Historicité des relations entre la France et l’Afrique à travers l’itinéraire politique du député Jean Félix-Tchicaya, Par Wilfrid Sathoud

Jean Félix-TchicayaMonument érigé en mémoire du député Jean Félix-Tchicaya

au carrefour de Loandjili (Pointe-Noire).

Le 16 janvier 1961, Jean Félix-Tchicaya, premier parlementaire du Moyen-Congo et du Gabon à l’Assemblée Nationale Constituante Française (1945-1959), précurseur des indépendances africaines et de l’histoire politique contemporaine de notre pays, tirait sa révérence à Pointe-Noire.

Bien que plusieurs édifices publics de la ville océane congolaise portent aujourd’hui son nom, en reconnaissance de l’action politique louable accomplie par ce dernier en faveur des populations africaines en générale et plus particulièrement du Congo-Brazzaville, il n’en demeure pas moins que sa mémoire reste à maints regards ignorée et méconnue des générations actuelles et futures par extension. A cet effet, nous reprenons à la suite de cet article des éléments produits lors d’un colloque sur les relations historiques et légendaires entre la France et l’Afrique à travers l’itinéraire politique du député Jean Félix-Tchicaya, organisé à Pointe-Noire, en date du 15 Janvier 2000, à l’initiative de Wilfrid Olivier Gentil Sathoud.

L’histoire des hommes comme celle des peuples et des nations est souvent marquée par des grands événements qui déterminent leur avenir. Au regard de la situation que vit actuellement le continent Africain en général et plus particulièrement le Congo-Brazzaville, il se dégage une perte considérable des repères historiques et des valeurs morales traditionnelles. D’où, une analyse rétrospective des faits marquants et du rôle déterminant joué par les grands hommes qui ont contribué à l’évolution sociale, culturelle, économique et politique du Congo s’avère nécessaire pour mieux orienter l’avenir de notre pays.

A l’occasion de la commémoration du 45ème anniversaire de la disparition du député Jean Félix-Tchicaya, nous avons jugé utile et nécessaire de publier une vue partielle de nos recherches historiques portant sur la rétrospective de l’évolution politique du Congo-Brazzaville, de la 2e guerre mondiale à la révolution (1939-1963). Il convient de souligner que, pour mener à bien cette étude passionnante, nous avons été inspirés par les archives paternelles et le fonds documentaire personnel de Victor-Justin Sathoud, témoin et acteur politique majeur de l’histoire politique du Congo, depuis l’époque coloniale, figure marquante du gouvernement de la première République du Congo et, compagnon de lutte du député Jean Felix-Tchicaya, qui fut successivement :

 Le premier parlementaire du Moyen-Congo et du Gabon à l’Assemblée Nationale Constituante Française ;
 Président fondateur de la première formation politique de l’histoire du Congo, à savoir : le Parti Progressiste Congolais (PPC) et de la première association culturelle du Moyen-Congo dénommée « l’Harmonie de Pointe-Noire » ;
 Vice-président et membre fondateur du Rassemblement Démocratique Africain (RDA), sous la houlette du président Félix Houphouët-Boigny ;
 Grand conseiller fédéral de l’Afrique Equatoriale Française (AEF) et conseiller territorial du Moyen-Congo ;
 Père de l’écrivain Gérald Félix-Tchicaya dit « Tchicaya U’Tamsi », l’une des plus grandes figures littéraires africaines du siècles passé.

Historique

Le général Charles de Gaulle lançait depuis son exil de Londres le vibrant et historique « Appel du 18 Juin 1940 » à la résistance contre l’occupant nazi. A la suite de celui-ci, de nombreux jeunes Africains soumis au joug colonial français seront mobilisés de gré ou de force dans le bataillon dit des Tirailleurs Sénégalais des troupes françaises libres pour combattre les troupes hitlériennes et libérer la mère patrie asservie.

Parmi eux, se trouvait Jean Félix-Tchicaya, alors âgé de 37 ans, fils de Félix-Tchicaya et de Antoinette Portella. Né le 29 Novembre 1903 à Libreville, il perdit très jeune ses parents et fut alors recueilli à Loango par son grand père maternel, Louis Portella, alors grand commerçant et notable.

 

Après ses études primaires à la mission catholique et à l’école officielle de la localité, le jeune Jean Félix-Tchicaya obtint une bourse pour l’Ecole Urbaine de Libreville. Brillant élève, il sortira major de sa promotion en 1918 et sera admis à l’Ecole Normale William Ponty de Gorée, d’où il sortira instituteur.

