INTERVIEW DE PATRICE FINEL, LE CONSEILLER AFRIQUE DE JEAN LUC MELENCHON ET DU PARTI DE GAUCHE

Patrice Finel, militant politique de Gauche depuis sa jeunesse, a été longtemps membre du comité directeur du PS, élu régional et départemental.

Il a quitté le PS avec Jean Luc Mélenchon pour créer le Parti de Gauche et participer à la construction du Front de Gauche qui rassemble toute la gauche de transformation sociale en France.

Intéressé par les questions Africaines depuis plus de 20 ans, ami personnel de Laurent Gbagbo, il est responsable des questions africaines pour le Parti de Gauche, le parti de la Gauche Européenne et il suit ses dossiers pour Jean Luc Mélenchon.

Congo-liberty : Vous êtes personnellement impliqué dans plusieurs projets en Afrique. Pourquoi cet attrait pour ce continent ? 

Patrice Finel  : La France est la patrie des Lumières, des droits de l’homme, de la République et de « Liberté, égalité, fraternité ».Je me suis occupé pendant 10 ans de coopération décentralisée dont l’objectif premier est le rapprochement des peuples et des cultures par du travail et des coopérations locales, car Nous avons un destin commun avec l’Afrique, de par notre histoire et de part la population aujourd’hui en France.

L’Afrique c’est d’abord une grande histoire commune.

C’est d’abord les occasions perdues, à la Libération par la bêtise et la convoitise des colons et des grandes entreprises qui ont voulu continuer à exploiter les richesses sans donner l’égalité aux hommes.

C’est ensuite une fausse décolonisation, 50 ans après les décolonisations africaines les espoirs de développement et de construction de sociétés démocratiques, souveraines, solidaires et égalitaires n’ont pas été réalisés. La responsabilité historique du capitalisme européen est engagée, pour toutes les entraves qu’il a mis au développement de l’Afrique, de l’esclavagisme qui a déstructuré les sociétés africaines, jusqu’au colonialisme et aux politiques impérialistes qui ont organisé le pillage des ressources et formaté l’activité économique de l’Afrique pour les seuls besoins des entreprises multinationales.

C’est maintenant un espoir, qu’avec le Front de Gauche nous puissions construire enfin ensemble une histoire commune, Le continent africain dispose d’innombrables richesses, naturelles et minérales, en plus de la jeunesse de sa population et de sa vitalité démographique, Le Front de Gauche veut engager la France dans un processus de révolution citoyenne qui marquera une rupture avec le productivisme et rendra au peuple ses droits dans le cadre d’une société solidaire, ouverte et internationaliste.

Avec les « révolutions citoyennes » qui naissent sur le continent, et en soutenant les associations des sociétés civiles, les mouvements sociaux et partis progressistes qui résistent au libéralisme, nous aurons l’opportunité historique de donner un nouveau cours, tant en France que dans les pays africains, à un processus d’émancipation que nous pourrons bâtir en commun afin d’en finir avec la surexploitation économique et l’obstruction politique et déconstruire le multi-interventionnisme néo-colonial.

Voila ce qui m’intéresse !

Congo-liberty : En charge de l’Afrique au parti de Gauche, pouvez-vous nous dire, si votre Parti se définit comme, communiste, du socialisme, ou de la social démocratie ? 

Patrice Finel : Le « sous-titre », sous le logo du Parti de Gauche est : «  écologie-socialisme-république ». Le parti de Gauche est un parti creuset composée de femmes et d’hommes à l’histoire et au parcours différents, socialistes, écologistes, communistes, militants d’extrême gauche,…. nous essayons de tirer le, meilleur de nos histoires.

La social démocratie, qui était un compromis capital-travail dans le cadre de l’état Nation, n’est plus une option opératoire avec la mondialisation. D’ailleurs on le voit partout, que cela soit en Amérique Latine ou en Europe, partout elle s’allie avec la Droite, voir l’extrême droite comme en Grèce ou au Venezuela.

Congo-liberty: Jean Luc Mélenchon Président de votre Parti, et candidat du Front de Gauche aux présidentielles 2012, a été sans aucun doute la star de ce scrutin.Mais on ne l’a pas entendu parler de l’Afrique. Avez-vous un programme spécifique au continent noir ?

Patrice Finel : Il est vrai que les questions internationales et notamment entre la France et l’Afrique ont été absente de la campagne présidentielle.

