Lettre à Constant NEMALE, Président d’Africa 24 ,par Félix BANKOUNDA-MPELE

 Félix BANKOUNDA-MPELE

A Monsieur Constant NEMALE,

Fondateur et Président d’Africa 24

 

Monsieur,

Bonjour,

Inopportune, agaçante ou autres, tous les qualificatifs tiendraient pour caractériser cette correspondance, selon l’esprit ou l’ambition que vous tenez à donner à votre chaîne de télévision. Malgré cela, je tiens quand même à vous l’adresser, l’essentiel étant pour moi de vous exprimer mon sentiment et mes remarques sur une évolution que je trouve quelque peu inquiétante.

Universitaire, juriste et politiste de formation, vous imaginez que pour moi, et je pense pour tout africain résidant en Occident, il apparaissait difficile de contenir la satisfaction et la joie de voir enfin naître et s’affirmer une grande chaîne de télévision africaine qui, sans évidemment se couper du monde, se faisait enfin l’écho objectif d’une actualité africaine dense et variée, mais souvent banalisée, caricaturée voire tronquée. C’était, au regard des initiatives africaines en la matière, un réel défi. Mais, n’en était pas moins, l’indépendance d’une telle activité au regard des pouvoirs africains qui, globalement et objectivement, restent autocratiques, n’admettant généralement la collaboration avec un média que dans la mesure où ils y exercent une certaine emprise.

J’ai voulu vous signifier par là, Monsieur le Président, que depuis un peu plus de deux ans, je suis régulièrement la chaîne Africa 24, et ai résolument changé d’opérateur média exclusivement pour cette raison. Désagréable est, cependant, je vous l’avoue, mon constat d’une frénésie d’interventions, sans contradiction aucune, du ministre congolais de la Communication. De telle sorte que Africa 24 donne la curieuse impression d’être devenue le prolongement de Télé Congo où, je ne vous apprends rien, la parole présidentielle, du pouvoir, est la règle et, partant, indiscutable. Cela, contrairement aux prétentions du ministre cité qui, sans une seule preuve, dans sa dernière intervention sur votre chaîne, le 12 novembre, fidèle à son culot, n’a pas hésité à affirmer que « Sassou-Nguesso est la personnalité politique la plus insultée du Congo, quasiment tous les jours » sans représailles du tout! Outre que la télévision congolaise reste la chasse gardée du pouvoir, des cas, nombreux, existent bel et bien au Congo de personnes qui ont été notamment interpellées et privées des libertés les plus élémentaires pour avoir critiqué, dénoncé ou interpellé le régime du Congo et son chef. Les cas Brice Makosso et Christian Mounzeo, de l’OCDH congolais, cueillis en 2006 à l’aéroport de Brazzaville pour avoir ‘critiqué’ le régime à l’étranger sur les ventes suspectes de pétrole ; l’officier et ancien directeur de la sécurité présidentielle du régime renversé pour les mêmes raisons notamment avec plusieurs mois d’incarcération ; Monsieur Mpouélé tout récemment, entre autres, ne vont pas dans le sens du propos de votre éminent et régulier invité.

Après chaque événement majeur au Congo en effet, et il y en a eu nombreux cette année, généralement malheureux pour les Congolais, Monsieur Okiémi, s’embarrassant de peu de scrupules sur les faits et sur le droit, est au rendez-vous ! Je n’ai pas dénombré moins de cinq interventions de ce ministre ces derniers mois, sans contradicteur, et sur des questions importantes, comme sur les explosions du 4 mars et ses conséquences, sur la demande par certaines forces vives congolaises d’un débat national de fond, à titre indicatif.

Sur le premier sujet, j’avais été estomaqué par les affabulations de ce monsieur. Au point que j’étais obligé de téléphoner auprès de votre chaine, des journalistes qui l’interviewent régulièrement, pour exprimer mes inquiétudes sur la fréquence de ces interviews sans contradiction car, c’est ainsi que cela se passe au Congo. A titre indicatif, regardez à la télévision congolaise le prochain discours à la nation du général Sassou le 31 décembre et, comme toujours, le commentaire à sens unique, très laborieux et éprouvant, sans discordance même mineure et pathétique des journalistes, pendant au moins deux heures!

Je leur avais alors envoyé un petit papier, en guise de réplique, pour souligner quelques « curiosités juridico-politiques » du ministre congolais. « Jusqu’où ira l’élite ‘mercenarisée’ au Congo ? ». Vous y remarquerez que, pour défendre un ordre politique suranné et odieux, le ministre cité fait feu de toute brindille.

