Voici l’histoire d’enlèvement d’une jeune fille étudiante sous un lampadaire ; sa mère, affectée par cette disparition, sollicite le secours d’une détective privée. Celle-ci arrive à sauver la victime de la mort après moult péripéties. La disparue du lampadaire se lit comme une œuvre qui respecte les règles élémentaires et classiques d’un polar (disparition – enquête faite par un détective ou la police – découverte de la victime). Pour ne pas tomber dans la tautologie dans ce récit de Marie Françoise Ibovi riche en révélations sociales et sociétales de son pays, nous avons privilégié, dans notre analyse, ce côté combien révélateur de l’écriture de notre auteure qui présente deux niveaux de narration.
La femme au cœur du roman
Si dans la majorité des polars, le rôle du détective revient à l’homme, dans La disparue du lampadaire, c’est la femme qui prend sa revanche sur le masculin. L’auteure, en plus de l’héroïne, la victime ainsi que son parent inquiété par sa disparition sont des femmes. Mais, en dehors de la détective, la majorité de ces femmes semble incarner le mal imposé à Shékina la disparue que l’on peut considérer comme une victime de la société congolaise.
Shékina victime d’une société malade
Abandonnée par son père dès sa naissance, victime de la perversion de son patron des éditions « Kotanga Eléki » où elle a passé son stage, la jeune Shékina tombe dans la facilité de l’argent. Et cela va la pousser à se donner à son vieil amant comme nous le fera comprendre une employée de ce dernier : « Alors que j’allais pour passer la serpillère, je les ai surpris en train de « faire la chose » dans les toilettes » (p.63). Avec l’implication éventuelle de son patron que lui loue une maison dans la ville, sa disparition s’apparente à une fugue. Mais le travail de la détective Kimya, à qui Mâ Béa, la maman de la disparue avait confié la mission de retrouver sa fille, va nous révéler des surprises. Aussi, la pauvre fille sera naïvement victime d’une société gangrenée par la perversion, le gain facile de l’argent sale dont le couple Barango sera l’un des vecteurs. Le destin énigmatique de Shékina apparait comme une déréglementation sociale et sociétale causée par le père qui ne l’a jamais reconnue et la cupidité du couple Barango, deux raisons fondamentales de la méconduite de Shékina.
Madame Barango ou la femme au service de l’argent sale
Une catégorie de femmes que l’on trouve actuellement dans la société congolaise et qui n’a pas échappé au regard de Marie Françoise Ibovi. Ainsi, pour sauvegarder ses intérêts, Madame Barango n’hésite pas à négliger l’infidélité de son homme qui est devenu l’amant de la jeune Shékina. C’est sans état d’âme qu’elle entraine leur fils « Z » dans cette sale magouille avec la disparition de Shékina. Soupçonnée par la police dans le trafic de la fausse monnaie car comptable dans l’entreprise de son mari, madame Barango sera prise la main dans le sac comme le spécifie Rigo Robert, un ami de la détective dans l’exercice de son métier : « En m’approchant discrètement avec mon appareil photo, j’ai vu qu’ils étaient [la vieille Barango et deux inconnus] en train de se disputer. Ça parlait d’argent d’origine criminelle en lien avec le trafic d’organes » (p.97). La femme, dans ce roman, se remarque par son omniprésence dans les relations on ne peut plus intimes avec l’homme, l’argent étant un stimulant dans ces relations. Miezi, une des meilleures amies de Shékina, ne peut s’empêcher de s’intéresser à l’homme de cette dernière : « J’avais bien essayé de lui voler son gars (…). Mais celui-ci n’avait jamais été sensible à mes charmes. Depuis, j’ai laissé tomber » (p.61). Même une autre « amie de confiance », Ana Conda pense se donner à son homme ; mais pour des raisons personnelles, elle décide curieusement d abandonner son funeste projet. Ici, se révèle en filigrane l’argent qui servira de s’occuper d’Ana Conda et de payer sa logeuse Mâ Léonie. Comme on peut le remarquer, femme et argent font bon ménage dans ce roman, nous rappelant ainsi les conséquences malheureuses de l’argent facile.
La part du roman-journal dans La disparue du lampadaire
S’il y a une spécificité dans le polar de Marie Françoise Ibovi, c’est la présence du cahier-journal que rédige Shékina pendant qu’elle est détenue dans un lieu secret qui sera découvert au dernier moment par l’équipe de la détective à sa recherche. Ce récit-journal de Shékina s’apparente à un scénario d’un polar où sont mis en relief l’horreur et le tragique qui caractérisent ce genre de film. Avec la technique du roman-journal qui définit les mésaventures de Shékina, récit dont elle est sa propre révélatrice, La disparue du lampadaire présente deux niveaux de narration. Le récit est d’abord rapporté à la troisième personne (il) qui focalise son regard sur Kimya la détective dans l’exercice de son métier ainsi que sur la fille qu’elle doit rechercher : « Kimya raccrocha. Elle venait d’avoir un entretien avec une mère désespérée. Sa fille Shékina avait disparu (…) depuis le 10 février… » (p.15). Le personnage de Shékina nous revient comme « héroïne principale » dans la dernière partie du macro-récit par la technique du roman-journal. De l’intérieur, elle nous raconte (à la première personne) sa propre histoire fondée sur les mésaventures qu’elle a connues : « C’est la dernière fois que j’écris. Avec un ricanement malsain, « Z » m’a annoncé qu’il va me tuer » (p.116).
Dans ce polar qui sort de l’ordinaire dans sa composition, Marie-Françoise Ibovi donne un nouveau souffle au roman congolais en privilégiant la dimension littérale du texte par rapport au classicisme du référentiel fictionnel auquel nous sommes habitués dans le roman traditionnel Dans cette dimension référentielle, l’auteure nous rappelle que les événements rapportés dan son polar se passent dans son pays : « Le lendemain, elle [Kymia] se rendit au Tribunal de Brazzaville » (p.97). Avec ce roman, cette dernière confirme sa maîtrise de la prose au niveau de la littérature dans son pays après moult publications à son compte. Et nous sommes de commun accord avec son préfacier Pierre Ntsémou qui affirme que « pour un coup d’essai dans le genre du polar, c’est bien un coup de maître (…) car porté sur le grand écran (…), ce livre pourrait [émerveiller les amateurs] du 7è art »,
Noël Kodia-Ramata
- Marie-Françoise Ibovi, La disparue du lampadaire, éd. Kemet, Brazzaville / Paris, 2021.
Super ! Il me faut le lire.