Une élite politique congolaise: du sempiternel tango politique à l’imbroglio et la disgrâce Par Félix BANKOUNDA-MPELE

Félix BANKOUNDA-MPELE

Félix BANKOUNDA-MPELE

Aux derniers épisodes de la vie politique congolaise, ou plus exactement de la jungle congolaise, depuis l’auto-proclamation (octobre 1997) puis l’auto-validation (mars 2002) comme chef d’Etat du général Sassou-Nguesso, diverses nouvelles ou affaires qui, si apparemment elles ne se ressemblent guère, ont tout de même un point commun : celui de désarçonner l’objectivité et les valeurs sociales les plus élémentaires, de brouiller les repères du commun des Congolais et, en dernière instance, d’entretenir l’imbroglio. Au grand dam de la politique. Une illustration, pour les observateurs les moins outillés, que l’élite congolaise, majoritairement guidée ou inspirée par l’immédiateté, les bas instincts et intérêts, a, depuis belle lurette, détourné la politique de son sens noble, sinon perdu la boule.

De ces affaires ou situations, toutes dernières et peu banales, on en relèvera quelques-unes : l’affaire Mbemba1où le cité ‘découvre’, maintenant seulement, et de façon pompeuse et tonitruante, « la pagaille …et le banditisme’ ! La trouvaillepar Martin Mbéri, dit ‘Martin le terrible’2, ancien et éphémère chef de parti autoproclamé, d’une factice, politicienne et métajuridique ‘troisième voie ! Les responsables de certains partis qui, par médias et interviews interposés, se jettent l’anathème sur l’instrumentalisation des autres! Gabriel Longobé, juriste de son Etat,  « grand juriste »3 du pouvoir autocratique comme Bienvenu Okiémi, premier et ancien Secrétaire général à La présidence putschiste, qui vient de se rappeler4 ce qu’il avait oublié cinq ans durant, à partir de 1997, c’est-à-dire qu’une Constitution régulièrement adoptée est soumise à des conditions juridiques rigoureuses d’évolution ! Marion Madzimba, maître-assistant en droit public à l’université de Brazzaville, très emballé par le « coup d’Etat salutaire » de 1997 et les directions de cabinets ministériels post-coup d’Etat, mais tombé depuis en disgrâce, qui resurgit sur les radars de la politique congolaise, découvre l’intimité pourtant éternelle de l’autocratie avec la corruption généralisée assortie d’impunité, et trouble par conséquent la e-réaction jusqu’au buzz ! Enfin, la horde au pouvoir qui, directement ou par ses intermédiaires, égale à elle-même, excelle dans la suffisance et le cynisme, multiplie les initiatives et manœuvres, au nom d’un ‘jeu politique’ dont elle a seule la saga, jeu qui est tout sauf rationnel et légal, pour conserver ses louches intérêts !

Plus d’une fois, pour ne pas dire régulièrement, l’on a entendu ou lu les Congolais se plaindre, à juste titre, de leur classe politique, de leur élite, les considérant en général comme peu vertueuses, sans conviction, peu patriotes (c’est un euphémisme), vénales et prédatrices, et donc très prisées et douées dans le ‘vagabondage politique’ principalement.

Sans doute peut-on, dans une démarche scientifique ou pédagogique, c’est-à-dire objective, historique et comparative ou doctrinale, s’interroger sur la notion, la représentation ou constitution de ce qu’est l’élite, voire sur son existence ou pas au Congo. Peu importe en l’occurrence. Le lieu est de toute façon inapproprié. Il reste que, quel que soit l’angle qu’on adopterait ou privilégierait dans ce sens, Jean-Martin Mbemba, Martin Mbéri et d’autres, en raison de leur statut, des postes qu’ils occupent (ou ont occupé), ou des représentations de nombreux de leurs compatriotes, font indiscutablement partie de celle-ci.

