Interview de Dina Mahoungou auteur du roman Agonies en Françafrique

Dina Mahoungou est son nom d’écrivain, né au Congo Brazzaville, Michel Mahoungou a fait des études de lettres – Maîtrise es Lettres en 1981 à Paris VIII, il fréquente l’année d’après la Sorbonne nouvelle à l’INALCO.

Il rentre au Congo. Journaliste culturel à télé Congo, il est tour à tour Professeur de littérature française à L’ENI d’Owando, il passera cinq ans dans les cabinets ministériels :

A la Culture et Arts : conseiller culturel

Aux PTT et à la Communication : attaché chargé des relations avec le Parlement

Aux Droits de l’Homme : conseiller technique

A la Justice : attaché aux affaires sociales

En 1996, pendant la guerre de Brazzaville, il rejoint sa famille en France et s’y réinstalle. Aujourd’hui journaliste free lance. Il est fonctionnaire à la Mairie de Paris.

Congo-liberty ( CL) : Comment êtes-vous arrivé à l’écriture ?

Dina Mahoungou (DM) : A l’âge de 20 ans, j’ai publié des recueils de poésie, j’avais mis en chantier un certain nombre d’ébauches : théâtre, nouvelles et romans.

Lorsqu’en 1989, je suis rentré au Congo pour travailler, j’avais mis en stand-by mon ambition, la guerre civile a été un catalyseur, l’ensemble des événements qui ont donné vie à une trilogie romanesque : Agonies en Françafrique, la première livraison, est sortie en 2011 chez l’Harmattan. Le deuxième opus sera en librairie au début de l’année 2012.

Ecrire est une fonction de rendre réalisables nos rêves.

CL : Quand écrivez-vous ?

DM : Je n’ai pas de temps précis, quand je suis inspiré, je sens dans ma tête le sujet, le tempo, les cadrages et les dialogues. Je commence à écrire avec un débit assez régulier, souvent tôt le matin ou tard le soir.

CL : Vous avez publié le premier tome d’Agonies en Françafrique début 2011 aux Editions l’Harmattan. Vous avez tiré la ficelle du destin inconnu d’une population prise en étau par la guerre. Vos personnages sont-ils des êtres de création, des personnes vivantes ou ayant existé ?

REPONSE : C’est un mélange de tout. Les situations ont été fidèlement retranscrites. Par pudeur et honnêteté intellectuelle, les noms, les lieux, ont été entièrement réinventés. Bien sûr, c’est un roman avant tout et de nombreux personnages sont aussi le fruit de mon imagination, je pense par exemple au personnage de la flûte enchantée. Mais les sapeurs de Château-Rouge sont des personnes bien réelles, je leur donne vie dans le 18ème arrondissement de Paris où ils vivotent, quelques années plus tard, rescapés de la sale guerre civile : la bataille de Brazzaville.

CL : Et la narration dans tout ça ?

DM : On le lit comme un roman d’aventures, le rôle du méchant est joué par le mercenaire, la ville prise par les pilleurs, le point de fuite des « saigneurs de la guerre ».

J’axe mes intrigues sur la mutation des lieux et des personnages. Chaque acteur vit la guerre de son propre point de vue.

Je souhaite que nombreux soient les africains qui le lisent, qu’ils soient congolais ou non.

CL : Agonies en Françafrique explicite les ravages des réseaux néocolonialistes français en Afrique, avez-vous donné au travers les personnages du roman des ébauches de solutions pour que nos pays ne soient plus sous l’emprise de la Françafrique ?

A travers les ressentis des protagonistes, avant, pendant et après la sale guerre : la bataille de Brazzaville, on a pu remarquer le sacrifice et l’héroïsme du bas-peuple. En revanche, le lecteur peut se poser la question, les fictions et les légendes disent-elles la vérité ?

D’un côté, nous avons les assoiffés du pouvoir, extrêmement voraces qui pratiquent la pureté de la vengeance et le petit peuple, dans son train-train quotidien, à la recherche d’un futur salvateur. Deux ou trois générations perdues en quête de sens, la rue et la voix du peuple sont les seules solutions alternatives contre la politique de la prévarication et du ventre.

Ceux au pouvoir jouent l’art de l’éclipse, de l’esquive, du dédoublement et du masque, ils jouent avec le peuple comme un chien qu’on traîne par le collet. La voix du peuple, par le biais des associations et des projets d’intérêt général, sont notre seul exutoire.

CL: Comment expliquez-vous que les écrivains congolais soient plus connus à l’étranger qu’au Congo et pourquoi ce manque d’intérêt du gouvernement de Brazzaville pour les littéraires ?

Voilà bientôt vingt ans, j’étais membre permanent de l’UNEAC (union nationale des écrivains et artistes congolais), et président des écrivains congolais de la ville autonome de Brazzaville.

Es qualité, j’animais une émission culturelle à télé-congo qui s’intitulait : la voix du poète.

