5 septembre 1991, un accident ferroviaire se produit du côté de Mvougounti, sur le chemin de fer Congo Océan (CFCO) dont l’auteur fait, à certains moments, l’historique avec ses gares. Il décrit une partie de la sociologie du sud Congo en « revalorisant » à certains moments les langues du terroir. Ici se réveille dans la mémoire des Congolais le souvenir d’une hécatombe jamais connue. C’est dans tragédie que surgit le narrateur Bamanissa dans une longue lettre adressée à son virtuel fils. Une lettre qui plonge le lecteur dans un récit fantastique où l’irréel s’impose à lui comme un univers fantasmagorique. S’y manifeste l’épouvante qui réduit à néant la conscience de l’homme.
Mvougounti en vitrine ou le rêve dans la tombe, une lettre d’outre-tombe qui révèle aux lecteurs ce que la littérature n’a jamais explicité : la vie virtuelle après la mort. Une lettre qui « coule » comme une rivière dont les berges sont symbolisées par la vie et la mort. Et c’est dans cette rivière que le lecteur découvre ce qu’il a souvent imaginé, mais pas vécu, quand il est angoissé par la mort. Avec ce récit d’Emmanuel Ngoma Nguinza, la littérature congolaise donne une autre dimension aux textes qui traitent de la mort dans la production narrative. Dans cette lettre, le lecteur (et sûrement son destinataire) se voient surpris et angoissés en se retrouvant virtuellement dans le « monde vivant des morts ».
Un accident mortel au bout du voyage
La préparation du voyage de Bamenissa annonce les signes prémonitoires d’un déplacement sans retour avec la perte du premier titre de transport : « Il fallut (…) acheter de nouveau un billet de voyage, le premier venait de disparaitre par miracle » (p.22). Le voyage est programmé le soir ; l’ambiance vespérale en gare de Pointe-Noire annonce un voyage de nuit. Cette nuit qui pointe à l’horizon n’annonce-t-elle pas le tableau sombre que va décrire Mvougounti ? L’accident mortel qui apparait au bout du voyage vers cette contrée, se justifie par des causes purement techniques : une défaillance du système de freinage va provoquer la collusion de deux trains. Un train à billes devait marquer un arrêt en gare de Nzoungou Kibangou pour attendre un croisement avec le train transportant des voyageurs. Malheureusement cette défaillance de freinage sera la cause du drame puisque le train ne pourra marquer l’arrêt. C’est à ce moment que les cheminots vont se rendre compte de l’irréparable qui va se produire : ils ne peuvent plus techniquement demander au train voyageur de rebrousser chemin. Catastrophe : « Les deux locomotives ont eu tendance à monter l’une sur l’autres pour s’embrasser debout » (p.90). Un véritable carnage avec moult victimes, parmi lesquelles se trouve Bamanissa. Ce texte apparait comme un « récit de la mort » qui sort de l’ordinaire : ce n’est plu un vivant qui parle de la mort, mais c’est ce dernier qui s’adresse à un vivant. Nous pouvons alors placer ce texte dans la littérature fantastique pour accepter l’inacceptable univers de l’au-delà dans lequel il nous plonge.
Et si vie il y avait après la mort ?
A partir de l’incipit du ce récit épistolaire, on entre déjà dans le fantastique qui permet au lecteur de vivre dans un monde jusque là interdit au commun des mortels : « Une père écrit à son fils qui existe à l’état liquide dans ses reins. Lui-même rappelé à Dieu » (p.11). Aussi, du début à la fin, la lettre nous fait découvrir un univers où le cadavre de Bamanissa devient paradoxalement un animé. Se développent à travers ce récit quelques questionnements sur la relation vie-mort dont certains nous ramènent au degré zéro de la vie. Pourquoi par exemple provoquer la mort de l’autre alors que nous sommes condamnés à quitter ce monde quand Dieu le décide ? Dans certaines révélations à propos d’une hypothétique vie d’outre-tombe, se remarque l’absurdité du monde des vivants où le drame interpelle parfois le comique : « La portion de terre où tu seras enfouie aura les mêmes dimensions que chez les autres que soit ton argent, quelles que soient tes qualités » (p. 46).
De la morale d’outre-tombe
Depuis sa tombe, le héros ne cesse d’interpeller son fils « encore à l’état liquide » en lui prodiguant des conseils pour comprendre l’absurdité du passage de la vie à la mort. Bamanissa se retrouve dans la situation de l’homme du Mythe de la caverne qui découvre pour la première fois la lumière. Le fils de Bamanissa vit déjà dans un monde des morts avant la mort. Son père lui énumère quelques conduites à tenir pour affronter le futur nouveau monde et quelques réalités souvent oubliées par le vivant : « A l’entrée du cimetière un grand panneau portant les écrits : Aujourd’hui c’est lui demain c’est toi. Après l’inhumation, avant la sortir, au verso du même panneau était écrit : Aujourd’hui c’est moi, demain c’est toi » (p.64). Après lecture de ce récit et audition de la chanson Corbillard de l’artiste musicien Casimir Zao, force est de constater une intertextualité entre les littératures écrite et orale sur le thème de mort. Dans cette chanson, il y a dialogue entre le mort et le corbillard qui le conduit au cimetière. Ce dialogue s’identifie au discours du cadavre de Bamanissa à son fils virtuel.
Dans ce récit où drame, tragédie, comique et angoisse se rencontrent autour de la thématique de la mort, le lecteur perçoit une nouvelle « réalité » de la littérature congolaise : la présence du mort-vivant comme héros dans la narration. Aussi, ce texte de Ngoma Nguiza pousse-t-il l’homme à philosopher sur la mort tout en réalisant que Dieu est le seul maître de son destin.
Noël Kodia, Critique littéraire et Analyste pour Libre Afrique
- Mvougounti en vitrine ou le rêve dans la tombe, éd. LMI, Pointe Noire, (Congo), 2009