A l’image d’une famille, tout peuple, quel que soit son degré d’intégration, a une élite, un (ou des) guide (s), sinon le groupe n’existe pas. Tant il est vrai que par carence, faiblesse, inaptitude ou ‘désordres ‘ de quelques-uns et, corrélativement, en raison de l’initiative (quel qu’en soit le sens) de quelques-autres, la vie en groupe finit toujours par susciter une forme d’avant-garde. C’est au nom de ce postulat, et en y alliant le présupposé de valeurs intrinsèques à chaque groupe, que s’est construite l’assertion selon laquelleles peuples n’ont que les dirigeants qu’ils méritent.

Sauf que l’avant-garde, les représentants, consciemment ou pas, une fois installés, partout, s’arrangent toujours à vouloir mouler leurs concitoyens, ou à ériger en vertus ou valeurs dominantes, auprès de ceux-ci, les considérations auxquelles ils sont attachés ou croient, ou qui les intéressent, démontrant ainsi la relativité de l’assertion précédente.

Autrement dit, l’assimilation de la bêtise ou médiocrité de l’élite et des gouvernants à la qualité des gouvernés n’est valable que sur une relative longue durée, parce que ceux-ci auront abdiqué ou cédé, quelles que soient les contraintes, sur l’essentiel des valeurs sociales qui justifient le groupe. Mais que, sur une relative courte durée, l’opprobre peut régner, en décalage des valeurs essentielles et communes, s’attelant à pérenniser ses positions et intérêts masqués et érigés en intérêt général. Telle est, indiscutablement, la situation du Congo.

Le degré de liberté sociale ou de démocratie, on s’en doute, réduit fortement le règne de la bêtise, tandis que l’autocratie au contraire peut prolonger et amplifier celui-ci. A terme cependant, et en général, sauf décrépitude généralisée assez rare, les valeurs sociales, en raison de leur irréductibilité, de leur connexionau fond universel, reprennent le dessus et donc le dernier mot sur le pouvoir morbide et décalé, non sans garder ou accuser quelques stigmates du passage ‘médiocratique.

La coexistence ou dialectique de ces deux vérités ou rôles met ainsi en évidence la charge première qui incombe aux dirigeants, l’exigence de certaines vertus, et donc leur rôle de guide, qui fonde en cela la raison même de l’élite. Le peuple n’intervenant, en conséquence, si ce n’est en amont comme seul véritable souverain, qu’en dernière instance comme l’ultime gardien des valeurs sociales et fondamentales, après l’intervention ou la défaillance des organes intermédiaires régulièrement institués.

C’est dire que, d’une façon ou d’une autre, la bonne ou mauvaise qualité des dirigeants, d’une élite, plus que les valeurs communes et générales d’une société ou d’un peuple, en raison de sa quotidienneté, de sa permanence et de son impact sur l’action collective, joue un rôle plus déterminant sur l’état, l’évolution ou l’avenir du groupe. C’est un truisme. Comme le sont, à l’expérience, partout, les éternels abus et déviations de l’élite et des représentants, toutes proportions gardées.

Il n’est, dès lors, pas étonnant que nombreux des pays africains, le Congo plus spécifiquement et en l’occurrence, en soient encore, quasiment, à la case départ sur les ambitions et enjeux collectifs et majeurs délibérément fixés.

Sans doute peut-on, ainsi, dire ou déduire que le discrédit de l’élite n’est pas une spécificité congolaise. L’actualité africaine et internationale, française pour prendre un pays qui sert souvent de référence aux africains francophones, est en effet là, constante, pour rappeler, certes, que le Congo n’a pas le monopole d’une élite brouillonne, légère, calculatrice, prédatrice et sans vision d’envergure.