Depuis bientôt deux mois, face à la demande réitérée des forces vives congolaises d’un débat de fond sur le pays, à l’image certainement de la Conférence nationale congolaise de 1991 — sorte d’Etats généraux — , le ministre cité, par un bricolage absurde comme il en a l’art, et un raccourci dont il a seul le secret et le génie, n’a pas trouvé meilleur argument, auprès de certains médias africains peu outillés sur le sujet, que de ressusciter l’abbé Emmanuel Joseph Sieyès et son « Qu’est-ce que le Tiers-Etat ? » de 1789, pour rejeter cette demande ! Autrement dit, il rejoint la thèse de ses maîtres du parti au pouvoir, et notamment de l’ancien secrétaire général du parti au pouvoir, feu Noumazalay, selon lequel la Conférence nationale congolaise de 1991, fondée sur le même esprit, n’avait pas lieu d’être, était « un coup d’Etat civil contre le président Sassou-Nguesso » (in La Semaine africaine, 8/01/1998). Lui seul n’a pas compris que l’intérêt exclusif et contemporain des Etats généraux, d’un débat de fond, ici ou ailleurs, c’est son esprit et non l’intégralité de ses principes du 18ème siècle qui sont largement caducs ! Ainsi, dans cette logique, finit-il de façon ridicule par opposer l’absence au Congo des catégories sociales françaises de cette époque comme supplément d’argument ! Rappelez-lui que tous les experts en sciences sociales sont unanimes sur la perversité du mimétisme étroit et outrancier, comme il en use ! Recommandez-lui, à l’avenir, de laisser l’abbé Sieyès tranquille ! Ce brave, intègre et révolutionnaire curé, de là où il se trouve, doit implorer et se cramponner au crucifix de s’entendre instrumentaliser par le défenseur d’un régime rétrograde, vénal et criminel ! Que Monsieur Okiémi, comme d’autres, notamment un ambassadeur congolais de renom hier  « Une élite malsaine :… », cessent de recourir à certaines mystifications et références historiques incohérentes pour comprendre et expliquer un fait très clair parce que vécu par le commun des Congolais ! Comme si l’histoire postcoloniale congolaise elle-même, toute proche et fraîche pourtant, n’offrait pas les raisons suffisantes d’un tel rendez-vous ! En effet, les raisons de la sans précédente Conférence citée de 1991, formellement rappelées par le préambule de la Constitution de mars 1992 qui en est issue, sont plus que jamais d’actualité : les valeurs essentielles du pays ont été hypothéquées et retardées « par le totalitarisme, la confusion des pouvoirs, le népotisme, l’ethnocentrisme, le régionalisme, les inégalités sociales et les violations des libertés fondamentales. L’intolérance et la violence politiques ont fortement endeuillé le pays, entretenu et accru la haine et les divisions entre les différentes communautés qui constituent la nation congolaise. Le coup d’Etat s’est inscrit dans l’histoire politique du Congo comme seul moyen d’accéder au pouvoir et a annihilé l’espoir d’une vie véritablement démocratique ». Avec le fric, substitut du marxisme et exclusive idéologie de l’élite congolaise désormais, tous ces ingrédients, rappelés d’entrée de jeu, sont pourtant manifestes dans le régime congolais, sauf pour ses défenseurs bien entendu.

Surtout, expliquez-lui que son argument de bonne santé économique du Congo fondée sur le pétrole, et pour laquelle d’ailleurs les compétences de son patron n’y sont pour rien, est en décalage et contrebalancé aujourd’hui par le ‘critère de bien-être économique’, médiocre au Congo, défendu superbement par de nombreux experts dont cinq prix Nobel d’économie, parmi lesquels le célèbre prix Nobel américain 2001, Joseph E. Stiglitz (cf. Le Rapport Stiglitz de septembre 2009)! Que cet argument de ‘bonne santé économique’, « d’un budget excédentaire », dans un contexte de cohabitation de l’opulence progressive d’une petite minorité avec une misère de masse galopante, loin d’en être un, ne fait que le contredire et l’enfoncer au contraire ! Une petite lecture de la documentation sur les phénomènes de frustration et d’agressivité collectives lui aurait évité d’ajouter à la bêtise et aux contradictions qu’il s’emploie curieusement à exhiber, régulièrement. Gustave Le Bon, cet intellectuel français ‘touche-à-tout’ du siècle dernier, médecin et sociologue, dans ses travaux sur « La Révolution française et la psychologie des révolutions »(1912) et « La psychologie des foules » (1895), avait, depuis et magistralement, démontré en quoi la frustration et l’agressivité des foules avaient été, mieux que les catégorisations sociales avancées par le très sélectif ministre, fort déterminantes dans le processus révolutionnaire.

