Le procès des maîtres Hervé-Ambroise Malonga et gabriel Hombessa, ou l’andzimbisme judiciaire

Depuis l’enlèvement de Maîtres Hervé Ambroise MALONGA et Gabriel HOMBESSA , dans le cadre, croyions-nous, du drame de MPILA du mois de mars dernier, je me suis personnellement tenu au silence, pour laisser se dérouler l’enquête annoncée de façon très tonitruante, que l’on pardonne le néologisme, dont nous attendions et attendons toujours l’aboutissement.

Le procès convoqué, une fois en début du mois de juin, avait été renvoyé sans aucune explication sérieuse. Convoqué de nouveau devant la première Chambre correctionnelle du Tribunal de Grande Instance de Brazzaville, en son audience du jeudi 28 juin dernier, les Congolais qui se sont déplacés en masse, tant l’enjeu est important, ont appris avec stupéfaction, qu’une fois encore, le procès devait être renvoyé pour défaut de présence au dossier, de la pièce même sur laquelle le Gouvernement a fondé l’inculpation de Maître Hervé Ambroise MALONGA, autrement dit, la Décision du Conseil de l’Ordre des Avocats, qui avait prononcé l’omission de cet Avocat du Tableau des Avocats. Si ce n’est pas de l’anzimbisme, ce doit être du nzobisme, à moins que ce ne soit de l’Otwere.

L’enquête étant bouclée, la publicité étant désormais autorisée, le débat juridique peut s’ouvrir, et j’engage ici un débat qui se veut simplement irénique. Mais dès l’abord, pour démêler l’écheveau de l’intrigue dans ce roman rocambolesque hollywoodien, je dois dire, au regard de notre Droit positif, que le procès intenté contre ces deux Avocats, loin d’être simplement correctionnel, est politique. Ils ont été arrêtés pour des motifs politiques.

Pour étayer mon argument, je dois rappeler que, toute honte bue jusqu’à la lie, un demi-siècle après l’indépendance, et nonobstant tout le vacarme strident sur le marxiste entretenu des années durant par le Parti Congolais du Travail, revêtu du discours anti impérialiste, le Droit pénal congolais reste régi par le Code pénal napoléonien de 1810. Or, si les crimes et délits contre la sûreté intérieure de l’Etat ont toujours été considérés comme étant de nature politique, la question était plus délicate pour les atteintes à la sûreté extérieure de l’Etat. Sous l’empire du Code pénal de 1810, leur caractère politique était admis. A la fin de l’évolution qui avait trouvé son terme dans le Décret-loi  du 29 juillet 1939, les atteintes à la sûreté extérieure de l’Etat présentaient un caractère complexe ; l’article 84, alinéa 4 de ce texte, complété par une Ordonnance du 23 novembre 1958, prévoyait que pour l’application des peines et quant au régime de la détention préventive, les crimes et délits contre la sûreté extérieure de l’Etat étaient considérés comme des infractions de droit commun. Depuis l’Ordonnance du 4 juin 1960, l’ensemble des infractions contre la sûreté de l’Etat, a un caractère purement politique, ces crimes et délits sont par conséquent punis de peines politiques. Maîtres Hervé Ambroise MALONGA et Gabriel HOMBESSA, poursuivis pour atteinte à la sûreté extérieure de l’Etat, sont par conséquent victimes d’un procès politique. Le débat devra commencer ici.  Le terrain ainsi déblayé des traits qui fondent la nature du délit reproché aux deux Avocats, l’on peut maintenant rechercher les éléments constitutifs de l’infraction. Mais avant que d’examiner la nature des infractions retenues, il est une question essentielle qu’il faille clarifier, c’est l’exception d’illégalité dont pourraient se prévaloir les deux Avocats au regard de l’ordonnance de soit-communiqué n°040/C12 en date du 03 mai 2012 prise par Monsieur André GAKALA-OKO, en qualité de Doyen des Juges d’Instruction.

