UN GENERAL PAS COMME LES AUTRES ? A PROPOS DE « CONGO : LE TEMPS DU DEVOIR », de J.M.M. MOKOKO ,par Félix Bankounda-Mpele

général jean marie michel mokokoPar « Congo : Le temps du devoir », le général Mokoko semble confirmer l’image, déjà fort diffusée par une certaine presse, d’ « un général pas comme les autres » (Jeune Afrique, n° 1666, du 10 décembre 1992). En effet, au-delà de la contestation que peut soulever cette qualification sur laquelle nous ne nous attarderons pas puisque ne relevant pas de notre préoccupation ici, on reconnaîtra tout de même à l’auteur, a priori, au moins deux qualités : en premier, la volonté de l’écriture car, dans une Afrique où l’on ne dénoncera jamais assez l’amorphisme dans ce domaine, les militaires, généraux soient-ils, qui se décident à prendre leur plume ne sont pas monnaie courante. Mais c’est surtout sur le deuxième point que l’on se réjouira du manifeste de J.M.M. Mokoko : sa contribution, tant bien que mal, à l’éclairage de cette période, pas vraiment macroscopique, des trois premières années de l’entrée démocratique au Congo.

Sur le fond, l’auteur, Chef d’Etat Major Général (CEMG) de l’Armée avant, pendant et après la transition, auparavant hissé au rang de membre du Comité Central du Parti Congolais du Travail (PCT, alors parti unique) à son dernier congrès ordinaire pré-démocratique (juillet 1989), avant d’abandonner cette étiquette dix sept mois plus tard (décembre 1990) pour dépolitisation de l’Armée, a été, on le sait, un grand acteur de la vie politique congolaise. Il ne manque au demeurant pas de souligner dans l’ouvrage plusieurs séquences des rôles tant officiels qu’officieux (pp.28, 29, 57) joués pendant la période fébrile d’accouchement de la démocratie.

Tout en faisant, à sa façon, une petite mise au point sur l’avènement immédiat de la démocratie au Congo, notamment sur la position de l’Armée à l’heure du bouillonnement démocratique, puis sur les tractations CSC/PCT, en réalité Bokamba/Sassou, l’auteur fait un exposé que l’analyse autorise à classer en quatre compartiments . Primo, la justification de son action à la tête de l’Armée : l’auteur s’affiche à ce titre comme un démocrate, favorable à l’organisation de la conférence nationale sous la houlette du PCT, défenseur des positions du peuple et aussi de l’éthique et de l’honneur de l’Armée ; « médiateur et modérateur », il souligne, en plus, ses différentes actions « dont l’enjeu stratégique était la paix, la sécurité et la stabilité du pays » (p.42). Secundo, la justification de ses rapports, en général compliqués, avec les autorités successives dont le portrait dynamique qu’il établit n’est pas exempt de partialité et de subjectivisme : le président Sassou qui n’a cessé, dès le début de l’ère démocratique, de le soupçonner de « connivence et intelligence » (p.43) avec ses adversaires politiques, est présenté, suite à sa disqualification par le peuple, comme « habité par un souci extrême, celui de laisser le pays en de bonnes mains » (p.57) ; ce qui serait à la base de sa préférence pour le candidat Lissouba au deuxième tour. Milongo, ce « brave homme » manipulable (p.49), à qui il ne concéda quasiment aucune grande décision sur les grands dossiers et problèmes de l’Armée, aura été « un Premier Ministre bien mal conseillé » (p.46). Lissouba, « confortablement élu avec le soutien et l’aide du PCT » (p.58), homme de pourrissement (p.59) des situations, aux actes non exempts de malice (p.68), mais surtout non respectueux des accords (p.63), fait, par le biais de son régime, tertio, l’objet d’un traitement spécial avec près du tiers de l’ouvrage consacré à sa critique, véritable catalogue de maux dont le résumé est une « démocratie crucifiée »(p.57) qui justifie, quarto, l’ambition et l’amorce du programme du Général Mokoko, c’est-à-dire, le temps du devoir. Par des recettes, sans toile de fond nouvelle, que sont les désormais rhétoriques Etat de droit, confiance aux cadres, gestion financière rigoureuse en conformité avec les institutions de Bretton Woods et réflexion prospective nationale, recettes à réaliser autour d’un démocrate déterminé, rassembleur, mobilisateur issu d’ « une classe politique rénovée et débarrassée des ruses démoniaques habituelles »(p.94), dans « un nouvel état d’esprit »(idem), l’auteur construit « l’espoir»(p.20) et « la marche pour le progrès »(p.83) du Congo.

