GÉMISSEMENTS ET COMPLAINTES DE L’ARRONDISSEMENT 2 BACONGO ALIAS BAC-CITY. Par Dieudonné ANTOINE-GANGA.

Mes très chers citadines, citadins et Bac-Citizens,

L’environnement malsain dans lequel je vis ces derniers temps, me conduit à vous adresser un S.O.S par la présente missive pour vous parler d’une part de l’abandon dont je suis l’objet et pour vous dire d’autre part que je souffre beaucoup, de vous voir sombrer dans la misère, de vous voir vivre dans l’obscurité quasi permanente, délestage oblige, et sans eau à cause de sa rareté dans les robinets. Et dire que je suis arrosé par le grand fleuve Congo et par le Djoué. Omona wapi !

Au cas où vous ne le sauriez pas, moi Bacongo alias Bac-City, votre arrondissement, je suis la première agglomération de Brazzaville créée en 1884 par Charles De Chavannes sur instruction de Pierre Savorgnan de Brazza, lors de son troisième voyage au Congo. A ce propos, Charles De Chavanne a écrit : « Après avoir pataugé dans les marécages, m’être en vain redressé vers le nord dans la brousse épaisse et, sur le soir, m’être orienté pour me rapprocher du fleuve vers un plateau qui semblait réunir certaines conditions désirées, je tombai sur quelques paillotes minables entourées de maigres plantations de manioc et de bananiers. Le plateau que j’estimais à une trentaine de mètres au-dessus du fleuve était suffisamment étendu pour une première installation ; le fleuve en était distant d’une centaine de mètres et la forêt, inondée entre son cours et le bord abrupt du plateau, aboutissait à une rive d’argile contre laquelle coulait l’eau profonde. Un ruisseau clair coulait à l’ouest ; à l’est une pente peu accidentée conduisait à M’Fà. Le terrain sablonneux, très perméable, était garant de salubrité et, au-delà de M’Fà, dans l’est, une vaste plaine s’étendant le long du fleuve permettait une extension considérable de ce côté dans l’avenir…. Les cases sortent de terre peu à peu, simples paillotes au toit de chaume grossier ; les parois sont faites de branchages entrelacés…. Avec le bois provenant de la démolition des caisses, j’établis les premiers moules à briques…. De jeunes bois d’oukoumé serviront à édifier la charpente de ma case et l’immense toit sera fait de chaume épais ; les nervures et les feuilles de palme à raphia (qu’il faut malheureusement aller quérir très loin), serviront à en former les parois avec une certaine élégance, le sol sera dallé de briques cuites jointoyées avec de l’argile… Voilà l’humble début de Brazzaville. » 

De son coté, Georges Ballandier a écrit : « deux villages Batékés l’encadrent alors :  celui du chef Bakwa, établi dans la plaine, et celui du chef Mbama, établi sur la terrasse supérieure dominant le fleuve. En 1889, d’après un document administratif, le poste a déjà rassemblé à son contact, un village de 350 habitants, qui est à l’actuel centre de Bacongo regroupant les Batékés de Mbama et les premiers éléments Bakoongos. »

Sur le plan administratif, je fus érigé en commune indigène dirigée d’octobre 1943 à 1956 par les Présidents africains du Conseil Municipal : Martial Kongo et François Niamankessi, tous deux élus par les membres de la commission Municipale. Ils étaient assistés par les chefs de quartier : Eugène Kinouani, Kitengue, Sébastien Matiabou, Joseph Nkéoua, Nkouka Batéké et Marius Samba dont les attributions étaient à la fois, administratives et judiciaires : mise à jour des monographies de recensement, collecte de l’impôt de capitation, conciliation et règlement des litiges, assainissement et propreté des rues et des lieux d’habitation, gestion des fontaines publiques par intermédiaire de leur agent, le célèbre ‘’capita’’ Mayembo dont la rigueur et la ponctualité étaient jusqu’au bout des ongles.

  Plus tard, j’aurai mon homogénéité ethnique (100% du peuple Koongo dont 99% des Koongos du département du Pool). Je fus et je suis aussi l’une de ces Brazzavilles noires dont parle Georges Ballandier, l’un de ces villages populeux indigènes de la grande ville de Brazzaville, ancienne capitale de la France libre et de l’Afrique Equatoriale Française (A.E.F.). J’ai la particularité d’avoir des rues et des avenues évoquant les personnalités étrangères, en l’occurrence celles de l’histoire et de la littérature françaises (Jean Bart, Surcouf, Jeanne D’Arc, Moll, Jolly, Guynemer, etc.). Je suis actuellement dirigé par l’Administrateur Maire, un médecin, Madame Simone Loubienga.