La spécificité congolaise c’est, essentiellement et à la fois, le défaut d’un socle solide et prolongé des valeurs assorti de la forte prépondérance des opprobres qui, en définitive, banalise ou ‘normalise’ la bêtise, et fait ainsi de celle-ci la règle, la référence. De telle sorte que constitue en général, aussi bien pour ladite élite que pour les populations, une espèce rare, ‘un emmerdeur’, presque un ‘ovni’, un membre de l’élite ou du corps social qui résiste aux différentes tentations, défaillances et faiblesses citées. Les spécialistes de la question de l’Etat en Afrique y déduiront, assez facilement, sa fragilité, son illégitimité et la précarité de son sens. On y ajoutera, corrélativement, l’invocation naïve, hypocrite ou situationniste par l’élite d’une république plutôt incantatoire.

Lesdits derniers épisodes, de façon intégrale, et conformes en cela aux pratiques antérieures et récurrentes, confirment ces différentes considérations : aussi bien les initiatives, les éternelles voies de fait au Congo que les comportements et réactions des différents acteurs politiques, démontrent que, pour longtemps encore, au Congo, l’habitus est aux antipodes de la vertu. Le séjour fort prolongé de la gangrène aux affaires, on l’aura compris, n’y est pas pour rien.

Passons, et esquissons l’illustration.

Des politiques qui s’embarrassent de peu de scrupules

. Le portefeuille d’abord et avant tout

« J’étais dans mes appartements, j’ai entendu un bruit dehors, quand je sors c’est ma garde qui est entrain de repousser six policiers lourdement armés…

« …Ce n’est pas possible qu’on vienne à la résidence d’une autorité. Je suis président de la Commission nationale des droits de l’homme, ancien Garde des sceaux, ancien ministre d’Etat, avocat et ma résidence sert également de siège de la Commission nationale des droits de l’homme. A 19h30…franchement c’est de la pagaille

« …Toute la nuit il y avait une vingtaine de véhicules bâchés et lourdement armés, lourdement équipés… Jusqu’à présent ils sont une cinquantaine chez moi, toujours bien armés, donc c’est moi qu’ils viennent chercher… C’est du banditisme »

Ces plaintes orales à RFI début mai, sous la réserve de leur exactitude matérielle intégrale, sont, étonnamment, celles de Maître Martin Mbemba, et qui ont ‘renversé’ plus d’un, comme ne l’ont pas démenti les nombreuses réactions dans les réseaux sociaux congolais5.

Spontanément, on s’étonnera que le tonitruant ex-ministre, maître Mbemba comme l’appellent si couramment et familièrement les Congolais, soit resté bouche cousue sur les différents épisodes de crimes massifs présumés de son président et ex-patron au gouvernement entre 1997 et 2001 — pourtant dénoncés par toutes les organisations humanitaires sans exception6 –, mais aussi sur les interpellations et humiliations de certains de ses ex-collègues comme maître Malonga tout récemment (début de l’été 2012), semblant s’en remettre à son collègue Massengo Tiassé de la Commission nationale des droits de l’homme !

Bien plus étonnant, l’auteur de ‘L’autre mémoire du crime contre l’humanité’7, défenseur «pour la justice, pour l’équité, pour la fraternité entre les hommes de toutes les races », mais surtout pour la cause et avec « la sensibilité propre…nègre » selon ses propres termes8 — au sommet de sa gloire au sortir du fameux procès Klaus Barbie auquel il avait participé en 1987, et qui justifie ledit livre –, était le responsable du département de la Justice au moment de ces crimes sur une large partie du territoire, sur lesquels jusqu’ici aucune enquête n’a jamais été menée !

La déclaration selon laquelle « Je suis ancien Garde des sceaux, ancien ministre d’Etat… » suffit à éclairer sur la confusion, le degré de conséquence et des valeurs chez l’intéressé et, en quelque sorte, sur le fonctionnement de l’écrasante majorité de l’élite congolaise : Garde des sceaux sous la transition démocratique, chèrement et de longue haleine acquise, en 1991 — puisqu’officiellement elle aura été précédée par pas moins de trois mille morts victimes de l’intolérance politique depuis l’indépendance –, c’est sans hésitation qu’il devint aussi ministre d’Etat avec le même département, dès octobre 1997, sous la transition autocratique post-coup d’Etat octroyée et inaugurée par le général-président autoproclamé sur le dos d’une dizaine de milliers de morts ! Transition dont la caractéristique essentielle et manifeste est d’être aux antipodes de la précédente, et donc à l’origine de sa liquidation et de la résurrection de l’ancien régime9. Ces deux transitions, incompatibles évidemment et pour cause pour tout esprit conséquent et probe, sont valorisées et valorisantes pour le sacré avocat, et partant, placées au même rang, puisqu’il s’en prévaut gaillardement.