Par la suite, Il fera carrière dans l’administration comme commis des finances, affecté au magasin de ravitaillement de la main d’œuvre du chemin de fer Brazzaville/Pointe-Noire reliant le fleuve Congo à l’Océan Atlantique sur 512 Km, jusqu’à la fin des travaux de construction du CFCO (Chemin de Fer Congo-Océan). Ce chantier épique et honteux qui permettra à André Gide, dans son ouvrage paru en 1927 « Voyage au Congo » et à l’illustre journaliste Albert Londres dans son livre « Terre d’ébène » (1929) de dévoiler à l’opinion métropolitaine les horreurs du travail forcé dans les « colonies » françaises d’Afrique.

Les revendications anticoloniales prennent ainsi une ampleur considérable tant dans les milieux humanistes métropolitains que dans les cercles restreints des notables évolués africains dits « indigènes » aspirant eux aussi à un espace de liberté, d’égalité et de fraternité.

Pendant que la guerre s’enlise sur le champ de bataille, ou blancs et noirs se côtoient et tombent ensemble sous les balles de l’ennemi, le Général Charles de Gaulle, Président de la France Libre déclenche le 30 Janvier 1944, le processus destiné à conduire progressivement les Territoires coloniaux français d’Afrique vers leur émancipation, au cours de l’historique Conférence de Brazzaville, qui réunira autour du Ministre des Colonies René Pleven, exclusivement les administrateurs coloniaux, les commissaires des colonies de l’AEF et de l’AOF, les gouverneurs des Territoires affiliés à ces Fédérations et ceux des territoires dépendants, sans aucune participation africaine.

Au sortir de cette conférence, Il sera alors décidé d’accorder aux populations des colonies françaises d’Afrique, la possibilité d’élire des représentants à l’Assemblée Nationale et au Sénat Français à compter de 1945, dès la fin de la guerre. Sur la base d’un double collège électoral, dont le premier était réservé aux privilégiés « citoyens de statut civil commun », autrement dit les Européens et le second collège électoral destiné à la catégorie sociale des « notables évolués » noirs dit « Indigènes », constitué de fonctionnaires et employés de commerce, des anciens combattants et titulaires de décorations, des diplômés, des chefs de cantons, des représentants des collectivités indigènes et des Ministres des Cultes.

A l’origine limité à la couche de la population alphabétisée, le droit de vote s’étendra par la suite, à toutes personnes possédant un titre d’identité officiel, à partir de 1951.

Quelques conseillers représentatifs élus, en 1952Quelques conseillers représentatifs élus, en 1952 : Maurice Akouala, Akarambole, Pierre Goura (en nœud papillon), Pierre Kikhounga-Ngot et Raphael Ambassa, devant le siège de l’Assemblée Territoriale du Moyen-Congo (sise bâtiments abritant de nos jours l’école paramédicale Jean-Joseph Loukabou de Pointe-Noire).

Progressivement, la représentation parlementaire du Moyen-Congo en métropole s’élargira avec l’élection au Sénat Français de : Pierre Goura, Aubert Lounda, Emmanuel Dadet, Jean Malonga, Marcel Ibalico et autres, etc…

Du PPC

Le PPC, première formation politique de l’histoire du Congo-Brazzaville, fondé en 1946 par Jean Félix-Tchicaya, est une émanation du RDA (Rassemblement Démocratique Africain). Dans chaque territoire colonial français, le RDA possédait alors des implantations : PPC (Parti Progressiste Congolais) au Moyen-Congo, BDG (Bloc Démocratique Gabonais) de Léon Mba au Gabon, PPT (Parti Progressiste tchadien) de Gabriel Lisette puis François Ngartha Tombalbaye au Tchad, etc…

Victor-Justin Sathoud nous a laissé sa version de l’histoire du PPC, que voici :

« J’ai commencé à militer dans ce parti depuis ma sortie de l’école, dans les années 46-47-48, jusqu’à être élu en 1952 comme Conseiller Territorial. Dans le Niari, nous étions cinq (5) sur notre liste, le chef de file était GOURA Pierre, il avait Kikhounga Ngot, Nzongou Auguste, Ango Raymond et moi-même.

Contre notre liste, il y avait cinq (5) autres listes opposées, qui étaient d’autres tendances, de la SFIO, du RPF et même des candidats indépendants. Mais, en 1952, c’est notre liste qui avait remporté la victoire dans le Niari.

