L’incroyable « chambre introuvable » : au Congo, le pouvoir ne s’use jamais ! , Par le constitutionnaliste Félix Bankounda-Mpélé

Toute dictature a des raisons que la raison ignore. Celle qui règne au Congo vient d’en donner l’illustration, à travers les dernières législatives, si telles, doit-on sérieusement les nommer. Car, non dupes, même les Congolais les moins outillés en la matière, ont fini par comprendre que point n’était besoin de se déplacer, les dés étant, pour l’essentiel, pipés.

Ainsi, de façon générale, là où il n’y avait pas un enjeu de personnalités, avec les motivations locales connues (familiales, tribales et financières surtout), c’est par l’abstention, seul moyen d’exprimer le rejet du système, que la grande majorité des Congolais se sont manifestés. Celle-ci devient par conséquent, en raison du verrouillage du système, de son manque de transparence, de la maîtrise absolue du processus électoral par des autorités auto proclamées puis auto validées, la seule alternative pour la grande majorité des Congolais, mais aussi l’unique baromètre d’appréciation du système.

Partant, contrairement aux principes les plus élémentaires d’un épilogue électoral, le gouvernement, par le biais de son ministère de l’Intérieur, lui-même candidat, qui a pourtant proclamé les résultats, s’est-il abstenu – ceci expliquant certainement cela — dans l’immédiat de donner les résultats de la participation que les ONG et autres observateurs ont cependant noté à 15°/° maximum au 1er tour et 10°/° au 2ème tour.

Qu’à cela ne tienne, et non sans surprise, selon les chiffres officiels, le PCT, ancien parti unique, pestiféré de la démocratie pendant la parenthèse démocratique 91-97 issue du « printemps de l’Afrique » des années 90, est devenu à la suite de l’inédit et inouï coup d’Etat de l’été 97, et par merveille politique, le champion de toutes les consultations électorales. En l’occurrence, à l’exception d’un ou de deux cas sur l’ensemble du territoire, tous ses candidats l’ont emporté !

En vérité, c’est l’inverse qui eut étonné car, comme on l’a déjà souligné, il est mille fois plus facile de manipuler une élection que de réussir un coup d’Etat. Celui-ci, en même temps qu’il est par essence la négation de l’urne et l’expression d’individus sans scrupules, constitue l’aveu de l’incapacité pour ses auteurs à gagner de manière transparente (cf. « Couvre-feu illimité sur la politique », en ligne). On n’en veut pour preuve que les parjures de ‘l’homme fort’ du pays à propos de la plus importante des élections, l’élection présidentielle, qui détermine le reste : revendiquant et opposant en 1997 l’organisation des présidentielles par ‘une force internationale’ (Mémorandum de l’opposition) au président élu, et exigeant au moment des ‘événements de l’été 1997’ que « … pour que les élections soient égales pour tous il faut que le président Lissouba devienne citoyen candidat… »(La Croix, 16 juin 1997), ces conditions, martelées, n’étaient plus à l’ordre du jour pour le candidat autoproclamé qui s’arrogera, au mépris du bon sens, de l’honneur et des conventions du continent en la matière, le monopole de l’organisation de toutes les élections, cinq ans après son auto proclamation le 24 octobre 1997.

La singularité du dernier épisode, les législatives des 15 juillet et 5 août, et qui est l’objet de la présente réflexion, ce sont les résultats affichés par les autorités congolaises, et qui constituent, pour ceux qui s’y connaissent, plutôt un véritable serpent de mer : une grande et incroyable marée, vécue en France notamment il y a presque deux cent ans, les 14 et 28 avril 1815, et que le roi Louis XVIII lui-même, ahuri apparemment, appela « La chambre introuvable ». Tellement, elle était inespérée ! Celle-ci se caractérise par une majorité écrasante des partisans du pouvoir à l’assemblée. On rapporte que le roi se serait exclamé que même en nommant lui-même les membres de l’auguste assemblée, il n’aurait pas trouvé une chambre aussi royaliste. La machine multi-tentaculaire de ‘la gagne’ par tous les moyens s’était emballée, ne manquent de souligner certains constitutionnalistes. Si, en son temps, sur 400 députés, les « ultraroyalistes » comme on les avait appelés constituaient 350, soit plus de 77 pour cent, la dictature congolaise avec 117 députés de sa mouvance au moins (PCT et ses pro) avoisine les 80 pour cent !

L’insolite est macroscopique tant au regard des conséquences qui en résultèrent dans l’expérience française que de l’expérience politique congolaise médiate et immédiate.

Sous la France de Louis XVIII, ladite Chambre introuvable, résultat du suffrage censitaire (vote sous condition financière), aveuglée par ses intérêts, s’illustra par ses excès, voire son extrémisme. Rapidement elle échappa au Roi, et devînt ‘ingouvernable’, c’est-à-dire plus royaliste que le roi. Surtout, elle surprît par sa tendance à vouloir restaurer ‘l’Ancien Régime’ et fit régner, ainsi, ce qu’on appela « La terreur blanche », en raison du choc de l’opinion publique. Le roi, qui croyait néanmoins que la stratégie de survie de son pouvoir passait par une sorte de ‘réconciliation nationale’, n’eut d’autre choix, après la suspension sine die des travaux de l’assemblée en avril 1816 par le Premier ministre, que sa dissolution le 5 septembre de la même année. Ainsi, ‘la chambre introuvable’ française connut une vie de rose : une petite année d’existence.

