Sanglots pour Loango : Une poésie de Florent Sogni Zaou

Au pays de Tchicaya U Tam’Si et de Tati Loutard, continuent à germer sur les vagues de l’océan Atlantique quelques « poèmes de la mer ». Et l’écrivain Florent Sogni Zaou nous invite à partager avec lui le triste destin de ce bout de son terroir et de l’accompagner dans ses « sanglots pour son village Loango ».

Une cinquantaine de textes constitue Sanglots pour Loango. Des textes qui s’appellent les uns les autres sous le ciel du village de Loango dont le regard se voit fixé sur la mer qui accompagne son destin. La mer, mère de Loango se révèle triste, sanglotant à cause des voyages sans retour de ses enfants vers un ailleurs incertain. Sanglots pour Loango, une poésie où s’expriment la douleur et la tristesse d’un enfant de la mer.

Evocation de la mer sur fond de tristesse avec un petit bonheur

Tout poète en général, et surtout ceux du côté de l’Atlantique, ne peut s’empêcher de chanter la mer dans tous ses paramètres aquatiques, mythiques et mythologiques. Sanglots pour Loango nous fait revivre le côté lugubre et triste des « poèmes de la mer » de Tati Loutard (2) où l’évocation des parents déportés est manifeste. Déjà dans « De sang dans le cœur », les enfants partis de l’autre côté de l’océan est manifeste : « Le cœur a bu le sang / L’enfant que j’ai envoyé / À la mer / Est rentré les mains vides » (p.19). Un retour stérile de l’enfant dont le poète, accepte malgré lui, de vivre le triste sentiment d’un aller sans retour : « Sur les rivages / Les femmes en pleurs / Attendent des visages qu’elles ne reverront plus » (p.25). Avec Sogni Zaou, la mer semble être en complicité avec l’envahisseur étranger dans la déportation de ses ancêtres de Loango. Aussi trouve-t-il inacceptable le mariage entre la mer et les négriers : « Sur la terre ferme l’effroi / Les négriers ont pris pied / La rafle / La terreur enflamme / L’œil du négrillon  / Qu’on prend à la gorge » (p.38). On se retrouve dans le village de Loango, jadis un paradis, qui s’est transformé en enfer avec la déportation. Et revient dans le subconscient du poète ce voyage sans retour de ses arrières grands-parents : « Loango / C’était autrefois fête sans fin / (…) Jetés à fonds de cales des négriers / Tes enfants plus jamais ne reverront / Ton sourire à l’aurore » (p.39). Chaque poème qui se fonde sur l’aquatique marin appelle toujours l’image de Loango sur laquelle le lecteur revoit, dans le rétroviseur du passé, la mer comme une sépulture.  Aussi, le poète ne peut s’empêcher de remémorer ses parents jadis victimes de la déportation : « J’ai levé les bras vers le ciel / Pour grandir plus que la mer / Qui m’attirait vers ses profondeurs / Où dorment tant des miens » (p.58). Mais cette tragédie, qui se révèle presque dans tous les textes du recueil où le poète marie la mer au voyage sans retour de ses parents, nous annonce paradoxalement une lumière d’espoir. Dans « Chanson d’espoir », malgré la tragédie de Loango, le poète croit à un espoir certain qui l’empêche de pleurer. Aussi préfère-t-il danser pour manifester l’espoir qui l’habite : « Le soleil de Loango de nouveau fera refleurir l’aube / (…) Je ne pleure plus / Sur la ligne de l’océan / À longueur de journée je danse » (p.61). Et sur la frontière entre la mer et l’océan, l’auteur nous signifie son regard de poète. Nous remarquons qu’avec la mer, le poète nous pousse  à la tristesse, au malheur du voyage sans retour de ses parents tandis qu’avec l’océan dans « Chanson à l’espoir », il nous fait revivre le bonheur de Loango : « Sur la ligne de l’océan /  À longueur de journée je danse » (p.61). Mais en remontant le temps, on peut revivre le bonheur de Loango à travers l’image maternelle du poète : « Ma mère m’a dit  / (…) Loango c »était autrefois citadelle / De la grâce et du sourire » (p.36). Ce bonheur se répète aussi à travers les souvenirs paternels : « Mon père me l’a dit (…) Loango c’était autrefois citadelle / De la grâce et du sourire » (p.36).