Car, qui peut douter de la misère de masse et des frustrations au Congo ! La Grèce, Etat en faillite comme on le sait, est à un taux de chômage de 26%, tandis que le Congo-Brazzaville, aux immenses recettes dont il se targue, avec moins de 4 millions d’habitants, est à 34,2% rien qu’en milieu urbain, selon les chiffres officiels (ONEMO, décembre 2011)

L’honneur et l’intérêt du journalisme et d’une chaîne de télévision, sur des questions politiques aussi majeures, et face aux bricolage et manipulations du représentant d’un régime résolument autocratique, je ne vous apprends rien, c’est de permettre la contradiction. J’avais eu l’impression que c’était l’un des buts de la chaîne Africa 24, que vous n’aviez d’ailleurs pas hésité à rappeler à Monsieur Sassou, quand vous l’aviez reçu le 09 février dernier à visiter vos installations.

Sans pour autant parler d’égalité parfaite, pensez-vous que les nombreuses interventions de Monsieur Okiemi à Africa 24, pour la défense mordicus du régime congolais sur sa nature et ses caractéristiques ostensibles, ont un début de pertinence dans le sens de ces nobles objectifs d’un média? Pourquoi cette frénésie, d’ailleurs significative d’un malaise socio-politique, qui n’a pas d’égal avec un seul de ses homologues du continent ? Que doit penser un africain ou tout observateur averti des questions congolaises sur ce privilège ? Pourquoi cette accélération ? Pourquoi maintenant ? Pourquoi ces facilités ? Que doit-on comprendre et en déduire aujourd’hui et pour l’avenir ? Oh, je sais, dans le sens de la réplique, qu’un journaliste d’Africa 24 s’était notamment déplacé à Brazzaville pour interviewer Monsieur Mathias Ndzon, éminent dissident du régime autocratique pour des raisons subjectives, alors interdit de sortie du pays. Cela reste toutefois très loin de contrebalancer les ‘apparitions’ outrecuidantes et, permettez, sans vergogne de ce cher ministre sur votre Chaine.

En tout état de cause, je reste, comme je l’avais déjà signifié à un des journalistes de la chaîne qui l’a reçu dernièrement, disponible pour apporter la contradiction à ce ministre décomplexé sur différents maux devenus légions au Congo. N’hésitez pas à lui transmettre cette invitation si vous le voulez, même si je sais, en sa défaveur, qu’il n’est pas facile de défendre, en dehors d’un média contrôlé, un régime autoproclamé et auto-validé, perpétuel abonné aux grandes endémies qui minent les pouvoirs africains, et dont tous les clignotants sociaux sont rouges malgré de fabuleuses et extraordinaires recettes pétrolières. Que lui, qui ne loupe jamais une occasion pour rappeler qu’il est juriste, « grand juriste … et surdoué» selon La Semaine africaine (journal local, lui-même surdoué dans la détection périodique des profils surdoués), devra bien expliquer la formule constitutionnelle et démocratique par laquelle, un dictateur sèchement battu aux urnes à l’avènement de la démocratie, sans émerger au deuxième tour, rétabli par effraction au pouvoir par des forces financières étrangères et surtout par des forces armées voisines, les plus féroces de la sous-région, peut, après avoir carbonisé la seule Constitution régulière, impersonnelle et unanime du pays et des milliers de ses compatriotes (les ONG humanitaires sont unanimes tout comme la résolution 867 du Conseil de sécurité des N.U . du 29 octobre 1997), devenir le champion de toutes les consultations électorales qu’il organise au mépris de la Convention de Bamako sur la démocratie en francophonie! Autrement dit, les Congolais seraient le peuple le plus imbécile du monde ! (cf. « De l’escroquerie politique », en ligne)

Si, ministre sous un régime dictatorial et criminel n’est, déjà, apparemment pas lourd et avilissant pour ce cher monsieur et certains Congolais, afficher en plus et régulièrement une formation, une discipline universitaire qui est la bête noire de son patron relève d’un comportement et d’un fonctionnement pour le moins curieux et sordide et, à plus ou moins long terme, l’impasse sinon la catastrophe s’avéreront. Mais, il est vrai, cela n’est préoccupation que pour des gens doués de bon sens et d’honneur.

C’est, par ailleurs, pour aider, à ma façon, Africa 24 à éviter le sort d’un hebdomadaire africain de renom devenu ‘faiseur d’images’ de dirigeants africains, et surtout de ‘l’homme fort’ du Congo, auprès de qui on dépêche d’urgence, à chaque grande actualité, le même journaliste pour le dédouaner et le glorifier, que j’ai tenu à vous adresser cette correspondance.

Je reste convaincu d’être lu à juste raison et vous prie de croire, Monsieur le Président, à l’assurance de mes meilleurs sentiments.

France, 21 décembre 2012

Félix BANKOUNDA-MPELE

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Une réponse à Lettre à Constant NEMALE, Président d’Africa 24 ,par Félix BANKOUNDA-MPELE

  1. Bonjour Monsieur,

    Votre analyse et votre point de vue nous intéresse. Pouvez-vous nous contacter ? Nous sommes http://www.netinfo.tv. Bien à vous. Sylvie de Boisfleury

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