La « Chinafrique »  Une chance ou un danger pour le développement africain ? , par BRIAN TOURRE

Depuis les années 90, l’influence et le poids économique de la Chine dans le monde et en Afrique plus particulièrement est de plus en plus important. Pour certains, face au déclin de la « Francafrique » et de l’influence occidentale plus généralement, on assisterait au contraire aujourd’hui à l’émergence de la « Chinafrique », c’est-à-dire à la présence de plus en plus forte du géant asiatique sur le continent noir.

Devant ce phénomène, plusieurs questions se posent. Cette nouvelle présence chinoise est elle une opportunité pour le développement africain ou alors est elle une nouvelle forme d’impérialisme sur le continent noir ?

(…) Il est intéressant de voir comment cette nouvelle puissance arrive à s’implanter en Afrique car la Chine utilise une stratégie d’implantation à la fois complexe et ambitieuse. D’autant que celle-ci promeut une coopération à intérêt réciproque tant pour le développement africain que pour la prospérité chinoise suivant un concept de « donnant-donnant ». On peut voir ainsi émerger en Afrique de façon croissante le « Consensus de Pékin » qui peut être ainsi une nouvelle chance pour le développement africain.

Une stratégie complexe d’implantation en Afrique

Face à une présence occidentale ancienne sur le continent noir et devant une mondialisation libérale et concurrentielle qui s’exerce en Afrique, la Chine a su développer une stratégie nouvelle et complexe pour réussir à s’implanter sur cette zone devenue stratégique pour ses approvisionnements en matières premières du fait de son développement économique. Pour s’imposer en Afrique face aux acteurs « traditionnels » occidentaux, la Chine promeut une politique étrangère volontariste tout en s’appuyant sur un réseau d’entreprises, plus ou moins dirigées par l’Etat, et sur une diaspora très active.

Une politique étrangère active et volontariste

En tant que puissance émergente relativement récente sur le plan international, il est en effet difficile pour la Chine de s’implanter sur un continent extrêmement lié à l’Europe par son histoire et ses liens économiques anciens issus de la colonisation. L’Afrique a toujours constitué une chasse gardée pour les pays occidentaux et au premier rang desquels la France. Face à cette situation de fait, la Chine a mis en place une politique étrangère en Afrique réellement ambitieuse et volontariste pour arriver à s’imposer face à ses rivaux.

Tout d’abord, la République Populaire instrumentalise l’histoire pour servir ses intérêts présents dans le but de se rapprocher diplomatiquement des régimes africains. Il est courant dans la diplomatie chinoise de mettre en avant l’épisode des expéditions de l’amiral Zheng He (de 1405 à 1433). Au XVe siècle, l’empereur Yongle de la dynastie Ming lança un programme d’expéditions commerciales sous la conduite de l’amiral Zheng He, un musulman eunuque. A la tête de 300 jonques il commença l’exploration de l’Océan Indien : il traversa le détroit de Malacca, accosta en Inde, en Arabie puis jusqu’en Afrique sur les côtes du Mozambique et de Somalie lors de la 4e expédition (1413-1415). Ces expéditions servirent surtout à développer les relations commerciales et à approfondir les connaissances géographiques. La diplomatie chinoise actuelle aime à répéter l’aspect pacifique de ce premier contact entre la Chine et l’Afrique par opposition à la conquête brutale européenne lors de la colonisation. La diplomatie chinoise aime aussi à rappeler le rôle important qu’a joué la Chine pendant la Guerre Froide aux côtés des africains pour se poser ainsi en défenseur des pays pauvres. En effet, la Chine a renoué quelques relations avec l’Afrique dès 1949 avec l’arrivée de Mao Zedong.

En 1955, à la conférence des « non-alignés » de Bandung (du 18 au 24 avril), la Chine faisait partie des 29 pays non-alignés et s’est lancée dans une politique hostile à la colonisation. Elle tenta ainsi déjà d’étendre son influence en construisant des infrastructures (stades, palais) dans plusieurs pays africains (Bénin, Tanzanie, Congo). Après sa rupture avec l’URSS en 1962, elle repris une politique active dans les années 70 pour lutter contre l’influence soviétique dans une logique tiers-mondiste par la construction de ponts, voies ferrées et ports en Éthiopie, au Congo Brazzaville ou encore au Soudan. Tout ce rappel historique consiste pour la Chine à démontrer aux pays africains qu’elle a toujours été un allié pour leur développement contre l’impérialisme occidental. Il s’agit réellement d’une stratégie de « Soft Power », théorie défendue par Joseph Nye : la Chine utilise des ressources de nature culturelle, historique et idéologique pour séduire et convaincre les diplomaties africaines. Cette stratégie est en effet efficace puisque ainsi la Chine, puissance émergente, parait beaucoup plus crédible que la France dans la défense des intérêts africains et des pays pauvres.

