LES VEUVES OUBLIÉES OU LES GRANDES DOULEURS DU CONGO-BRAZZAVILLE. Par Dieudonné Antoine GANGA

Apendi, Loutaya et Nzoumba sont nées, en 1960, l’une à Makoua, l’autre à Kinkala et l’autre encore à Nkayi. Elles sont nées, l’année de l’indépendance de notre pays, le Congo. Cette indépendance, elles en ont entendu parler et conter, dans leur enfance, par leurs parents. C’est au cours de ces récits ou de ces entretiens à bâtons rompus, qu’elles ont entendu parler de la lutte anticoloniale, de nos héros qui n’avaient ménagé aucun effort pour que notre pays fût autonome, souverain et indépendant : Matsoua, Boueta-Mbongo, Mabiala Ma Nganga, Biza, Samba Ndongo. Elles ont aussi entendu parler de nos éminents patriotes : Félix Tchicaya, Jacques Opangault, Emmanuel Dadet, Leyet-Gaboka, Stéphane Tchitchelle, les Présidents Abbé Fulbert Youlou, Alphonse Massamba-Débat et Marien Ngouabi dont elles ont entendu des récits épiques.

À l’issue de leurs études à l’École Jean Joseph Loukabou de Pointe-Noire, les trois amies Apendi, Loutaya et Nzoumba obtinrent le diplôme d’Infirmière d’État. Après les trois condisciples épousèrent respectivement Atipo, Manangou et Mboungou. Elles fondèrent, chacune, une famille composée de deux garçons. Des familles modestes, pas riches mais pas pauvres non plus ; des familles pourtant heureuses. Mais comme, souvent dans les contes de fées, tout bascula dans le tragique, lors des événements malheureux qui ont endeuillé le peuple congolais, à la fin du siècle dernier. Lesquels événements emportèrent leurs chers et tendres époux et enfants.

Depuis, Apendi, Loutaya et Nzoumba sont inconsolables. Elles n’arrivent toujours pas à faire la différence entre le rêve et la réalité ; entre « le Dipanda » et sa congénère, entre cette histoire sanglante qui chevauche entre le Diable et le Bon Dieu, entre la Barbarie animale et l’angélisme. Elles se demandent toujours pourquoi ça leur est arrivé, à elles. Elles se le demandent parce qu’elles ne comprennent absolument rien à tout ce présent longuement pénible et noir qui n’offre aucun avenir paisible ni rassurant. Elles ne demandent à personne ; ni aux Autorités ; ni au tout simple citoyen congolais ; ni même aux inventeurs des avenirs illusoires inexistants ; ni enfin, aux créateurs des saintetés sans Dieu.

Apendi, Loutaya et Nzoumba ignorent toujours où gisent les corps de leurs époux et de leurs enfants. Et personne ne les y aide. Elles ignorent totalement ce qu’il est advenu d’eux. Cendres jetés dans le fleuve Congo ou dans le Djoué et servant de limon devant fertiliser les terres ancestrales pour un peuple enfin humanisé et fraternisé ? Ou chairs putréfiées dans des fosses communes et servant de facto, de pitance aux carnivores de Moukoundzi-Ngouaka ou d’Itatolo ? Des morts anonymes, des morts inutiles. Apendi, Loutaya et Nzoumba ne savent pas toujours. Le rituel du dépôt des gerbes des fleurs sur les tombes, le jour de la Toussaint, ne leur dit rien ; il ne signifie plus rien pour elles. Elles ne comprennent pas tout cela, du point de vue de la simple logique humaine. Elles regardent avec des yeux hagards leurs voisins qui, tôt le matin, vont en famille, comme en pèlerinage, dans les différents cimetières tant de Brazzaville que des banlieues.

Elles ne comprennent pas aussi que l’on n’ait toujours pas donné de sépulcre, ou à défaut, un cénotaphe au Président Alphonse Massamba-Débat ; elles ne comprennent pas aussi que l’on n’érige pas de stèle ou de monument pour tous les anciens Présidents de la République défunts, et sur lesquels serait gravé en lettres d’or « À tous les anciens Présidents de la République, la nation congolaise reconnaissante » et où l’on déposerait au nom de la République reconnaissante, des gerbes de fleurs, non pas seulement le jour de la Toussaint, mais les 15 Aout et 28 novembre, dates commémorant respectivement l’indépendance et la proclamation de la République.

Apendi, Loutaya et Nzoumba, oubliées dans leurs deuils de veuves et de mères privées de bonheur maternel et familial ? Oubliées dans la solitude de leurs malheurs et de leurs conditions ? Elles ne cessent de se le dire dans leurs quartiers respectifs de Nkombo, de Mikalou et de Madibou, quand elles se retrouvent.  Leur vie se partage entre l’agriculture de subsistance, entre les cultures maraichères et les soins prodigués à des voisins, avec l’aide d’anciens collègues infirmiers retraités. Une manière pour elles, d’apaiser les affres de leurs deuils tombés dans l’anonymat forcé.

Elles ne cessent de penser aussi aux autres veuves, aux autres mamans des « Disparus du Beach », de tous ces maris et enfants morts dans les forêts d’Ikonongo, du Pool, du Niari, de la Bouenza et enterrés à la sauvette dans la nature et dont les tombes ne seront jamais retrouvées ou fleuries, les tombes sans épitaphe, les tombes dont la mémoire des occupants ne sera jamais honorée.

En attendant une possible réponse aux questions qu’elles se posent quotidiennement dans leur for intérieur, ces questions qui taraudent leurs esprits, une réponse qui viendra peut-être un jour, quand elles ne seront plus là, Apendi, Loutaya et Nzoumba, comme les autres veuves oubliées, méditent et pleurent en silence, loin des caméras et des médias, sur leurs maris, sur leurs enfants, sur tous ces morts anonymes. Les grandes douleurs, ne sont-elles pas muettes ? Comprenne qui pourra. J’ai dit.

Dieudonné ANTOINE-GANGA

Diffusé le 12 décembre 2020, par www.congo-liberty.org

DIEUDONNÉ ANTOINE GANGA, APÔTRE DE LA PAIX ET ACTEUR DE LA DÉMOCRATIE AU CONGO-BRAZZAVILLE (joyeux anniversaire pour vos 75 ans).

Ce contenu a été publié dans Les articles. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

3 réponses à LES VEUVES OUBLIÉES OU LES GRANDES DOULEURS DU CONGO-BRAZZAVILLE. Par Dieudonné Antoine GANGA

  1. Samba dia Moupata dit :

    Depuis plus cinquante ans , notre pays vit dans une barbarie Mbochi dont Sassou Dénis est le grand chef d’orchestre ! Des centaines de milliers d’assassinats dont 95% sont kongo , laissons derrière eux des veuves et orphelins , qui pour certains , n’ont pas pu faire leurs deuil , comme le cas du président Massamba Débat, Ya KIMBOUALA KAYA que j’ai bien connu à la jeunesse chrétienne à l’époque et les disparus du Beach jetés à l’eau pour l’éternité . Pour moi serré la main à Sassou Dénis serait trahir ces morts , c’est pourquoi je plains les kolélas de père en fils une famille diabolique qui accompagne Sassou Dénis .

  2. Anonyme 5 dit :

    Ce sont les conséquences de l’unité quand on vous dit …….

  3. Marché total dit :

    Cher Monsieur Ganga,
    Prière d’accepter toutes mes félicitations pour cet excellent article.
    Je sais que vous êtes un fervent catholique et j’ai une question pour vous : Qu’est-ce que les Congolais ont fait au bon Dieu pour subir pareil supplice ?

Laisser un commentaire