Jean Luc Mélenchon a été un des seuls à en parler, brièvement je le reconnais, notamment en demandant la libération de Michel Gbagbo, citoyen français, emprisonné par M. Ouattara uniquement en raison de son nom.

Le Front de Gauche a élaboré un document intitulé «  pour une nouvelle politique entre la France et l’Afrique » encore disponible en téléchargement sur le site www.placeaupeuple2012.fr. Ce document d’une douzaine de page traite de l’ensemble des questions et nous sert de base dans nos interventions.

Il nous reste beaucoup à faire pour faire prendre conscience à nos concitoyens de l’interdépendance et de l’importance des relations entre la France et l’Afrique.

Congo-liberty : L’Afrique est l’un des continent qui souffre le plus des politiques d’austérité des institutions financières internationales, et des multinationales principalement dans le domaine minier. Pourtant, il n’y a pratiquement pas de forces politiques anticapitalistes, comment l’expliquez-vous ?

Patrice Finel : La domination idéologique du libéralisme et la domination des grandes puissances contre les pays du Sud ont engendré la marchandisation générale de toutes les activités humaines, y compris le corps lui-même, et de toutes les ressources de la planète. Désormais, aucun pays ne peut échapper à la mondialisation néolibérale. Tout s’y vend.

En Afrique, ces politiques ont été imposées et soutenues par la Banque mondiale et le FMI à partir des années 80 sous couvert « d’ajustement structurel ». Elles ont organisé la privatisation et le dépérissement des Etats, démantelé les barrières douanières, et confié l’exploitation des richesses aux multinationales étrangères. Elles ont ainsi privé les Etats de leurs instruments de souveraineté et de leurs possibilités de développer des politiques de développement endogène adaptées.

Le constat est accablant : l’Afrique continue d’être exclue d’une partie des flux financiers internationaux et des investissements étrangers. Les conditions de vie stagnent depuis 10 ans, et diminuent même pour sa partie subsaharienne. La plupart des Etats ne parviennent pas à réduire leurs dettes, ni à offrir les services publics essentiels pour atteindre les objectifs du Millénaire : accès à l’éducation, à la santé, à l’eau, etc.

Nous proposons de construireunvéritable partenariat, que La France s’engage dans un partenariat d’égal à égal avec les pays africains : appui à la définition d’un modèle de développement centré sur le social et l’écologique, à la redéfinition d’un modèle démocratiqueréel et des conditions concrètes du fonctionnement démocratique, et à la création d’un marché africainprotégé permettant un développement auto-centré et des échanges équilibrés avec le marché mondial.

Nous devrions participer au transfert de technologie et aider au développement d’une industrie de transformation sur place à partir des ressources agricoles et minières, pour sortir de l’économie de rente et de pillage, et de la dépendance aux exportations de productions industrielles des pays du Nord.

La coopération avec les pays africains devrait être redéfinie en fonction de la volonté manifestée en commun de sortir du modèle productiviste d’exploitation et du déséquilibre des échanges. Les droits humains et la co-construction des projets de coopération avec les pays concernés devraient être au cœur de la nouvelle politique de coopération au développement.

Cette domination idéologique appuyer souvent par les militaires s’est accompagnée d’un travail de « formation » idéologique  auprès des « élites » africaines, et aussi par ailleurs d’une politique de corruption qui a permis de dégager des castes ralliés à la domination libérale mondialisée ; le tout accompagné d’une politique de répression, parfois féroce, empêchant l’émergence du mouvement populaire et de responsables voulant un développement auto centrés de leur pays.

Cela est en train de changer comme nous l’avons vu au Sénégal et en ce moment au Gabon.

Congo-liberty : Le Parti de Gauche a-t-il un programme pour favoriser l’émergence de Partis politiques «  de Gauche » en Afrique, qui feraient avancer vos idées dans cette partie du monde ?

Patrice Finel : Chacun combat dans son propre pays pour le changement et remettre au centre « l’Humain d’abord » mais le Parti de Gauche est un parti internationaliste, la victoire d’Hugo Chavez aux présidentielles au Vénézuela est la notre. Elle montre aussi que l’implication populaire constante permet la « révolution » par les urnes !

Le Combat d’Alexis Tzipras et de Synasimous en Grèce est aussi le notre, nous avons participé et discuter avec lui du programme qu’il avait élaboré, de même nous participons et soutenons aujourd’hui nos camarades gabonais.

