L’Armée et le Pouvoir au Congo Brazzaville. Par Justin BALONGA

Dans leurs premières années d’existence, les armées africaines étaient encore des embryons des armées des anciennes puissances coloniales. Car africaines dans leur déploiement, mais cependant elles en étaient très éloignées dans leurs fondements, qu’elles posaient dans la plupart des cas comme des reproductions du modèle occidental. Ainsi dans la plupart des Etats, durant la période qui précéda l’institution des armées nationales, les armées africaines loin d’être des forces politiques, ont été par leur neutralité des éléments étrangers aux objectifs prioritaires de développement envisagés par les gouvernants. Et ce temps fut court.

Pour le cas du Congo, la politisation de l’armée relève, d’une part de sa professionnalisation à partir de la création d’une armée nationale en 1963. Et d’autre part de son engagement auprès de la « gauche du Parti » pour participer au renversement de la deuxième République et de son président qui démissionna le 4 septembre 1968. Cela a entraîné deux mouvements concomitants, premièrement la  politisation systématique de l’Armée et donc de l’accès des militaires aux postes de responsabilités nationales, et  deuxièmement, une confusion dans le commandement entre la hiérarchie politique et la hiérarchie militaire.

Depuis l’Armée est devenue une force politique importante au Congo, et ceux qui la dirige  jouent un rôle de premier plan dans le système institutionnel du pays. Pour s’en convaincre, la Conférence nationale du Parti Congolais du Travail du 15 avril 1972 avait donné les tâches suivantes à l’Armée : faire la révolution, éduquer le peuple et l’encadrer, effectuer les tâches de combat et de production (1). De la même manière dans une déclaration du12 décembre 1975 du Comité Central du Parti congolais du Travail, il est souligné que les cadres et les vaillants combattants de l’Armée Populaire Nationale doivent assurer la sécurité du peuple et les acquis des Glorieuses journées des 13, 14,15 août 1963(2).

A partir de 1979, la constitutionnalisation de l’Armée a permis d’augmenter son capital d’influence, au point de s’ériger en gardien du pouvoir politique. Ainsi, aux termes de l’article 112 de la constitution du 8 juillet 1979, l’Armée est un instrument de la révolution congolaise, ayant pour mission de sauvegarder l’indépendance et la souveraineté nationale. De ce point de vue, dans l’intérêt de défendre les acquis révolutionnaires, l’Armée avait légalement les arguments de bloquer le processus de démocratisation du pouvoir à partir de 1990 juste après la chute du mur de Berlin le 9 novembre 1989. Et donc à l’évidence de maintenir le statu quo en apportant son appui au régime en place, lequel était dirigé également par un militaire.

Mais à partir de 1992, l’Armée congolaise du moins en théorie va perdre son engagement révolutionnaire au profit d’une exigence de « neutralité » de ses premières années d’existence, qui la conduit à ne plus s’immiscer directement dans l’espace politique, puis dans la gestion du pouvoir. Elle devient momentanément apolitique.

Ce nouveau positionnement  de l’Armée peut se justifier par deux impératifs. D’abord d’ordre idéologique, l’abandon du marxisme léninisme comme mode de pensée politique met un terme à sa vocation politique et surtout révolutionnaire  Elle devient simplement une institution de protection, de l’indépendance et de la souveraineté nationale, sans prétention politique. Ensuite, une prise de conscience au sein de l’Armée même, depuis longtemps elle était devenue un support incontournable de la prise, de l’exercice et de la conservation du pouvoir. Au point même, qu’aucun président de la république ne pouvait exercer le pouvoir sans une emprise réelle de l’Armée. Et le pouvoir était « au bout du fusil », tout comme il ne se donnait pas, il s’arrachait disait-on souvent à l’époque. Mais avec le tournent démocratique des années 90, le suffrage universel devient le seul moyen d’accéder au pouvoir. Dans ces conditions, après plusieurs années de gestion sans partage de pouvoir, il était peu probable théoriquement, que l’Armée revienne au pouvoir par la voie des urnes. Elle était donc comme obligée de « jouer le jeu démocratique » sans en avoir dans le fond ni la conviction, ni la volonté de quitter l’espace politique.