Beaucoup de jeunes écrivains y ont fourbi leurs premières armes : Marie-Léontine Tchibinda face à Sony Labou Tansi, Dina Mahoungou face à Tati Loutard, François Bikindou face à Maxime N’Débéka ou Emmanuel Dongala, Jean-Blaise Kololo face à Létémbet Ambily, Dominique N’Goye-Ngalla face à Théophile Obenga, Maître Ondonda-M’bondo face à Léopold Pindy MamoNsono.

Ce médium était un large manifeste à travers la sous-région. Nous nous focalisions, à l’époque, sur une éthique en situation. De nos jours, seule la mendicité, la prostitution et le cancan, c’est-à-dire la dénonciation sont les seules armes devenues particulièrement féroces et subversives, la jeunesse a foutu le camp, l’art et la littérature sont complètement inexistants.

Les aboyeurs du parti-Etat sont dans un ricanement triomphant face à la bêtise de la rue.

CL : Vous êtes journaliste, mais vous avez aussi exercé comme enseignant de littérature française à l’ENI d’owando , comment expliquez-vous la déliquescence du système éducatif congolais et comment le redonner ses lettres de noblesse ?

Les gérants associés de la République du Congo sont en train de saccager les bases élémentaires de la Démocratie. A savoir, l’unité des tribus, l’amour pour son prochain, l’éducation, la santé et l’alimentation élémentaires. Les consciences sont meurtries par la guerre. A moins de deux dollars par jours, les grandes familles ne mangent pas à leur faim, au minimum un repas par jour, ils vivotent dans une indigence exsangue. Dans cette fuite en avant, le peuple vit dans un semblant de liberté totale, il réorganise leur vie, la main tendue. Alors qu’à côté de cela, l’Etat-Nation, austère et rigoureux pour le bas-peuple, dépense des milliards pour ses propres plaisirs.

CL:En tant qu’intellectuels, que répondez-vous aux Congolais qui font de moins en moins confiance aux « intellectuels et universitaires » trop corruptibles et complaisants à leurs yeux envers la dictature de Sassou Nguesso.

DM:Les intellectuels congolais, une fois rentrés au pays, prennent aussitôt la carte du parti-Etat, animent des conventions où les conflits tribaux sont exacerbés, devenus des techniciens de domination autour du chef de l’Etat, ils renforcent le régime de la terreur. A côté d’eux, en plus grand nombre résident des martyres résignés face à la bestialité de leurs bourreaux institutionnels. L’élite d’aujourd’hui renforce une politique criminelle à la brutalité insurpassable. Ils appliquent, pour la sauvegarde du pouvoir en place, la violence applicable sans restriction. Ils renforcent une politique de l’épouvante de l’Etat qui repose sur l’obéissance et l’ordre, les intellectuels corrompus une fois repus, sont toujours à protéger la figure du chef. Ils évaluent correctement les limites de la violence qu’ils fixent sur le peuple tout entier. Ils sont les nouveaux maîtres-penseurs à la glorification du dictateur.

CL:Vous êtes revenu en France suite à la guerre civile de 1997 que vous décrivez dans votre roman et aux dires du gouvernement de Sassou Nguesso, les exilés volontaires ou non peuvent rentrer, pourquoi ne rentrez-vous pas au Congo ?

Une fois au pays rentré, à la moindre opposition d’idées ou à la moindre opposition intellectuelle, ils feront tout pour vous humilier. Là-bas, dans la fonction publique, dans les assemblées conventuelles, c’est un autoritarisme absolu, une intransigeance manichéenne, une partition de fait du territoire congolais, l’horreur se dispute à l’horreur. C’est un chaos indescriptible, le pouvoir héréditaire organisé comme en pétro-monarchie, de père en fils, parfois d’oncle en neveu. Tous ceux qui sont au-dessus des lois, des chefs de clans ou des chefs de gangs, ces vide-goussets et ces pègreleux, sont subitement devenus des chevaliers d’industrie, les escrocs-griffes, les concussionnaires et les chenapans sont devenus des maîtres-penseurs pour toute une jeunesse. Ceux qui nous avaient brigandés pendant la bataille de Brazzaville, une décennie plus tard, avec la complicité manifeste de l’occident chrétien, continuent à nous déposséder, à nous filouter, à nous gruger, à nous friponner. Ces prévaricateurs de haut-vol sont en train, tout le long de l’année, à chaque matin qui se lève, à cabasser, à rapiner, l’orgueil et la fierté de tout un peuple.

Je ne suis pas dans la manigance, dans la combine et le mic-mac, je demeure un manifestant contestataire, un intellectuel organique.

Leurs appels d’offres, leur générosité subite, leurs rapports anti-corruption instantanés, c’est l’écho des savanes, du moulin à vent, de la viande creuse. Ces furibonds sont dans une grosse merde, ils pataugent dans la gadoue, ils sentent le vent tourner.

Paix à son âme, pauvre Khadaffi.

INTERVIEW REALISEE PAR : MINGUA MIA BIANGO A Paris, le 21 octobre 2011

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