
Voici un roman de Mariel Sigogneau qui ferait pleurer des adolescentes françaises qui, contre vents et marées, ont aimé des hommes de couleur. Avec leurs larmes, elles pourraient écrire des histoires des véritables amours qui ne connaissent ni frontières, ni couleurs.
Adolescente, la petite Marie tombe enceinte de son premier amour Paul, un jeune Français noir de la Guadeloupe. Stupéfaction dans son « milieu des Blancs » qui n’accepterait pas la venue de cet enfant métis. Malgré son désir de garder sa grossesse, elle est forcée, pour des raisons rétrogrades et racistes, d’accepter l’avortement que lui impose paradoxalement l’Assistance sociale. Quelques années après, quand elle devient assez mûre, elle peut maintenant se responsabiliser, après un autre malheureux avortement. Avec sa troisième grossesse, il donne enfin naissance à son premier véritable enfant, toujours avec Paul qui a été accepté par ses parents. Aussi, à l’hôpital où elle a accouché de la petite Perle, aux côtés d’Anne, une autre femme qui, elle aussi, a donné naissance à un petit garçon et à qui elle relate son passé, lui reviennent les heurs et malheurs de sa vie antérieure. Et le lecteur de plonger dans un roman qui semble avoir comme centre névralgique le personnage de Marie.
Marie, une enfance heureuse
C’est une fille qui est aimée par ses parents, sa maman lui fait des cadeaux pour sa future maternité que son père ne pourra savourer car emporté très tôt par la maladie. Marie vit avec ses frères et sœurs avec lesquels elle s’entend agréablement. Une enfance heureuse dans la cité des 4000 où le racisme n’existe pas : « (…) elle et les autres gamins avaient grandi dans leur monde, un monde mixte (…) où chacun allait chez les uns et les autres, où le mot racisme n’existait pas » (p.129). Le bonheur de l’enfance de Marie, c’est aussi le début d’un flirt mal négocié avec un garçon de la cité qui lui plait, mais qui, malheureusement est le petit copain d’une de ses amies, Corinne. Son amitié avec Samir que ce dernier voudrait transformer en amour lui laisse un goût amer du flirt. Et le premier baiser, qui parait normal et sentimental pour ses amies, sera dégoûtant pour elle quand, contre toute attente, Samir va l’embrasser : « il m’a embrassée de force en faisant pénétrer sa langue. J’étais surprise et écoeurée par ce qu’il venait de faire » (p.181). Son enfance ne subit pas une fausse note jusqu’à seize ans quand elle quitte l’école car ne voulant plus continuer ses études, ses parents ne s’opposant pas à son projet de chercher du travail. Aussi, le bonheur de l’enfance continue avec un certain Paul, son véritable premier amour.
Marie et Paul, un couple heureux
Un couple interracial que les parents des deux tourtereaux ont accepté. Marie s‘est intéressée à Paul dans une cité où la couleur de peau ne pose pas de problème dans l’univers juvénile. Quand sa mère soupçonne qu’elle a un petit ami qui tournerait autour d’elle, Marie ne peut s’empêcher de se confier à elle, même s’il s’agit d’un garçon de couleur : « Maman, c’est un Antillais, c’est une île française, la Guadeloupe » (p.109). Plus de peur que de mal, le père de Marie ne pourra constater que le bonheur de sa fille avec son homme de couleur quand celui-ci acceptera de fréquenter la famille : « Ils se voyaient toujours autant, il était apprécié de toute la famille et surtout du père de Marie » (p.112). Ayant jeté dans l’oubli les tenants et les aboutissants de ses deux premières grossesses non arrivées à terme, indépendamment de sa volonté, Marie retrouve le bonheur dans les bras de son homme avec l’heureuse nouvelle qu’elle lui apprend. Et celle nouvelle est mise en relief dans le rappel de son passé à Anne, son amie de circonstance à l’hôpital : « [Marie] lui raconta comment elle avait appris sa deuxième grossesse à la campagne, le bonheur de Paul en voyant le test jusqu’aux visites avec sa gynéco (…). Ils vivaient heureux à Bagnolet » (p.152). Mais ce bonheur du couple sera traversé par des périodes sombres, tristes et noires avant de retrouver sa vitesse de croisière avec la venue au monde de leur fille Perle.
