Politique de l’éducation, formations des compétences et construction de l’Etat en République du Congo de Claude Ernest KIAMBA

Voici un des livres sur l’historique de l’enseignement au Congo, un document qui doit être considéré comme un ouvrage de référence avec tous les sujets développés par l’auteur en ce qui concerne l’enseignement au Congo de 1911 à 1997. Deux points essentiels dans ce document centrés sur l’évolution de l’enseignement et la formation des compétences.

L’enseignement de 1911à aux années 90 en passant par l’axe 1963

A l’époque coloniale, l’enseignement est d’abord une œuvre missionnaire avec la mise en place d’un embryon de l’enseignement primaire de 1911 à 1936. De 1936 à 1945, André Davesne, Inspecteur d’académie en France met en forme une pédagogie spécifiquement adapté à l’enfant africain. Beaucoup d’établissements scolaires sont réalisés au Congo pour une formation de cadres subalternes et des auxiliaires tournés vers la Métropole. Brevié devant le Conseil de l’AOF annonce : « le devoir colonial et les nécessités politiques et économiques imposent à notre œuvre d’éducation une double tâche : il s’agit d’une part de former des cadres indigènes qui sont destinés à devenir nos auxiliaires dans tous les domaines et d’assurer l’ascension d’une élite soigneusement choisie : il s’agit d’autre part d’éduquer la masse pour la rapprocher de nous et transformer son genre de vie. Du point de vue politique, il s’agit de faire connaitre aux indigènes nos efforts et nos intentions de les rattacher à leur place à la vie française. Du point de vue économique enfin, il s’agit de préparer les producteurs et les consommateurs de demain ».   Et c’est ce que va faire l’assistance française au Congo jusqu’à l’indépendance du pays et quelques années après avant que le Congo tombe dans le régime socialiste avec la Révolution  des 13,14 et 15 août 1963 avec la congolisation progressive de l’enseignement. Avec la Révolution congolaise, le politique intègre le monde de l’enseignement : « concernant l’enseignement, des réformes avaient été initiées de sorte que l’école intègre les réalités locales et l’idée de sa nationalisation fut avancée le 14 juillet 1965 au nom de la JMNR [Jeunesse du Mouvement Nationale de la Révolution]  par Martin MBéri au congrès constitutif de l’UGEEC [Union Générale de Elèves et Etudiants Congolais] ». A partir de ce moment, le politique s’occupe de plus en plus de l’éducation et les politiques de l’enseignement se mettent au service de la lutte pour l’indépendance véritable du Congo. Aussi, observe-t-on  dans le pays une évolution au niveau de l’éducation. De 1960 à 1963, avec la première république, il y a dégradation progressive des conditions de vie des enseignants ainsi que de leur métier. Aussi, l’auteur le souligne : « [On constate] l’exode des enseignants vers d’autres emplois garantissant plus de sécurité matérielle ». En 1964 les décideurs politiques ont opté le régime socialiste et vont aller jusqu’à la nationalisation de l’enseignement. Aussi faut-il former les cadres locaux dans le domaine car ils sont surpris par le départ massif du personnel anciennement en fonction dans l’enseignement privé, surtout avec la campagne de dénigrement et la propagande anticléricale menée par certaines figures de la JMNR Et l’auteur de le signifier : « La démission des religieux et religieuses enseignantes – environ 150 – fut une surprise pour les autorités et les mit dans l’embarras : ils n’avaient pas envisagé les conséquences d’un acte posé par les idéologues du parti ». De 1963 jusqu’aux années 70-80, il y a une intégration idéologique notoire de la jeunesse scolarisée au sein des appareils de l’Etat et cela jusqu’à sa