Toutes les forces progressistes, notamment d’Afrique peuvent venir nous voir, nous pourrons ensemble avancer et mettre en place des actions d’intérêts communs. Mais nous restons modestes et sommes aussi conscient de nos forces.

Et surtout personne ne peut se mettre à la place de l’autre, les combats de chacun sont ceux de leurs propres pays.

 Congo-liberty : Les forces progressistes à travers le monde ont encouragé les mouvements de décolonisation en Afrique. Aujourd’hui, plusieurs pays africains sont sous le joug de dictatures corrompues, piétinant les droits de l’homme et la démocratie. En tant que progressiste, pourquoi votre formation politique n’aide pas ceux qui combattent ces régimes ?

Patrice Finel : Vous ne pouvez pas dire que nous ne les aidons pas ! À chaque fois que nous sommes sollicités nous agissons en commun, nous interpellons le gouvernement français et essayons de populariser ces luttes de résistances,

Nous demandons que, dans un premier temps, La France cesse d’apporter son soutien aux dictateurs africains et de cautionner des scrutins frauduleux. Nos efforts portent sur le soutien aux mouvements démocratiques et populaires ainsi qu’aux hommes et femmes politiques réfugié-e-s en France à cause des dictatures.

Les missions d’observation des scrutins et les projets d’appui aux processus électoraux devront être mis en œuvre, à la demande des forces progressistes concernées, par des organismes internationaux multilatéraux (ONU, Union africaine), avec la participation d’organisations de défense des droits démocratiques, à commencer celles qui sont actives en Afrique.

Sur ce terrain aussi, Nous menons une politique de dénonciation et de lutte contre les biens mal acquis par les dictateurs et leurs familles sur le sol français. Les pratiques de corruption dans les affaires commerciales et le financement de la vie politique française doivent également être bannis.

Congo-liberty : Vous êtes très critique contre la politique de François Hollande en Afrique, pourquoi ? Pensez-vous qu’à sa place Mélenchon aurait fait mieux, n’est-ce pas tout simplement de la realpolitik au nom des intérêts de la France ?

Patrice Finel : Sur ce sujet comme sur beaucoup d’autres, François Hollande pratique d’une part la politique des promesses qu’il ne tient pas et d’autres parts l’immobilisme et la politique du « pas de vagues ».

Il a proclamer « la francafrique s’est finie » mais cela nécessite une vraie volonté politique, il faut des actes : en finir avec le soutien aux dictatures, redéfinir une coopération à l’écoute, revoir les conditions de l’aide publique au développement (APD), soutenir le développement d’une agriculture paysanne auto-centrée et respecter la souveraineté agricole des pays africains, agir contre la prédation des terres, favoriser l’appropriation collective des biens communs africains par les Africain-e-s, co-inventer un nouveau modèle de développement avec les peuples africains, exiger et contrôler la transparence des pratiques des grandes entreprises françaises en Afrique, rendre aux Africains l’autonomie de gestion du Franc CFA, créer un rapport de force avec les structures internationales qui pillent l’Afrique, appuyer les dynamiques de renforcement régional et continental, ré-examiner la dette et l’annuler, soutenir les politiques d’éducation et d’enseignement supérieur,  favoriser l’enrichissement réciproque de nos cultures, avoir une politique ouverte de circulation et de résidence des personnes, regarder en face notre histoire en soutenant la création de commissions d’enquête parlementaire pour faire la lumière sur les responsabilités de la France dans les atrocités commises durant la colonisation et sur les implications de la France dans les génocides, coups d’Etat et renversements militaires. En voila quelques uns !

Mais que fait il dans la réalité : baisse de l’APD, non respect des engagements financiers, maintien et renforcement du Franc CFA, maintien de l’Accord de Partenariat Economique (APE) qui livre aux multinationales les marchés africains, proposition d’aide dans les domaines de l’agroalimentaire, les télécommunications et les services financiers, une façon d’imposer les multinationales françaises, proposition d’une aide pour négocier avec les multinationales minières et pétrolières, maintien des forces militaires françaises en Afrique, réception d’à peu prés tous les dictateurs du continent !

Il a déclaré que l’Afrique « est une terre d’avenir pour l’économie mondiale » et ajouté « les grands pays émergents se tournent vers vous et investissent massivement » car ce qui l’intéresse ce n’est pas le développement auto-géré de l’Afrique mais son accompagnement par ses soins intéressés du capitalisme français.

