Après Terre pourpre publié en 2007, Tima Ouamba venait une fois de prouver en 2011 sa maîtrise de l’écriture romanesque avec son deuxième ouvrage chez le même éditeur. Un roman fleuve qui, à l’instar de ceux de sa consœur Emilie Flore Faignond, fait un mariage sérieux entre quelques réalités sociales et sociétales qui nous fait penser à son Congo natal et à la France son pays d’adoption. Avec une écriture fluide et révélatrice, il n’est étonnant qu’il ait été lauréat de la Bourse de Découverte du Centre National du Livre. Plongée dans le labyrinthe de Pari perdu, Paris sauvé.
Voici l’histoire d’un héros sans retour, Ngandou Mbinjimamba, jeune Congolais qui quitte le pays malgré lui dans des conditions dramatiques pour la France. Et ce drame le fait traverser l’Afrique du côté de la Lybie pour traverser la Méditerranée afin de gagner l’Europe où il sera accueilli par son cousin Wilfried. A Paris, il est impliqué, malgré lui, dans une affaire de terrorisme avec vol d’explosifs. Jouant à cache-cache avec la police française, il arrive à sauver Paris d’un attentat à l’explosif consécutif à l’éventuel choix de la ville pour abriter les Jeux Olympiques de 2012. A partir de ce moment, le destin du héros lutte contre la mort qui suit ce dernier ; et il est obligé de se cacher derrière plusieurs patronymes. Ngandou Mbinjimamba va s’appeler tantôt Issa Samir en Lybie, tantôt Koulibaly en France où il exerce de petits boulots avec les papiers de son cousin Wilfried. Malgré son implication involontaire dans la recherche des voleurs d’explosifs dans Paris, il ne peut se présenter à la Police Nationale à cause de son statut de sans-papiers. D’aventures en aventures poignantes et pleines de surprises, Ngandou se présente comme un héros d’un film policier. Et le lieutenant Boreli qui semblait le comprendre pour révéler son héroïsme, est incompris par sa hiérarchie. Il se suicide pour sauver son honneur. Il a sauvé Paris d’une catastrophe sans précédent, à l’insu de la Police française. Il a pu faire élire Londres à la place de Paris pour les J.O avec l’aide de son ami Ephraïm. Aussi les services américains ayant compris le véritable personnage de Ngandou, rattrape ce dernier pour lui confier une mission périlleuse qui lui permettrait d’avoir les papiers américains en cas de réussite. Aussi, son destin semble prendre un autre tournant avec son séjour préconisé à Guatanamo pour se métamorphoser en un dangereux terroriste pour les besoins de la cause : infiltrer un réseau qui projetterait un attentat sous-marin. Le héros Ngandou Mbinjimamba disparait de l’écran du lecteur quand un jet privé, où il se trouve, quitte discrètement l’aéroport du Bourget pour la Pologne.
Ngandou : de l’enfant soldat à l’immigré clandestin
Adolescent pendant que son pays connait des troubles politico-militaires, Ngandou est « soutenu » par son oncle paternel, colonel des Forces Armées Congolaises, pour intégrer la Police républicaine du côté de Madingou, son village. Une formation spéciale est donnée aux jeunes recrus par des instructeurs israéliens car le gouvernement veut capturer le leader de la milice Ninja qui vit à Bacongo. Au cours de cette formation, le jeune Ngandou est apprécié par un certain Ephraïm qui va l’aider plus tard au cours de son séjour à Paris. Se dessine alors à travers sa formation militaire l’homme d’action que va révéler son destin : « Le Colonel a décidé que tu bénéficierais d’une formation spéciale : filature, infiltration, renseignement, exercice de survie en zone ennemie, maniement d’explosifs, sabotage, arts martiaux » (p.345). Après les tristes événements du quartier Bacongo auxquels il participe malgré lui et ayant trahi son oncle et ses collègues de Madingou pour des raisons sentimentales et d’éthique morale, il est obligé de quitter le pays pour sa survie, aidé par son oncle paternel qui le désavoue mais qui lui donne paradoxalement de l’argent pour son voyage sans retour. Premier point d’atterrissage, la Lybie dans l’espoir de gagner la France en passant par l’Italie, la France où l’attend son cousin Wilfried. Et sa formation militaire reçue à Madingou va lui servir tout au long de sa route vers la France. En Lybie, il explique à ses amis qu’il a quitté son pays malgré lui : « Il y avait eu des troubles dans mon pays et une année blanche (…) décrétée par le Ministère de l’Enseignement Supérieur. J’ai quitté mon pays la même année » (p.238). Ngandou, un homme d’esprit qui lie sa culture à la formation militaire reçue au pays. Aussi, il ne peut accepter l’attitude machiavélique des passeurs qui tuent volontairement leurs clients en les noyant en pleine traversée de la mer : « Les premiers requins effleuraient déjà ceux qui se débattaient de toutes leurs forces pour se maintenir à la surface et déchiquetaient tous ceux qui étaient à leur portée » (p.247). Aidé par sa formation militaire, Ngandou va s’échapper du danger au cours de ce funeste voyage et revient à la case départ où il va venger les disparus de la Méditerranée Il s’en prend à la bande des passeurs avant de semer la police à sa recherche. Dans sa fuite, il est aidé par son ancien patron. Il quitte clandestinement la Lybie pour gagner la côte italienne.