Clairement, et en somme, pour lui, les deux transitions se valent ! Faisant ainsi douter de la sincérité même de la revendication démocratique pendant la Conférence nationale, puisque le poste ministériel est apparemment au-dessus des acquis de la conférence nationale. Il n’est pas le seul. Cette tendance est plutôt dominante.

Son mentor à l’occasion du fameux procès Barbie cité de Lyon en 1987, maître Jacques Vergès, avocat du régime congolais déchu au moment du contentieux électoral né en 1993 à Brazzaville – dont Maitre Mbemba, grande figure de l’opposition avec Sassou et Kolélas, était président de la Commission électorale indépendante qui au bout de deux semaines n’ a jamais réussi à proclamer les résultats–, est rappelé en mai 2000 par celui dont il avait assuré la promotion dix ans plus tôt (Maître Mbemba) ; mais, cette fois comme avocat, dans un procès au contexte politique et juridique pour le moins scabreux,  au service du système du tombeur de son ex-client10, et contre lequel il a plaidé quelques années auparavant ! A l’occasion, il pondra, lui également, ‘Un procès en barbarie’11 pour faire principalement état des pratiques et de la toxicité de Bernard Kolélas, sous le régime Lissouba! Tout cela, prioritairement, pour la légitimation et la consolidation du pouvoir putschiste, et de ses intérêts propres, par des contreparties et gages probants au nouveau maître !

Plus triste et déroutant, maître d’œuvre de la Constitution sans précédent du 15 mars 1992 — parce qu’impersonnelle dans l’histoire politique et constitutionnelle du pays –, en sa qualité de ministre de la Justice alors, il est aussi celui qui se chargera de la sale besogne de lui jeter la dernière pelle, non sans une tardive et cynique  oraison funèbre que ne dément pas la séquence suivante :

Du 22 au 26 mai 1999, invité, avec d’autres, par l’Institut International de Droit d’Expression et d’Inspiration Françaises (IDEF) à participer et faire une communication12 à son XXVIe congrès sur L’urbanisme et le droit, à Beyrouth, sous la direction scientifique du Pr Jacqueline Morand-Deviller, je m’y retrouvai alors avec un collègue de Brazzaville en séjour à Paris, qui, lui, était invité par son ancienne directrice de thèse, la citée, mais aussi avec le ministre d’Etat Mbemba qui lui venait du Congo, non pas pour une communication mais es qualité. Au cocktail, le soir du jour de notre arrivée, à la résidence de l’ambassadeur de France à Beyrouth, mais aussi au diner collectif du lendemain, à l’hôtel, manifestement, le ministre semble animé par le désir d’un aveu qu’il a toutefois quelque mal à accoucher. Certainement en raison du grand nombre d’invités (pas moins d’une cinquantaine) et de leur profil cosmopolite qui, au premier dîner, interfèrent inopinément d’un groupe à un autre. Finalement, au diner suivant, et autour d’une table cette fois relativement plus ‘idoine’ où nous nous retrouvâmes, lui et son jeune collaborateur (un de nos anciens étudiants me dira l’intéressé), moi et le collègue, mais aussi le malien Diango Cissoko, ancien ministre de la Fonction publique, et actuel Premier ministre malien, et l’universitaire camerounais Maurice Kamto qui est vite parti, le ministre se décide enfin et annonce combien il avait été opposé et déçu de la décision d’abrogation de la Constitution issue de la conférence nationale par Sassou-Nguesso, et que ses multiples explications avaient été vaines. Comme s’il ignorait qu’il s’agissait d’un coup d’Etat, et de sa logique, avec des précédents constants (six fois) dans l’histoire politique du pays ! Evidemment que ses aveux embarrassaient tout le monde autour de la table parce que perfides, puisqu’il restait quand même ministre de la Justice ! C’est plus tard dans la nuit, dans les couloirs de l’hôtel, que mon cher Diango, que j’avais connu au Caire deux ans auparavant dans des circonstances semblables, et avec qui nous partagions un objet de réflexions et d’écrits similaires, le droit de la fonction publique13, me demanda s’il avait bien compris : « Si j’ai bien compris, notre aîné-là était ministre sous la transition issue de la conférence nationale du Congo, mais il est aussi ministre maintenant sous Sassou arrivé comme-ça » ! Tu as tout et bien compris cher Diango, lui répondis-je laconique. Il baissa la tête un temps, puis la releva et, l’air troublé, essayant de me fixer cette fois, mais le regard tout de même un peu vacillant, me demanda pudiquement si cela est courant chez nous. Sans détours, je lui répondis encore que c’est perpétuellement la grande mode chez nous !…