Ce qui d’ailleurs permet de douter de l’effectivité du caractère apolitique  de l’Armée proclamé d’abord par l’article 162 de la Constitution du 15 mars 1992 en ces termes : « La force publique est apolitique. Elle est soumise aux lois et règlements de la République. Elle est instituée dans l’intérêt général. Nul ne peut l’utiliser à des fins particulières… ». Puis repris dans les termes identiques par l’article 171 de la constitution du 20 mars 2002.Un certain nombre de raisons permettent à juste titre de l’affirmer. D’un côté, souvent dans les pays africains la consécration formelle de l’Etat, lui-même comme une création de circonstance mal accommodée au contexte local, a précédé la construction pratique de l’Etat nation. Et la gestion du pouvoir politique a toujours été un enjeu de rivalités ethniques. Dans ce genre de conflit, l’Armée a toujours joué le rôle d’arbitre partisan et donc non objectif, puisque, elle-même divisée de la manière identique que la société civile. Au Congo, comme partout ailleurs en Afrique,  l’action politique n’est pas rationnelle, elle répond à une exigence d’une part  personnelle, puis socio biologique de plus en plus  par le privilège accordé aux enfants et enfin ethnique, car l’ethnie sert de limite au domaine de définition du pouvoir. Le président de la République n’est pas souvent lié par un mandat, d’autant plus que celui-ci dans la plupart des cas n’est pas respecté. Ainsi, il rend plus compte à son ethnie qu’au peuple. Et les conflits politiques sont souvent des combats d’intérêts et d’affrontement entre ethnies. Il y a inévitablement, à la fois une mystification et une confusion entre le pouvoir et celui qui l’exerce. Et il n’est pas rare d’entendre d’un président de la république dire que » celui ou celle qui prendra mon pouvoir n’est pas encore né » .De l’autre, des facteurs conjoncturels démontrent à partir des années70, la généralisation des régimes militaires en Afrique (Congo 1969 ; Bénin 1972 ; Ethiopie 1974; Madagascar 1975), il semble qu’aujourd’hui l’Armée possède une « culture » de gestion sans partage du pouvoir. Et l’Armée au Congo est devenue un Etat dans l’Etat avec un pouvoir d’autonomie fort, d’autant plus qu’avec le temps elle s’est dotée d’une capacité économique, sociale et culturelle dans le pays.

En définitive, il est normal qu’à l’heure du passage aux institutions démocratiques qu’un changement radical de culture de l’Armée s’impose et au surplus de la société congolaise. Mais comment remettre en œuvre une Armée fondée sur les valeurs du sacrifice suprême, de l’intérêt général et de l’effort gratuit, lesquelles sont reléguées aux antipodes de notre société. De plus, l’Armée est devenue le « cœur » du pouvoir d’Etat, qui organise et rationalise la violence par le truchement de l’Institution militaire. Aujourd’hui au Congo, l’Armée et le pouvoir politique entretiennent des relations intimes, au point où qu’elle  peut être considérée comme le bras séculier du pouvoir.

Ainsi pendant encore longtemps, la question du pouvoir sera résolue par la force, et  l’Armée demeurera un enjeu majeur de la conquête, de la prise et de la conservation du pouvoir. Ce qu’il faut noter  c’est que  l’Armée dans son positionnement actuel constitue un obstacle à la transition démocratique apaisée car sa visibilité trop importante  dans l’espace social, avec un pouvoir tentaculaire fort, gêne l’émergence de mécanismes collectifs de  sécurisation à la fois  de la population et de la gestion apaisée du pouvoir.  La tendance actuelle, très dangereuse,  est celle du dépassement de l’Armée par une banalisation sociale de la violence d’une part et par la constitution des milices lourdement plus armées et mieux équipées que l’Armée régulière d’autre part.

