Voici une quarantaine de poèmes qui constituent La Morsure du soleil et qui nous fait découvrir le lyrisme de Liss Kihindou, plus connue comme prosateur. Un lyrisme multidimensionnel qui construit un pont entre la mort et la vie. Ici, on peut s’apercevoir du paradoxe qu’assume l’écrivaine car généralement l’homme élabore son destin sur la passerelle qui va de la vie à la mort ; peut-être nous révèle-t-elle inconsciemment que l’homme est un mort-vivant sur cette terre. Aussi, quatre mouvements peuvent se dégager de cette « morsure du soleil » qui brille devant nous dans les heurs et malheurs de l’humain.
La mort dans l’esprit des inoubliables
La mort accompagne indubitablement la conscience de l’homme, à plus forte raison celle des créateurs des œuvres de l’esprit. Rares sont les poètes et poétesses qui n’ont pas été marqués par la thématique de la mort. Femme sensible, Liss Kihindou nous livre ici sa douleur après la disparition de deux grandes figures de la littérature congolaise. Dans « Année impitoyable », un poème où s’échappent douleur et tristesse, l’écrivaine se retrouve dans une situation psychologique où elle réalise la mort de deux illustres écrivains de son pays dans les méandres de l’année 1995 : « Mille neuf cent quatre vingt quinze / Jamais autant une année ne restera gravée / Dans mon cœur séché de tristesse / (…) Année qui a creusé dans la Littérature / Deux trous, deux trous béants » (p.13). Et, c’est en filigrane que s’exprime Liss Kihindou en faisant allusion implicitement à Sony Labou Tansi et Sylvain Bemba arrachés à la vie presqu’au même moment. Mais cette mort devrait frapper à toutes les portes des créateurs des œuvres de l’esprit. Ainsi, un ami de la poétesse, un passionné de poésie, un certain B. Dady n’hésite pas de pleurer avec son amie dans « Les larmes de Liss » quand la douleur devient intense et insupportable : « 1995 Liss pleure (…) / Les morts ne sont jamais morts / Est-ce raison Liss de toujours pleurer ? / Puisque tout compte fait / Les vitamines STL et SNB / Survivent et survivront / inexorablement à la mort » (pp.15-16). Aussi, certaines personnes qui ont marqué sa vie d’étudiante et ses liaisons culturelles reviennent sans cesse dans l’effluve de son inspiration. Dans « Une lumière éteinte », Liss Kihindou rend hommage à un grand universitaire de son pays, fauché trop tôt par la mort : « Qui va te remplacer / Toi baobab de la grammaire française ? / Qui va te remplacer / Toi qui enseignais le français aux Français ? » (p.19). Et cet universitaire dont fait allusion la poétesse n’est autre que le défunt professeur Augustin Niangouna qui aura marqué moult étudiants de l’université Marien Ngouabi. À son ami Eugène Miakakouba de la revue Ngouvou où elle publie ses premiers poèmes, elle dédie ces quelques vers poignants : « Eugène / Tu vis toujours dans nos mémoires / Au creux de nos cœurs repose ton histoire / À cette heure, Ngouvou te pleure » (p.21). En mémoire de son bel oncle, l’époux de sa tante Céline, elle écrit : « Il n y a plus que ton nom / Pour rafraichir les traces de ton passage sur terre » (p.22). Et ce cri de douleur nous rappelle la disparition d’un grand poète de sa génération, Congo Mbemba qu’elle interpelle dans « Tu n’es que cendre » : « Congo Mbemba / Ton corps / disparait dans le néant / (…) Congo Mbemba / Tu es / Un Ténor-Mémoire » (pp.2324).