Acteur, on l’a dit, pendant « les événements » mais aussi pour l’avenir – puisque l’auteur dont les ambitions de leadership depuis ses intransigeances à la tête de l’armée jusqu’à la création de son Mouvement pour la Réconciliation Congolaise (février 1996), en passant par ses interviews successives, ne pouvaient prêter à équivoque – , J.M.M. Mokoko n’échappe évidemment pas à la partialité, à une forme de narcissisme, à l’analyse sélective qui caractérisent souvent tout prétendant présidentiel.

De la partialité, on peut l’illustrer, comme amorcé, par la présentation des hommes, ses supérieurs hiérarchiques, mais aussi, notamment, dans la narration du conflit politique et de ses dérapages en violences politiques où, pas un seul instant, il n’est fait état de nombreuses exactions et violences commises par l’opposition qui précédèrent pourtant l’intervention de l’armée de novembre 1993. On croirait celle-ci (l’opposition) exclusivement victime passive ; de même, les maux politiques et économiques apparaissent a-historiques, sectionnés et ne prennent  naissance et relief que « depuis trois ans » (terme très usité). Ne sont pas moins discutables le poids réel et déterminant de l’aide et du soutien du PCT au candidat Lissouba, ainsi que l’injonction, au nom des principes républicains, du Haut-commandement ou du CEMG au gouvernement pour le respect d’un avis de la Cour suprême (p.70), alors qu’il s’était auparavant déclaré incompétent (p.65).

Relativement à l’analyse sélective des événements, l’auteur fait état et justifie l’appel à la désobéissance civile de novembre 1992 comme étant « en l’espèce l’unique recours permettant de résister à un pouvoir dont la tendance autocratique se dessinait clairement » ! (p.60), c’est-à-dire une désobéissance par prévention ( !), — au contraire, la Constitution la prévoit comme ultime recours – mais ne signale nullement que le premier recours explicite à la désobéissance l’a été pendant la transition, essentiellement contre lui-même, lors des événements dits du « coup de force de l’armée » de janvier 1992, qui ne manquèrent pas d’entraîner mort d’homme. Bien plus, l’affirmation selon laquelle, suite au conflit électoral de juin 1993 et aux « escadrons de la mort » de la Présidence, « il ne restait à l’opposition qu’une solution : prendre des armes pour résister »(p.67), laisse perplexe tant parce que la Constitution ne se prononce pas en faveur de l’usage de la désobéissance par le moyen des armes, que sur la question curieusement tue par le général, de savoir où est-ce que l’opposition trouverait ces armes ! Question importante, mais esquivée par l’auteur alors qu’elle est permanente dans la rumeur et dans le discours officiel pendant la période qui précède immédiatement l’avènement de la démocratie, et aussi pendant la transition.

Le narcissisme et l’excès constituent une autre dimension de ce manifeste. Qu’on en juge : « je réponds à un appel pressant… » (p.3) ; « Mon comportement était dicté par ma haute conception de mes responsabilités… »(p.30) ; « l’officier…de ma loyauté… »(p.43) ; c’est « un engagement politique par devoir »(p.9), bref, un usage abusif de la notion de « devoir », de « légalité républicaine » parfois invoquée de manière impertinente (p.70), de « l’honneur et de l’honorabilité de l’armée » qui frise le militarisme et aussi son invocation dans des cas qui ne devraient pas l’être (pp.37 et 41).

Sont pour le moins surprenants, certains passages comme l’affirmation d’une « contestation généralisée depuis trois ans »(p.14), connue pourtant comme étant essentiellement urbaine, plus précisément dans certains quartiers de Brazzaville ; ainsi que la conviction par l’auteur dès 1988 d’un évident changement au Congo suscité par le ‘Vent de l’Est’ puisque cela n’a pas empêché l’intéressé d’intégrer le Comité Central l’année suivante suite au congrès du parti unique, même si, et cela supposerait alors du calcul, l’on peut expliquer cela par la nécessité de sauvegarde du poste.