 

Par Justin BALONGA

Diffusé le 14 avril 2017, par www.congo-liberty.org

 

.(1)Conférence nationale, 15 avril 1972, p. 10, imprimerie nationale du Congo, 1974.

.(2)Déclaration du 12 décembre 1975 du Comité centrale du Parti congolais du travail, p.24,  imprimerie nationale, 1975.

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8 réponses à L’Armée et le Pouvoir au Congo Brazzaville. Par Justin BALONGA

  1. mwangou dit :

    @ Nous…
    réprimer et toujours et sans cesse réprimer, terroriser; l’Etat sous sassou nguesso c’est ça. Alors, on embauche : on vient de titulariser les miliciens qu’on a intégré dans la police, il y a peu, pour foutre la pagaille dans le Pool et asseoir le pouvoir.
    curieux… trop curieux! C’est sous la domination de l’égyptologue que tout cela est entrepris. on ne paie pas les salaires de l’université et du chu, on trouve de quoi payer des policiers …Dire que l’égyptologue de famille a manigancé une opération de charme contre les patriotes en faisant financer la construction d’une université baptisée d’avance…, pour nous amadouer…

  2. mwangou dit :

    @ Actualiser
    l’intersyndical de l’université a déjà décrété « journée morte » à l’université depuis le mercredi 12…, jusqu’à demain samedi…la suite on verra…
    mais la priorité du gouvernement, c’est asseoir définitivement le pouvoir par la répression dans le Pool lari (car la zone téké est à l’abri…)…

  3. le fils du pays dit :

    Mr Balonga,les armées Africaines avez vous dit?.Non il n’y a pas d’armees en Afrique seules les milices ethniques sous sous traitance des Occidentaux.Prendez l’exemple de la première milice du continent celle du Nigeria qui est incapable meme le localiser ce monstre cree par l’occident et son bebe Israel, le Boko Haram.Les Lycéennes sont toujours en captivité,certaines enceintees par leurs bourreaux et d’autres mortes.Prenez encore l’exemple de la milice Angolaise dont la France avait sous traite pour installer son valet sur le trône en 1997 (Mr Sassou).
    Les instructeurs Occidentaux qui forment les soient disant officiers de toutes ces milices disent d’eux qui ne comprennent ou ne savent rien de géostratégie c’est a dire ils ne savent pas ce que l’occident fait ou trame contre eux(leurs pays).Non Mr Balonga,les vraies armees sont ailleurs, parlez nous par exemple du Vietnam,Cuba,l’Iran par ne citer que ceux-la.

  4. Mass dit :

    Le fils du pays a bien raison au Congo comme partout ailleurs en Afrique il n’y a pas d’armées, sinon des milices en armes au service des dictateurs. La raison est simple, l’Etat n’existe pas, pourtant c’est lui qui devrait être le soubassement de toutes les institutions ( armée comprise). Au Congo, l’Etat c’est le dictateur Sassou, il fait du pays ce que bon lui semble. L’armée de notre enfance a disparu, et les milices existantes dans nos pays défendent exclusivement les intérêts des dictateurs. C’est le cas au Nigéria où des jeunes filles sont prises en otage par les illuminés de Boko H.Donc les vraies armées africaines sont à mettre en œuvre, mais à la condition d’existence de régimes véritablement démocratiques dirigés par des patriotes.