Quelques jours après la fin du congrès, et de retour en France, bien qu’averti du double discours et des comportements politiques au Congo, je tombai des nues lorsque le ministre d’Etat (chargé de la Justice) sous la transition autocratique, par le biais d’une longue interview au journal africain Le Continental se chargea de nous fixer que c’est un authentique homme politique congolais : «Au sortir de la guerre, il fallait refondre la Constitution. Nous avons procédé à un acte fondamental, dès lors que la Constitution que nous avons adoptée en 1992 a montré ses faiblesses»14 ! Sans autre forme de procès ! A bas les procédures et les règles fondamentales de révision ! A bas l’Etat de droit ! A bas « la résistance par la désobéissance civile en cas de coup d’Etat… » prévue par tous les textes fondamentaux congolais ! A bas les milliers de victimes de l’intolérance ! A bas « … la justice, pour l’équité, pour la fraternité entre les hommes… » (sus-cité) ! Vive l’Acte fondamental de sinistre mémoire et réputation qui, dans l’histoire constitutionnelle et politique du pays, et pour la septième fois en trente sept ans de vie politique, est toujours venu, sans exception aucune, couronner un coup d’Etat ! Acte dont on a voulu, lors de la Conférence nationale, par une forme d’exorcisme consensuel et politique, évacuer définitivement le venin dans la vie politique congolaise le 4 juin 1991, par l’adoption du tout dernier mais, fait unique et sans précédent, en préservant le président (Sassou-Nguesso) en place qui ne sera remplacé que par un président sorti des urnes à venir15 ! Le sujet (les modes d’établissement des constitutions), chapitre fondamental du droit constitutionnel classique, y compris dans le récent Traité international de droit constitutionnel16 pourtant, c’est-à-dire du fond constitutionnel commun, raisonnable, historique et universel, est en l’occurrence toujours escamoté par tous les ‘grands juristes’ congolais17 dans leurs écrits et semblent ignorer que cet acte d’abrogation formalisé par l’Acte fondamental du 24 octobre 1997, intervenu après une Constitution régulièrement et démocratiquement adoptée, et qui prévoyait des conditions de révision,est à lui seul justificatif du coup d’Etat18, avec, au plan juridique, des conséquences sans équivoque : la nullité de toutes les décisions souveraines du guide congolais, selon le droit en général dans tout Etat digne de ce nom, mais spécifiquement selon l’Acte fondamental de 1991, selon la Constitution abrogée au dernier alinéa de son préambule et selon l’article 26 de la Charte Congolaise des Droits et Libertés de 1991, à laquelle se réfèrent curieusement et contradictoirement ledit Acte issu du coup d’Etat et la Constitution actuelle de 2002 (en son préambule), décidément mort-née19 puisque congénitalement non viable et, a posteriori, méprisée comme ne le dément notamment pas la question actuelle de la révision de la limitation des mandats, de toute façon déjà tranchée par le dictateur20 ! .

