Congo: LA RANÇON D’UN POUVOIR PILLE ET CRIMINEL , par le constitutionnaliste Félix Bankounda Mpélé

Il aurait été quelque peu indécent de se précipiter à une quelconque critique, au regard de l’importance du drame. Comment cependant, au nom de la même raison, se taire ! On l’aura compris, un délai de décence s’imposait. Délai qui, s’il peut trouver un brin d’objectivité dans le moment des obsèques, conserve toutefois une dose de subjectivité selon la résonance du drame auprès de chacun.

« Quatre explosions au quartier Mpila à Brazzaville », « une cinquième explosion vient de se produire à Brazzaville », « explosions en série dans les quartiers nord de Brazzaville », « plus de 200 morts provoqués par les explosions ». Voilà, en vrac, l’information qu’on a eue en boucle, dans les grands médias internationaux, ce matin du 4 mars, avant que n’intervienne la première information officielle, par le biais du ministre délégué à la défense congolais, accompagné de son collègue de l’intérieur, sur le plateau de la chaîne de Télévision d’Etat. Les propos du ministre congolais cité, banalisant l’événement pourrait-on dire, surréalistes diront certains, mais en tout état de cause dignes de la bande dessinée des « Pieds Nickelés », sont pour le moins renversants pour tout esprit normalement structuré : « excuses aux populations de Brazzaville pour les désagréments… », que « des experts sont entrain de travailler pour comprendre exactement l’origine de ce court-circuit… » mais surtout que « Des officiers experts sont sur le terrain…Dieu merci pour nous, selon le point qui nous a été fait, en dehors des dégâts matériels, il n’y a pas eu de morts, il y a quelques blessés plus ou moins graves, mais y a pas eu de morts… » !

Le contraste de la première information officielle par rapport aux puissantes déflagrations et leurs effets instantanés jusqu’au Congo voisin, mais aussi au regard de l’information pourtant déjà largement diffusée par la presse internationale, dénote, semble-t-il, outre qu’apparemment il n’y avait aucun expert digne de ce nom sur le terrain, que ledit ministre était tout simplement et en réalité en service commandé, pour distiller une information bien arrêtée, comme il est courant dans les systèmes autocratiques. Il faudra attendre le début de l’après-midi, avec le retentissement et la généralisation de l’information internationale sur d’autres grandes chaines de télévision du continent pour, qu’enfin, le ministre de la Communication, sur la même chaine locale, intervienne pour déplorer « … d’importants dégâts matériels … et des pertes humaines ».

Comprendra qui voudra ou pourra : un ministre de la défense qui affirme de la manière la plus sérieuse que des explosions de munitions aux effets apocalyptiques immédiats, déjà relayés comme tels par différentes missions diplomatiques auprès des médias internationaux, relèvent, selon ses experts sur le terrain, d’ « un incident provenant d’un feu» qui n’a fait que quelques blessés plus ou moins graves et aucun mort ! Contradiction par son collègue quelques quatre heures après qui reconnaît « des pertes humaines », et le chef de l’Etat qui dit quelque temps après, dans la même journée, que les résultats de l’enquête sont attendus, et demande dans la foulée à certains de rentrer chez eux dans les mêmes quartiers! Que, deux semaines après, tout ce beau monde est en fonction, comme si de rien n’était, en attendant d’échafauder certainement des stratégies ! Pas étonnant dans ces circonstances qu’un journaliste africain de renom y voit « un peuple piégé par ses propres dirigeants ».

Pour la petite histoire, et pour les besoins de la compréhension, on rappellera outre les faits que Mpila était jusqu’alors le siège du pouvoir et de nombreux de ses affidés, que ce quartier a aussi été le point de départ à Brazzaville de la reconquête armée en juin 1997 du pouvoir perdu par les urnes en 1992 par Sassou-Nguesso. Bien plus grave, on n’en était pas à la première explosion ‘accidentelle’ de munitions depuis la pacification armée du pays: c’était déjà le cas notamment le 14 septembre 2009, puis fin mai 2010, dans les quartiers voisins, globalement proches du régime, sans que rien de concret ne se soit décidé, poussant ainsi, timidement, le journaliste à demander au sans scrupule ministre de la défense « Est-ce que les dispositions sont prises pour que pareille situation ne se reproduise plus? »