L’ouvrage enfin, sur certains points de la critique, est dès sa parution assez déphasé sur le développement de la situation politique et économique  sur le terrain, avec notamment l’instauration de la paix (si fragile soit-elle, comme elle l’a toujours été un peu partout) accompagnée des symboles significatifs, la libre circulation des personnes dans les quartiers de la capitale, la conclusion d’un accord d’ajustement entre le gouvernement et le FMI, le paiement désormais régulier des salaires des fonctionnaires depuis décembre 1995,…

S’il est pertinent de dénoncer certains manquements comme la non-déclaration de leur patrimoine par les membres du pouvoir avant la prise de fonction (obligation constitutionnelle), ce qui est frappant dans l’ouvrage c’est le classicisme de la critique, par ailleurs essentiellement focalisée sur la période qui va de l’élection du président de la République. Rien d’étonnant : c’est l’œuvre délibérée d’un opposant ; ce qui l’est cependant c’est son infécondité : aucune clé véritablement nouvelle n’est fournie aux maux qui sont recensés, de surcroît sectionnés et agressivement amplifiés. La « classe politique rénovée» (p.94), pour ne parler que de cette clé magique, laisse entier le délicat problème du ‘comment’ dans une société dite désormais de l’urne, qui ne rime en principe plus avec « révolution » ; envisagée quantitativement, par dose et étapes, c’est l’inévitable loi dialectique et permanente dans toute société. Entendue comme « rénovation pure » et qualitative par contre, c’est parler d’une génération spontanée, inexistante tout simplement. Existerait-elle, que l’on se demanderait si, avec évidence, l’auteur y émergerait ! Par des remèdes du genre « la détermination », « la mobilisation », « le rassemblement », « la confiance », « le dialogue »…, le général Mokoko est-il de ceux qui croient à la magie des mots ?

Pour qui connaît la musique des CEMG  ou autres personnalités militaires sur le continent, depuis 1963 au Togo jusqu’à …1996 au Niger, en passant par la Centrafrique, le Ghana, le Burundi, le Zaïre, le Congo, le Bénin et autres, Le Temps du devoir laisse, au fond, l’impression que l’auteur n’a pas échappé à la tentation qui obsède habituellement les titulaires de cette haute fonction, détenteurs de « l’arme absolue », dans un monde qui, jusque-là, était celui de la jungle, et que d’avoir frôlé la magistrature suprême, de l’avoir manqué in extremis, n’épuise pas son ambition. C’est aussi, dans un sens, l’effet du virus du pouvoir : d’avoir dirigé des hommes, côtoyé des ‘chefs suprêmes’, observé leurs forces et leurs faiblesses, leurs stratégies, leurs succès et leurs échecs, le général estime avoir fait école, disposer autant, sinon plus qu’eux, des qualités nécessaires pour l’exercice de la fonction suprême.

Les lettres de noblesse doivent cependant lui être reconnues pour cette rapide reconversion à la nouvelle donne et l’acceptation, sur la forme, d’un nouveau mode de combat, pacifié et civilisé pour les militaires. Il faut le féliciter, encourager cela et espérer qu’il en sera conséquent, pour le triomphe chichement rappelé dans l’ouvrage, de la « légalité républicaine » qui, au plan théorique, aurait appelé ici un intéressant commentaire quant à son universalisme, son transfert, sa réception, ses représentations et les conditions de son application mais, ce n’est certainement pas sous cet angle qu’il faut apprécier le projet du général.

Commentaire paru dans la revue française ‘Politique Africaine’, n°63, 1996, p.150-151 et dans le journal Congolais ‘Le Temps’, n°48, du 28 août 1996, p.11

Par Félix Bankounda-Mpele

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7 réponses à UN GENERAL PAS COMME LES AUTRES ? A PROPOS DE « CONGO : LE TEMPS DU DEVOIR », de J.M.M. MOKOKO ,par Félix Bankounda-Mpele

  1. TCHIBOTA DJEMBO dit :

    Le Frère BANKOUDA, j’ai moins apprécié ce papier sur MOKOKO , parceque le chaos du congo c’est la gestion de l’homme du nord , certes MOKOKO est mieux vu par les LOBBYS MAFIEUX occidentaux pour succèder à SASSOU , d’ailleur nous avions bien qui était derrière son coup d’état manqué contre MILONGO ! Ce dernier est le pure produit de sassou aussi voleur comme lui , son château à DIATA , villa à kintélé au bord du fleuve du congo plusieurs parcelles dans b/VILLE , des villas à SALI ville côtière du Sénégal pays de sa femme ou encore des appartements dans paris très hupper , MOKOKO est aussi de la mafia congolaise comme son maître sassou la preuve il reste conseiller du kani à EDOU .

