L’opposition congolaise : agir pour créer un rapport de force ou périr

« En relations internationales, les grands font ce qu’ils veulent et les petits ce qu’ils peuvent »(Morgenthau)

 

C’est une bien grande ambition que de vouloir abréger  les souffrances d’un peuple, soumis aux affres  d’une dictature féroce. Et si l’opposition congolaise  ne considère pas cela comme une ambition, mais comme un dévouement suprême, il faut des qualités bien supérieures encore, et une abnégation qui confine au sacrifice. En face, c’est un  truisme d’affirmer que SASSOU a définitivement élevé sa personne  au rang de passion, et a fait du pouvoir sa religion. Le décor est planté. Valétudinaire.  Aussi, bien que les dictatures  maghrébines les plus redoutables soient passées de vie à trépas, il s’accroche, comme un arapède à son rocher, contre vents et marrées, multipliant à foison,  turpitudes et intrigues.

 

L’opposition  congolaise,  passée depuis maître  dans l’art des incantations oiseuses ou  dans cette propension à se morfondre dans les  lamentations inaudibles, attendant en vain que SASSOU lui cède quelque parcelle du pouvoir, ou un peu de « sa » rente pétrolière, doit créer d’autres ressources pour relever les défis des temps nouveaux.

Et pourtant,  face à une dictature autiste, une opposition au service du peuple, devrait nécessairement faire usage des deux arcs, les plus  redoutables de son  carquois, à savoir : la mise en exergue d’un projet  d’ alternance viable, mais surtout, la capacité de créer un rapport de force susceptible de faire plier toute dictature.

Dans les relations humaines en général,  et sous une dictature notamment,  si l’avilissement  d’un peuple  par un autocrate, peut paraître comme une péripétie dont la fin est écrite d’avance, dans un second temps, la capacité d’organisation, de persuasion et de se faire des alliés, doit à coup sûr, renverser ce rapport  asymétrique.

Pour réussir à prendre l’ascendant sur la force dominante, aujourd’hui et  plus encore demain, il faut nécessairement, s’approprier le champ cognitif, c’est à dire par la compréhension  de l’environnement dans toutes ses dimensions. Et pour l’opposition congolaise extrêmement affaiblie à dessein, l’importance des forces morales et les pouvoirs du calcul stratégique lui donneraient au moins une chance de renverser un rapport de force  qui lui est d’abord défavorable.

Voici comment,   dans l’ivresse du pouvoir,  SASSOU occulte  les éléments les  plus déterminants en ne se cantonnant qu’aux  constituants matériels,  mécaniques et quantitatifs de la force : avoir une armée, une police et une gendarmerie à son service. Importer une quantité impressionnante d’armes de guerre  et les stocker aux domiciles de ses sbires, transformés en armurerie, quitte à provoquer des incendies dans les quartiers, comme récemment avec un incendie dévastateur  au domicile de Blaise ADOUA. Recruter sur des bases bassement tribales, de jeunes originaires de sa région pour les incorporer dans les grands corps d’Etat. Les nominations au grade de général répondent également à des ignominieuses  logiques  tribales dans le but  de constituer et d’exhiber une force dissuadant de façon permanente toute velléité contestataire,  qui couve dans toutes les couches de la société. But inavoué : la domination militaire ( théoriquement ) d’une ethnie sur le reste de la population . Il a réussi l’étrange exploit d’ethniciser cette profession. Pour un pays de  52 ethnies, et une armée de 44 généraux, nous avons 25 généraux appartenant à la même ethnie (Mbochi). Dit autrement, plus de la moitié des généraux ( 57%) que compte notre pays sont originaires de la Cuvette Centrale.

L’autocrate d’Oyo pense qu’il suffit de compter les divisions et leur puissance de feu pour déterminer le plus fort. Il espère ainsi  établir des rapports immuables, conformes à ses propres désirs mégalomanes avec le  peuple. Toute confrontation, pense-t-il,  serait vaine et les arts de la tactique et de la stratégie, inutiles. Il oublie royalement que ces disciplines  perpétuées depuis au moins deux mille cinq cent ans, ont leur raison d’être.

En gérant par  la terreur,  il estime avoir  des coudées franches pour assouvir ses fantasmes  et  s’accaparer de la rente  pétrolière qui contribue à hauteur de  80% dans les  recettes d’exportations du Congo. Le pétrole congolais, devenu ainsi une rente familiale, est tributaire des caprices de SASSOU et de son fils Christel, les seuls à connaître   la quantité de pétrole vendue et les montants colossaux  générés par cette vente. Opacité oblige.