  5. VAL DE NANTES ..BRAZZA à moi , où es tu ????? dit :

    JE suis toujours très peiné de devoir parler du tribalisme sous ce unième pouvoir de SASSOU .
    Ethnie , tribu , régions ,tous ces concepts identitaires et sociologiques nous étaient indifférents à une certaine époque ;;;;
    Tenez , j’ai fait le mi- porta , à la PV GARE année 73 , pour pouvoir me payer un ticket 25 cfa pour entrer ma matinée cinéma LUX OU STAR ….
    Avant d’entrer dans la salle , nous mangions les boules d’ambiances , et écoutions cette fabuleuse chanson CHERIE LUTA CHERIE LUTA ELAKA O TOPESANAKI MAMA .. NA KA KOUFOUA EH
    TRIO MADJESSI …
    Voilà ce mon BRAZZA, accueillant , bienveillant envers tous ces fils , sans tribus . EH OUI j ‘ai vécu , dans un BRAZZA saint , propre , dans une insouciance parfaite .
    MON frère MALANDA peut en témoigner ;;;;
    OUI quand , je prononce , le mot mbochis , j’en ai honte , car ce n’était pas dans ma culture juvénile , du fait mon bain cosmopolite .
    Ce BRAZZA d’aujourd’hui m’horripile , je ne me reconnais plus dans ma ville de naissance , oui je suis foncièrement BRAZZAVILLOIS ;
    La politique ségrégationniste , et ultra tribaliste , m’a éloigné de l’idéal ensembliste , que je me fais de cette ville innocente , qui accueillit , des villageois , mais dont les comportements politiques , lui ont enlevé l’ADN de gentillesse , qui insufflait à tout le monde .
    Oui , j’ai honte de voir comment la politique , peut détruire des liens platoniques et affectifs qui régnaient entre des fils venus des tribus différentes ;;;;;;
    Nous ne parlions pas tribus , quand nous sommes accueillir nos diables rouges à l’occasion de leur victoire pour la CAF en 1972 .
    J’étais à MAYA MAYA , lorsqu’une partie de ce bâtiment avait cédé sous la pression humaine .OUI je veux retrouver mon BRAZZA à moi .
    Des milices tribales , des cadres puisés dans la seule région , où va t on ,,,,,?????
    CHERS POLITICIENS , Où va t’on ????.
    Où est l’âme de BRAZZAVILLE ?????
    Vous avez souillé l’esprit de BRAZZA sur l’autel du tribalisme , alors que BRAZZA est cosmopolite et politiquement neutre ….
    CHERS POLITICIENS VILLAGEOIS , remettez nous , BRAZZA à sa place d’antan ;;;;;;
    Quelqu’un connaît le mi- porta ,,,,????.
    MERCI ….

  6. VAL DE NANTES ..BRAZZA à moi , où es tu ????? dit :

    lire ;;; qu’il insufflait à tout le monde
    lire ;;;nous sommes allés accueillir nos diables rouges ;

  7. Bonga dit :

    Chers compatriotes, je partage profondément ces valeurs de vivre ensemble et en tant que congolais né le mois et l’année de l’indépendance, j’ai vécu dans ce Congo de notre jeunesse insouciante où nous croyons tous en l’avenir, puisqu’il était le possible.
    Aujourd’hui, le mérite et la compétence ne sont plus de critères de choix, bien au contraire ébonga ébonga té toujours meilleur. On a installé la médiocratie comme mode de gestion de l’Etat. Dans ce système, on a commencé d’opposer les congolais entre eux. Sous prétexte qu’une partie des Congolais était en retard par rapport aux autres, il fallait rattraper ce retard par tous les moyens. Ce fût le temps des communiqués à la radio. Voilà comment nous sommes arrivés à la gestion incestueuse du pouvoir, la tribu avant la compétence.

  8. mwangou dit :

    @ Tous
    de plus en plus de la surveillance… le ministère de l’intérieur augmente ses capacités d’écoute téléphonique…
    Avec de telles pratiques de plus en plus courantes, on ne s’étonne pas l' »oyessisation » du site pour reprendre l’expression de quelqu’un… mais surtout, pensons à Oyessi autrement: il est de ces patriotes qui sont recherchés inlassablement par le pouvoir; ceux qui œuvrent pour le Congo nouveau où il fera bon vivre, mais que le pouvoir tribal s’est promis de sanctionner sévèrement … nous sommes tous ici dans le viseur de ce pouvoir….

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