Au Congo-Brazzaville démocratique (1992-1997), le tout puissant parti UPADS du Pr Lissouba, vainqueur de toutes les élections (régionales, législatives et présidentielles) en 1992, sans en avoir organisé une seule, et qui disposait des députés dans quasiment toutes les régions du pays (en dehors du Pool), fut pourtant très loin de ‘la chambre introuvable’. La question, très prématurée qui se posa, avant même que l’assemblée se réunisse pour la première fois, et qui fut à l’origine du dépôt de la motion de censure le jour de la présentation du discours de politique générale, c’est celle des intérêts personnels et partisans, très loin des intérêts généraux et nationaux, au-delà d’un libellé perfide et fallacieux des motivations de ladite motion. Le premier gouvernement de l’ère démocratique, renversé 72 heures après le dépôt de la motion de censure selon la procédure, est ainsi mort avant d’avoir vécu et, l’assemblée, dissoute dans la foulée par le président qui se retrouvait, sans avoir du tout gouverné, en perte de confiance et presque inutile par ricochet, malgré les triomphes électoraux !

Se pose ainsi, la question de la compréhension, de l’explication, des justifications d’une ‘chambre introuvable’ au Congo-Brazzaville, dans un contexte de dictature décomplexée où son chef, régulièrement et sèchement battu aux premières élections disputées du pays en 1992, sans même émerger au 2ème tour, a réussi à y revenir par effraction, c’est-à-dire à se faire parachuter au pouvoir par des forces financières et militaires étrangères, à étrangler la première constitution ‘dépersonnalisée’ et démocratique du pays, à nommer ses députés là où ils étaient élus, à dissoudre toutes les institutions démocratiques (nationales et locales), à gouverner cinq ans sans mandat non sans faire régner terreur et deuils dans des milliers de familles1, puis à s’auto valider comme président par l’octroi d’une constitution très personnalisée et des élections, on s’en doute, défiant les principes les plus élémentaires en la matière !

L’assemblée, manifestement godillot, toujours en marge ou inapte à traiter des dossiers brûlants et sensibles dans toute démocratie (comme sur ‘les biens mal acquis’, ‘les disparus du Beach’, ‘l’affaire des mallettes’, ‘l’inédite invasion des forces étrangères et mercenaires dans le pays’, ‘les explosions du 4 mars 2012’, …), dans un régime prétendument présidentiel (en réalité de subtile confusion des pouvoirs : cf. notre réflexion : « L’introuvable régime présidentiel », en ligne), d’irresponsabilité entretenue et de ‘constitution en hibernation’ n’offrait-elle pas déjà toutes les opportunités et libertés au pouvoir ?

Autant de questions sur lesquelles, les Congolais, comme d’habitude, selon leurs sensibilités, leur émotion et leur tempérament, supputent. De façon générale, sans vraiment convaincre, « c’est pour, soit modifier la constitution et briguer un autre mandat malgré la limitation des mandats à deux par sa propre constitution, soit pour préparer la succession par son fils, au cas où… » !

Au regard du schéma politique congolais brièvement présenté, depuis l’arrivée catastrophe du général au pouvoir, on admettra, avec raison, que nul n’était besoin d’une ‘chambre introuvable’ ! Celle-ci relèverait-elle alors de l’emballement de la ‘machine à gagner’, d’une raison qui échappe à la ‘raison naïve’, d’une redondance stratégique ou d’une stratégie apparemment inutile et irrationnelle, comme beaucoup de régimes du genre ne manquent pas d’en fournir de temps en temps l’image ?

Si tout cela est possible, individuellement ou cumulativement, plusieurs certitudes emportent notre conviction.

D’emblée, et au regard d’éléments objectifs et de la pratique, au Congo et ailleurs, plusieurs évidences peuvent être soulignées :

1°- Le pouvoir, très conscient et réaliste sur sa minorité, mais aussi sur sa position stratégique de disposer des manettes du pouvoir (administration, finances, entreprises très majoritairement gérées par les proches du régime,…), se doute qu’il ne pourra indéfiniment régner sous le ‘coup d’état permanent’.

