Hier, la conférence de Berlin a organisé la balkanisation de l’Afrique et opéré un partage de l’Afrique au profit de l’Europe, dans un esprit de domination et d’exploitation de ses richesses. La colonisation, justifiée comme mission civilisatrice, fut l’instrument du pillage, et le massacre de résistants fut systématique.
Des régions entières furent occupées, et les noms que les colons donnèrent à certains lieux occupés sont évocateurs de leur intérêt : Gold coast (Côte d’or) Côte d’Ivoire (Côte de l’Ivoire). Certains lieux non identifiables par des richesses particulières prirent les noms des fleuves : Haute Volta (le fleuve Volta), Sénégal (Piroguier), Zambie (le fleuve Zambèze), Congo (le fleuve Congo), Niger ou Nigeria (le fleuve Niger), etc.
Ces noms ne correspondent à aucune réalité, ne caractérisent aucune réalité locale si ce n’est qu’ils servent de repères à l’administration coloniale et impérialiste. Cependant, le besoin de se faire comprendre et de disposer d’une main-d’œuvre locale bon marché et de serviteurs appropriés, a poussé les colons à éduquer les colonisés dans leur culture en ouvrant des écoles pour indigènes.
Certains indigènes les surprirent par leur intelligence et leurs capacités d’adaptation, et furent admis brillamment dans les écoles de la métropole. Non seulement ces indigènes entrèrent en compétition avec les détenteurs de « la nouvelle culture », mais aussi et surtout ils accédèrent à la philosophie de la pensée coloniale, à la relativité des cultures et des dogmes.
Ils acquièrent les instruments intellectuels de leur prise de conscience, de leur différence que « l’assimilationnisme » des colonisateurs voulut masquer. Ce fut le début du débat sur l’identité qui poussa les intellectuels africains de cette génération à de plus en plus de revendications d’autonomie existentielle de leur région d’origine, dans un contexte de guerre froide, et soutenus par les populations locales de plus en plus excédées par les agissements des colons. C’est cette prise de conscience qui conduira à l’avènement des indépendances « chacha1» des années 60, dans une ambiance de naïveté et de rêve de devenir des Etats à l’image des pays des colonisateurs. Mais les colons, conscients des risques de perte de leurs intérêts, récupérèrent certains intellectuels africains avides de pouvoir et les transformèrent en valets, en leur mettant à disposition des moyens pour obstruer et briser cet élan de nationalisme exigeant l’indépendance intégrale. Dès lors, l’Afrique connaîtra deux courants politiques :
L’indépendance « chacha » au service des colons par valets africains instrumentalisés et placés à la tête de pseudo-Etats dont les richesses sont pillées, et dépendant en retour des miettes résiduelles de la générosité des pilleurs.
L’indépendance véritable au service des populations sur la base de la fondation d’un Etat et d’une nation dont les principes reposent sur la souveraineté, fondée sur la rupture d’avec la pensée de la suprématie coloniale au profit d’une autonomie au service du développement, et la culture africaine capable de projection et porteuse d’un projet d’avenir.
Le dernier groupe d’indépendantistes sera combattu de l’intérieur par les valets sans pitié, et de l’extérieur par les colons et leurs héritiers.
Aujourd’hui, au bilan, comme dirait l’écrivain Bernard Dadié2, quel destin voulons-nous pour l’Afrique ?
Sommes-nous prêts à nous battre pour l’Afrique, pour la souveraineté des Etats Africains ?
Sommes-nous capables de refonder notre histoire commune avec nos historiens et géographes, nos scientifiques, nos philosophes, nos littéraires, nos économistes, nos ingénieurs, nos psychologues, nos artistes, etc. ?
Actuellement, ce qui se passe sous nos yeux est que des puissances étrangères bombardent des Etats souverains sous le manteau de l’Onu ; l’Onu sensée être le modérateur des ardeurs belliqueuses au nom de la paix, et garantir ainsi la légalité, la souveraineté des Etats membres. Au lieu de cela, que constatons-nous ? L’Onu est un instrument de domination des puissances impérialistes.
L’Afrique, continent faible des Etats faibles parce que mal organisés, remet constamment à demain la question de son unité, sans aucune manifestation de désir et de volonté de puissance. Cette impuissance fait de l’Afrique la proie la plus facile des prédateurs occidentaux. Même le soleil des indépendances « leurres » ne nous a pas éclairés, réchauffés. Au contraire, il nous a éblouis et a déclenché en nous des comportements aberrants.
