DE LA FRANCAFRIQUE A L’AFROFRANCE , par Pascal Malanda

francafriqueA la fin de son empire colonial, la France a imposé des relations quasi incestueuses aux territoires anciennement sous sa juridiction. A la différence de la Grande Bretagne dont l’empire était géré avec plus de responsabilité accordée aux indigènes, la France a entretenu dans son aire d’influence des relations complexes basées sur un paternalisme étouffant et dégradant. Quand la Grande Bretagne a souhaité maintenir des relations avec ses anciennes colonies, elle a initié le Commonwealth qui vit aujourd’hui sa lente agonie pour bientôt mourir d’une belle mort, laissant ses membres voler vers une indépendance plus profonde. La France au contraire a instauré à travers la Communauté Franco Africaine, un système dans lequel elle est la vraie gagnante en créant une chasse politico économique bien gardée tandis que ses partenaires ne tirent que les maigres avantages liés à la stabilité d’une monnaie en réalité gérée depuis Paris.

La Françafrique a été essentiellement modelée par la France avant tout à son avantage. Elle porte donc la marque d’une relation asymétrique typique. Il s’agit moins d’un ménage équilibré que d’un harem où les concubines enfermées dans une prison qui ne dit pas son nom sont traitées en esclaves dociles d’un maître capricieux. Plus de cinquante ans après les indépendances en Afrique, à l’heure où l’économie se mondialise à marche forcée, la Françafrique montre de plus en plus ses limites, son anachronisme devient patent. Plus grave encore, les avantages que la France tirait de cette coopération à sens unique sont de moins en moins compensés par le poids des responsabilités découlant de la nécessité de maintenir à flot un système suranné. Espace clos où le sous-développement a fragilisé les structures étatiques, les pays ayant en partage le franc cfa et la langue française sont devenus au fil du temps, un boulet au pied de la France. Cette dernière est obligée malgré elle de soutenir des régimes parmi les plus corrompus de la planète.

L’effondrement de l’URSS et la globalisation économique et financière en cours ont introduit une nouvelle donne. Les entreprises françafricaines bénéficiant d’une position de monopole ont commencé à sentir la concurrence anglo-saxonne et surtout celle encore plus redoutable des pays émergents avec en tête la Chine, l’Inde et le Brésil aux ambitions clairement affichées. A quoi sert-il aujourd’hui de soutenir des pouvoirs sclérosés exigeant un soutien militaire et financier de leur protecteur mais incapables de garantir l’exclusivité des entreprises françafricaines en matière d’accès aux marchés locaux? Le printemps arabe a en plus montré l’extrême fragilité de ces pouvoirs incapables de résister à la moindre révolte des populations affamées par des décennies de mauvaise gouvernance.

Des voix s’élèvent aujourd’hui pour exiger la fin de ce système incestueux et mafieux. Et à bien y voir, la France aurait plus intérêt à devancer l’hivernage en Afrique subsaharienne que d’assister, impuissante, à un chambardement dont elle serait plutôt victime sur le plan géopolitique. Curieusement, ces voix viennent plus de la France que des pays africains concernés. C’est que les élites au pouvoir dans ces pays y sont avec la complicité de la Françafrique. Elles sont donc logiquement intéressées par le statu quo, perpétuant ainsi la rente politique acquise au prix d’un odieux avilissement. Sauf que, le statu quo, comme le montrent la faillite de l’État malien et la guerre que la France est obligée d’y mener, devient de plus en plus difficile à tenir et encore plus à justifier. La situation au Mali est en fait la préfiguration de ce qui attend Français et Africains face à l’agonie de la Françafrique.

Que la Françafrique soit condamnée par l’histoire ne fait aujourd’hui l’objet d’aucun doute. En France, les politiciens de droite comme de gauche ne cessent d’envoyer des signaux de lassitude à supporter ce système moribond en souhaitant une véritable rupture. La question qui se pose est plutôt la suivante: La Françafrique renaîtra-t-elle de ses cendres comme le phœnix de la légende, volera-t-elle en éclats ou au contraire cédera-t-elle la place à une relation plus équilibrée, à la demande des pays africains ?

On n’efface pas plus d’un siècle d’histoire en un tournemain. Les relations géopolitiques évoluent par paradigmes. Les réactions émotionnelles et irrationnelles n’y ont pas du tout leur place. Seul le froid et parfois cynique calcul guide les décisions des protagonistes. Les Africains se sont malheureusement trop souvent laissé bercer par la douce musique senghorienne : « L’émotion est nègre , la raison est hellène ». Mais c’est pour se réveiller chaque fois Gros Jean comme devant ou véritables dindons de la farce dans le village global. La Françafrique a succédé au système colonial français en remplaçant une exploitation directe et éhontée par un système prétendument raffiné de vassalisation par la monnaie et la coopération qui a duré plus de cinquante ans. L’Afrique francophone aura-t-elle son mot à dire dans la nouvelle relation qui remplacera à coup sûr la Françafrique ou subira-t-elle comme par le passé les vicissitudes de l’histoire en privilégiant des choix émotionnels ? La nature a horreur du vide, elle imposera bien quelque chose à la place de la Françafrique. L’enjeu pour les Africains est d’apporter tant soit peu leurs intentions, leur convictions et leur détermination dans cette architecture géopolitique à venir.

Les États-Unis d’Amérique, nés de l’indépendance des colonies britanniques du nouveau Monde sont entrés dans une relation adulte et de partenariat équilibré avec l’ancienne puissance tutélaire. Apparemment, les deux parties sont aujourd’hui gagnantes. Les francophones d’Afrique auront-ils l’intelligence et la sagesse de proposer une relation de partenariat équilibré entre la France et les pays africains? Une relation privilégiée dans laquelle toutes les parties sortiraient grandies et enrichies. Il faudra pour cela dépasser l’immense amertume des humiliations passées et l’arrogance de l’honneur retrouvé. Il faudra d’autre part surmonter l’amertume nostalgique d’une puissance perdue et d’un pseudo empire disparu. Dans un monde globalisé, assumer le caractère privilégié et équilibré de la relation entre les anciennes colonies françaises et la France serait un saut géopolitique majeur aux bénéfices tant de l’Afrique que de la France.

Affaibli par des décennies de mal-gouvernance, ayant échoué à contrer la poussée islamiste, le Mali a fait appel à la France. L’accueil enthousiaste réservé aux troupes françaises avançant sur le territoire malien est révélateur d’une situation complexe. Le Mali qui émergera du conflit en cours sera forcément un pays différent. Il faudrait être d’une mauvaise foi légendaire pour affirmer que les troupes françaises sont en mission néo-coloniale, d’une naïveté sans borne pour penser que la France n’est pas en partie responsable de la situation actuelle et enfin d’une cécité inimaginable pour croire que la guerre finie, tout reprendra son cours normal comme si de rien était. Cette guerre étrange et ambiguë est à l’image des rapports françafricains. Il est grand temps qu’ils passent de l’adolescence à l’âge adulte et que chaque partenaire y assume en toute conscience la plénitude de ses responsabilités.

La Françafrique est en train d’agoniser dans le désert malien.

Vive l’AfroFrance, vive l’Afrance !

Par le Docteur Pascal Malanda

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