Outre Atlantique, au mois de mai dernier, de l’Université de Montréal précisément où nous avons suivi les échos de l’affaire Mbemba, quelques Africains des universités voisines du Congo qui, connaissant autant l’avocat de renom que le régime congolais, cherchaient à comprendre l’événement, la perplexité et l’incompréhension étaient totales : comment comprendre les volte-face et turpitudes de l’ex-ténor du barreau africain auxquelles le Congolais sur place (votre serviteur) ne pouvait que très difficilement, sur le champ, expliquer et détailler les motivations et la rationalité ! Comment un « avocat de renommée internationale…fondateur de l’Union pour le Progrès, une des formations politiques les plus actives à la Conférence nationale»21, qui ne sera toutefois représenté à l’assemblée démocratique que par lui-même les élections venues, a pu, par la suite, s’allier à l’action la plus barbare de l’histoire politique du pays pour la démolition délibérée de tous les acquis de ladite conférence nationale ! Puisque, si la conférence nationale avait recensé autour de trois mille morts auparavant pendant trente ans d’indépendance, et que la guerre de conquête du pouvoir elle en a coûté près de dix mille que ne dément pas le dictateur lui-même22, la liquidation de la résistance et la pacification armée de 1998 à 2001, période où ‘l’avocat international’ est ministre d’Etat chargé de la Justice23, sous une présidence objectivement et indiscutablement usurpée, en coûtera au moins dix fois plus24 !

Ainsi en va-t-il, apparemment, de l’exercice du métier de juriste, mais aussi de celui de politique, sans éthique ni convictions. C’est-à-dire, et en quelque sorte, une pratique et un profil qui révèlent et confirment, fort parfaitement, et une fois de plus, les réserves wébériennes sur la compatibilité vertueuse du politique et du ‘savant’. Et encore…

Le tango politique de Jean-Martin Mbemba, déjà impressionnant et ahurissant, est concurrencé par celui de « Martin le terrible». (A suivreLe pouvoir toujours, sous le couvert de l’affect)

1 Sur l’évolution toute récente de l’affaire, cf Lasemaineafricaine.fr, du 2 juillet 2013, avec une mise au point de Joel Nsoni : »Mbemba est visé par une plainte relative à une affaire de détention d’armes de guerre et de tentative de déstabilisation des institutions nationales ». Tandis que son parti argue qu’il s’agit d’ »un acharnement politique engagé par les agents des services de la Direction générale de la police et de la Direction générale de la surveillance du territoire ». Egalement : « Congo-Brazzaville : l’affaire Mbemba», in congo-liberty .com, 9 août 2013

2 Selon Jeune Afrique, n° 1767, du 17 au 23 novembre 1994, pp. 28-31

3 Selon La Rumeur, journal local, mai 1998

4 Cf. interview dans l’organe de presse du pouvoir, Les Dépêches de Brazzaville, édition du 13 janvier 2013

5 Dans ce sens, notamment, Tony Moudilou: « Martin Mbemba ne fait que payer le prix de sa trahison pour avoir assassiné la démocratie congolaise avec Sassou-Nguesso », in Congo-liberty.com, 8 mai 2013 ; également, Olivier Mouébara, « Me Martin Mbemba, l’arroseur arrosé », in congo-liberty.org, 16 mai 2013

6 A titre indicatif : « Brazzaville. Massacres dans l’indifférence. Les miliciens du président Sassou font régner la terreur dans la capitale» (Libération, 16 juin 1999) ; « Au Congo-Brazzaville, les douloureuses cicatrices d’un drame humanitaire » et « La quête angoissante des parents des fils des disparus, enlevés ou assassinés par la garde républicaine » (Le Monde, 26 février 2000, p. 2) ; « Congo-Brazzaville. L’arbitraire de l’Etat, la terreur des milices », Rapport FIDH, juin 1999, 34 p. ; Rapport FIDH, avril 2000, n°291, 23 p. ; Rapport Médecins sans frontières, octobre 1999, 12 p. ; Rapport Amnesty international, 25 mars 1999, 36 p. ; « Pétrole et éthique : une conciliation possible ? », de M-H Aubert, P. Brana, R. Blum qui font état d’au moins 40 000 morts ; etc.