remise en cause en 1990. Aussi, au cours de l’hégémonie du Parti-Etat sur l’éducation, certaines réformes auront des impacts parfois positifs, parfois négatifs sur l’école. En plus de la nationalisation et l’intégration idéologique de la jeunesse scolarisée, on pense démocratiser l’enseignement pour lutter contre les inégalités sociales. Au niveau de l’éducation, on aménage des plans et des programmes d’étude dont le premier objectif est la revalorisation de l’enseignement : « Le gouvernement prévoyait d’étendre l’enseignement dans tous les coins de la République ». Et pour cela, il fallait aussi réfléchir sur les méthodes à appliquer en insistant sur l’intégration idéologique des élèves. Les programmes scolaires sont réformés en instituant en leur sein l’instruction civique, l’histoire et la géographie du Congo. L’enseignement devient en quelque sorte un moyen de conscientiser les larges masses populaires par rapport aux nouveaux enjeux sociopolitiques du socialisme scientifique. L’enseignement primaire étant le soubassement de l’école, le ministre de l’Education de l’époque, dans son projet de réforme de l’enseignement primaire dans la période 1969-1970, note : « L’école primaire doit être, non seulement dispenser des connaissances, mais enseigner à l’enfant à être davantage et à transformer ; il faut certes qu’elle transmette les valeurs, mais il faut également qu’elle prépare l’enfant à modifier le milieu dans lequel il vit et le dépasser pour s’ouvrir progressivement au monde ». Malheureusement, de changement en changement de méthode d’appréhension des notions d’écriture et de lecture (méthode syllabique, méthode globale), l’enseignement va subir un coup dans le primaire. Au cours de cette période marquée par le socialisme scientifique, naît au Congo le concept de « l’Ecole du peuple qui aura pour objectif primordial la formation des producteurs de biens matériels et intellectuels destinés à améliorer les conditions d’existence du peuple congolais » dixit Antoine Ndinga Oba le 7 octobre 1980. Mais jusqu’en 1990, le système éducatif va continuer à décliner et subir un bouleversement avec la Conférence nationale qui va de nouveau le libéraliser avec le retour de l’école privée, conséquence de la démocratie pluraliste. Travaillant sur la politique de l’éducation, l’auteur n’oublie pas de faire l’historique de l’enseignement professionnel et supérieur au Congo. Officiellement c’est en 1903 que l’enseignement professionnel voit le jour à Brazzaville. Il vise la formation des ouvriers manuels (secteur du bois, de fer, de la vannerie…), des ouvriers agricoles, des auxiliaires pour l’administration (commis aux écritures, comptables, moniteurs, infirmiers). De l’enseignement supérieur, Claude Ernest Kiamba révèle que Dakar voit naître l’établissement d’enseignement supérieur en 1950, alors que c’est dix ans plus tard que le supérieur se concrétise dans la sous-région de l’Afrique centrale. Le 15 août 1960, date de la proclamation de l’indépendance du Congo, un accord est signé entre la France et les Etats qui formaient l’AEF, à l’exception du Gabon. Sur demande de ces nouveaux Etats africains, le gouvernement français accepte de maintenir et développer le Centre d’Etudes Administratives et Techniques de l’institut d’Etudes Supérieures de Brazzaville qui sera ensuite ériger en Centre d’Enseignement Supérieur de Brazzaville. Celui-ci sera plus tard le fondement de l’Université de Brazzaville. Le 12 décembre 1961 la Conférence des chefs d’Etat de l’ex-AEF signent un accord de coopération avec la France pour la création de la FESAC (Fondation de l’Enseignement Supérieur en Afrique Centrale). Mais quelques années après, chaque Etat aura son université.