Certains de nos intellectuels parviennent même, nous ne savons par quelle prouesse, à défendre ceux qui ont fait et qui font encore que « les Mamadou et Bineta3» que nous sommes ne deviennent jamais grands. Ces intellectuels sont les seuls à comprendre et justifier leurs comportements absurdes, inintelligibles pour parler comme le philosophe.
La question essentielle pour nous est de savoir comment nous, les « Mamadou et Bineta », faisons notre révolution copernicienne pour devenir grands, et vaincre l’immobilisme dans lequel notre nanisme politique nous fait poiroter.
Notre continent, par sa morphologie, nous appelle à l’unité et à la refondation du regard que nous portons sur nous-mêmes pour construire l’unité et l’indépendance des Etats, en nous appuyant sur les Etats émergeants africains comme l’Afrique du sud, l’Algérie, etc. pour créer un cadre communautaire de décision unitaire et visionnaire.
Cela, pour recadrer les missions de l’Union africaine en y introduisant une nouvelle dynamique s’inspirant de l’expérience récente de l’invasion des Etats souverains, la Côte d’Ivoire et la Lybie ; afin de développer une attitude face à la permanence de cette menace qui pèse sur tous les Etats du continent.
La question de la souveraineté des Etats doit nous préoccuper, car elle est fondamentale dans la mesure où elle consacre notre indépendance. La souveraineté d’un Etat repose sur le respect de sa Constitution, la boussole par laquelle toute résolution des conflits, internes et externes à un Etat, doit être négociée.
Tout conflit doit être négocié en tenant compte de la Constitution des États, donc du respect des peuples à l’autodétermination et du respect de l’indépendance des Etats. La coopération internationale doit intervenir dans ce processus et apporter une assistance médiatrice.
L’Union africaine (Ua) doit s’autosaisir pour mettre en commun les préoccupations et trouver des solutions aux conflits en Afrique. L’Ua doit avoir un droit de veto contre toutes pressions extérieures à l’Afrique. Quelle organisation africaine, voire internationale, influence-t-elle les décisions de l’Union européenne (Ue) ? L’autonomie de l’Afrique n’est pas une fantaisie, une mode, mais plutôt une nécessité vitale pour les Africains. Organisons-nous pour la souveraineté de nos Etats. L’Ua ne peut pas être une organisation africaine sans qu’elle ne prenne le devant du combat pour la dignité de l’Afrique.
Nous consacrons le deuxième numéro de notre revue à la souveraineté des Etats africains et de l’Ua, parce que la souveraineté des Etats africains doit s’appuyer sur l’organisation africaine pour donner une impulsion solidaire à la protection des Etats qui veulent assumer leur indépendance.
La souveraineté des Etats nécessite une conscience indépendante et claire de nos indépendances. C’est elle qui nous permettra d’assumer la vision africaine du monde et mettra fin au suivisme qui, assurément, va contre les intérêts de l’Afrique. Nous ne devons pas prendre toutes les inventions des Occidentaux, pour se protéger et faire prospérer leur hégémonie, pour de l’argent comptant. Après la deuxième guerre mondiale, ils ont inventé l’Otan, l’Onu en créant un conseil de sécurité et de la paix pour eux-mêmes qui avaient été les acteurs-vainqueurs des deux guerres dont la perte en vies humaines, y compris africaines, est au-delà de toute estimation.
Nous les avons suivis ! Ils ont créé le Fond Monétaire International, la Banque dite Mondiale, l’Omc, la Cpi, le G8, le G7, le G20, la Francophonie, le Commonwealth, etc. Ce que nous constatons est que nous universalisons ce qui leur est particulier. Nous ne nous posons pas la question de savoir qu’est-ce qui de l’Afrique est pris comme universel. Rien, parce que nous ne nous donnons pas les moyens d’affirmer notre ‘‘être au monde’’ aux autres de façon différentielle.
La démocratie nécessaire à l’Afrique est vue comme un monothéisme politique. Et pourtant, les modalités variables de la démocratie nous montrent chaque jour qu’elle se construit quotidiennement sur consensus du jeu démocratique où les joueurs doivent être des démocrates et non des rebelles et des putschistes. En France, le Front National est combattu et marginalisé pour ses idées. Cependant, il ne viendra jamais à l’esprit des leaders de cette formation politique de financer une rébellion pour prendre le pouvoir en France. Ceci parce que tout le monde a accepté les modalités culturelles de la démocratie Française.
Allons à l’essence de la démocratie en Afrique en construisant les modalités culturelles. Car c’est à ce niveau que la démocratie allemande n’est pas la démocratie française, la démocratie belge n’est pas la démocratie britannique, la démocratie espagnole n’a rien de la démocratie grecque, la démocratie américaine n’a rien de la démocratie japonaise, la démocratie chinoise n’a rien de la démocratie brésilienne, etc. Par la suite viennent les théories politiques qui soutiennent ces formes de démocratie.