7 Présence Africaine, 1990, 224p

8 Lire son Avant-propos de l’ouvrage cité, pp15 à 24, et plus spécifiquement la page 22 

9 Cf notre réflexion en ligne : ‘L’ancien régime ressuscité’, in Zenga-mambu.com, 29 novembre 2011

10 Le général ne manque évidemment pas de récupérer et de souligner le fait : « Après la victoire du 15 octobre 1997, ces prisonniers [de Kolélas] ont porté plainte contre Kolélas [avec qui il faisait pourtant activement équipe dans l’opposition], pour séquestration, torture, etc. Il y a ainsi eu un procès public, devant une cour criminelle, à Brazzaville. Des avocats, même étrangers, comme le Français Jacques Vergès ou des Sénégalais, sont venus plaider. Kolélas a été condamné par la cour criminelle – il ne s’agissait donc pas d’un procès politique – par contumace, à la peine capitale» in interview à Jeuna Afrique Economie, n°330, du 4 au 17 juin 2001, p.63. On notera qu’après le ralliement et le soutien de l’intéressé en 2005, lesdites peines, comme pour tout leader politique qui se rallie au régime, seront amnistiées,

11 Jacques Vergès, Dior Diagne, Procès en barbarie à Brazzaville, Ed. Jean Piccolec, 2000, 73 p.

12 Félix BANKOUNDA, Du sous-développement urbain : les mésaventures du droit de l’urbanisme en Afrique noire francophone, in L’urbanisme et le droit, Bruylant, 2000, 1003 pages, pp. 61-94

13 D. Cissoko, La fonction publique et les impératifs du développement en Afrique noire francophone : le cas du Mali, in RJPIC, 1986, n°3-4, p.921 ; une étude subséquente à sa thèse sur le même objet ; F. Bankounda, La fonction publique congolaise dans son environnement socio-économique, D.E.S., Brazzaville, 1986, 403 p ; F. Bankounda, La fonction publique congolaise à l’heure du programme d’ajustement structurel : une fonction publique d’exception ?, in Revue Congolaise de Droit, 1987, n°1, pp.66-93; Félix Bankounda, L’unicité de la fonction publique en France, T.U., Bordeaux, 1992

14 Continental, n°10, juin-juillet 1999, p.41

15 Pour plus de détails, Cf notre réflexion en ligne : Félix Bankounda-Mpélé, De l’escroquerie politique, Congo-liberty.com, 3 décembre 2011

16 Le sujet, admis comme tel dans la doctrine et dans les manuels classiques de droit constitutionnel, l’est autant dans la nouvelle et récente collection du ‘Traité international de Droit constitutionnel’ (Tome 1) élaborée sous la double direction de Michel Troper et Dominique Chagnollaud qui, avec d’autres, essaient d’identifier les principes fondamentaux et universels dans le domaine.

17 A propos de l’esquive ou inconséquence des ‘experts’ congolais en la matière, Dibas Eric Franck, officier supérieur de son Etat et docteur en droit, s’illustre parfaitement : « il ne doit faire de doute à personne que la Constitution du Congo a cessé d’exister car les violations répétées de la Constitution ont tué la Constitution » ! (RJPIC, 1998, n°3 . C’est cela l’élite congolaise ! Et pourtant, nous l’avons déjà dit et écrit (in Politeia, n°3, 2003), le code de la famille tout comme le code la route, textes moins fondamentaux que la Loi fondamentale, et de très loin plus violées, et de façon quotidienne, avec des conséquences apocalyptiques, restent en vigueur !

