« Puisque l’amour et la peur peuvent difficilement coexister, si nous devons choisir, il est préférable d’être craint que d’être aimé. » Niccolo Machiavel
Depuis le retour sanglant de Sassou au pouvoir en Octobre 1997, sa dextérité méphistophélique s’est épaissie. Au fil des jours, son hobby s’est raffiné. Sa conception du pouvoir ne laisse plus de place à l’ambigüité. Avec maestria, il cultive la peur, l’exploite à satiété. Habité par cette angoisse permanente de perdre les privilèges du pouvoir, il tient à s’ y accrocher comme un arapède à son rocher, ad vitam aeternam.
De l’apparition de l’homo sapiens à nos jours, l’histoire humaine est riche en enseignements sur la gestion de la cité. Elle nous apprend que les premiers gouvernements se sont imposés par la guerre et par la conquête. Les vaincus qui n’avaient pas été exécutés ou vendus comme esclaves devaient payer un tribut aux vainqueurs. Au moindre signe de rébellion, les vainqueurs menaçaient de confisquer les biens des conquis et de les réduire à l’esclavage. Dans ce contexte, le paiement d’un tribut était un moindre mal. Ainsi apparurent les premiers régimes d’impôts.
Le moindre signe de faiblesse de la part des conquérants se soldait par la révolte des conquis. Faute de pouvoir reprendre leur liberté, ils redoublaient d’ingéniosité pour se soustraire aux exactions du pouvoir. Ainsi, le maintien du pouvoir par la force était une entreprise coûteuse qui donnait rarement les résultats escomptés. Pour cet éventail de raisons, Sassou reste immergé dans ce délire obsidional, l’incitant à mobiliser tous les moyens de l’Etat non pas pour le bien de la population, mais pour la conservation de son pouvoir, en répandant à dose homéopathique la peur au sein de la population.
De fait, la peur est une émotion causée par un danger anticipé. Elle est essentielle à la survie de l’espèce humaine. Elle nous permet de rapidement identifier les dangers qui menacent notre bien-être et parfois nos vies. Elle nous protège en nous obligeant à évaluer la situation à laquelle nous sommes confrontés et à choisir le meilleur moyen de se protéger.
Machiavel l’a écrit, Sassou s’en inspire. Sachant que l’effet de la peur s’amenuisait avec le temps ; il met une pression d’une puissance insoupçonnée sur la population, en achetant des quantités impressionnantes d’armes de guerre. En paix avec tous ses pays voisins, le Congo n’est menacé par aucun péril extérieur. Il sait que les Congolais, traumatisés par des décennies de guerre civiles, ne pouvaient aucunement occulter cette peur. Un de ses prodigieux exploits, est d’avoir réussi à implanter de façon insidieuse cette peur dans le code génétique du congolais lambda. Celui-ci est désormais sous l’emprise des dangers réels ou imaginaires. C’est de notoriété publique : la peur n’est pas bonne conseillère. C’est peut être un truisme, mais il reste bon de le souligner.
La mémoire collective des congolais est sans équivoque. Ce pouvoir qui a une pierre à la place du cœur est capable des monstruosités inimaginables. L’opinion internationale qui devrait être un rempart, semble être du côté des barbares, abandonnant la veuve et l’orphelin à leur triste sort. On se souvient d’un 19 Décembre 1998, lorsque François Ibovi, alors ministre de la communication, déclara avec arrogance et narcissisme que Bacongo et Makélékélé étaient ratissés au millimètre carré, les Ninjas ( en réalité tous les jeunes en âge de porter une arme) étaient liquidés. L’Histoire juge des temps, donnera le nombre exact des victimes.
Tous se souviennent aussi des conditions dans lesquelles, 353 jeunes congolais ont disparu en 1999, en une après midi, au Beach de Brazzaville. Certains auteurs de cette boucherie, devenus milliardaires, écument les rues de Brazzaville, ni inquiets, ni inquiétés, toujours prêts à récidiver.
Personne n’a encore oublié, de quelles manières, des Angolais, et autres génocidaires rwandais, dévastèrent sans état d’âme, les régions sud du Congo. Appuyés par les cobras locaux, ils semèrent mort et désolation. Le couvercle de l’ignominie fut explosé quand des arbres fruitiers furent abattus, de femmes violées. Aucune réconciliation véritable n’a été entreprise. De même, la réparation pour les victimes, renvoyée aux calendes grecques.
Quand l’entretien de la peur à des fins politiciennes se transforme en véritable tragédie, la cristallisation des facteurs crisogènes potentiels débouche, inévitablement, sur des dynamiques polémogènes dangereuses.
Le drame du 4 Mars 2012 n’a fait que renforcer ce sentiment d’insécurité permanente. Il a fourni à Sassou et à son clan, une occasion inespérée d’assurer la pérennité du mode de gouvernance par la peur. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, ce régime est devenu l’unique source du danger, contre lequel, il est censé protéger les citoyens. Des armes de guerre d’une extrême nocivité, qui côtoient les populations, ça ne relève pas du hasard, mais procède de cette stratégie cynique qui consiste à ne pas donner un choix : ils sont protégés de gré ou de force et contre eux -même si nécessaire. La preuve est faite. Plus on est proche du pouvoir, moins on a peur. « Le Ground Zéro » qui se situe à Mpila, n’est autre chose que le fief du pouvoir. Figurez-vous, aucun membre proche du pouvoir n’a été touché par ce drame. Il devient de plus en plus difficile pour l’opinion de se départir de l’idée selon laquelle, le peuple devrait se remettre à un Prince ( Sassou ), plutôt qu’à accorder sa confiance à des institutions qui par définition sont abstraites. Or, rien ne peut être plus rassurant que des institutions démocratiques stables.