  2. MOUAZIBI dit :

    Frère Tchibota, il me semble que tu n’as pas lu l’entiereté du texte de Mr bakounda. Il n’est pas tendre avec le général Mokoko, mais est assez nuancé. Et puis j’ai remarqué après que c’est un texte qu’il a écrit en 1996, si je m’en tiens aux sources en bas du texte. Enfin, c’est une analyse il me semble juridique et politique mais pas politicienne.

  3. salesh achille dit :

    Dieu merci, chaque citoyen du monde peut maintenir devenir ecrivain, meme pour etre lu par sa famille seule… Je n’ai pas lu le livre, mais le texte de Monsieur Bankounda me rappelle une petite phrase de Lissouba: « …General Felon…  » Voici des livres qui, a une certaine epoque , passaient par l’autodafe.

  4. J’ai très bien connu le général Jean-Marie Mokoko avec qui j’étais en classe préparatoire au Lycée Dumont d’Urville de Toulon ; ainsi que son compatriote le général Emmanuel Eta Onka et deux autres officiers un peu plus jeunes : Yoka et Tsonga.
    Je les ai retrouvés tous les quatre à Brazzaville lorsque j’ai pris mes fonctions de chef du BCM (bureau de coopération militaire) en 1982.

    En ce qui concerne le général Mokoko, je puis vous affirmer qu’il s’agit-là d’un officier qui n’a absolument rien de narcissique. Je ne lui connais que des qualités dont les plus importantes sont l’intelligence, la fidélité et un sens de l’honneur hors du commun. Votre couplet sur le narcissisme et l’excès ne correspond absolument pas à l’homme que nous avons tous connu en prépa et à Saint-Cyr. Encore moins à celui avec qui j’ai travaillé pendant deux ans à Brazzaville.

    A moins qu’il y ait un autre général Jean-Marie Mokoko dans les rangs. Un être de cette qualité-là ne change pas à ce point.

  5. mwazibi dit :

    Et pourtant, cher Monsieur, ces défauts et faiblesses ressortent bien de la personnalité du général Mokoko, puisque illustrés par des passages et affirmations tirés de son ouvrage et clairement rappelés par le commentateur qui ne se borne pas à caractériser…mais justifie!

  6. yannyck chaka dit :

    ils sont tous les tabacs de la meme pipe, pendant que le peuple congolais souffre du manque de tout ces grands frères ont trahi le congo . c’est la raison pour laquelle Sassou est toujours la. pour faire partir Sassou , il faut raser toute cette bande de voyous comme Mokoko, ndenguet, etc et beaucoup d’autres . ils sont tous responsables du malheur du peuple congolais .

  7. jack BAUER dit :

    Les hommes parlent le monde avance, je ne connais pas dans ce monde des hommes parfaits, mais en absence de toutes les preuves qui puissent les incriminer directement, le bénéfice du doute doit primer.

    j’ai lu avec attention tous vos commentaires, mais j’ai une question qui m’angoisse:
    – connaissez vous un chef militaire en Afrique, élevé au titre de chef d’état major Général, un homme qui avait la confiance du peuple , le soutien de son armée et des partis politiques pour renverser le gouvernement par la force des armes et prendre le pouvoir, qui en a décidé le contraire et opté pour la démocratie?

    les démocraties africaines étaient toutes jeunes et fragiles, il a décidé de faire confiance à ce bébé et de croire en un avenir meilleur en Afrique sans armes.

    je pensais que les événements de 1997, nous avait appris que  » le pouvoir acquis par la violence ne profitait jamais au peuple ». et que ces prises de positions très peut comprises auraient pu nous éviter cela.

    il est bon de faire des critiques, mais j’ai appris une chose en politique africaine : « les hommes qui disent la vérité, ne sont jamais écoutés, ni reconnus à leur juste valeur.

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