Ensuite, en 1955, le RDA qui était affilié au Parti Communiste Français s’était désapparenté pour adhérer à l’UDSR, qu’animaient à l’époque François Mitterand et René Pleven. Pour cela, consigne était donnée à toutes les Sections Locales de suivre cette nouvelle orientation qu’ils avaient appelée à l’époque « repli tactique ». Parce que, toutes les Sections du RDA subissaient sans cesse des répressions de la part de l’administration coloniale de l’époque, qui était dirigée par des socialistes.

C’est pourquoi, au Moyen-Congo, la majorité des fonctionnaires et autres auxiliaires de l’administration coloniale n’étaient pas pour le PPC. Il y en avait qui étaient au RPF ou à la SFIO, pour préserver leurs avantages et éviter les brimades dont étaient victimes les membres du PPC taxés de communistes. A juste titre d’ailleurs, parce qu’à la fondation du PPC, nous avions ce qu’on appelait les Groupes d’Etudes Communistes (GEC) qui nous formaient idéologiquement. Mais, après le désapparentement du Parti Communiste de la part du RDA, tout avait changé.

Jusque-là, le tuteur du RDA à titre honorifique, pour le Territoire du Moyen-Congo était toujours le Député Jean Félix-Tchicaya. Parce que, il faut bien le reconnaître, au niveau local du Moyen-Congo nous avions à l’époque un Secrétaire Général d’origine Dahoméenne (aujourd’hui on dit Béninoise), qui était Greffier au Tribunal de Brazzaville, il s’appelait Yves Marcos.

Dans chaque région, il y avait un responsable élu démocratiquement par les assemblées générales. Au Kouilou c’était notre vétéran, le Doyen Stéphane Tchitchelle, au Niari c’était d’abord Goura Pierre et à partir de 1955, j’avais pris la relève, suite à une élection démocratique en assemblée générale, lorsqu’il était élu Sénateur en France.

C’est donc à partir du départ de Goura que j’étais élu. J’avais dans le Bureau Régional des camarades comme les Zala Emile, les Poaty Joseph aujourd’hui en service à la Mairie de Pointe-Noire, les Souami Gabriel aujourd’hui retraité. Enfin nous étions nombreux dans le bureau, chaque Secrétaire Régional s’occupait d’une Section : l’organisation, la propagande, les finances et matériel, etc…

A partir de 1955, le PPC a commencé à connaître des remous, des défections, une crise interne. Il y a eu des problèmes de personnes, des exclusions qui ont fini par être fatales pour le Parti étaient prononcées à l’encontre de certains membres éminents, ceux-là mêmes qui ont fait l’histoire du Parti.

Je citerais par exemple le cas illustre du vieux Tchitchelle. Il à quand même été le symbole de la lutte du PPC dans la région du Kouilou et son départ avait, je vous l’avoue, énormément affaibli le Parti. La preuve est qu’il remportera aisément les élections municipales de 1955 et de 1957 à Pointe-Noire, sous le label UDDIA.

En 1957, au renouvellement de l’Assemblée Nationale Française, l’Abbé Fulbert Youlou était candidat aux élections, le Vieux Opangault également et il y avait une prolifération de candidatures même au sein du PPC, comme celle de Kikhounga Ngot. Le Député Jean Félix-Tchicaya était tout de même réélu avec quelques difficultés. Mais comme on venait de perdre les élections municipales aussi bien à Brazzaville, Pointe-Noire, qu’à Dolisie, la répercussion à été directement perceptible à l’Assemblée Territoriale, le PPC avait ainsi perdu ses plus grands fiefs électoraux, à, savoir : le Kouilou, les Pays du Niari et le Pool. Nous avons accepté cette défaite sportivement. Cependant, l’Abbé Fulbert Youlou qui venait de créer l’UDDIA avec le Doyen Tchitchelle avait demandé son adhésion au RDA. Parce qu’il voulait maintenant avoir une audience au-delà du Moyen-Congo.

Lorsqu’il avait demandé l’adhésion de son mouvement au RDA, je me trouvais à Yamoussoukro, parmi les Délégués du Moyen-Congo à la Réunion du Comité de Coordination du RDA élargie aux Sections Locales. Il y avait entre autres : le Député Jean Félix-Tchicaya, Azoumey, le remplaçant de Yves Marcos au poste de Secrétaire Général de la Section locale RDA Moyen-Congo et moi comme délégué du Moyen-Congo, enfin nous étions nombreux.