Il indique ensuite : « le futur de l’Afrique se bâtira par le renforcement de la capacité des Africains à gérer eux-mêmes les crises africaines ». Or c’est sans vergogne que la France reste militairement présente en Côte d’Ivoire pour appuyer le régime de Ouattara conduit au pouvoir par l’armée française et maintenu au pouvoir par des criminels de guerre. C’est sans vergogne qu’il s’ingère dans les affaires internes au Mali par le biais de la CEDEAO, en imposant un gouvernement prétendument d’union nationale et une solution militaire extérieure pour lutter contre les troupes mafieuses et islamistes du nord du pays.

La real politique, à long terme c’est créer une histoire d’amour entre la France et l’Afrique par un développement commun ! Pour ensemble construire un autre monde.

Congo-liberty : On parle toujours de la Françafrique, est-ce un fantasme, existe-t-elle toujours, et comment la définirez-vous ?

Patrice Finel :Elle existe toujours, elle a était simplement privatisée ! Son centre de décision s’est déplacé de l’Elysée sous De Gaulle, aux sièges de Bouygues, Bolloré, Total, Areva, Orange,…… M. Sarkozy n’était plus que le représentant de commerce de ses grands groupes.

C’est une toile de réseaux relationnels entre castes qui en profitent ici et là-bas.

Congo-liberty : Alors, comment y mettre fin ? 

Patrice Finel :La première des ruptures consiste à réintégrer la politique entre la France et les pays africains dans le cadre normal de la politique internationale de la France : fin du « domaine privé » du Président de la République, débat et vote au Parlement des orientations stratégiques et de la mise en œuvre de cette politique. Cela correspond à notre combat pour une 6éme république parlementaire.

La deuxième rupture est le choix délibéré de contribuer au développement des pays africains plutôt que de renforcer par notre présence militaire le maintien au pouvoir de dictateurs à la solde de l’impérialisme français.

La troisième rupture est celle de la non-ingérence et du respect des identités et des cultures : nous ne chercherons pas à imposer notre conception de la démocratie et du fonctionnement de la société mais nous soutiendrons toute innovation progressiste visant l’émancipation humaine.

Les accords de défense et leurs clauses secrètes – qui ont pour objectif réel de contrôler les mouvements populaires et leurs luttes sociales – doivent être dénoncés. Tous les accords militaires et de coopération militaire doivent être remis en cause et soumis au contrôle démocratique et aux décisions du Parlement.

La France ne doit plus accepter que ses bases militaires permanentes en Afrique soient un instrument au service du pillage des ressources naturelles par les grandes entreprises françaises, du financement des dictatures en place et du développement du clientélisme et de la corruption. Elles seront donc supprimées.

Il faut mener une action active dans les instances internationales pour appuyer les pays africains dans leurs revendications à ne plus connaître d’occupations militaires de puissances étrangères.

Congo-liberty : Vous êtes aussi très impliqué dans le dossier ivoirien, quel est votre position à ce propos ?

Patrice Finel : Je suis malheureusement très pessimiste, M. Ouattara n’est qu’une façade imposée par son ami Sarkozy avec la complicité des organismes internationaux car il est politiquement dans le moule de la mondialisation libérale, mais il contrôle très mal les bandes qui pillent et rançonnent le pays, qui martyrise le peuple souvent sur des bases ethniques. La réconciliation nationale n’est qu’un mot pour rassurer la communauté internationale mais sans contenu réel sur le terrain.

Laurent Gbagbo a essayé de mener une des seules politiques sociales démocrates en Afrique, il a commis des erreurs mais aujourd’hui la situation exige de tous les progressistes un soutien inconditionnel pour la défense des droits de l’homme et de la liberté d’expression en Côte d’Ivoire.

Congo-liberty : Avez-vous un dernier mot pour vos amis africains et tous ceux qui aiment ce continent ?

Patrice Finel : Celui qui combat peut perdre, mais celui qui ne combat pas a déjà perdu » B. Brecht

La lutte va devenir de plus en plus commune, le capitalisme mondialisée essaye maintenant d’imposer à l’Europe, pour le profit des banques, l’austérité, qui va de plus en plus ressembler aux » plans d’ajustement structurels » qu’a subi l’Afrique.

Interview réalisée par Mingwa mia Biango 

Diffusée le 24 octobre 2012, par www.congo-liberty.org

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