Bref, des faits et clignotants qui, relatifs à des engins dangereux, démontrent ainsi l’indolence et l’incompétence des pouvoirs publics, et que la gestion du grave et extraordinaire sinistre finissent par dévoiler au grand jour : outre le désordre et l’amateurisme manifestes, on aura remarqué brouettes et taxis embarquant blessés, mais point d’ambulances ! L’incapacité et la désolation des structures hospitalières auront été suffisamment décrites et dénoncées pour qu’on y revienne encore.

Mais, au-delà de tous ces problèmes, pas vraiment étonnants pour qui connaît l’éternel dysfonctionnement de toutes les structures et administrations congolaises lié, globalement, à l’insuffisance criarde du sens du service public ici, la question essentielle, qui laisse perplexe, et qui a déjà été abordée par différents commentateurs, est celle des armes, de son impressionnant arsenal, du lourd investissement financier au détriment des services sociaux notamment. Pour un pays qui, mises à part les courtes parenthèses des années soixante-dix où il a contribué aux mouvements de libération de certains pays africains, n’a jamais connu, et n’est pas près de connaître la guerre, et se trouve plutôt en bon voisinage avec les autres pays, cette escalade dans l’armement, cette « passion des armes » comme l’a démontré et dénoncé un commentateur ici, ou, plus précisément, cette addiction pour les armes de guerre dévoile auprès de ceux qui en douteraient encore, la nature et la hantise du pouvoir en place au Congo-Brazzaville : un régime putschiste, né d’un bain de sang et qui a escaladé des dizaines de milliers de cadavres pour s’installer et se maintenir est, à jamais, hanté par la crainte de le perdre, empêtré dans l’armement et la militarisation toujours excessifs, sans se fixer d’autre perspective ou alternative que celle de la dictature ou la guerre. Nous l’avons déjà écrit, la donne au Congo est exclusivement militaire et « il faut se rendre à l’évidence. En ayant accédé au pouvoir par la force, et en maintenant cet esprit par le refus obstiné tant du retour à l’ordre démocratique que de la ratification des diverses conventions du continent sur la démocratie, le pouvoir de Brazzaville a, tout naturellement, laminé les règles du jeu politique, opté pour la force brute, et donc, délibérément, banni la politique au profit du plus vieux système politique au monde : l’état de nature où tout est dicté par le plus fort » (cf., en ligne, COUVRE-FEU ILLIMITE SUR LA POLITIQUE ). Telle est, indiscutablement, la philosophie ou l’explication psychologique de ce surarmement scandaleux et de ce qui en découle : sa gestion indolente, incompétente et irresponsable, qui est un autre paramètre d’un pouvoir pillé.

Irrationnel et illégitime dans son avènement et dans son exercice naturellement, ce genre de pouvoir est ainsi, au contraire d’un pouvoir normal, c’est-à-dire démocratique, conduit à transférer au second plan les raisons fondamentales et rationnelles d’un Etat, de la politique, au profit de sa survie. Au regard de tout observateur objectif, les comportements, les choix et décisions, les expressions et prises de position d’un régime de cette nature restent indéfiniment déroutants, incompréhensibles et incongrus, sinon opaques puisque, perpétuellement, contraints à la stratégie, au déni, au court terme, à la personnalisation pour se racheter, s’exhiber, vaincre. Point de politique ou de planification à long terme puisque l’essentiel est réduit aux fantasmes, succès et à la gloire du chef. Bref, tout pour toujours vouloir noyer la bêtise et, à cet égard, outre les bêtises édifiantes précitées du ministre pantin de la Défense, du ‘philosophe du dimanche’ comme on l’a appelé, les exemples sont foisons pour le régime autocratique congolais. On se bornera ici à deux, très anecdotiques :