C’est avec un zèle rare que les médias de la place, véritables instruments de propagande du pouvoir, véhiculent la peur. Ils se prêtent bien aux grands titres spectaculaires et font mousser les distributions. Le leitmotiv des journaux et télévisions entre les mains des proches du pouvoir, semble être: à chaque jour sa peur. La population est maintenue dans un état constant d’appréhension. Cette stratégie détourne l’attention et camoufle les vrais problèmes. Les Congolais, privés d’eau et d’électricité sont plus préoccupés par leur survie, sous les fourches caudines de cette peur. Omniprésente.
La collusion entre le pouvoir de Sassou et les sectes religieuses n’est pas fortuite. Ces deux pouvoirs persécutent le citoyen, où qu’il soit. Alors que le pouvoir militaire menace la sécurité et la vie des gens, sur terre, le pouvoir religieux leur bien être dans l’au-delà. Le cumul de ces pouvoirs constitue une force beaucoup plus considérable que ces mêmes pouvoirs opérant séparément.
De tout temps, pour protéger le quignon du confort de ceux qui gèrent ce système, des peurs sont délibérément générées et entretenues. Les membres du PCT, bureaucrates et les Généraux-affairistes, comprennent d’instinct qu’ils ont la chance de vivre une période exceptionnelle. Les opportunités d’enrichissement personnel ne sont limitées que par le manque d’imagination des individus qui exercent le pouvoir. D’anciens cobras et fonctionnaires deviennent du jour au lendemain des experts consultants. Ils s’accaparent de tous les marchés de l’Etat, gérés par le Délégué aux Grands travaux, Jacques Bouya, qui n’est autre que le neveu de Sassou. Il a la délicate mission d’entretenir le chaudron du diable. Des entreprises fictives sont créées, d’autres s’enrichissent, grâce au coûteux et inutile programme de « municipalisation accélérée ». Des contrats, sont accordés sans soumission ni appels d’offres. Ils ne seront jamais honorés par ces opérateurs économiques véreux. Ils ne risquent rien. Des sommes d’argent du surplus pétrolier sont distribuées à qui-mieux-mieux, pour aider la population à gérer le stress créé par la peur.
La ville océane, Pointe-Noire est dans un piteux état. Cependant, ceux qui oseront questionner le bien-fondé de l’inaction du maire Roland Bouity, seront accusés d’antipatriotisme, ou pire, de traîtres. Ils seront harcelés par les services de sécurité et abandonnés par leurs amis, voisins et confrères. Les autres qui songeraient à dénoncer les abus et les fraudes y penseront à deux fois. Pour avoir voulu organiser une marche pacifique pour dénoncer avec documents à l’appui le pillage des milliards de la Ville de Pointe Noire par son Maire au profit de Madame et Monsieur SASSOU NGUESSO, le jeune Amédée DELEAU a subi les foudres du pouvoir. Il a passé plus d’un an dans les geôles du pouvoir, abandonné par tous les vilis.
Les institutions qui devraient servir de gardes fous, pour juguler cette peur, sont entre les mains des sbires du pouvoir, entraînant une personnalisation de celui-ci, faisant ainsi de l’ombre aux mécanismes représentatifs et sapant toujours plus leur nécessaire légitimité.
Les officines de Mpila ont compris que la peur était le meilleur levier pour soumettre les populations psychologiquement amoindries par les affres d’un pouvoir illégitime. Qu’il s’agisse de détourner l’attention de la population, face aux besoins les plus pressants comme l’eau l’électricité, les soins de santé adéquats ou pour faire accepter des mesures impopulaires, ce régime peut toujours compter sur un événement dramatique réel ou annoncé. Graduellement, en maintenant les populations dans un état d’appréhension constant, ce régime gruge les libertés individuelles au profit du clan au pouvoir et de la bureaucratie gouvernementale. Il reste que, chaque fois que l’avenir d’un peuple était en péril, il savait exhumer cette force enfouie dans ses entrailles et relever tous les défis qui se posent à lui, notamment pour conjurer la peur et la perte totale liberté. Il est plus que jamais important de se rappeler les paroles que Benjamin Franklin prononça en 1759: « Ceux qui troquent leur liberté en échange d’une sécurité temporaire ne méritent ni la liberté ni la sécurité. »
Djess dia Moungouansi La plume indépendante, au service du peuple
Vice- Président du cercle « LA RUPTURE »
Diffusé le 21 juin 2012, par www.congo-liberty.org
Félicitations, cher ami, pour cette réflexion très intéressante. Personnellement, je pense que tu touche au problème de fond au Congo : la peur, la passivité, l’inertie, et donc in fine la responsabilité de la population vis-à-vis de sa condition. La citation conclusive de ton écrit est on ne peut plus juste. Et, au fond, celle-ci ne cherche aucune excuse au peuple ou à la population, peu importe comment on l’appelle. La peur au Congo ne vient pas de nulle part en effet, mais cela n’a aucune espèce d’importance quand à l’inaction et la responsabilité des congolais après tant d’années d’injustices, d’abus, de pillage, etc.
En tout cas, c’est ma lecture de ta réflexion !