Voici un recueil de poésie qui a bousculé notre regard de critique car sortant des sentiers battus hérités des classiques. Avec Mon cœur, ma plume et ma muse s’amusent, chaque amateur de poésie a sa part de visibilité. Car son contenu se repose sur le travail des mots qui, souvent, nous imposent une nouvelle attitude dans l’acceptabilité de son lyrisme dilué plus dans la forme que dans le fond. Au niveau de la thématique, l’évocation sociale et sociétale de l’homme et de la femme n’échappe pas au poète. Et la présence récurrente de son continent avec quelques figures ayant marqué notre histoire, se découvre aussi dans la poésie de Pierre Ntsemou.
La société et ses identités
Ce recueil de poésie s’ouvre par une réflexion didactique du livre, réflexion que le poète situe dans l’imaginaire de l’enfance. Aussi, on remarque que tout enfant est poète sans qu’il le sache ; et ce n’est qu’avec le temps et l’âge qu’il découvre « son cœur, sa plume et sa muse qui s’amusent » à certains moments quand il découvre à son tour le livre :
« L’ouverture solennelle de tous les livres qui pleuraient
Dans les placards prison où la phobie de la lecture les clouait
Libéra la muse et le lyrisme des mordus de la danse des mots » (p.11)
Et la découverte de la poésie à travers certains livres, ouvre d’autres horizons aux lecteurs pour les soigner de l’ignorance qui souvent nous accompagne pendant un certain moment de la vie :
« La pire des maladies de notre siècle appelée l’ignorance
L’histoire du livre et ses lecteurs est une école de l’excellence » (p.12).
Et se dégage dans « L’évènement du mercredi » les bienfaits de la lecture.
L’homme dans la société est surtout marqué par la présence des figures qui ont laissé leur nom dans l’histoire du continent. Une gloire est mise en exergue par le poète pour ne pas les oublier dans la lutte qu’ils ont menée pour l’émancipation de l’Afrique. Un pan de l’évolution de l’histoire déjà visité par les poètes et écrivains de la première génération, revient souvent dans l’inspiration contemporaine :
« Au-delà des mers et des océans
L’amertume et la nostalgie conjuguées au climat barbare
Des maîtres du fouet dans les champs
De canne à sucre » (p.51)
De l’histoire du continent, surgissent chez le poète quelques souvenirs indélébiles comme l’image de quelques héros qui sont toujours présentes dans nos mémoires. Et l’héroïsme de l’Africain se résumerait en deux emblématiques noms :
« L’homme noir n’a pas un cœur noir
Et Mandela est là
Pour dire à son fils Obama
Que la peau le cœur et le sang humains
Sont entre les tropiques en deçà et au-delà
Des dons divinement sacrés
Qu’il faut protéger de l’agression sauvage
Des êtres qui se sont trompés de continent et de planète » (p.51)
De l’Afrique, le poète jette un regard sur certains pays qui ont marqué son destin de voyageur. Du côté de l’Afrique de l’ouest, il est émerveillé par le pays d’Houphouët :
« Côte d’Ivoire ma chère
Reviens à tes amours et pour toujours
Tu es la fée de mes rêves
Dis à tes courtisans que tu es désormais reconquise
Par ton prince charmant héritier d’Houphouët » (pp.48-49)
Du côté de la Guinée qui a éclairé les années scolaires du poète, c’est le roman de Camara Laye, un classique de la littérature africaine, qui est toujours présente dans son esprit :
« À l’école primaire tu as dompté mon esprit grégaire
Comme l’enfant noir de Camara Laye » (p.72)
Et l’image de la Guinée sera plus tard mise de nouveau en exergue par un autre grand écrivain de la nouvelle génération :
« À l’université le jeune homme de sable de William Sassine
M’a ouvert son grand cœur » (p.72)
De son Afrique centrale, le poète retient le côté musical de l’autre rive du majestueux fleuve Congo. Dans « Kin la belle des belles », est décrite la vie mondaine de Kinshasa avec ses virtuoses et ses musiques qui créent dans cette ville un paradis terrestre :
« Ville électrisante se déhanchant avec la grâce du soir
Pour mieux aguicher les Brazzavillois sapeurs et frimeurs
Au temps du chachacha de la rumba du Boléro du Polka piqué
Du Pachanga du Charanga du Mérengué du Kirikiri
D’African Djazz de Fiesta national et Sukissa d’heureuse mémoire
Et tutti quanti de tes rythmes langoureux et mélodieux
Avec tes tours de reins étourdissants » (p.73)
Mais, c’est à partir du Sénégal, sa deuxième patrie africaine qui l’a plus hébergé au cours de ses séjours à l’étranger, qu’il clame, lors d’une « fête du livre », son africanité de Sénégalais d’adoption dans un poème intitulé par enchantement « Sénégal » :
« Sénégal ! Sénégal ! Sénégal !