L’Afrique a besoin de visionnaires, de théoriciens, d’analystes stratégiques autocentrés.
Nous savons, eu égard à ce qui précède, qu’il n’y a pas d’universalité dans ce domaine de la démocratie.
Il est temps de nous débarrasser des idées reçues d’apprenti afin de faire la promotion de notre savoir-faire. Car, le développement viable et durable de l’Afrique est intimement lié à son unité et au génie de son entreprenariat endogène, donc continental.
Les chefs d’Etats africains qui n’ont pas compris cela font fausse route et doivent s’accommoder de cette réalité, sinon ils gouverneront par la dictature, donc contre la volonté des peuples, et subiront à tout moment le chantage des prédateurs occidentaux. Il faut combattre et rejeter l’idée d’une Afrique blanche et d’une Afrique noire, c’est un « attrape-nigaud » comme on dit dans les milieux populaires. Il n’y a pas d’Afrique blanche et d’Afrique noire, il y a un continent peuplé par des Africains noirs et blancs. Ce qui est important pour nous est que nous avons un continent avec plus d’un milliard d’habitants qui ont besoin de bien vivre à partir de la réalité africaine.
Cette vision unitaire seule est capable de consacrer l’unité africaineafin de garantir la puissance africaine à partir d’attitudes et d’aptitudes communes, et non le contraire, comme le pensent les « balkanisateurs » de l’Afrique selon lesquels il existerait une Afrique blanche, une Afrique noire. Ne nous laissons pas distraire. Il nous faudra parvenir à nous convaincre que le monde n’appartient qu’à l’audace. Soyons donc audacieux pour organiser l’avenir de l’Afrique et l’assumer.
Un continent ne peut être aux ordres des Etats-pays. Allons plus loin pour brandir notre existence comme donnée incontournable. Nous ne serons rien dans le monde tant que l’Afrique demeurera balkanisée. Et notre Afrique continuera à subir les assauts meurtriers du nouvel « humanisme » militaire honteux des puissances impérialistes occidentales couvert par ce qu’ils appellent le ‘‘droit d’ingérence’’.
Le monde qu’on nous présentait comme meilleur se trouve aujourd’hui à la croisée des chemins. Devant la peur des menaces de l’effondrement de leurs systèmes, les pays occidentaux n’ont plus de possibilité de survie sans la violence d’un humanisme menteur et faussaire sur l’Afrique et en Afrique. C’est pour cette raison qu’ils considèrent notre nationalisme et notre ‘panafricanisme comme des dangers pour leur survie.
Si nous voulons réellement vivre, battons-nous pour être affranchis afin d’agir pleinement. Notre survie en tant que continent dépend de notre prise de responsabilité pour être nous-mêmes. Ce n’est pas un combat facile, mais il est historiquement indispensable pour être soi-même demain, au lieu d’être, pour toujours, un instrument au service des autres.
Nous ne pouvions clore ces lignes sans remercier nos lecteurs qui nous ont écrit et téléphoné pour nous féliciter et nous encourager et même proposer leur disponibilité.
C’est une aventure dans laquelle vous et nous, sommes engagés pour nos libertés. La rédaction et toute l’équipe de « Respectez l’Afrique » savent qu’ils peuvent désormais compter sur vous.
Ensemble, nous irons loin pour l’avenir de l’Afrique. Cette dynamique nous aidera à transformer pédagogiquement les regards méprisants portés sur nous, en admiration, parce que nous l’aurions voulu par nos agissements engagés de façon permanente.
1 Expression ironique utilisée pour désigner les « indépendance s leurres » de certains pays africains pleines de naïveté des années 1960 principalement au Congo
2 Bernard Dadié : Quel destin voulons- nous ? in revue Respectez l’Afrique n°1 pp 117-124 Edition L’Harmattan
3 Mamadou et Bineta apprennent à lire et écrire syllabaire de A.Davesne Edition Edicef(1970) Vanves France. L’ouvrage est utilisé dans l’enseignement. primaire en Afrique occidentale francophone pour apprendre à lire et à écrire le Français
Éditorial de l’ouvrage :
Par Anatole Nemekou » Directeur de publication de la revue Respectez l’Afrique »
Diffusé le 8 mai 2013, par www.congo-liberty.org
Les Africains doivent se reveiller et faire bloc a cette nouvelle forme de pillage et criminalite de l’occident
Pour se reveiller,nous devons commencer par revaloriser nos langues.