Le thème de la mort dans Sanglots pour Loango

À l’évocation de la tristesse du poète, se greffe la mort qui accompagne les déportés de Loango, sentiment sombre qui ne quitte pas son imaginaire. L’annonce d’un voyage sans retour au-delà de la mer se traduit généralement par la mort : « Ô citadelle mienne partie dans l’orage / Plus donc je ne te reverrai » (p.21). Dans le poème « Le bruit des morts », Sogni Zaou nous fait vivre l’horreur à travers le triptyque « bateaux – vagues – négriers », comme on peut le lire ci-après : « Le bruit des morts / Le tangage des bateaux / Le mugissement sourd des vagues / Le bal des négriers » (p.38). Cette évocation de la mort revient plus loin dans « La mort descend dans les cales », un poème qui exprime douleur et tristesse : « Dans la cale froide des bateaux [] / Les enfants de Loango ont trouvé leur sépulcre » (p.54). 

L’image de la femme

Souvent chantée par les poètes, la femme dans Sanglots pour Loango est timidement évoquée par l’auteur. Sa mère accompagne l’évocation de son village : « Loango je me souviens / Ma mère me l’a dit » (p.26). Dans « Loango, le pays de ma mère » on peut lire : « Loango / Le pays de ma mère / Et le mien / Tes fils entassés dans de gros filets » (p.37). La femme chez le poète, c’est aussi l’être idyllique comme on peut le constater dans le poème « Adieu la chanson » quand il exprime une déprime amoureuse : « La pluie s’est fait attendre / Adieu l’amour / Et le chant de l’aimée » (p.41).

Loango : mer et végétation

Loango, un village au bord de l’océan qui ne peut échapper à la présence de la végétation, un élément qui contribue à l’équilibre de la nature, amie inséparable du poète. Dans le mariage entre le village et la mer, le poète n’oublie pas les essences qui caractérisent le Kouilou. Et ce sont le manguier et le bambou qui ont marqué le poète Sogni Zaou. Ces arbres sont présents dans quelques évocations poétiques de l’auteur quand celui-ci promène son regard sur certains espaces naturels de Loango : « Manguiers fourbus à l’œil torve : Bambous qui frémissent / Au passage du vent » (p.32), « Derrière les manguiers dressés en haie » (p.40), Les manguiers rendent témoignage / De leur vérité » (p.63). Cet arbre avait déjà marqué le poète par ses fruits, comme on le constate dans « La mort descend dans les cales », un poème émouvant qui nous ramène à la mort des déportés : « Les mangues ont perdu de leur saveur / C’est en vain que dans ce jour couleur de nuit / Je tente un passage vers le sein du soleil » (p.54).

Poésie et musicalité chez Sogni Zaou

Certains des poèmes de son recueil se caractérisent par le retour obsédant de quelques vers qui donnent une couleur musicale à l’œuvre. Dans « Asphalte », le poète nous fait chanter et rechanter le refrain « Passe le temps » (p.48). Et la technique du refrain se découvre aussi dans « Douleur renouvelée » (p.55), « Le fonds de la mer, béant » (p.65), « Le soleil ricane » (p.71) et « Ciel triste » (p.72).  Des textes qui peuvent être traduits en chanson à cause de leur spécificité musicale.

Avec Sanglots pour Loango, se réalise un voyage dans un autre voyage, celui du lecteur vers le pays de Tchicaya U Tam’Si et de Tati Loutard, voyage qui nous révèle les voyageurs déportés au-delà de la mer. Cette mer qui nous fait penser au lyrisme maritime des Poèmes de la mer d’un autre enfant de la mer. Et Dominique Ngoïe Ngalla dans sa préface n’a pas tort quand il pense que « Tati Loutard a désormais un émule. Un poète du même coin de terre que lui, et de la même veine lyrique, s’est levé ».

Noël Kodia-Ramata

  • Florent Sogni Zaou, Sanglots pour Loango, éd. Renaissance Africaine, Garges-les-Gonesses, 2019
  •  Lire Jean Baptiste Tati Loutard, Poèmes de la mer, éd. Clé, Yaoundé, 1968
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