INTERVIEW EXCLUSIVE DE THOMAS MELONIO,DELEGUE AFRIQUE AU PS: sa vision sur les relations Franco-Africaine

Thomas Mélonio , est économiste, spécialiste de l’Afrique et des questions de développement, il travaille en particulier sur les méthodes de valorisation du capital humain. Animateur du cercle de réflexion « A gauche, en Europe », co-fondé par Dominique Strauss-Kahn, Pierre Moscovici et Michel Rocard. Oeuvre aujourd’hui à la structuration d’un mouvement social-démocrate au sein du parti socialiste. Il est délégué national en charge de l’Afrique au PS et représente à ce titre le PS au comité Afrique de l’Internationale socialiste.

Congo-liberty : Vous êtes délégué Afrique au Parti Socialiste Français (PS). Pouvez-vous nous dire quel est votre champ d’action, et en quoi consiste ce poste ?

Thomas Mélonio : Précisons d’abord qu’il s’agit d’une fonction bénévole, pour tordre le cou à beaucoup de fantasmes. Concrètement, lors de chaque congrès, la direction du PS est renouvelée. Un responsable des relations internationales est choisi par le Premier secrétaire, puis une équipe est constituée autour de ce secrétaire national. Je suis responsable depuis 2006 des relations avec les partis politiques africains, mais aussi de faire des propositions pour définir les expressions du PS (communiqués de presse, éléments de réflexion pour alimenter le programme). C’est une fonction qui nécessite de recevoir beaucoup de personnalités africaines, mais aussi des intellectuels qui réfléchissent sur l’avenir du continent ou encore d’ONG ou de professionnels qui y opèrent.

Congo-liberty : Lorsqu’on est un jeune politique comme vous, comment fait-on le choix de se spécialiser sur les questions africaines, et de la coopération ? Autrement dit, quelles sont vos motivations ?

Thomas Mélonio : Je pense que pour un socialiste, qui a dans son ADN la question de la solidarité et de la réduction des inégalités, il est naturel de s’intéresser aux questions de développement, car pourquoi l’idée de solidarité serait-elle limitée au sein des frontières nationales ? Mais au-delà de ces généralités théoriques, il est évident que j’ai dans mon parcours personnel connu plusieurs épisodes qui m’ont amené à m’intéresser à l’Afrique. J’étais par exemple encore adolescent et habitais à Vincennes (Val de Marne) au moment de l’installation de familles maliennes sur l’esplanade de la mairie. Je garde un souvenir très net des enfants qui y vivaient dans des tentes, souvent faites de grandes bâches. Je me souviens d’avoir été frappé par cet épisode, moins par le débat sur l’immigration qui s’en est suivi, et qui me dépassait un peu, que par le sentiment d’injustice pour ces enfants ou adolescents qui n’avaient pas les mêmes chances que ceux du reste de la ville. J’avais d’ailleurs des amis africains au collège pour me sensibiliser sur cette question. Plus tard, j’ai développé un intérêt culturel (à travers la revue Afrique contemporaine que j’ai co-animée pendant plusieurs années) et professionnel pour l’Afrique, de manière sans doute plus classique pour ceux qui travaillent dans le secteur du développement.

Congo-liberty : La pertinence des propos de votre Essai intitulé «  Quelle politique africaine pour la France en 2012 ? », m’emmène à vous posez la question de savoir, si c’est un travail d’intellectuel, c’est-à-dire une opinion personnelle, ou si c’est une base de travail du PS ?

Thomas Mélonio : C’est un travail personnel, mais public, qui a vocation à lancer des débats. Mais il est évident que François Hollande, comme candidat du parti socialiste, définira lui-même ses propositions, en arbitrant entre ses propres idées et celles qui lui sont suggérées par son équipe, dont je fais partie.

Congo-liberty : Comme un avertissement, dans l’introduction de votre Essai, vous dites que celui-ci se focalise sur les sujets qui fâchent, alors parlons-en !

Pensez-vous que la France et ses anciennes colonies n’ont jamais soldé leurs contentieux historiques sur la colonisation ? Si oui, lesquels, et comment procéder ?

Thomas Mélonio : Il y a d’abord un travail de mémoire à faire. Cette charge incombe aux historiens, bien sûr, mais les élus de la République doivent aussi être capables de dire les choses. De reconnaître que la colonisation représentait, politiquement, un système détestable : inégalités de droits, de conditions, violences… Je ne crois pas qu’il soit rabaissant de reconnaître les erreurs commises par un Etat dans le passé : il ne s’agit pas de stigmatiser telle ou telle personne mais bien de reconnaître des erreurs collectives. La colonisation en fut une, sans contestation possible.