18 Fidèle à sa réputation, et cultivant le solipsisme et le cynisme jusqu’au paroxysme, le général affirme que « En tous cas, je ne crois pas avoir jamais usurpé un titre…A aucun moment, je ne suis arrivé au pouvoir à la faveur d’un coup d’Etat ! Ni en 1979, ni davantage, après la guerre civile de 1997 » !, interview in Jeune Afrique-Economie, n°330, du 4 au 17 août 2001, p. 60

19 Félix Bankounda, Une Constitution mort-née, la Constitution congolaise du 20 janvier 2002, in Politeia, n°3, 2003, pp.11-26. Petite précision : élaborée au départ sur le projet de Constitution, la critique dans ladite étude de l’absence de l’exception d’inconstitutionnalité est inutile puisqu’incorporée dans le texte constitutionnel final.

20 Egal à lui-même, et validant la maxime selon laquelle dictature et droit ne font jamais bon ménage, le dictateur ne se retrouve plus dans sa propre constitution pourtant octroyée : « Le véritable exercice démocratique exclut la limitation des mandats présidentiels… Le peuple est en droit de conserver un dirigeant au pouvoir aussi longtemps qu’il juge bon et utile pour le pays » (Sassou-Nguesso, interview à Jeune Afrique, n° 2463, du 23 au 29 mars 2008, p27)

 

21 Termes de Patrice Yengo, La guerre civile du Congo-Brazzaville, Paris Karthala, 2006, 446p., p ;431.

22 Interview citée, Jeune Afrique Economie, n°330, du 4 au 17juin 2001, p.64 : « la guerre à nouveau entre juin 1997 et octobre 1997, qui a été relancée en décembre 1998. Là, on estime qu’il y a eu pas moins de 10 000 morts, peut-être davantage encore »

23 Ministre du Travail et de la Sécurité sociale d’abord en décembre 1997, puis ministre de la Justice à partir de janvier 1999

24 Au moins 40 000 morts, cf. supra, note 5

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4 réponses à Une élite politique congolaise: du sempiternel tango politique à l’imbroglio et la disgrâce Par Félix BANKOUNDA-MPELE

  1. Dieudos Eyoka dit :

    « la horde au pouvoir qui, directement ou par ses intermédiaires, égale à elle-même, excelle dans la suffisance et le cynisme ». Très belle description du pouvoir en place. La suffisance et le cynisme est l’ordinaire des gens incultes ce qui caractérise ladite horde.
    En référence Franck Dibas avait le choix d’être juriste ou malfaiteur. Il n’a pas tranché, il est devenu le juriste de la Socotram et participe au pillage du Congo. Franck Dibas n’échappera pas aux poursuites….!

  2. Mouanga de BZ dit :

    Ne faisant pas semblant DSN est le premier et seul président du Congo qui a organiser des élections libre et a d’ailleurs avait échouer suite a ces élection, il quitte le pouvoir on respectons la loi des urnes. Pour quoi a cet époque vous avez pas dis qu’il aurai du rester? En 97 tous les Congolais réclamait le retours de DSN après le fiasco de PL en 2002 comme il l’avait organiser précédemment il le refait mais cette fois si le peuple on a décider autrement. Il est au pouvoir parce que le peuple a décider ainsi, pour votre information nous peuple souverain allons l’obliger a rester au pouvoir.

  3. Anonyme dit :

    C’est normal qu’il reste au pouvoir éternellement. La manière avec laquelle vous torturez la langue de Molière ne vous laisse pas de choix.

  4. Manona dit :

    Merci Félix de tenir ta promesse,mais aussi pour la qualité on ne peut plus pointue et pertinente ton analyse sur le comportement dévoyé et criminel des faux politiques Congolais,traîtres inqualifiables à leur propre pays et tortionnaires récidivistes de leurs concitoyens depuis que règne sans partage le PCT;règne destructeur du Congo initié en 1969.
    Toute ma fraternité et mon Amitié sincère.

    Martin Manona.

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