C’est ainsi qu’il a lancé un ballon d’essai peu risqué, tout en prenant des précautions (une majorité d’élus assurés dans les localités du pouvoir, grâce au découpage électoral inique), dans une élection où il ne craignait rien. Conscient de la chute morale et des valeurs de la société, à laquelle il a puissamment contribué, une société dont la seule idéologie est désormais mercantile et conscient des faiblesses de son élite, l’une des plus vénales du continent, il a voulu observer, lâcher du lest dans certaines localités d’avance considérées comme perdues, en soutenant les originaires de la localité, auparavant recrutés au parti du pouvoir, par d’importants moyens financiers et autres. Ainsi, selon certaines informations, moyens roulants et 30 millions de Cfa en moyenne, soit 45000 euros ont été donnés à ‘chacun des volontaires du marchandage…’. Evidemment, les électeurs se sont bousculés dans les campagnes pour recevoir cette distribution, sans toutefois avoir le même empressement dans les urnes. Les téléspectateurs de la chaîne locale, le jour du premier tour, le 15 juillet, ont ainsi entendu, la maire d’une localité (Djiri), sans craindre l’annulation de l’élection, déclarer qu’on a distribué marinières, chapeaux et argent, mais les électeurs, qui avaient promis venir voter, se sont ‘débinés’ en invoquant la faim ! D’une innocence incroyable, la maire a proposé des cours d’instruction civique aux électeurs alors que, manifestement, c’est les autorités qui devraient en suivre pour se rappeler que cela s’appelle de la corruption active, dont la conséquence légale, dans un Etat de droit, serait l’annulation des élections.

Il a fallu, néanmoins, un coup de main dans certaines localités encore, sous forme de bourrage des urnes par certains membres des forces armées, pour l’emporter.

– Le pouvoir, toujours ‘soliptique’, parce que prisonnier des catégories monopartites, de l’unanimisme institutionnel qui a longtemps été sa culture, en l’occurrence des assemblées monocolores, est inconscient de l’incohérence que constitue la ‘chambre introuvable’ dans un régime prétendument démocratique, et s’apprête ainsi, à travers cela, opposer une démocratie de façade dans ses prochaines et sensibles entreprises !

– Pas du tout amnésique sur ses tombeurs de l’ère démocratique en 1992, le pouvoir n’a toujours pas, pour ainsi dire, digéré ses échecs de ce moment, et entreprend sa revanche, et donc la conquête des trophées, inaugurée en 1997, par sa rage de percer dans les fiefs de ses anciens grands compétiteurs pourtant aujourd’hui indisponibles (Kolélas, Lissouba essentiellement). Il lui fallait donc, par cynisme, à tout prix, fissurer le ‘jardin politique’ des autres dans ce qu’il a de plus symbolique. D’où la candidature de E. Yoka, oncle de Sassou, dans le fief de Kolélas, mais aussi rafler la majorité dans le Niari, région de Lissouba ! C’est désormais chose faite !

4°- L’on notera enfin que, plus que jamais, le Congo se trouvera, dans un très proche avenir, à la croisée des chemins : le pouvoir auto proclamé et auto validé ne pourra s’en sortir que par un puissant coup de force contre le régime constitutionnel qu’il s’est pourtant lui-même octroyé, mais aussi contre les valeurs internationales affichées et défendues aujourd’hui par des dirigeants de grande conviction. De ce point de vue, ‘la chambre introuvable’, voulue ou pas, rationnelle ou non, participe des prémices . Les Congolais, ou plus précisément les patriotes, majoritaires, se trouvent, au risque de manquer une fois de plus le coche, dans l’impératif d’introspection, du bilan, de l’organisation, du discernement de l’essentiel et de l’accessoire, et surtout d’une grande capacité de hauteur, d’imagination et de créativité, pour se débarrasser des vieux démons auxquels participent notamment les idées de ‘tribalité’ ou de ‘scission’, gages de l’échec et de rupture avec le progrès et l’universel, puisque sans résonance avec les valeurs modernes.

Non moins anecdotique, on rappellera également que la chambre introuvable fut la dernière trouvaille des partisans du président Ben Ali en 2009 et le dernier épisode des législatives. Dans un article de 2010, intitulé justement « La chambre introuvable », Malek Khadhraoui rapporte à ce propos ce qui suit : « A peine quelques jours après les inévitables festivités du 19ème anniversaire du « changement », et alors que le président venait de s’engager à « réformer le système politique, aujourd’hui étroitement contrôlé, pour l’ouvrir à une « concurrence équitable » », La chambre des députés et celle des conseillers, excusez du peu, ont accouché d’une déclaration commune pour appeler « l’actuel président Zine El Abidine Ben Ali à renouveler sa candidature aux élections présidentielles de 2009 pour briguer un cinquième mandat de cinq ans » !

La suite, on la connait.

En définitive, les dernières législatives congolaises viennent ainsi de démentir les lois politiques universellement établies en la matière, dont la principale selon laquelle tout pouvoir s’use. Ici, au regard des résultats officiels, il ressort paradoxalement que plus le pouvoir dure, pille, humilie et paupérise la grande majorité des gouvernés, plus il devient populaire et ratisse large, même quand les sujets du général boudent les urnes. Ainsi, au Congo-Brazzaville, sous la dictature, le pouvoir ne s’use jamais. Se trouve, par là même, solennellement consacré, une fois de plus, le slogan du pouvoir selon lequel le ridicule ne tue pas

 

1 Cf. Notamment : Le Monde, 22 février 2002, p.2 ; Libération, 16 juin 1999 Rapport, FIDH, juin 1999 et avril 2000, Médecins sans frontières, octobre 2000, 12 p., Amnesty international, 25 mars 1999, 36 p

Par Felix Bankounda-Mpélé  

Diffusé le 12 aout 2012, par www.congo-liberty.org

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