Congo-liberty : Beaucoup d’observateurs disent que le discours du président Nicolas Sarkozy, prononcé le 26 juillet 2007 à Dakar, prouve sa méconnaissance de l’Afrique.

Sa vision de l’Afrique a-t-elle pu influencer sa  politique africaine, globalement considérée comme non dynamique, c’est-à-dire conservatrice?

Thomas Mélonio : Je dirais surtout que la cohérence de l’action du Président sortant est introuvable ! Passéiste dans son discours de Dakar, tourné vers le développement des entreprises dans le discours du Cap, très ambiguë dans l’affaire de l’arche de Zoé, favorable à la normalisation des relations avec le Rwanda sous Kouchner, mais crispée à nouveau avec le retour d’Alain Juppé, l’action du Président sortant a manqué cruellement de constance !

Congo-liberty : La caractéristique principale de la « Françafrique »  réside dans la signature de contrats léonins en faveur des multinationales Françaises, au détriment des africains.

Ces multinationales n’ont-elles pas réussi à prendre en otage, la démocratie et la défense des droits de l’homme, par le biais des gouvernements français respectifs, obligés de les protéger ?

Thomas Mélonio : Sur ce point, vous avez raison, il faut promouvoir la transparence. François Hollande demande d’ailleurs que les entreprises publient leurs comptes détaillés par pays, pour éviter que des flux financiers occultes ne puissent exister. Ce combat pour la transparence, que mène beaucoup d’ONG courageuses, sera l’un des grands défis du 21ème siècle !

Congo-liberty : Comment appréciez-vous l’opposition souvent faite entre la ‘Françafrique’ considérée comme interventionniste, et la Chinafrique au contraire comme neutre ?

Thomas Mélonio : Il est trop tôt pour faire le bilan de la Chinafrique. La Chine recherche des ressources naturelles dans le sol africain, et ne fixe pas de conditions démocratiques aux gouvernements avec lesquels elle coopère. Ce mode de fonctionnement plaît sans doute à quelques gouvernements, mais satisfait-il les peuples ? L’avenir nous le dira.

Congo-liberty : La coopération militaire française en Afrique « formation de militaires et gendarmes… » n’est pas décriée, en revanche les bases militaires françaises sont victimes de leur réputation, car servant très souvent de sauvetage à des dictateurs. Quel est votre avis à ce sujet ?

Thomas Mélonio : Il faudra clarifier les missions des militaires français en Afrique. Bien sûr, la protection des ressortissants français restera essentielle. En revanche, l’interventionnisme improvisé n’a plus sa place. Je crois que la renégociation des accords de défense devra se poursuivre, mais surtout que le cadre des Nations Unies, de l’Union africaine ou des unions sous-régionales devra s’imposer aux relations étroitement bilatérales et franco-africaine.

Congo-liberty : La monnaie est une des formes d’expression de la souveraineté or, manifestement, ce n’est pas le cas du FCFA actuellement pour les anciennes colonies françaises d’Afrique

Que répondez-vous à ceux qui affirment que c’est un outil d’asservissement néo-colonialiste ?

Thomas Mélonio : Je réponds que c’est aux Etats africains de s’emparer de la question ! Le franc CFA leur appartient. J’ai apprécié les écrits de certains intellectuels africains, Kako Nubukpo par exemple, qui connaît très bien cette question pour l’avoir suivie à l’UEMOA, et qui propose des réformes intéressantes.

Congo-liberty : Tout en restant arrimé à l’Euro, peut-on imaginer pour le franc cfa, un nouveau partenariat  monétaire avec l’Euro ?

Thomas Mélonio : Bien sûr ! Il existe de très nombreux régimes monétaires. Mon souhait est d’abord que le débat existe en Afrique, mais aussi que la France et l’Europe puissent répondre aux demandes et propositions qui viendraient d’Afrique. Il serait décevant qu’une réforme soit conçue en Europe.

Congo-liberty : Venons-en à l’actualité récente. « L’accueil de Sassou Nguesso à l’Elysée, c’est un bras d’honneur fait à la société civile, l’illustration d’un sentiment d’impunité de part et d’autres », tels sont  vos propos recueillis le 8 février 2012, par le journal Libération. N’est-ce pas le prix de la Real politik ? Qu’est ce qui a motivé vos propos ?

Thomas Mélonio : Une semaine avant, des ONG, regroupées dans la Campagne « Publiez ce que vous payez », publiaient un rapport inquiétant sur la transparence de la gestion des recettes pétrolières au Congo. J’ai trouvé que le parallèle était saisissant.