Un des autres points défendus par la diplomatie chinoise est son principe de « non-ingérence » dans les affaires africaines internes. Face à la colonisation européenne qui s’est emparée de la souveraineté des Etats africains au service de leurs intérêts de puissance, la Chine se pose désormais en champion du principe de non-ingérence. Selon elle, sa présence en Afrique n’a qu’un but purement économique et commercial et non politique : elle privilégie la logique du dialogue et du partenariat au détriment de la logique de la pression.

A titre d’exemple, en 1989 au Soudan, le général Béchir s’empara du pouvoir et y installa un régime islamiste sur le modèle iranien. Son soutien à l’Irak en 1991 continua d’isoler le pays des puissances occidentales à travers plusieurs embargos. A partir de mai 1992, le Soudan signa alors les premiers accords commerciaux avec la Chine et s’allia diplomatiquement avec cet État disposant du droit de veto au Conseil de Sécurité. Pour la Chine, le Soudan constitue un vaste marché (40 millions de personnes aujourd’hui) et une réserve de pétrole exclusive. Son principe de non ingérence lui permet ainsi de renforcer sa position dans des Etats isolés par la communauté internationale.

Cette stratégie est clairement un avantage pour les positions chinoises face aux européens accusées d’ingérence politique (2) ou encore face à la France qui est régulièrement accusée de paternalisme et de néo-colonialisme (l’exemple récent de l’intervention de la force française « Licorne » en Côte d’Ivoire pour soutenir Alassane Ouattara contre Laurent Gbagbo en est une illustration). Les Etats africains qui souhaitent aujourd’hui s’affirmer pleinement dans la mondialisation voient donc là aussi dans la Chine un allié privilégié à l’opposé des partenaires traditionnels européens.

De plus, face au désintérêt croissant de la France pour l’Afrique (3) , la Chine au contraire montre tout son intérêt pour le continent noir, ses ressources et ses consommateurs. En janvier et février 2004, le président Hu Jintao a ainsi effectué une tournée africaine placée sous le signe du renforcement des relations entre les deux continents. Cet intérêt s’illustre notamment par la mise en place de forums de coopération Chine-Afrique tous les 3 ans depuis 2000 ou encore par la mise en place de sommets Chine-Afrique depuis 2006 et réunissant l’ensemble des chefs d’Etat africains et chinois. A titre d’exemple, le 2e forum Chine-Afrique du 15 et 16 décembre 2003 (à Addis-Abeba en Ethiopie) a réuni le 1er Ministre chinois Wen Jiabo et 12 présidents africains. Ce forum a débouché sur le « plan d’action d’Addis Abeba » qui propose de renforcer la coopération dans les domaines de la paix, la sécurité, l’agriculture, le commerce, le tourisme ou encore les matières premières. 

Le 3e forum de 2006 a lui aussi débouché sur un plan d’action de 22 points (4) concernant des domaines aussi larges que stratégiques : agriculture (création de 10 centres de technologies agricoles), infrastructures (communication, énergie), éducation (formation de 15.000 africains, création de 100 écoles), santé (création de 30 hôpitaux). Par opposition aux occidentaux et devant la multiplication des projets financés par la Chine, le slogan « L’Europe parle, la Chine agit » tend à se développer en Afrique, ce qui démontre très clairement le volontarisme affiché par les autorités chinoises.

Rien qu’entre 2006 et 2007, le gouvernement chinois a effectué une vingtaine de visites officielles en Afrique. Ce volontarisme démontre tout l’intérêt que porte la Chine pour le continent noir. L’offensive diplomatique, par son ampleur, apporte déjà des résultats encourageants puisque entre 1980 et 2007, les échanges Chine-Afrique ont été multipliés par 50 à 55 milliards de dollars permettant à la Chine de devenir l’un des principaux partenaires commerciaux du continent noir. Cette progression fulgurante s’explique en partie par ce volontarisme diplomatique mais également par le rôle joué par les entreprises chinoises.

Un réseau d’entreprises conquérantes soutenues par l’État chinois

Cette stratégie d’implantation économique est avant tout mise en place et dirigée par l’État et les pouvoirs publics chinois. Mis à part le rôle de la diplomatie, la Chine s’appuie sur un réseau d’entreprises nationales soutenues par l’Etat. L’objectif est évidemment d’assurer au pays les approvisionnements nécessaires en matières premières. A ce titre, les entreprises chinoises en Afrique sont d’abord celles spécialisées dans les ressources minières et pétrolières. On compterait aujourd’hui plus de 820 entreprises chinoises présentes en Afrique.