Dans les méandres du cœur
Le sentiment d’aimer et d’être aimé se découvre dans le cœur de tout poète. Les créateurs des œuvres de l’esprit sont des « amoureux de l’amour » ; et Liss Kihindou s’échappe pas au feu de l’amour avec un cœur froid, mais qui sera réchauffé par l’être aimé : « Mon cœur était froid / Dedans il faisait sombre / (…) Dans ton cœur / Il puisa l’amour / Et mon cœur se mit à vivre » (p.31). Aussi, sur l’élan qui l’emmène vers son amour dans « La route de ton cœur » (p.32), tout est allégresse et synonyme de bonheur à travers l’image de la fleur et du miel. Ce bonheur que l’on peut rencontrer dans « Mes joies secrets » où brillent des rayons sur le visage de l’être aimé : « Me perdre / Dans les eaux mystérieuses / De tes yeux / M’accrocher aux rayons satisfaisants / De ton sourire » (p.33). L’image de l’homme aimé apparait aussi dans « La preuve » où elle demande à son homme la preuve idéelle et non matérielle de ses sentiments : « Les mots qui sortent de ta bouche / (…) ne sont pas une preuve / Ni les vêtements que tu m’offres / (…) La preuve que tu m’aimes / C’est l’épreuve » (p.34). Dans « Mystère », c’est la magie de l’amour qui s’extériorise : « Ton nom / Devient chaque jour plus précieux / Mes pensées sont pleines de toi » (p.35). Et le bonheur que provoque un amour est pleinement valorisé dans les textes tels « Délices » (p.36), « Quand on est amoureux » (p.37), « Ivresse » (p.38), et «Frissons » (p.39) avec cette attention de la poétesse pour l’être aimé : « J’attends que naissent sur ses lèvres / Les mots tant désirés » (p.39). Si l’auteure manifeste un grand amour à son homme, elle n’oublie pas ses « mamans-femmes » auxquelles elle adresse un long poème où se manifeste, à certains moments, le langagier du terroir : « Femmes, bakento / Laissez parler votre cœur / Batika basi ba loba (Laissez parler les femmes) / Mbikeno na zonza (Laissez-mi parler » (p.27).
Une poésie de l’intérieur philosophique et psychologique
De l’éclatement des sentiments dans ce recueil, Liss Kihindou se refugie parfois dans la méditation pour réfléchir sur certains aléas de la société qui la rattrapent. Dans « Complainte », elle met en exergue la fatalité qu’impose le Sida à l’Homme : « Sida si invulnérable / Que tu sois, deux sont capables / De nous servir de bouclier / Et nous permettre de lier / Ton destin, ton sort funeste » (p.43), cette société qui oppose simultanément le bonheur des nuits de la campagne : « Tu nous grises de bonheur / Tu es la nuit des campagnes »(p.45) aux vices des nuits de la ville : « Nuit meurtrie par le bruit tapageur / (…) Enveloppe qui se laisse percer facilement / Pour laisser éclater au visage / L’horreur, la violence, la vilenie » (p.45). Dans certains poèmes qui s’apparentent au récit, l’auteure nous fait entrer dans son intimité familiale, la séparation de ses parents : « Je me souviens du jour où / Je réalisais que vivre avec papa et sans maman / N’était pas aussi effroyable » (p.48). Dans cette poésie qui épouse la philosophie, Liss Kihindou se voit implicitement visitée par l’inanimé comme on le remarque dans « Un train sans frein » (p.52), « Le triomphe du soleil », (p.54), « Attente » (p.55). L’inanimé la plus insupportable de Liss Kihindou est la guerre plurielle qui a meurtri son pays dans la décennie quatre vingt dix. Les poèmes tels « Alarme » (p.57), « Oppression » (p.58), « Reconnaissance » (p.59), « Philosovie » (p.60) et « Incertitude » (p.61) nous plongent dans l’enfer de ces guerres : « Concert d’armes / Peuple en arme / Pauvre peuple / Victoire militaire » (p.57).
La poétesse, enfant de Dieu
Dans les dix derniers poèmes de La Morsure du soleil, l’auteure se présente comme enfant de Dieu, comme le sont en général les créateurs des œuvres de l’esprit qui pensent souvent que leur inspiration proviendrait du Tout « Puissant, créateur du Ciel et de la Terre ». Un peu de morale chrétienne de la part de l’écrivaine : « Homme, ne te mens pas à toi-même / Tes pensées ne sont pas aussi inaccessibles » (p.65) avant de s’adresser directement à Dieu à travers des poésies qui s’apparentent à des prières comme on peut lire dans les six derniers textes avec l’omniprésence divine : « Dieu de mon salut / Conduis-moi sur le chemin de la vie / (…) Seigneur / Je ne veux pas mourir » (p.74).
La poésie de Liss Kihindou est agréablement facile à aborder car elle exprime encore sa jeunesse d’étudiante (beaucoup des textes de La Morsure du soleil sont le résultat de sa collaboration à la revue Ngouvou au cours de ses années passées à la Faculté des Lettres de l’université Marien Ngouabi. S’y dégage dans certains poèmes la réminiscence du classicisme avec le respect de la rime dans certains poèmes. Ici, on est loin de l’hermétisme de ses confrères tels Maha Lee Cassy et Glad Amog Lemra. La poésie de Liss Kihindou se veut claire et didactique ; elle nous fait penser à celle d’un classique congolais, Jean Pierre Makouta Mboukou avec L’âme bleue.
Noël Kodia-Ramata.
- Liss Kihindou, La Morsure du soleil, éd. L’Harmattan, Paris, 2014