D’autre part,  j’ai abrité et j’abrite en mon sein un patrimoine national dont  l’ancien palais des gouverneur, devenu au lendemain de l’indépendance en 1960, le palais présidentiel où ont vécu les Présidents Abbé Fulbert Youlou, Alphonse Massamba-Débat et Pascal  Lissouba, l’actuel palais présidentiel, les monuments Victor Schoelcher et Savorgnan de Brazza, les deux pans du Square de Gaulle dont l’un appelé ‘’place de l’indépendance’’ puisqu’inauguré le jour de la proclamation de l’indépendance du Congo, le 15 août 1960, est devenu, l’on ne sait pour quelle raison, ‘’ la place du Rotary Club ’’, la Case de Gaulle (résidence de l’Ambassadeur de France), les églises Saint François d’assise dite église du plateau, Notre–Dame du Rosaire et Saint Pierre-Claver, (ces deux dernières ont été conçues en 1963 par l’architecte français, M. Normand), le Temple protestant construit en 1960, le Temple salutiste, le Centre Culturel Sony Labou Tansi qui n’a de culturel que le nom et dont les murs sont défraichis ; qui plus est,  il a été transformé, il y a belle lurette, en nganda où l’on s’empiffre de bouillon sauvage et de mabokés, tout en y ingurgitant à qui mieux mieux, de la bière ou du vin rouge de qualité douteuse ; les mythiques bars et buvettes : Lumi-Congo-Macedo où l’orchestre O.K. Jazz de Kinshasa était venu se mettre au vert en 1966, Mouendo Kokoko, Nouani-Bar, Chez Hugues, Beauté Brazza,  le jardin du Congo (chez Mouyembé), chez Nsala Basile, Ha Milala, les jours de Brazzaville, Pigalle, Tahiti Bar, Congo Moderne, chez Milex, la Casa Antica, la paillote Mika, A la Barrière de Tshieyila Norbert, Chez Moumpala Victor, chez Nkounkou Raphaël etc. ; la grande caserne de la gendarmerie nationale dont les alentours abondent de matitis, l’Institut Français, le lycée français Saint-Exupéry, les écoles primaires Nkéoua Joseph, Saint Joseph, Sainte Agnès, Sainte Bernadette, ‘’ la Sorbonne’’, le lycée Savorgnan de Brazza achevé en 1951, sur les plans de l’architecte Roger ERELL, où ont été pourtant formés des milliers d’élèves du Congo et des trois autres états de l’Afrique Equatoriale Française (A.E.F.) mais qui est presqu’abandonné ; il ressemble de plus en plus à un poulailler ou à une bergerie ; le jardin d’essai, ce parterre de fleurs inexistant actuellement, le dispensaire des adultes alias ‘’Bisita’’, le marché Total, le plus grand marché de Brazzaville, les marchés Ta Ngoma et Commissions,  l’ex-siège de l’UAMPT dont l’immeuble aux murs hideux, abandonné est devenu l’antre des chiens errants et des fumeurs de chanvre indien, les fontaines, Jeanne d’Arc, Balabala et aux masques, actuellement détruites,  les stades Alphonse Massamba-Débat et Marchand, le gymnase Maxime Matsima construit dans l’enceinte du premier terrain d’aviation de Brazzaville et dont malheureusement les alentours sont envahis par les vendeurs des pièces détachées de quincaillerie et des fripes, les rectorat, bibliothèque et amphithéâtre de l’Université Marien Ngouabi, l’Ecole Normale Supérieure, la plupart de bureaux administratifs, les ‘’défuntes’’ salles des cinémas Millot, Rex et Rio, ; la piste des caravanes, un site mémorial totalement abandonné ‘’dans l’indifférence des autorités habilitées’’ et à propos duquel un compatriote, Guillaume cité par l’hebdomadaire La Semaine Africaine N° 4061, affirme : « un site mémorial comme ça se retrouve dans un environnement comme celui-ci. Qu’est ce qui manque à un Etat comme le Congo pour aménager un endroit comme ça ? Ça coûte quoi de venir faire un petit espace vert autour de la stèle et expliquer aux jeunes de Bacongo et de Brazzaville que là il y avait la piste des caravanes. C’est comme ça qu’on va développer la destination Congo ? » Cette piste dont l’espace vert aménagé au lieu où il débouche devant la Mairie de Bacongo, a été transformé en nganda. Même la stèle qui y était érigée a été enlevée. Moi Bacongo, j’ai aussi abrité la première chancellerie de l’Ambassade de la République Populaire de Chine au Congo.

Je fus également la pépinière du football brazzavillois avec les équipes de football pelote ou mwana foot : Ouragan la Macumba, Terreur, Louvain Squadra Azura, Reims, Lille, Faucon Noir Mopingi, Dragon Noir Elima, Olympique, Nancy-Kahunga, Nice, Lion Club Zongo, Baptême -Succès, Air Mail, Club Cara, A.S. Brésil, Brise-Succès et le Real de Bacongo qui ont fait les beaux jours du Stade Yougos (à l’emplacement actuel de l’Eglise Notre-Dame du Rosaire) et derrière le cinéma Rio. Lesdites équipes ont fourni à mes équipes de football de la première division de la ligue de Brazzaville : Diables-Noirs, Lumière du Congo, C.S. Negro ou Sporting de Bacongo, les joueurs de renom, tels que Jean-Marie Loukoki Kopa, Robert Doudi Piantoni, Dominique Nganga Poison, Jean Chrysostome Bikouri, Germain Makouezi La Flèche, Germain Dzabana Jadot, Boniface Massengo Professeur, Clément Massengo Fu-Manchu, Adolphe Bibanzoulou Amoyen, Ange Baboutila Fantomas, Pierre-Claver Matoko Cervato, Nkaya Vautour, Jonas Bahamboula-Mbemba Tostao, Joseph Mantari De Foufou, Maxime Matsima, etc.