Marie : des souffrances avant le bonheur
Rares sont les moments de bonheur qui n’ont jamais été précédés par des douleurs. Le destin de Marie ne fait pas exception avec les souffrances consécutives aux deux avortements qu’elle subit malgré elle avant de se découvrir véritablement maman avec la naissance de Perle. Encore dans l’adolescence, alors qu’elle tombe en grossesse, Marie est interpellée par l’attitude rétrograde de son assistante sociale qui ne semble pas être d’accord avec cette jeune fille qui voudrait bien avoir son enfant, leur enfant avec Paul : « Marie, je vais te parler comme ma fille. Voilà, je pense que tu fais erreur en voulant garder cet enfant » (p.57). Naïve, la fille ne comprend pas l’attitude de l’assistante sociale qui veut à tout prix aller jusqu’au bout de sa logique. La rencontre avec son gynécologue va dans le même sens que celui de l’assistante. Malgré son désir de garder sa grossesse, le contraire lui est proposé : « (…) mais c’est notre devoir de veiller sur vous, de vous informer des problèmes d’une naissance arrivant trop tôt à votre âge » (p.67). Mais, c’est au cours de la discussion avec sa gynéco que Marie comprend la perversité de la société multiraciale dans laquelle elle vit, perversité que la gynéco va dévoiler sans fausse honte : « Marie, imaginez-le, ses parents venant le chercher, un enfant ni noir ni blanc » (p.73). Peine perdue, la pauvre Marie subira, malgré elle, cet avortement qu’elle ne voulait pas. Aussi, ses malheurs ne font que continuer en imaginant son enfant métis martyrisé, sans défense dans une société généralement monocolore. La pauvre môme aura du mal à chasser de son esprtit, cette image de son avortement « obligé » : « Elle émergea de son brouillard (…). Ses deux jambes toujours douloureuses dans les étriers comme pour un accouchement. Elle aurait dû être là pour cela, et pas pour faire l’inverse » (p.91). Comme il n y a jamais un sans deux, Marie va de nouveau se retrouver à l’hôpital pour un autre avortement que lui impose la main sale du destin. Quelques années après, de nouveau enceinte de Paul, elle rend visite à ses parents Mais sur le chemin de retour, elle se retrouve au mauvais moment dans un bus où une altercation, entre le chauffeur et une bande de voyous, oblige ce dernier à se diriger vers un commissariat de police. Sur le chemin de la maison, elle est agressée par une bande de garçons et filles (la même que celle du bus ?) : « En quelques secondes, j’ai réussi malgré les douleurs à crier à une fille qui me tenait les mains derrière que j’étais enceinte (…). Il y avait un garçon qui me donnait des coups de pied partout » (p.156). Sauvée de justesse par deux hommes qui passaient par là et qui l’emmènent à l’hôpital, elle va, une fois de plus, souffrir le martyre en perdant sa grossesse. Et c’est une autre souffrance qui va marquer son destin de femme avant de retrouver le bonheur tant attendu avec sa troisième grossesse qui ira à terme avec la naissance de la petite Perle.
La Môme des 4000 : quand le présent se voit interpellé par l’analepse
Au présent de l’hôpital où elle a accouché de Perle, revient à tout moment quelques pages du passé de son destin dont elle fait la lecture à son amie Anne. Du point de vue du style, le texte de Mariel Sigogneau évolue par enchâssements. Du récit de sa présence à l’hôpital, émergent par moments ses souvenirs d’enfance. Ce récit se voit traverser, à certains moments, par ses heurs et malheurs qu’elle raconte à Anne qu’elle a rencontrée à l’hôpital. Ces segments narratifs enchâssés se remarquent surtout dans la dernière partie du récit des événements passés que Marie rapporte à Anne. Le texte passe du passé simple, qui est plus près du présent, à l’imparfait et au plus-que-parfait pour nous plonger dans le lointain de ses souvenirs : « Marie n’oublia aucun détail, elle raconta comment elle avait appris sa deuxième grossesse (…). Ils vivaient heureux à Bagnolet » (p.152). Aussi, pouvons-nous dire, par la présence de l’analepse, que ce roman est une histoire dans une autre histoire, plus précisément l’histoire du passé dans l’histoire du présent.
La Môme des 4000 : un roman raciste ou antiraciste ?
Ce roman pourrait se définir, grosso modo, comme une présentation d’une société interraciale du côté de la cité des 4000. Un sentiment de raciste se révèle au niveau des services de l’Assistance sociale car la grossesse de Marie n’est pas acceptée à cause de l’éventualité de l’enfant métis qu’elle engendrerait. Dans cette cité du 93 où il y a une cohabitation interraciale, se dégage aussi un réflexe de racisme au niveau des policiers qui y patrouillent : « Marie se rappelait aussi que parfois la police en profitait pour faire du zèle en les voyant(…). [Elle] se disait tout bas : Mais qu’est-ce que qu’ils sont stupides (…) que je justifie d’être avec Paul ! » (p.112). En général la frontière, entre l’auteur et ses personnages dans un roman, est souvent vue au niveau du référentiel. Si Marie pouvait réellement exister, elle annoncerait à la fin de ses mésaventures : « J’ai vécu dans cette cité des 4000 ; j’étais avec des Juifs, ds Arabes et des Noirs. Ils constituaient, avec moi, une seule race : la race humaine. Et c’est pourquoi j’ai aimé Paul ».
Après quatre autoéditions, Les poèmes de Petite Fée, Vers le doux chemin de mes mots, À l’aube où ma plume s’endort, La Clé d’un bonheur caché, Mariel Sigogneau se découvre comme véritable romancière avec La Môme des 4000. On peut dire, qu’après le Nouveau roman des années 50-70 du groupe d’Alain Robbe-Grillet et Claude Simon, pour ne citer que ces deux ténors, qui avaient mis en cause le réalisme du XVIIIe et au XXe siècle, Mariel Sigogneau apparait comme l’une des romancières qui nous fait redécouvrir ce réalisme romanesque en ce XXIe siècle.
Noël Kodia-Ramata
(1)Mariel Sigogneau, La Môme des 4000, éditions LC, Paris, 2019, 16€