Les hirondelles de mer de Marie-Léontine Tsibinda

MARIE_LEONTINE

Voici un recueil de nouvelles avec une vingtaine de textes qui se partagent trois tableaux dont les thèmes semblent s’interpeller les uns les autres. Des nouvelles qui se partagent le regard sociopolitique de l’auteure. Des récits où les hommes et les femmes se définissent tantôt par la vie au village, tantôt par la vie en ville avec tous les problèmes qui leur pose le vécu quotidien.

Mondanité, vie et mort dans la société des Hirondelles de mer

Moult personnages dans quelques nouvelles de ce recueil manifestent leur goût pour la vie mondaine. Pour se débarrasser de Maithé qui lui cause de l’amertume avec sa famille nombreuse, le héros de « L’irrésistible Dekha danse » fréquente un endroit mondain où il tombe dans les charmes d’une fille de joie. Celle-ci qui n’est autre qu’une revenante qui lui propose finir la soirée chez elle. Quelle ne sera pas sa surprise quand le lendemain, il se retrouve devant l’inimaginable : « Je regarde autour de moi. Partout c’et le même silence (…) La belle Dekha, un amas d’os blanchis » (pp.19-20). Et la femme-revenante apparait aussi dans « L’évadée de Mupepe » à travers la rencontre du célibataire Kanissa avec une certaine Malissa dans une boîte de nuit. Et le fait accompli lui révèle qu’il se retrouve devant un être « extraordinaire » : « Le prêtre [le] prend dans sa fourgonnette et ne s’arrête qu’à Mupepe (…). Devant une motte de terre fraîchement remuée, un nom sur une croix [le] fait saigner : – Ici repose Vumbi Malissa Chantal… » (p.28). Si dans « L’irrésistible Dekha danse » et « L’évadée de Mupepe », ce sont des hommes qui tombent dans le piège des femmes revenantes, il n’est pas dans « La Mercedes » ; dans ce texte, la belle Kyneka, dans l’exercice de sa profession de prostituée, s’attache à un client qui a une voiture Mercedes. Malheureusement, celle-ci ne sera que mystère et va provoquer une stupeur chez ses amies quand elle se retrouve chez Kyneka : « Ses amies et le quartier entier se cachèrent (…) Kyneka qu’as-tu fait ? (…). Sur les portières on lisait les inscriptions suivantes en lettres sous une croix : Ville de Yonga… Pompes Funèbres… » (p.46).

La satire politique

Les personnages de Les hirondelles de mer vivent dans une société où ils se confrontent au système politique qui les régit. Dans les textes de Marie-Léontine Tsibinda, le politique se dévoile grotesque et méchant vis-à-vis du peuple comme cela se remarque dans « La valise » où on peut lire : « Ces politiciens de la ville, à qui les paysans avaient donné leur bœuf le plus gras, leur brebis la plus dodue, leur plus belle pondeuse, voilà ce qu’ils donnaient en retour : ils privaient les fonctionnaires de leurs salaires qu’ils détournaient à leur profit » (p.51). Et cette satire des politiques se remarque aussi dans « Silence à Tonga Tonga » où l’héroïne s’en prend aux responsables politiques de son pays : « (…) ils nous avaient promis tout ?: meilleures écoles, meilleures autoroutes, meilleures hôpitaux, meilleurs logements, meilleurs lendemains, des menteurs… Et il n y a que la guerre, les coups de canon, le sang, la terreur, la fuite… » (p.132). Ce thème de la guerre en relation avec l’homme politique revient dans « Les pagnes mouillés »: « Que de coups de canon, que de coups de fusil entendus dans la terreur des kalachnikovs… » (p.151). De la politique, la narratrice de « L’interrogatoire » ne peut s’empêcher de tirer à boulets rouges sur les gouvernants de son pays : « Les hôpitaux fonctionnant sans médicaments, les écoles sans bancs adéquats, les routes étaient inexistantes, celles laissées par les blancs avaient perdu leur beauté noire » (p.182). Aussi, le thème de la politique peut se découvrir dans l’étrange destin du Député-maire qui habite la maison laissée par le Comandant blanc dans « La maison de la colline ».

