La Françafrique bouge encore : Les coulisses de la visite en France du dictateur Sassou Nguesso , Par THOMAS HOFNUNG

RÉCIT :Malgré l’enquête sur les biens mal acquis, Nicolas Sarkozy a reçu le président congolais, mercredi.

La boucle est bouclée. En juin 2007, au tout début de son quinquennat, Nicolas Sarkozy avait accueilli à l’Elysée Omar Bongo, le doyen des chefs d’Etat africains, qui décédera deux ans plus tard. La semaine dernière, à quelques semaines du terme de son mandat, il a reçu un autre pilier d’une Françafrique en déclin : Denis Sassou-Nguesso, son homologue du Congo-Brazzaville. Une visite à l’ancienne.

Arrivé la veille pour participer à Lyon à un forum de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) sur l’environnement, Denis Sassou-Nguesso s’est entretenu, mercredi, durant plus d’une heure avec le président français. Le lendemain, il a reçu la visite dans sa suite de l’hôtel Bristol de trois ministres : François Baroin (Economie), Gérard Longuet (Défense) et Claude Guéant (Intérieur). Des entretiens qui ne figurent pas à l’agenda officiel des uns et des autres, mais qui permettent de faire un tour d’horizon des questions bilatérales et d’évoquer les dossiers les plus sensibles avec un allié traditionnel de la France en Afrique. Dans le cas de Denis Sassou-Nguesso, nul doute que l’affaire dite des «biens mal acquis» (BMA) était au menu des discussions, les yeux dans les yeux.

«Bras d’honneur». Depuis l’automne 2010, suite à un arrêt de la Cour de cassation, la justice française enquête sur l’origine des fonds ayant permis à plusieurs dirigeants africains d’acquérir en France un patrimoine immobilier substantiel et une collection de voitures de luxe impressionnante. Sont visés par cette procédure initiée par des ONG hexagonales (Sherpa et Transparency international) la famille Bongo, mais aussi Denis Sassou-Nguesso et le président de Guinée-Equatoriale, Teodoro Obiang Nguema. «L’accueil de Sassou à l’Elysée, c’est un bras d’honneur fait à la société civile, l’illustration d’un sentiment d’impunité de part et d’autre», assène Thomas Melonio, chargé des questions africaines au PS. Le chef de l’Etat congolais ne fait pas véritablement partie du premier cercle de Sarkozy. Les deux hommes ne s’étaient pas vus depuis juillet 2010. Mais, au pouvoir depuis 1997 à Brazzaville, il dispose d’une réelle influence en Afrique. «On sous-estime l’importance du soutien des ex-colonies françaises à la diplomatie de Paris au sein de l’ONU», explique le spécialiste Antoine Glaser. Un très proche de Sassou-Nguesso, le contre-amiral Jean-Dominique Okemba, dont le nom a été cité dans l’affaire des BMA, a reçu la Légion d’honneur il y a un an, sur proposition de l’Elysée. «Paris entretient ses réseaux, décrypte Glaser. On échange des renseignements, les Congolais peuvent avoir des informations précieuses sur tel ou tel conflit ou question sensible en Afrique.»

Au poste de secrétaire général de l’Elysée jusqu’en 2011, Claude Guéant a été l’architecte de la diplomatie parallèle de Nicolas Sarkozy, en grande partie adossée à des contacts dans les milieux sécuritaires. Sur le continent noir, l’actuel ministre de l’Intérieur était aiguillé par l’avocat Robert Bourgi, qui se fait discret depuis qu’il a raconté en septembre au Journal du dimanche, avec moult détails, la circulation des mallettes de billets entre Paris et ses ex-colonies, dont le Congo-Brazzaville. Dans l’entourage du président congolais, on n’en explique pas moins que l’entretien entre Sassou-Nguesso et Guéant a essentiellement porté sur «les questions ayant trait aux visas et à l’accord sur l’immigration»…

Avancées. Lors de la campagne présidentielle de 2007, Nicolas Sarkozy avait promis la «rupture» avec la Françafrique. Elle ne sera pas concrétisée durant son quinquennat, malgré quelques avancées, comme la rénovation des accords de défense liant Paris à plusieurs pays du continent et la réconciliation avec le Rwanda. Le mandat du président sortant restera également marqué par la crise post-électorale en Côte-d’Ivoire, dénouée l’an dernier grâce à l’intervention décisive de l’armée française. Il y a trois semaines, le chef d’Etat ivoirien, Alassane Ouattara, proche de Nicolas Sarkozy, était reçu avec tous les honneurs à l’Elysée. Mais aussi à la mairie de Paris, par Bertrand Delanoë, qui lui a remis un message de François Hollande, auquel il a répondu par le même canal. Une discrète prise de contact, histoire de ménager l’avenir.

Par THOMAS HOFNUNG

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