En effet, aux termes précis et formels de l’article 8 de la loi n°15-99 du 15 avril 1999  portant statut de la Magistrature : « L’exercice des fonctions de magistrat est incompatible avec l’exercice de toute fonction publique ou élective et de toute autre activité, professionnelle ou salariée, à l’exception des activités agricoles. Des dérogations individuelles peuvent, toutefois, être accordées aux magistrats, pour exercer des fonctions ou des activités qui ne sont pas de nature à porter atteinte à la dignité ou à l’indépendance du magistrat » ;

Or, il est établi que Monsieur André GAKALA-OKO, qui a conduit l’information dans la procédure qui nous occupe, en qualité de Juge d’instruction, est militaire, Colonel de son Etat. Aux termes de l’article 2 de la même loi : « La hiérarchie du corps de la magistrature comprend trois grades comportant, chacun, des échelons » ; il n’ya dans cette hiérarchie aucune place pour les grades militaires ;

Aux termes de l’article 5 du même texte : « Les magistrats sont indépendants vis-à-vis du pouvoir politique, des groupes de pression et des justiciables » ; or, l’on ne saurait admettre un soldat qui soit indépendant de la hiérarchie militaire, l’Armée étant elle-même dépendant du Pouvoir exécutif. C’est en vain que l’on tenterait de s’abriter derrière l’article 42 de la loi, sur les positions des magistrats, en soutenant que le Colonel André GAKALA-OKO serait en position de magistrat sous le drapeau, cet article disposant de manière catégoriques : « La mise en position de détachement, de disponibilité ou sous les drapeaux est prononcée dans les formes prévues pour les nominations des magistrats. Nul magistrat ne peut être placé en position de détachement s’il n’a exercé comme magistrat sans discontinuer pendant dix années. Aucun détachement de magistrat ne peut excéder cinq ans ». La situation du Colonel André GAKALA-OKO n’obéit nullement à l’esprit et la forme de ce texte.

Enfin, les dispositions de l’article 45 du texte qui fixe l’âge d’admission à la retraite des magistrats à 65 ans, ne s’applique pas aux militaires, l’âge de départ à la retraite des Officiers supérieurs, étant hier à 55 ans, et aujourd’hui à 60 ans ; le Colonel André GAKALA-OKO n’y échappe pas. Le statut de magistrat tel que fixé par la loi, n’autorise donc pas l’exercice de la fonction de magistrat par un militaire, et aucun texte n’est venu jusqu’ici créer les magistrats militaires. Il s’infère de tout ceci que le Colonel André GAKALA-OKO, militaire en activité, soumis au régime d’avancement dans l’Armée,  exerce en toute illégalité la fonction de magistrat.

Dès lors, l’ordonnance de soit-communiqué émanant d’une juridiction constituée en violation des dispositions sus-énoncées, et qui a préparé l’affaire et décidé le renvoi des prévenus devant le Tribunal, une telle ordonnance est atteinte d’un vice rédhibitoire qui doit en faire prononcer l’annulation. En tout cas, c’est ainsi que les choses se passent dans un Etat de Droit.

Les deux Avocats sont inculpés d’usurpation de titre pour Maître Hervé Ambroise MALONGA, puis, atteinte à la sûreté extérieure de l’Etat  et escroquerie pour les deux Avocats, il nous faut maintenant examiner la réalité de ces différentes infractions.

  1. De l’usurpation de titre.

Il faut indiquer, à l’attention du profane, que le délit d’usurpation de titre, est le fait de faire usage, sans droit, d’un titre attaché à une profession réglementée par l’autorité publique ou d’un diplôme officiel ou d’une qualité dont les conditions d’attribution sont fixées par l’autorité publique. En l’espèce, il est reproché à Maître Hervé Ambroise MALONGA, d’avoir usé du titre d’Avocat, alors qu’il se savait omis du Tableau. Les Avocats sont portés chaque année sur un Tableau qui constitue la liste officielle des Avocats devant chaque Barreau, cette inscription est du ressort du Conseil de l’Ordre National des Avocats. Tout Avocat peut en être omis pour différentes raisons, ce peut-être une omission d’office lors de l’exercice d’une profession incompatible par exemple membre du gouvernement, ce peut-être à la demande de l’Avocat, ce peut-être enfin par une mesure disciplinaire. Dans le cas de Maître Hervé Ambroise MALONGA, son omission du Tableau résulte du défaut de paiement de la cotisation ordinale. La question qui nous intéresse ici et celle relative aux conséquences de cette omission.