L’amour dans Les hirondelles de mer

Les personnages de Marie-Léontine Tsibinda expriment de réels sentiments d’amour en dehors de la mondanité qui habitent certains d’entre eux. Ils ne connaissent pas un amour linéaire car ils se confrontent aux vicissitudes et caprices de ce sentiment. Dans « L’amour vient de la mer », Koba, une espèce de Don Juan, arrive quand même à s’admettre à son bac, à la grande surprise de son père ; mais il doit quitter celle qu’il aime pour ses études à l’étranger. Entre temps, l’amour entre le héros et Aloa dénote les turpitudes de leur jeunesse où illusion, douleur, bonheur accompagnent les sentiments. Amour raté avec Aloa avant de reconnaitre Madey qui sera la source de ses malheurs : « Et si je te disais que j’attends un enfant de toi ? Je sursaute (…) Elle attend un enfant ? Le ciel me tombe sur la tête. Quel poids ? (…). Elle commence à gémir. Elle ne veut pas se rendre à l’hôpital, personne ne la rongera : avortement provoqué » (p.92). Après un séjour en prison consécutif à cet avortement qui a fait qu’elle soit évacuée à l’étranger pour des soins intensifs, Kola est sauvé des griffes de la justice par la solidarité de ses amis de classes. Il retrouve une année plus tard sa chère Alao. Dans la dixième nouvelle, l’héroïne connait l’amour quand elle rencontre un certain Ykey tout en ayant une aventure avec Mambou. Ni Ikey, ni Mambou ne pourra faire le bonheur de la jeune femme qui tombe dans les bras d’un autre jeune homme Ngommo avec qui elle va fonder agréablement une famille. Le thème de l’amour traverse aussi d’autres textes. « Marianna » nous présente une jeune femme qui a aimé un homme qui l’a malheureusement trahie ; séparation et retrouvailles ponctuent sa vie sentimentale et le texte de nous apprendre que l’héroïne va enfin être mère. Dans « Le portail fermé », Deddy, une adolescente de quinze ans, attire tous les regards des garçons et hommes de son entourage. S’y révèle une forme d’érotisme de la part de cette fille. A travers certains liens d’amour, l’auteure fustige le racisme dans « Mayanguy » à travers le mariage mixte de Sanida et Vincent. La jeune femme ne prend pas en considération l’état aléatoire de l’Afrique qu’on lui présente. Une Afrique des traditions dans « L’appel », où le mariage prend une autre signification : une veuve est mariée au frère de son défunt époux, comme le veut la coutume. Cette femme affronte l’ignominie quand meurt l’homme à elle imposé par la tradition. Cette situation est différente de l’amour réciproque entre Tola et Sala dans « Quand gronde l’orage ». Malheureusement, tout ne se passe pas comme le voulaient les deux amoureux avec le comportement intransigeant et dégradant du père qui va violer sa fille : « il l’attira vers lui, ôta son pagne, s’abattit sur elle et la dévora jusqu’à l’âme, sur le sol pour éviter le bruit des ressorts fatigués du lit » (p.80).

L’apport du fantastique et du merveilleux dans Les hirondelles de mer

Il y a deux spécificités dans la nouvelle de marie-Léontine Tsibinda : le fantastique et le merveilleux qui donnent à ses textes un ton de conte. Dans la nouvelle éponyme « Les hirondelles de mer », se découvre une femme que l’on croit folle à la recherche de son fils et son mari dont la mer serait le tombeau. Dans « Le costume de bois », « La valise » et « Le parfum connu », le lecteur découvre des personnages qui vivent des aventures mystérieuses dans des récits souvent baignés dans le fantastique : « Les mystères morale et physique se côtoient. Toi, Etranger, tu n’es pas fait pour vivre dans un milieu comme celui-ci. Ne t’arrête pas ici… » (p.57).

Par sa densité, ce recueil de nouvelles pourrait être appréhendé comme un roman polyphonique avec une multitude de thèmes. Une succession de textes à multiples perspectives narratives où le récit est tantôt « donné » de l’intérieur avec un narrateur à la première personne (« Un parfum connu », « Les hirondelles de mer »), tantôt « vu de loin » avec un narrateur focalisé de l’extérieur (« La Mercedes », « La ville de Peng ». Le style de Marie-Léontine Tsibinda dans ce livre apparaît comme une des exceptions de la présentation d’un recueil de nouvelles dans la prose congolaise comme on l’a remarqué chez Tchichelle Tchivela avec « L’exil ou la tombe ».

Noël Kodia

  • Marie-Léontine Tsibinda, Les hirondelles de mer, éd. Acoria, Paris, 2009.
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