Au cours de cette réunion, nous avons fait l’analyse globale de la situation politique dans tous les territoires. Le RDA avait remporté la victoire presque un peu partout en AOF, notamment en Guinée Conakry, en Côte-d’Ivoire, au Mali, au Niger. Sauf en Mauritanie et au Sénégal. Au Dahomey, à l’époque, une fusion avait été opérée entre les élus RDA et les élus d’un autre parti local.

En AEF, le RDA avait remporté au Gabon et au Tchad. Mais, en Oubangui-Chari et au Moyen-Congo, on avait perdu. Après analyse de toute cette situation, on est arrivé au point relatif à la demande d’adhésion formulée par l’Abbé Fulbert YOULOU au nom de l’UDDIA. Evidement le débat était houleux, même passionné. Le député Jean Félix-TCHICAYA avait exigé que l’adhésion ou l’acceptation de la candidature de l’UDDIA au RDA soit subordonnée au retrait des anciens du PPC, qui avaient déjà adhéré là-bas.

Alors, comme on ne pouvait pas l’accepter, il avait dit : « …Si cette condition n’est pas remplie, je partirai… ». Je me rappelle encore, comme si c’était hier, l’altercation vive entre le député Félix-Tchicaya et Sékou Toure, qui estimait, à ce sujet, que cette exigence était sans fondement et trop subjective de la part du député Felix-Tchicaya, qui n’était pas du reste irremplaçable.

En fin de compte, après plusieurs séances de discussions, l’adhésion de l’UDDIA à été acceptée au sein du RDA et la consigne a été donnée à toutes les Sous-Sections de la Section Territoriale du Moyen-Congo de fusionner avec l’UDDIA. Ne pouvant pas aller à l’encontre de cette directive du Bureau du Comité de Coordination de notre Parti, voilà donc les circonstances réelles dans lesquelles nous nous sommes retrouvés avec l’Abbé Fulbert YOULOU à l’UDDIA, surtout que j’étais personnellement délégué à cette réunion qui consacrera dans son communiqué final l’acceptation de l’UDDIA, comme membre à part entière du RDA. »

Jean Félix-Tchicaya et la polémique autour de la cession de Franceville au Gabon.

Selon une version largement répandue dans l’opinion publique, Jean Félix-Tchicaya aurait été l’artisan de la cession par le Congo de Franceville et sa région à ce qui allait devenir l’Etat gabonais. Voici a ce sujet la version de Victor-Justin Sathoud :

« La version largement répandue dans l’opinion selon laquelle le député Jean-Félix Tchicaya aurait vendu Franceville au Gabon m’étonne, mais ne me gêne pas, dans la mesure où nous avons toujours tendance à accorder beaucoup trop d’importance à nos députés d’antan, alors qu’ils ne faisaient que voter des lois. Et encore qu’ils étaient relativement minoritaires au Palais Bourbon.

En réalité, le rattachement de Franceville au Gabon a été fait par décret. Actuellement, nous sommes un pays souverain, nous avons un gouvernement, nous avons une assemblée et d’autres institutions. Est-ce que les décrets passent par l’assemblée ? Puisque nous avons copié presque le même fonctionnement.

La vérité est que le Ministre de la France d’Outre-Mer, donc celui en charge des Colonies, à l’époque c’était Marius Mauthey qui avait pris un décret rattachant Franceville au Gabon. Pourquoi ?

Tchicaya était député du premier collège, parce que les blancs avaient leurs députés et les noirs les leurs. En ce temps-là, le député blanc du Gabon s’appelait Barnier. Il était un grand exploitant forestier et les gens de Franceville, de Divenié, comme ceux de chez nous à Kibangou. En somme, les gens de la forêt ont la réputation d’être des bons travailleurs en matière de bois et d’agriculture. A l’époque, il n’y avait pas de tracteurs, il fallait abattre les arbres à bras d’hommes.

Le député Barnier avait donc demandé au Ministre des Colonies, qui sait s’il était peut être actionnaire dans sa société, de rattacher purement et simplement Franceville au département du Haut-Ogooué et au Gabon, pour qu’il puisse facilement disposer de la main-d’œuvre locale.

Mais, au sein du PPC, lorsqu’on donnait cette version des faits, pourtant vraie, les gens disaient non, nous étions corrompus par Tchicaya, nous étions des vendus.