Dès l’abord, il sied de préciser que Maître Hervé Ambroise MALONGA a saisi la Cour Suprême aux fins d’annulation de cette Décision, et dans ce cas, le recours étant suspensif, l’on ne peut invoquer cette omission pour reprocher à cet Avocat d’avoir poursuivi l’exercice de sa fonction. Mieux, faisant suite à une demande du Président du Tribunal de Grande Instance d’Oyo tout de même, le Bâtonnier du Barreau de Brazzaville a clairement indiqué par écrit que cette omission étant frappée de pourvoi, ne pouvait interdire Maître Hervé Ambroise MALONGA d’exercer. Et Monsieur Aimé Emmanuel YOKA, à moins de faire preuve de mauvaise foi, Avocat lui-même omis d’office du fait de sa présence au Gouvernement, ne peut pas ignorer cette réalité juridique.

Le principe de légalité : nulla poena nullum crimen sine lege, il n’y a pas de crime, il n’y a pas de peine sans une loi qui les prévoie, reste un principe fondamental de tous les systèmes de Droit, en ce qu’il est la garantie fondamentale des droits de la personne devant les juridictions répressives, sauf dans les Etats dictatoriaux où il est battu en brèche. Ce sacro-saint principe est réaffirmé par notre Constitution et les conventions internationales ratifiées par le Congo. Il en résulte que le Juge n’est pas législateur, il doit appliquer la loi quelle que soit l’opinion qu’il en a, il doit l’appliquer non la créer ni même l’interpréter, d’où l’exigence que les lois soient écrites, claires et ordonnées, pour que le Juge n’ait pas à se fonder sur l’esprit de la loi qui ouvre la porte à l’arbitraire, affirmait Robert BADINTER.

L’on constate que la loi sur la Profession d’Avocat, si elle fixe les conditions de l’omission du Tableau, ne dit pas que l’Avocat omis ne pourrait plus se prévaloir de cette qualité, alors qu’il reste justiciable de l’Ordre.  Il s’agit ici d’un principe strictissimae interpretationis, autrement dit, il est interdit au juge pénal d’élargir un texte d’incrimination afin de sanctionner un fait qui n’a pas été expressément prévu par la loi. Et comble de ridicule, le Réquisitoire définitif de renvoi devant la juridiction de jugement dans l’affaire, signé de Monsieur ESSAMY-NGATSE, Procureur de la République, mentionne pourtant que MALONGA Hervé Ambroise est Avocat. En tout cas, sauf à vouloir donner corps à l’adage selon lequel : « qui veut noyer son chien l’accuse de rage », l’article 258 du Code pénal ne saurait trouver application en l’espèce. Maître Aimé Emmanuel YOKA lui-même, alors membre du Gouvernement, a abondamment par le passé usé de son titre avant de se ressaisir, et Denis SASSOU-NGUESSO lui-même aussi, alors Président de la République, donc réputé en position de disponibilité, a toujours signé tous les textes très officiellement en mentionnant : Général d’Armée Denis SASSOU-NGUESSO, et n’a cessé d’user de ce titre que depuis son admission à la retraite.

