L’habillage constitutionnel des régimes autoritaires et le mauvais équilibre des fonctions de l’Etat , Par jean Philippe FELDMAN

Le mauvais équilibre des fonctions de l’Etat

En second lieu, la plupart des constitutions africaines présentent un déséquilibre de leurs fonctions étatiques. Deux exemples suffiront : les constitutions  ivoirienne et sénégalaise.

Comme sa devancière de 1960, la Constitution de la Côte d’Ivoire de 2000 établit un régime présidentiel, pour ne pas dire hyper-présidentiel. A l’origine, le statut du chef de l’Etat a été explicitement présenté comme un mélange des organes américain, français et tunisien. Il cumule les attributions du Président de la Ve République, de son Premier Ministre et du Gouvernement, ou bien celles d’un chef d’Etat américain auxquelles auraient été adjointes de nombreuses fonctions supplémentaires.

Pareillement, la Constitution sénégalaise du 22 janvier 2001 donne au Président les pouvoirs du chef de l’Etat français, tels qu’ils résultent de la pratique des institutions hors « cohabitation », et des prérogatives additionnelles octroyées au Premier Ministre.

Ces institutions ont été cousues main pour un homme fort. En effet, à l’image de la Constitution française, la volonté des constituants a été de donner à un individu de puissants moyens d’action. De manière plus générale, une tendance des droits constitutionnels africains à partir des années 1990 a été la consécration du Premier Ministre. En effet, l’organe a fait son apparition dans certaines constitutions, tandis que dans d’autres son rôle s’est accru. En théorie seulement, parce qu’en pratique les chefs d’Etat ont conservé leur prééminence, d’autant plus qu’ils n’ont pas hésité à garder concomitamment la direction d’un parti politique. L’institution d’un Premier Ministre a donc fréquemment rempli un rôle symbolique dans le cadre d’une prétendue « démocratisation » marquée par la fin officielle du parti unique.

Par surcroît, la présence d’un Premier ministre au sein d’un régime présidentiel apparaît au mieux surprenante, au pis inconséquente.

La pratique des institutions consacre de manière plus criante encore la surpuissance des chefs d’Etat africains, source de tous les pouvoirs, administratif, exécutif, législatif et judiciaire, par conséquent budgétaire, économique, financier et monétaire, sans compter leur pouvoir de nomination aux emplois civils et militaires.

 

L’habillage constitutionnel des régimes autoritaires

En fait, les constitutions africaines restent pour la plupart des coquilles vides. Il s’agit d’un habillage, parfois maladroit, destiné à masquer leur caractère formel.

Ces textes ne sont que des instruments pour accorder aux chefs d’Etat des prérogatives illimitées ou quasiment telles Cela ne veut pas dire pour autant que les constitutions n’aient point d’utilité. Au contraire, l’utilitarisme domine en la matière. A l’origine, les constitutions s’interprétaient comme de vibrants témoignages de l’indépendance ou de la séparation d’avec la mère-patrie. Depuis les années 1990, à la suite de la faillite du socialisme en Afrique et dans le monde, elles ont souvent rempli un rôle publicitaire destiné aux bailleurs de fonds internationaux en couvrant du voile pudique de la démocratisation et du multipartisme la concentration et la personnalisation du pouvoir. Le paradoxe était que cette prétendue démocratisation était menée par ceux-là mêmes qui l’avaient étouffée pendant si longtemps. Ces constitutions ont donc été successivement ou cumulativement des symboles, des documents purement formels et des textes d’affichage.

Les conceptions dénaturées de la constitution participent-elles d’une spécificité africaine, voire de la nature incontournable d’un continent décidément rétif à la civilisation et au progrès ? Rien ne serait plus absurde. Les constitutions défaillantes en théorie et en pratique ne font que témoigner de l’autoritarisme des gouvernants. Loin d’un quelconque fatalisme, elles résultent, non sans logique au demeurant, des brimades portées à la nature même de l’homme. Les ressorts de l’action humaine sont partout identiques et, partout, ils ont pu être entravés, même si des progrès ont pu voir le jour à la fin du XXe siècle.

 

Le « mimétisme » des constitutions africaines et le présidentialisme

Il est usuel, depuis leur indépendance, de décrire les constitutions africaines comme des répliques des modèles occidentaux, voire de les dénoncer comme des reproductions serviles et plaquées sur des réalités autres. C’est ce qu’on appelle le « mimétisme » institutionnel. Il y aurait eu plus précisément influence – délétère –du modèle français de la Ve république, tel que le général de Gaulle l’avait mis en place et tel qu’il l’avait interprété. Une influence d’autant plus néfaste qu’au modèle français était ajoutée d’autres influences, notamment américaines.

Les caractéristiques des constitutions africaines sont la toute-puissance, à peine déguisée, d’un homme en sa qualité de chef d’Etat, et corrélativement l’absence de freins et contrepoids, marqué par un Parlement aux ordres, une justice dépendante, des droits de l’homme au mieux formels ou encore des partis claniques qui ont le plus souvent succédé à un parti unique.

Cette absence d’originalité du continent africain sur le plan constitutionnel aurait cependant abouti à une particularité, fût-elle regrettable : la promotion du « présidentialisme ». Ce terme mérite quelques explications. Initialement, il s’applique aux pays qui pratiquent l’élection du Président au suffrage universel ou bien, sur le continent latino-américain, aux nations qui représentent, du moins en apparence, l’essence du régime présidentiel des Etats-Unis. En France, il désigne une déformation du régime américain dans des pays africains considérés comme des « républiques bananières ». Toutefois, il n’a pas toujours eu un sens péjoratif puisqu’il qualifie aussi, selon d’aucuns à commencer par le Président Giscard d’Estaing en 1976, le régime français de la Ve République, paradigme de la prépondérance effective du chef de l’Etat. En ce sens, il se confond avec l’expression de « monarchie républicaine » qui est souvent accolée à la pratique des institutions françaises. Cependant, la majeure partie de la doctrine partage une conception négative du présidentialisme, entendu comme un déséquilibre pratique soit le plus souvent d’un régime présidentiel, soit parfois d’un régime parlementaire.

Il n’en demeure pas moins que la question du « mimétisme » fait aujourd’hui l’objet d’explications nuancées. Les caractéristiques du « présidentialisme » africain témoignent bien plus d’un phénomène universel que d’une spécificité propre à ce continent. Il en est ainsi de la primauté du chef de l’Etat ou de l’« exécutif », de la personnalisation du pouvoir ou encore de l’ « abaissement » du Parlement, si bien qu’en fait de « mimétisme » on en est venu à parler de standardisation, à vrai dire guère plus reluisante, au plan mondial de la sphère institutionnelle.

Jean Philippe Feldman

Agrégé des facultés de droit, Jean-Philippe FELDMAN est professeur des Universités
en France, et maître de conférences à SciencesPo (Paris). Il est également avocat à
la Cour de Paris (Cabinet Feldman).

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