Congo-liberty : Le slogan actuel de l ‘Agence Française de Développement est « de la coopération au développement ». Est-ce l’aveu que la politique de coopération aura été globalement un échec ? Quelle différence faites-vous entre ces deux concepts ?

Thomas Mélonio : Le débat est en partie sémantique, mais il est certain que le mot de coopération, qui est un beau mot, « agir ensemble », évoque les années 1960 et 1970. Il a donc pris un sens un peu péjoratif avec le temps. Depuis, les questions d’environnement, d’inégalités, ont aussi pris une importance grandissante, c’est pourquoi il est sans doute préférable effectivement de parler de développement.

Congo-liberty : Malgré l’arrivée de la gauche au pouvoir en 1981, les conservateurs l’avaient emporté sur les rénovateurs, en matière de politique africaine.

Si François Hollande remporte la présidentielle de 2012, quelles sont ces chances et moyens de renverser la donne?

Thomas Mélonio : Je pense que François Hollande a un regard positif, moderne, ouvert sur l’Afrique. Dans une élection, on doit effectivement accorder sa confiance à un candidat. Ce n’est jamais évident, mais à titre personnel je pense que François Hollande est un homme de valeurs, qu’il s’est bien préparé, qu’il saura gouverner pour rassembler les Français. Je lui fais donc confiance aussi pour rénover les relations entre la France et l’Afrique. C’est un pari qui ne me semble pas trop risqué !

Congo-liberty : Pour terminer notre entretien en regardant l’avenir, quelles sont les propositions pour l’Afrique de votre candidat à la présidentielle François Hollande ?

En quoi sont-elles différentes des politiques établies ?

Thomas Mélonio : François Hollande prononcera bientôt un discours important sur les relations entre la France et l’Afrique, mais aussi les politiques de développement. Je préfère garder le suspense !

Interview réalisée par Mingwa mia Biango

Diffusée le 21 mars 2012, par www.congo-liberty.org

 

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2 réponses à INTERVIEW EXCLUSIVE DE THOMAS MELONIO,DELEGUE AFRIQUE AU PS: sa vision sur les relations Franco-Africaine

  1. SERGE BERREBI dit :

    Cher Monsieur Mélonio, je suis un lecteur assidu de Congo-Liberty et, très modestement, un intervenant dans les relations que les Institutions Internationales entretiennent avec la République du Congo.
    Avant que le FMI, dirigé par Monsieur Strauss Kahn, n’accorde le point d’achèvement au Congo pour le Programme PPTE, j’avais dénoncé des faux de plusieurs milliards d’euros dans leurs rapports ainsi qu’une incroyable complaisance de la part du personnel du FMI qui en était chargé. Le Congo était faussement pauvre et ne méritait pas l’effacement de sa dette, pas dans ces conditions en tout cas ! Deux années après, il est aisé de le constater, la pauvreté n’a pas été réduite… Au contraire, et les économies réalisées ont servi à l’acquisition d’armes et de munitions qui ont quasiment toutes explosées au milieu de la population de Brazzaville il y a quelques jours.
    Hors mis Monsieur Strauss Kahn, contre lequel j’ai déposé plainte il y a quatre mois devant le Parquet de Paris pour les faux commis dans les rapports (supra) du FMI, il n’y a pas à douter que si Monsieur Hollande était élu, certains de ceux qui avaient oeuvré à l’effacement de la dette congolaise, se retrouveront aux affaires, sûrement économiques et financières, et pas grand chose ne changerait encore dans les relations avec le Congo.
    Je vous invite bien cordialement à vous rendre sur mon blog (http://sergeberrebi.over-blog.com/) pour y lire tous les faits que je dénonce. Il n’y en a pas que pour la gauche « Beluga » je vous rassure… Peut-être, que Monsieur Hollande pourra y trouver des éléments qui pourraient inspirer son prochain discours.
    Restant à votre entière disposition.
    Bien cordialement
    Serge Berrebi

  2. ikongono dit :

    Bravo Thomas Melonio, pour votre courage.

    Sachez seulement que si vous n’êtes pas franc maçon, les eaux troubles de la Françafrique vous engloutiront.
    Moi je préfère quand même un changement à la tête de la France. Je préfère voter Hollande, et ensuite on verra sa politique africaine.
    Les choses ne s’arrangent pas car le brave toumani touré au Mali est victime d’un coup d’état, soutenu par Sarkozy, et Juppé est aux abonnés absent.
    Voir la vidéo de sarkozy qui a été censuré, et que vous ne verrez pas sur TF1: http://www.youtube.com/watch?v=XLJ92tbgpe8&feature=youtu.be

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