ton orgueuil que tu places devant, s’il te plait, casses-toi. Meme a l’Armee de l’Air tu as laisse une mauvaise reputation. Attention le monde change et le Congo aussi. Cette forme d’anti-valeur et de gaspillage d’argent du Congo par des personnes qui ne terminent pas ce qu’elles ont commence et la ou le Congo a trinque, vous rendrez des comptes: meme toi.
J’ai dit et tu sauras que c’est une Personnalite qui te connait tres bien. MINGWA qui t’a cede cette page et qui est un Homme engage pour la cause Juste, devrait mieux te connaitre.
Sans Rencune!
A Anonyme
La comparaison entre les deux auteures se situe au niveau des idées que développent leurs personnages au niveau de leur création littéraire, Un style imposant chez nos deux auteures. Bravo pour la littérature qui explose au niveau des femmes. Quant aux idées politiques, c’est une autre histoire.