–Au lendemain de l’apocalypse de Bacongo et des quartiers sud de Brazzaville, en décembre 1998, où une source militaire anonyme, selon l’AFP du 1er avril 1999, fait état de 1500 morts, le général putschiste répondra au journaliste de Jeune Afrique qui lui rapportait les reproches de massacres des communautés qui ne sont pas les siennes qu’ « au cœur même du conflit, je n’ai pas hésité à tirer sur Owando parce qu’il me fallait prendre cette ville, même si c’est un peu chez moi » ! (Jeune Afrique, n°1980-1981, du 22 décembre 1998 au 04 janvier 1999, p.21). Objectivement addition des crimes, manifestement, et incroyablement, dans la conception du dictateur, la reconnaissance des crimes dans sa communauté suffit à justifier des crimes dans les autres communautés ! Et, dans l’actualité toute récente, face à la critique de la candidate de EELV à la présidentielle française, L’indignée de la République, selon l’ouvrage biographique de M-F Etchegoin et M. Aron, cela n’a pas empêché le cynique et peu scrupuleux ministre congolais de la Communication de répliquer et soutenir que « Denis Sassou-Nguesso n’a jamais tué personne au Congo… » ! A croire donc que les armées angolaise et tchadienne notamment, intervenues au Congo dès octobre 1997 et pendant près de cinq ans, n’y étaient que pour distribuer bonbons et chocolats aux pauvres Congolais !

–Dans le même registre, et sur l’affaire dite des ‘Biens mal acquis’, on se rappellera qu’alors que dans un Documentaire diffusé par la chaine Arte, en date du 19 octobre 2010, sur les ‘Biens mal acquis’, le général Sassou reconnaissait ouvertement au moins deux propriétés en France, le même ministre congolais de la communication, dans une conception plutôt ‘mercenariale’ de sa fonction, affirmera que son chef n’a qu’une seule propriété en France. Plus renversant, comme juriste, il ajoutera que la décision de la Cour de cassation du 9 novembre 2010, sur la même affaire, contre laquelle il s’exclamait « où sont les preuves ! » – ce qui n’est, leçon élémentaire de droit, pas de la compétence de cette juridiction, en l’occurrence –, il opposait, conformément aux thèses du chef, des « relents racistes et colonialistes » ! (cf., en ligne, « Biens mal acquis … participent du pouvoir mal acquis »)

L’on retiendra par ailleurs, et c’est une autre des leçons que confirment les événements du 4 mars 2012, que la conquête armée et criminelle du pouvoir substitue ou privilégie au contrat social supposé lier les gouvernants aux gouvernés dans un contexte démocratique, un pacte criminel dont le corollaire est l’irresponsabilité hermétique des acteurs dont la remise en cause risquerait d’entraîner l’effondrement du système. Ainsi, les scandales et crimes se succèdent, mais les dirigeants, comme toujours, préfèrent, quand et comme ils le veulent, indemniser sans jamais dégager les coupables. « Ni coupables, ni responsables », comme on l’a dit, est ainsi, un autre principe intangible de l’autocratie sui-generis congolaise, illustré notamment dans la gravissime affaire des ‘Disparus du Beach’. Devrait-il être contraint, s’il y a pression, de dégager les responsabilités, qu’il serait étonnant, au regard des pratiques, que le régime n’aboutisse soit au choix de sacrifier des ‘lampistes’, soit à un véritable ‘coup fourré’ ou une machination qui consisterait, une fois de plus, à un nettoyage politique plusieurs fois vérifié, comme il en fut notamment le cas à propos « des événements du 14 août 1978 » (cf. « Circonstances exceptionnelles et libertés publique au Congo : l’état de crise du 14 août 1978 »).

Pouvoir pillé et criminel par nature, le pouvoir congolais apparaît ainsi, dans son exercice, un pouvoir imbécile par la production et le déferlement chroniques de la bêtise, de l’incompétence, de l’irresponsabilité, de la misère, de la honte et des crimes multiformes. Enfermé dans une logique de pacification par la domination armée, de chantage forcené du peuple par la seule alternative de la dictature ou de la guerre, sur laquelle pourtant l’histoire a plus d’une fois et depuis fait son procès sous d’autres cieux, ce pouvoir, d’un solipsisme sans borne, confirme ainsi ne se permettre qu’une seule voie de sortie qui est celle, impitoyable, de la loi du Talion…

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