Enfin, c’était de bonne guerre, ils le faisaient pour défendre leurs leaders. Mais aujourd’hui encore, je répète haut et fort, que ce n’est pas du tout Tchicaya qui était à l’origine du détachement de Franceville du Moyen-Congo vers le Gabon.

De toutes les façons, le gouvernement français disposait de nos pays comme il l’entendait. Il n’y a qu’à voir nos frontières actuelles qui sont fictives. Quand on va du coté de Franceville avec l’actuelle République Populaire du Congo, qu’y a-t-il comme frontière ? Il n’y en a pas. Quand vous venez du coté de Mbinda, quelles frontières y a-t-il ? Rien. Du Coté de Banda mon petit village, avec Mayumba et Tchibanga, il n’y a aucune frontière. Ce sont pratiquement les mêmes populations. Arbitrairement on disait “la limite c’est ici”, à telle enseigne que pendant longtemps les paysans ignoraient à quel pays ils appartenaient.

C’est donc un faux problème créé pour griller Félix-Tchicaya. Puisqu’il le fallait absolument pour passer, surtout qu’en politique, on en fait feu de tout bois.

Même si le député Tchicaya pouvait faire une intervention à l’Assemblée, le décret étant déjà signé, promulgué et publié, de quelle force disposait-il pour l’annuler ? »

Cette déclaration de Victor-Justin Sathoud nous éclaire sur l’importance toute relative qu’avaient les parlementaires indigènes au sein de la constituante. La France accepte la présence de ceux-ci mais de fait ne leur laisse aucun pouvoir. Marché de dupes directement issu de l’organisation coloniale. Sans doute pourrait-on reprocher à ces parlementaires d’accepter ces postes de fantoches uniquement pour les honneurs qu’ils représentent. Il eut sans doute été préférable aux yeux de certains que les élus africains boycottent les débats pour protester contre la vacuité de leur présence. Ce serait oublier que leur élection même vaine était déjà une victoire, ils enfonçaient la porte des institutions françaises et ouvraient la voie vers la reconnaissance des identités politiques qui allaient former les Etats indépendants que nous connaissons aujourd’hui.

Contributions de quelques intervenants au colloque

Très proche de Jean Félix-Tchicaya, ce bouillon septuagénaire qui est Bernard Theousse, enseignant de son état n’avait pas manqué l’occasion de ce colloque, pour non seulement vanté à sa manière les qualités exceptionnelles d’un homme politique engagé qui avait su définir le sens de son combat pour la libération pacifique de l’Afrique du joug colonial, en révélant avec brio à l’auditoire les origines Téké de Djambala, du député Jean Félix-Tchicaya, émanant semble t-il de la lignée matriarcale de son arbre généalogique.

Mais aussi, évoqués les péripéties inhérentes à l’organisation de ses funérailles ponctués d’un deuil national, au cours desquelles il avait joué le rôle de maitre des cérémonies, en présence de l’Abbé Fulbert Youlou et de Maitre Jacques Opangault accompagné de tous les membres du gouvernement d’union national de la première République du Congo, alors institué pour sceller définitivement la réconciliation des principaux protagonistes de la guerre civile de 1959, d’une forte délégation représentative de la République Française conduite par son Haut Représentant Pierre Rossard et, des autres nouveaux Etats indépendants d’Afrique, anciennement colonies françaises.

Homme tridimensionnel, Jean Félix-Tchicaya se distingue déjà en pleine période coloniale dont le contexte dictait une soumission absolue vis-à-vis des maitres. Il se démarqua ainsi, en dévoilant ses nobles prétentions devant l’auguste assemblée nationale constituante française, où, prenant la parole à l’hémicycle le 23 mars 1946, il déclarait en substance : « …rendez-nous d’abord nos terres et, nous croirons par la suite à tout le reste de vos déclarations… ».

Ces propos du député Jean Félix-Tchicaya suscitèrent à la fois admiration, indignation et méfiance. Les autorités Française se rendront alors à l’évidence que le premier parlementaire du Moyen-Congo et du Gabon est un homme résolu au service de l’Afrique, dénonçant colonialisme et servitude : « …Cette bravoure, témoigne l’écrivain Tchitchele-Tchivela, l’aura conduit à se déterminer devant les peuples africains et congolais, qui n’hésiteront pas à lui renouvelé sans cesse leur confiance, lors des différentes batailles électorales de l’époque…».