Formation des compétences et construction de l’Etat du Congo

Après la Révolution des 13, 14 et 15 août 1963, et surtout « avec l’adoption du socialisme scientifique, les dirigeants politiques décident d’engager des réformes radicales dans tous les secteurs de production nationale afin de relever le défi de la construction de l’Etat ». Et quand le parti commence à diriger l’Etat dans presque tous les domaines, l’Education n’échappe pas à cette règle. Plusieurs colloques sont organisés pour mettre en valeur la formation des compétences. On peut lire dans le document  consécutif au Colloque sur les problèmes de l’enseignement organisé par le Ministère de l’Education en 1989 : « L’orientation de l’enseignement sera scientifique et tendra à former des citoyens conscients, capables par leurs forces morales et intellectuelles de transformer le monde réel et complexe qui est le nôtre ». Pour la formation des compétences, Kiamba insiste sur la nécessité d’un enseignement socialement intégré en faisant la liaison entre l’école et la vie, la technisation de l’enseignement et la production des compétences qualifiées du développement. Cela va pousser le Ministère de l’Education à créer des Instituts et des Centres de Métiers. Au niveau de l’enseignement primaire et secondaire, il y a eu en 1977 le début des activités de l’INRAP [Institut national de recherches et d’action pédagogique] : « Le champ d’action de l’INRAP s’était élargi avec l’organisation des stages de recyclage pour les enseignants ». L’INRAP a été crée sur les cendres du CD [Centre de documentation pédagogique] ayant vu le jour à Brazzaville en 1955, une cellule de l’Inspection de l’académie chargée de superviser les œuvres scolaires. Avec la formation des compétences dans la vision de l’Ecole du peuple, la construction de l’Etat au Congo s’avère une des priorités du monde de l’Education. De 1911 à 1977, et particulièrement depuis les indépendances, on tente de construire un Etat au Congo avec ses paramètres socioéconomiques. Mais c’est par l’école que se développe la notion de l’Etat pour aller vers la nation congolaise. Pour l’auteur, il faut valoriser l’enjeu éducatif des langues véhiculaires ainsi que la promotion des cultures nationales du pays. Sur ce point, il nous rappelle que la question de langue est capitale pour la construction nationale au sein d’un Etat. Aussi, il rappelle la réflexion du professeur Cheik Anta Diop ci-après : « La langue est non seulement le véhicule comme on sait le dire, mais également le lien où cette culture se façonne et se crée ». Au Congo deux langues dites nationales sont maintenues : le lingala et le munukutuka dont la promotion au niveau du pays par les médias audiovisuels. A l’école,  l’enseignement de ces deux langues prend une place remarquable à l’université Marien Ngouabi, plus précisément à la fac des Lettres et Sciences humaines, car il y a problème au niveau des enseignants en langues nationales qu’il faut former. Mission sera donnée à l’INRAP avec le département des langues nationales qui ne va pas arriver à réaliser totalement les directives du ministère de l’Education dans la formation des enseignants des deux langues nationales. Dans le programme du PCT adopté lors du 2ème congrès extraordinaire du 27 au 31 décembre 1972, il est notifié que « le Parti favorisera l’étude des langues nationales pour aboutir à l’adoption d’une d’entre elles comme véhicule de la pensée nationale et son engagement progressif dans les écoles ». Mais les études menées sur le terrain vont prouver que les conditions n’étaient pas réunies pour favoriser un meilleur essor de ces deux langues nationales. Paul Henri Olassa, ministre de la tutelle à l’époque, ne va pas de main morte pour décrier cet échec : « Il n’y a jamais eu de vraie politique d’enseignement des langues nationales au Congo. Même à l’université, on n’apprend ni le lingala, ni le munukutuba ; on les analyse seulement sur le plan linguistique ». Et jusqu’aujourd’hui, l’enseignement langues nationales pose problème et par conséquent freine un peu la construction de l’Etat, la nation étant souvent fondée sur le langagier commun et culturel.

Ce livre, une étude qui révèle son importance et sa fiabilité par une immense bibliographie, plus d’une centaines d’ouvrages cités. Un document de référence pour comprendre l’évolution de l’enseignement avec tous ses problèmes auxquels se sont confrontés enseignants et enseignés au cours de l’époque désignée ici.

Noël Kodia-Ramata

 

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2 réponses à Politique de l’éducation, formations des compétences et construction de l’Etat en République du Congo de Claude Ernest KIAMBA

  1. VAL DE NANTES , dit :

    INTERROGEZ NOSCOMPATRIOTES congolais , qui se retrouvent enseignants en lycée , collège , médecins , ingénieurs , dans les îles françaises , et vous verrez comment le capital humain bien formaté a été détruit du fait de l’incompatibilité ethnique ;;;;
    Beaucoup d’entre eux s’étaient rendus , au pays ,pour le servir , mais la réponse a été purement tribale ;;;;;
    Formation oui , mais pas sous SASSOU .

  2. David Londi dit :

    En France, on parle de la « lepenisation des esprits » , au Congo, l’on doit parler de la « sassouisation des esprits ». Le Français est parlé par les Français, l’Allemand par les Allemands, l’Anglais par les Anglais, le Kituba serait donc parlé par les Tubas ? En Angola, l’on parle Kikongo (13 % de locuteurs), en RDC, on l’appelle Kikongo ou Kikongo de l’État. Pourquoi nous entêtons-nous à appeler Kikongo Kituba quand celui-ci n’est que la forme créole de cette langue écrite depuis le 16ème siècle ? Dans ma tendre enfance, les informations à la radio étaient en Français, en Lingala et en Kikongo. Cela paraît anodin mais appeler le Kituba Kikongo doit hérisser le poil de certaines personnes désireuses d’effacer l’Histoire du Kongo parce qu’ils s’y sentent étrangers. Le Kikongo est donc une langue parlée par les habitants du Kongo et les Bakongo, les enfants du Kongo. La question que je pose et qui est essentielle est celle-ci : Pourquoi n’enseigne-t-on pas l’Histoire du Royaume du Kongo au Congo alors qu’elle l’est au Brésil, par exemple ? L’apprentissage sérieux d’une langue est souvent lié à l’Histoire du pays, n’est-ce pas ?

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