Ngandou clandestin en France pour sauver Paris
C’est la ville de Paris sous la menace du terrorisme qui reçoit Ngandou par l’intermédiaire de son cousin Wilfried. On attend l’annonce de la ville qui va abriter les Jeux Olympiques de 2012 et où la police est sur le qui-vive car il y a menace d’attentat si la capitale française est désignée comme ville des fameux J.O. C’est d’abord un Ngandou clandestin avec un faux nom qui prétend avoir des informations sur un vol d’explosifs perpétué par deux frères pakistanais qui pourraient être à l’origine d’un éventuel attentat. Cette nouvelle met en branle la section antiterroriste de la Police française car Ngandou alias Koulibaly agit dans la clandestinité que lui impose sa situation de sans-papiers. Il ne cesse de donner des coups de fil anonymes à la police qui se trouve désemparée. Dans ses investigations, Ngandou s’aperçoit qu’un attentat est programmé sur la place de Paris si la candidature de cette ville pour les J.O s’officialisait pour les J.O. Et l’attentat aurait lieu le jour même de l’annonce publique de l’acceptation de la ville de Paris pour abriter les J.O. Avec l’aide son ancien ami israélien de Madingou, l’instructeur Ephraïm qui avait rejoint son pays, Ngandou va déjouer le plan des terroristes par humanisme; le plan a tout fait pour que Londres remporte une victoire sur Paris. Mais devant la mairie de Paris où le public attend avec allégresse le sacre de Paris, Ngandou ne peut être que perplexe devant tout ce qui se passe devant lui : « Ngandou se figea, prêt à se jeter à terre si l’oncle d’Ephraïm avait failli à sa mission « Paris » murmurait une jeune femme (…) « Londres ! » entendit la foule pleine d’une stupeur exacerbée par les cris de joie d’une vingtaine d’Anglais (…) Ce furent des sanglots des cris d’horreur, de dégoût des protestations à la française » (p.186). Mais à partir de ce moment Ngandou a réussi son pari car il a sauvé la vie de beaucoup de Parisiens sans que ces derniers ne le sachent.
Pari perdu, Paris sauvé, un véritable thriller
Tous les ingrédients d’un thriller se retrouvent dans l’écriture de Tima Ouamba avec la technique du cinéma que l’on peut définir à travers les lignes de son texte. Le côté roman policier se manifeste principalement dans Paris intramuros avec sa géographie qui rappelle les services de la Police de Paris où les officiers tels le capitaine Bessoni et le lieutenant Moreli, sans oublier la vaillante Costa, sont présentés dans l’exercice de leur fonction : « Le lendemain, le capitaine [Bessoni] avait de nouveau réuni toute l’équipe autour de Costa et Moreli (…). Un coup de fil du préfet (…) l’avait tiré du lit pour l’inviter à le rejoindre Place Beauvau » (p.73). A cela, il faut ajouter la manifestation du sexe et de la drogue qui accompagnent souvent les personnages dans le roman policier. C’est la banlieue parisienne tel Clichy sous bois qui révèle ce côté atypique des personnages par des scènes de meurtre et d’érotisme parfois agrémentées par la drogue comme on peut le remarquer chez Wilfried avec son amie Mélanie. Le sexe, c’est aussi l’affaire du héros qui, au cours de ses aventures, séduit plusieurs femmes à l’instar de Sanaa : « Ils [Ngandou et Sanaa] s’embrassèrent et rejoignirent le lit où un nouvel échange de fluides en tout genre se produisit pendant des heures » (p.295).
Quand le récit avance par anticipations
La particularité du récit de Tima Ouamba, c’est qu’il avance par anticipations. Le destin du héros se réalise au fur et à mesure que la narration se déroule. Le lecteur découvre curieusement la vie adulte du héros avant son enfance. Dans Pari perdu, Paris sauvé, le récit avance paradoxalement à reculons et se lit comme un voyage dans le passé du héros. Le linéaire qui devrait logiquement suivre le schéma classique : enfance – séjour en Lybie – séjour à Paris est présenté dans le roman par le sens inverse. C’est à la fin du récit que le lecteur découvre l’enfance du héros et les véritables motivations de son exil en France. Aussi, cette technique qui récit qui avance par anticipations devient une caractéristique de l’écriture de Tima Ouamba, donnant une autre spécificité au roman congolais.
Pari perdu, Paris sauvé, un roman où l’auteur embrasse plusieurs thématiques : guerre civile du Congo, problème de l’immigré sans-papiers en France, actualité fondée sur le terrorisme international qui pousse la police au travail d’investigation, roman sentimental à travers les multiples femmes qui se laissent séduire par le héros. Et l’auteur nous offre un roman qui se lit avec délectation. Un roman que l’on peut porter à l’écran sans beaucoup de difficultés car respectant les principes élémentaires d’un scénario de cinéma. Descriptions et dialogues poussent éventuellement le lecteur à « entrer » dans l’action de l’histoire.
Noël Kodia-Ramata
1 Pari perdu, Paris sauvé, éd. Berbanz, Paris, 2011, 415p.