Raison pour laquelle, Jean Félix-Tchicaya est considéré comme un homme de dimension africaine qui appartient aussi à l’histoire de la France et du Congo. Il monte au créneau, brille comme une étoile, en construisant sa logique d’homme providentiel, idéal et clairvoyant sous le prisme des 3F : Félix Ford, Félix Tchicaya et Félix Houphouët-Boigny. Un mythique trio dont les idées politiques feront le tour de l’Afrique et de la France.

Au niveau continental, il fera valoir ses talents oratoires, très appréciés par les anciens condisciples de l’Ecole Normale William Ponty de Gorée, au sein du Rassemblement Démocratiques Africain (RDA), où il sera unanimement porté vice- président du mouvement présidé par Felix Houphouët-Boigny. Aussi, brisant par ailleurs les barrières idéologiques, il ne ménagera aucun effort pour lutter contre les méfaits du système colonial, de concert avec les élus africains relevant d’autres obédiences politique, tels que : Lamine Gueye, Léopold Sédar Senghor, Barthélemy Boganda et tant d’autres, au point d’obtenir l’africanisation du continent décrété en 1956, suite à l’adoption de la fameuse Loi Cadre Gaston Defferre, instituant l’autonomie interne des anciennes colonies françaises d’Afrique. Par la suite on parlera de l’africanisation des cadres, qui ouvrira la voie des indépendances.

Progressiste convaincu, Jean-Félix Tchicaya demeure une figure charismatique de l’histoire du Congo et de l’Afrique : «…Vibrant hommage doit être rendu par les filles et fils de ce pays, en soignant l’image et l’esprit de cet héros par des actes concrets… », a renchéri un autre enseignant et écrivain, en la personne de M. Mouitys-Mikala. 

De ce point de vu, a en croire un participant du Lycée Français Charlemagne, abordant sur la même lancée que Fréderic Adnot, le Directeur du Centre Culturel Français de Pointe-Noire, partenaire de l’événement avec la Direction Régionale de la Culture et des Arts au Kouilou, ce colloque a eu le mérite de retracé, au-delà de la personnalité du député Jean Félix-Tchicaya, une page importante de l’histoire commune de la France, du Congo et de l’Afrique. On ne peut pas tricher avec l’histoire, ni la truquer. Les noms et prénoms Jean Félix-Tchicaya, ont été certes attribués à des petites avenues et autres édifices principalement localisées dans la ville de Pointe-Noire. Mais, force est de constaté que l’honneur posthume demeure très éphémère et pas digne d’un premier parlementaire à la dimension du député Jean Félix-Tchicaya, que l’Ancien Dahomey (actuel Benin) avait honoré, en l’élevant à la distinction de l’étoile noire du Benin, un précieux exemple à suivre par d’autres Etats qu’il a servit.

Construire une stèle est une bonne chose, mais celle-ci demeure muette. Il faut, plutôt du concret pour marquer les générations actuelles et futures par la multiplication des actions utiles à l’éducation, l’information et la formation des élites de demain. Un sursaut d’orgueil pour les congolais que nous sommes de valoriser à tous les niveaux nos élites, nos défenseurs et tous ceux qui ont des fédérations d’idées porteuses, quelque soit leur appartenance idéologique, ethnique et régionale contribuerait efficacement à rendre hommage à l’antériorité, en faisant œuvre utile à la postérité.

Quelques repères biographiques

29 Novembre 1903 : Naissance de Jean Félix-Tchicaya à Libreville, actuel capitale de la République Gabonaise, qui constituait à l’époque coloniale l’entité administrative unique du Congo-Français, couplée au territoire du Moyen-Congo.

1934-1935 : Jean Félix-Tchicaya est défini comme un autodidacte « évolué » qui vit à l’occidentale, prince de Loango, il est d’abord employé comme commis dans l’administration coloniale avant de devenir instituteur.

Il serait marié à l’Eglise catholique avec Cécile, une « évoluée » éduquée chez les sœurs du Saint-Esprit.

1939 : Jean Félix-Tchicaya, en tant que sous-officier rejoint les Forces Françaises Libres, auparavant il a fondé le Cercle Africain des Indigènes de Pointe-Noire.

30 Janvier 1944 : Conférence de Brazzaville.

21 Novembre 1945 : Jean Félix-Tchicaya, Commis des Finances, est élu député à l’Assemblée Nationale Française, où il représentera le Moyen-Congo et le Gabon.