En effet, il y a 15 ans, la Chine exportait du pétrole. Aujourd’hui elle importe 60% de ses besoins en hydrocarbures dont 30% qui proviennent d’Afrique. La Chine est ainsi présente en Angola (via l’entreprise chinoise SINOPEC) et au Soudan (via China National Petroleum Corporation). A ce titre, 80% de la production soudanaise de pétrole est exportée vers la Chine qui est aujourd’hui le premier opérateur étranger au Soudan. Pour se faire, les entreprises chinoises privilégient une stratégie d’association, soutenue par l’Etat chinois par des subventions d’implantations, avec les entreprises africaines locales pour l’exploitation des ressources et la construction d’infrastructures (5) .

En matière pétrolière, les compagnies chinoises ont ainsi été restructurées entre la SINOPEC et la CNPC (Compagnie Nationale Pétrolière de Chine) pour rationaliser la stratégie chinoise en matière d’importation étrangère de pétrole. En matière agricole, l’intérêt pour l’Afrique est là aussi évident, car en tant que première puissance démographique mondiale, la Chine se doit de diversifier ses approvisionnements. Par l’intermédiaire de ses entreprises (ZTE International, China International Water and Electric), la Chine achète ainsi massivement des terres agricoles en Afrique destinées à l’exportation vers son territoire national.

L’une des forces des entreprises chinoises en Afrique est leur capacité à mettre en place une stratégie coordonnée soutenue par l’Etat chinois. En effet, la première étape consiste à ce que les pouvoirs politiques chinois viennent en Afrique (via les différents voyages et forums cités précédemment) pour faire la promotion des entreprises chinoises. L’aide chinoise ainsi proposée est liée à la priorité qui doit être donnée aux entreprises chinoises : en cela, cette stratégie « d’aide liée » ressemble à celle utilisée par la France. Mais surtout, les entreprises chinoises ne travaillent pas seules.

Au contraire, elles se forment en véritables conglomérats pour offrir ainsi aux pays africains des « packages », ou offres complètes : un projet peut ainsi contenir à lui seul une station de pompage, un barrage hydroélectrique, une centrale électrique, un chemin de fer d’acheminement, une raffinerie et une station portuaire. Ce type d’offre permet de mettre en place des infrastructures complètes, cohérentes entre elles du début de l’extraction à son exportation vers la Chine. Grâce au soutien politique actif, grâce à une main d’œuvre bon marché et à des prix proposés bas (30 à 50% inférieures aux offres occidentales) et grâce à des offres complètes coordonnées, les entreprises chinoises arrivent à s’implanter en Afrique et remportent une part croissante d’appels d’offres.

Le soutien des pouvoirs publics aux entreprises n’est pas seulement politique, il est aussi et surtout financier. Avec des réserves financières colossales (de l’ordre de 2400 milliards de dollars), la Chine a désormais les moyens de sa politique étrangère. En 2007, un fond de développement Chine-Afrique a été créé et financé à hauteur de 1 milliard de dollars par la China Development Bank Corp. Le gouvernement prévoit de le porter à terme à 5 milliards de dollars. L’objectif de ce fond est d’inciter les entreprises chinoises à investir en Afrique par des prêts à taux bonifiés (6) . Le deuxième pilier de ce soutient financier public est l’Eximbank qui est une société financière publique qui soutient l’implantation des entreprises chinoises en Afrique ainsi que la construction d’infrastructures par l’octroi d’aides financières gouvernementales. Rien qu’en 2005, l’Eximbank a financé pour 15 milliards de dollars de projets en Afrique (soit plus de 30 fois ce que les banques françaises, américaines et anglaises ont proposé) (7). L’Eximbank est véritablement le bras armé financier de la stratégie chinoise. Il existe encore d’autres outils financiers à disposition des entreprises chinoises tels que la Banque de Développement de Chine (440 milliards de dollars d’actifs) créée en 1994 ou encore la Banque Industrielle et Commerciale de Chine (ICBC).

Grâce à son arsenal financier, la Chine peut ainsi mettre en place sa stratégie d’implantation en Afrique. En effet, à la différence des autres sociétés occidentales, les entreprises chinoises bénéficient d’un soutien financier colossal leur permettant de réduire considérablement les coûts et de remporter plus facilement les contrats proposés par les pays africains. Bon nombre de ces entreprises sont d’ailleurs des entreprises d’Etat, elles bénéficient donc d’un appui total de la part des dirigeants chinois car elles servent directement les intérêts du pays. Le PC Chinois exerce un contrôle direct sur ces sociétés et coordonne ainsi leur action sur le théâtre africain. Bénéficiant d’un marché national chinois protégé et encadré, ces entreprises ont donc toutes les sécurités et les assurances pour s’implanter en Afrique. Ce mélange de libéralisme et de capitalisme d’Etat est un des ingrédients expliquant la réussite chinoise actuelle en Afrique. La diaspora chinoise est à ce titre un autre ingrédient de cette réussite.