Trois fois j’ai crié ton nom en rêve (…)
Et voici que le livre m’offre le bonheur
De vivre mon rêve de caresser la crinière
De ta Téranga ton Egrégore de lumière (…)
Sénégal ! Congo ! Guinée ! Mauritanie ! Gambie !
Mali ! Burkina faso ! Gabon ! Maroc ! Cameroun
Côte d’Ivoire ! Togo ! Tchad ! Tunisie ! Algérie !
Tous dont le cœur au mien entiché a pu se laisser séduire
Allez dire aux peuples dont vous êtes les ambassadeurs
Du livre du lire du sourire du rire du délire » (pp.91-92)
Du côté de l’histoire des hommes illustres, le poète, dans un long discours, nous retrace le mouvement littéraire français et francophone (pp. 32-45). Se révèle dans les méandres de l’évolution de la littérature française du Moyen Âge au siècle dernier, une littérature qui a marqué les pays des autres continents, en particulier l’Afrique, qui ont baigné dans cette littérature par le biais de la colonisation.
Une poésie multidimensionnelle dans l’œuvre de Pierre Ntsemou
Les textes de ce recueil évoluent sans aiguillage thématique : la nature des hommes avec leurs valeurs et antivaleurs, l’amour du livre, l’amour de la femme dans toutes ses dimensions sociales.
Femme maman :
«Mère chérie comment te dire le cri de mon cœur ?
Mère chérie comment te renvoyer cet ascenseur de bonheur ? », (p.22)
Femme amour passion :
« La caresse dans la nuit des désirs
Fait oublier les fruits du plaisir
Du jour chaud comme un four
Et la tiédeur de tous les amours » (p.15)
Dans sa poésie, Pierre Ntsemou n’échappe pas aux bouleversements sociaux. Aussi, fustige-t-il certaines antivaleurs qui se développent dans la société congolaise :
« Pour pousser mon dossier
Dans ce manège grossier
Où il faut mouiller la barbe
De ces gens barbares » (p.80)
Du temps poétique au temps du récit : une caractéristique de Pierre Ntsemou
Généralement le message poétique s’écrit au présent ou au futur, gardant ainsi un sentiment vif entre le poète et son interlocuteur. Ainsi le message poétique se veut être un discours lyrique, émotionnel, souvent traduit par les temps du discours comme le présent, le futur et le passé composé… comme on le remarque ici dans la majorité des textes :
« Seigneur accorde aux hommes le pardon de l’agression
Ils sont certes bien pauvres en esprit et en méditation
Pourtant ne leur inflige pas cette redoutable punition
Console-les pardon par une absolution ultime solution » (p.60)
Avec Pierre Ntsemou, beaucoup de textes se conjuguent au passé, passant du temps poétique (temps du discours) au temps du récit ; et le texte garde sa valeur au niveau de la versification que le poète respecte sans ambages :
« Il aboyait par habitude et sans jamais un jour mordre
Eduqué par son maître à toujours respecter l’ordre
Il croquait un os dur même quand il avait obéi au roi
Et le roi pingre un jour en eut pour son compte et ses lois » (p.20)
Pour conclure
Mon cœur, ma plume et ma muse s’amusent, ouvre une nouvelle page de la littérature congolaise avec des textes qui respectent surtout quelques règles élémentaires de la versification. Si dans les 46 poèmes qui constituent ce recueil, le lecteur est marqué par les sentiments (joie, douleur, inquiétude…) qui le font entrer dans le fond des sujets traités, avec Mon cœur, ma plume et ma muse s’amusent, il se voit interpelé par la forme, par le jeu des mots et sonorités qui donne un autre sens à la poésie congolaise.
Noël Kodia-Ramata
- Pierre Ntesmou, Mon cœur, ma plume et ma muse s’amusent, chez l’auteur, 2019
Que vivent les écrivains congolais !
Et bien des choses à toi, Monsieur NKODIA RAMATA Noël, à très bientôt !