16 Octobre 1946 : Publication d’un décret portant réorganisation administrative de l’AEF et tous les actes modificatifs subséquents. La ville de Franceville cédée au Congo en 1925 est de nouveau rattachée au Gabon par décret signé du Chef de gouvernement provisoire de la République Française.

25 Octobre 1946 : Publication du décret portant création Assemblée Représentative Territoriale en Afrique Equatoriale Française. Dès lors, le Congo connaît une intense activité politique visant l’obtention des indépendances.

Sur cette lancée Jean Félix-Tchicaya fonde, en 1946, le Parti Progressiste Congolais (PPC), qui aura son siège à Pointe-Noire.

Le 29 Août 1947 : Premières élections à l’Assemblée Territoriale du Moyen-Congo. Deux partis se présentent, le PPC de Jean Félix-Tchicaya symbolisé par la panthère et, le MSA de Jacques Opangault avec pour emblème le coq socialiste. Le PPC l’emporte sur le MSA, courte victoire, soit 10 députés pour le PPC et 8 pour le MSA.

1951 : Se déroulent de nouvelles élections, un troisième parti émerge, le Rassemblement du Peuple Français (RPF), le PPC de Jean Félix-Tchicaya est une fois de plus majoritaire.

1952 : Félix-Tchicaya, Fondateur du PPC devient Conseiller Représentatif du Moyen-Congo et Grand Conseiller de l’AEF, fonction qu’il assumera jusqu’en 1956.

23 Juin 1956 : Promulgation de la loi cadre Gaston Deferre autorisant le gouvernement français à mettre en œuvre les réformes et à prendre des mesures propres à assurer l’évolution des territoires relevant du Ministère de la France d’Outre-Mer reconnaissant une autonomie partielle aux Etats Africains et à Madagascar.

1958 : Le Général de Gaulle prononce son discours au stade Félix Eboué de Brazzaville, dans lequel il propose aux Etats Africains sous domination française de former avec la France une communauté Franco-Africaine.

28 Septembre 1958 : le Congo se prononce pour la communauté Franco-Africaine lors du référendum organisé par le gouvernement français.

15 Août 1960 : Proclamation à Brazzaville de l’indépendance de la République du Congo, par l’Abbé Fulbert Youlou, en présence d’André Malraux, représentant personnel du général Charles de Gaulle, président de la Communauté.

11 Janvier 1961 : Publication du nouveau gouvernement d’union national, par le Président Fulbert Youlou.

16 janvier 1961 : Disparition de Jean Félix-Tchicaya à l’hôpital Adolphe Sicé de Pointe-Noire.

17 Janvier 1961 : Journée de deuil national à l’occasion des obsèques officiels du député Jean Félix-Tchicaya, en présence du Président de la République du Congo l’Abbé Fulbert YOULOU accompagné de Jean Rossard, haut représentant de la France au Congo, Jacques Opangault, vice-président de la République du Congo, Alphonse Massamba-Debat, Président de l’Assemblée Nationale du Congo et des messieurs : Stéphane Tchitchelle, Apollinaire Bazinga, Pierre Goura, Simon Pierre Kikhounga-Ngot, Germain Bicoumat, Faustin Okomba, Raymond Mahouata, Oscar Samba, Prosper Gandzion et Victor-Justin Sathoud, tous membres du premier gouvernement d’union nationale institué à la faveur de la réconciliation des protagonistes de la guerre civile de 1959.

Après la veillée de prière et la célébration d’une messe de requiem en la cathédrale Notre-Dame de Pointe-Noire, la dépouille de l’illustre disparu sera inhumée au cimetière de Loango actuellement menacé d’érosion marine.

L’ancien Palais de Justice, aujourd’hui collège Félix Tchicaya

L’ancien Palais de Justice, aujourd’hui collège Félix Tchicaya

De nos jours, dans la ville de Pointe-Noire, plusieurs édifices publics portent le nom de Jean Félix-Tchicaya, parmi lesquels figure entre autre : l’école primaire et le collège, à l’époque Palais de Justice, représenté sur la photo d’archive ci-dessus datant des années 30, l’avenue reliant la base aérienne à la base industrielle Total E & P Congo et, le carrefour de Loandjili où trône une stèle érigée en sa mémoire, sous les bons auspices de l’actuel Président de la République du Congo, Denis Sassou-Nguesso.

Par Wilfrid Sathoud

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