  1. De l’escroquerie

L’escroquerie est le fait, soit par l’usage d’un faux nom ou d’une fausse qualité, soit par l’abus d’une qualité vraie, soit par l’emploi de manœuvres frauduleuses, de tromper une personne physique ou morale et de la déterminer ainsi, à son préjudice ou au préjudice d’un tiers, à remettre des fonds, des valeurs ou un bien quelconque, à fournir un service ou à consentir un acte opérant obligation ou décharge. On le voit, la constitution du délit d’escroquerie en l’espèce dépend de l’existence du délit d’usurpation de titre. S’il n’y a pas de délit d’usurpation de titre, il ne peut y avoir eu escroquerie. Et quand bien même il y aurait eu escroquerie, au préjudice de qui a-t-elle eu lieu ?

Il est un principe en Droit pénal en vigueur dans le pays, que le droit d’invoquer un préjudice est personnel à celui qui l’éprouve. L’on pourrait certes rétorquer en l’espèce, que la victime, autrement dit la famille du Colonel Marcel NTSOUROU, peut avoir été mal éclairée par son Conseil Maître Hervé Ambroise MALONGA, parce qu’elle ignorait son omission du Tableau d’Avocats, et qu’il appartient au Parquet de compenser l’inadvertance du Conseil. Cependant, il est constant que la lecture de l’article 2 du Code de procédure pénale qui proclame : « L’action civile en réparation du dommage causé par un crime, un délit ou une contravention appartient à tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par les faits objets de la prévention », n’autorise pas un tel raisonnement. Il faut dire clairement, que notre Droit pénal dans son écriture actuelle, ne fait du Parquet un ‘’don Quichotte’’, qui s’emploie à faire le bien du protégé malgré lui ; le droit ici est d’ordre privé. Il est tout de même curieux de voir un Parquet, qui refuse à un prévenu l’usage de son droit fondamental de défense, s’ingénier à voler à son secours, pour invoquer à sa place le délit d’escroquerie dont il aurait été victime. Il ne s’agit pas loin s’en faut, d’un cas où l’ordre public aurait été troublé, et qui autorise le Parquet de s’autosaisir.

  1. DE L’ATTEINTE A LA SURETE EXTERIEURE DE L’ETAT  

Il est ici fait grief aux deux Avocats de s’être introduits dans un camp militaire, et y avoir tenu une conférence de presse. L’accusation affirme que le domicile officiel du Colonel Marcel NTSOUROU se situe dans l’enceinte du Camp du 15 août, donc dans une caserne militaire. La lecture de cette accusation ferait en tout cas rire même un enfant de trois ans. Mais de quelle caserne militaire, de quel Camp militaire nous parle-t-ton, lorsqu’il est de notoriété publique, que l’accès dans ce lieu n’est interdit par aucun texte ? Qui ignore que les militaires Congolais devenus commerçants jusque y compris les Officiers, y tiennent des débits de boissons, que la moitié de nos casernes a été vendue, au point qu’à Pointe-Noire, il est désormais impossible de distinguer les limites des propriétés privées avec celles du Camp du 31 juillet ; il en va de même du Camp dit de la Base, comme celui de LUMUMBA, totalement cernés par des domiciles civils.

Le Colonel André GAKALA-OKO, Doyen des Juges d’Instruction, soldat de son Etat, ne saurait ignorer qu’un camp militaire est un regroupement de troupes, installé temporairement ou définitivement. Il peut servir à former des recrues, ou être utilisé comme lieu de repos. Il s’agit d’un Bâtiment destiné à loger des troupes : Caserne d’artillerie, de cavalerie, de gendarmerie, des pompiers. Au Congo, l’armée comme toutes les Institutions de la République sont depuis, passées de vie à trépas, nous n’avons plus aucune caserne au Congo, là où elles avaient existé, c’est devenu une véritable passoire. Le fameux Camp du 15 août dont le Parquet de Brazzaville semble être le seul à s’en rappeler les limites, abrite même le fameux cimetière central, sans que son accès soit soumis à la moindre autorisation de l’autorité militaire ou ce qui en tient lieu. Il est vrai que le ridicule ne tue pas, mais quand même !

Daniel NKOUTA

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