Le rôle de la diaspora chinoise

Aujourd’hui, le continent noir compte environ 900.000 chinois repartis sur l’ensemble des pays avec des communautés importantes au Nigéria, au Soudan, sur l’île Maurice, en Angola mais aussi en Afrique du Sud où vit la plus ancienne communauté chinoise d’Afrique.

(…) Pour arriver à s’implanter sur le continent noir, les expatriés chinois utilisent le principe du prêt communautaire. Quand plusieurs chinois débarquent dans une ville africaine, deux solutions sont à leur disposition : soit ils privilégient l’aide financière familiale soit ils bénéficient d’une aide communautaire de la part des chinois qui sont déjà présents dans la ville en question. Cette aide leur permet ainsi d’ouvrir un nouveau commerce. Ce sont alors les bénéfices issus du commerce qui vont rembourser le prêt et alimenter cette caisse commune au profit des futurs arrivants. 

De cette manière, la communauté chinoise se suffit à elle-même, s’auto finance et s’auto développe, à l’image d’une colonie. (…)

Cette diaspora agit en complémentarité des efforts publics chinois. Ces petites communautés regroupées entre elles, face à la xénophobie africaine locale, reproduisent le modèle social chinois et constituent de véritables bases chinoises en Afrique. Par leurs investissements, ces « Chinatown » créent ainsi de petits commerces et petites industries locales dans des secteurs plus ou moins avancés (restauration, textile, pharmacologie). 

L’intérêt pour la Chine est triple : premièrement, cette diaspora permet à la République Populaire de posséder des points d’accès répartis sur tout le continent noir, deuxièmement elle permet d’accroître les débouchés des industries chinoises et troisièmement elle constitue une source de richesses et d’investissements pour la Chine (75% des investissements en Chine sont réalisés par sa diaspora ) (8). En effet, ces communautés expatriées tendent à créer des petits commerces qui sont alimentés par des importations en provenance de Chine, moins chères que les productions locales. Une partie des bénéfices ainsi engendrés est réinvestie sur place tandis que l’autre partie est renvoyée auprès de la famille restée en Chine.

Ce texte a tenté de montrer les principaux composants de la stratégie chinoise en Afrique. Une diplomatie offensive qui défend un réseau d’entreprises soutenus par l’Etat s’appuyant sur une diaspora solidaire et organisée : voici en quelques mots le résumé de la structure de la Chinafrique. Ce trio d’acteurs répond avant tout à un objectif clair qui est celui de renforcer la puissance économique chinoise. Toutefois, en Afrique, cette stratégie se traduit aussi par des bénéfices directs pour le développement en termes d’infrastructures, d’aides financières et de progrès économique et social. A ce titre, cette nouvelle relation Chine-Afrique veut en effet reposer sur un partenariat à bénéfices partagés.

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Notes 

1 . Brian Tourré est un jeune auteur spécialiste de la Chinafrique. Il est auteur de « La Françafrique à la Chinafrique : quelle place pour le développement africain ? », aux Ed l’Harmattan. Ce texte est un extrait de ce livre.

2. Les conditions de l’aide européenne sont liées expressément à des critères politiques tels que la bonne gouvernance, le respect des minorités ou encore le pluralisme politique.
3. « La France n’a pas besoin de l’Afrique », extrait du discours de Nicolas Sarkozy à Bamako au Mali en 2006.
4. BANGUI Thierry, La Chine : un nouveau partenaire de développement pour l’Afrique. Vers la fin des privilèges européens sur le continent noir ?, 1ère éd. Paris : l’Harmattan, 2009. 291p.

5. Ex. : En 2008, un partenariat a été signé entre la Compagnie Nationale Pétrolière de Chine (CNPC) et la South Africa Petroleum Compagny sur un contrat de 2 milliards de dollars portant sur un champ pétrolier au Nigéria.


6. 30% des investissements chinois ont bénéficié de ce fond d’aide sur la seule année 2007.

7. Colloque Fondation Gabriel Péri, Afrique-Europe : néocolonialisme ou partenariat ?, 1ère éd. Paris : Fondation Gabriel Péri, 2008, 263p.

8. PICQUART Pierre, L’empire Chinois : mieux comprendre le futur n°1 mondial : histoire et actualité de la diaspora chinoise, 1ère éd. Paris : Favre, 2004. 220 p.

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