De même, les officines du pouvoir sont déjà à pied d’oeuvre pour  échafauder  les tripatouillages géants lors des futures élections législatives de 2012. L’opposition, faute d’avoir  imposé leur implication dans la préparation du processus électoral,  lors de la rencontre du 18 Avril 2011 avec MBoulou (Ministre de l’Intérieur et de la Décentralisation),  s’étonne avec une naïveté désarmante, qu’elle soit purement et simplement  oubliée. Roulée dans la farine, à la manière de qui vous savez.  Mais que fait-elle, diantre ?l’ARD sous la plume de son Président Mathias DZON,  s’est fendue d’une impérissable saillie  épistolaire en date du 1er juillet 2011 que  MBoulou – encore une fois-  se fera un malin plaisir d’ignorer superbement. Non, toute  crédulité excessive est inopportune dans une dictature.

Il y a près de deux mille cinq cent ans, les Grecs,  avec  un mode d’organisation de la société relativement bien structurée, étaient arrivés à la conclusion selon laquelle, une harmonieuse  gestion de la cité exigeait que  le renversement de la suprématie du plus fort, cède la place à une égalité, au moins partielle.

Ce cheminement  leur avait permis de trouver le levier nécessaire pour abattre, du moins de limiter la force  du despote. Leur méthode consistait à décomposer la force  dans ses  éléments constituants ( matériel, mécanique, quantitatif) et démontrer  qu’ils pourraient être vaincus par d’autres constituants d’ordre affectif, intellectuel et moral.  Trois voies principales sont mises en évidence, aux quelles,  pour vous épargner une rhétorique fastidieuse et rébarbative, je n’attacherai que les noms d’Ulysse, de Léonidas et de Périclès.

Pour Ulysse qui privilégie la ruse, il estime que le discours étant le lien ou l’instrument privilégié, il doit être truffé de simulacres et de mensonges. Il devient par conséquent plus puissant que la réalité, la parole l’emporte sur les faits. Etant de l’ordre du fait, la suprématie naturelle du plus fort peut être renversée par le discours, pour peu que celui-ci soit assez adroit pour séduire. Dans cette lignée, Platon nous rappelle le talent des sophistes qui par la force et la parole, donnent aux petites choses l’apparence d’être grandes, et grandes d’être petites.

La voie de Léonidas est celle du courage. Pour lui,  le courage –  non pas l’intrépidité  instinctive – mais la vertu civique l’emporte sur le nombre. Démarate révèle au Roi le secret de la bravoure grecque. Celle par laquelle  des hommes libres, soumis à un maître tyrannique la loi, qu’ils craignent bien plus que tout, sont  contraints à exécuter tous les ordres, et ne doivent aucunement reculer devant l’ennemi, si nombreux soit-il, ils doivent rester à leur rang et vaincre ou périr.

Quant à Périclès, il privilégie l’intelligence éclairée par le savoir. Sur le champ de bataille, le talent, les connaissances et l’expérience, estime-t-il, l’emportent davantage que le nombre et la vigueur corporelle.

L’opposition congolaise doit s’inspirer de ces trois voies,  et avoir à l’esprit  que la notion de rapport de force ne s’opère que lorsqu’elle est déployée dans l’espace et dans le temps ; et que la supériorité des forces morales  est la traduction de la primauté du cœur et de l’intelligence sur tout.

En dehors des cérémonies à la gloire «  du grand timonier », aucune marche de protestation n’est  autorisée dans une dictature. L’opposition sénégalaise n’a pas demandé l’autorisation à Abdoul WADE de marcher le 23 juin 2011, pour exiger le retrait de son funeste  projet de modification constitutionnelle qui aurait consacré une dévolution monarchique du pouvoir. C’est une démocratie, me dira-t-on. Dans tous les cas,  des vrais opposants le savent, un rapport de force se crée et s’aménage.  Au lieu de cela, notre opposition s’est conformée sans peine à   cette espèce d’avilissement. Depuis 2002, elle participe à des élections  même quand elle ne se fait pas d’illusions sur la transparence et la crédibilité des scrutins. De qui se moque-t- on ?

« Créer  un rapport de force ou périr », l’opposition congolaise doit en faire son leitmotiv.  Pour cela, elle doit  travailler à se ménager un parcours  héroïque et digne dans l’Histoire. En définitive, on ne trompe pas l’Histoire ! On se bat contre, ou, lâche, on se tait, et on se résigne à en être l’esclave.

Djess Dia Moungouansi  «  La plume libre au service du peuple »

Membre du groupe de Réflexion La Rupture.

Blog de Djess

http://demainlecongo.kazeo.com

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