J’ai donné aussi à la République, deux Présidents de la République (Abbé Fulbert Youlou et Alphonse Massamba-Débat), trois Premiers Ministres (Aloïse Moudileno-Massengo, André Milongo et Bernard Kolelas), un Président du Sénat (Augustin Poignet), un député à l’Assemblée Française (Félix Tchicaya), plusieurs parlementaires, ministres et cadres tant dans l’administration, dans l’armée, dans la santé que dans l’enseignement ; des commerçants (André Bikoumou, Pascal Bakouetela, Samba dit Gentil, Raphaël Nkounkou, Victor Moumpala, Norbert Tshieyila, Albert Makoumbou, Jean-Baptiste Fila, etc.) ; des artistes-musiciens (Edouard Nganga Edo, Célestin Nkouka, Franklin Boukaka, Côme Mountouari Cosmos, Antoine Moundanda, etc.) ; des écrivains (Sylvain Mbemba, Ferdinand Mouangasa, Placide Nzalabaka, Maxime Ndebeka, etc.) ; quatre orchestres (la Bohème de Massamba le Bel, le Cercul Jazz de Franklin Boukaka et de Ntouta Mamadou, Congo-Butsiélé de Bruno Bacongo initiateur de la chorale Tanga-ni-tanga, l’orchestre Sinza Kotoko fondé à Ouenzé, de Ya Gaby et de Pierre Mountouari, auteur-compositeur de la légendaire et merveilleuse chanson « Vévé nga na lingaka », le Likembé Géant d’ Antoine Moundanda) ; les groupes folkloriques (Kongo dia Lemba de Magory, la Toumpa Nsi Ya Mpa de Henri Massouka La Biche et de Ryky Siméon,  et Mandola Ndo de La Cigale).   

 Qu’ai-je fait pour mériter un tel sort ? Ma notoriété d’antan a disparu. J’ai actuellement un visage plein de rides et J’offre un spectacle désolant, avec des rues et des avenues regorgeant de nids de poule, de trous, de mares d’eau, lesquelles rues sont devenues des garages de fortune de réparation des véhicules plutôt des parkings-lavages et des dépotoirs des épaves et carcasses dont certaines sont des potagers ou des urinoirs avec des matières fécales et certaines encore sont entrecoupées par des caniveaux béants. Ce qui y rend la circulation on ne peut plus difficile.  

Moi, Bacongo alias Bac-City, le plus vieux quartier de Brazzaville, fief de la sapologie, qui aurait été déplacé de son emplacement actuel au-delà du pont du Djoué, sans l’intervention de l’Honorable Félix Tchicaya, Bacongolais et député du Moyen-Congo, pourquoi suis-je actuellement à l’abandon ? Pour votre gouverne, il sied de signaler  que pour rester à l’emplacement actuel, c’est l’Honorable Félix Tchicaya de surcroit Bacongolais qui écrivit en 1948, une lettre à Monsieur le Haut-Commissaire de la République Française en A.E.F. (Afrique Equatoriale Française), publiée en novembre 1948 par le journal A.E.F. Nouvelle dont voici l’extrait : «…Pour ce qui est du déplacement du quartier Bacongo dont les habitants iraient s’établir dans la zone située vers le Djoué à proximité d’un lac artificiel à créer, après les travaux du barrage actuellement à l’étude, j’ai formulé les réserves les plus expresses quant à l’opportunité d’une telle mesure. Bacongo est le plus vieux quartier de Brazzaville. Son existence remonte à 1890. Plusieurs générations de congolais y ont fait souche. Il s’est développé chez la plupart de ceux-ci un sens réel de la propriété individuelle. Peut-on, des lors, et sans susciter de graves remous, décider unilatéralement que trente mille personnes environ devront du jour au lendemain quitter leur habitat pour se faire une maison dans une « zone » où les aménagements promis resteront pendant longtemps à l’état de projet ? S’il est vrai que l’eau et l’électricité seront dispensées à profusion dans le nouveau quartier, pourquoi ne pas le faire tout de suite dans le quartier actuel ? Depuis longtemps les populations le demandent, comme elles ont toujours demandé la création d’un organisme d’habitation à bon marché pour qu’elles aient la possibilité de transformer les cases actuelles en cottages remplissant les meilleures conditions de confort et d’hygiène… »

Moi Bacongo alias Bac-City, j’ai marqué l’histoire et l’évolution de notre pays, le Congo. Est-ce ironique de penser que c’est la marque que j’ai faite sur cette histoire qui me poursuit ? Est-ce parce que l’on me reprocherait mon homogénéité, que l’on vous reprocherait à tort, vous mes citadins, ‘’votre esprit de clan, votre fanatisme rétrograde’’, que l’on vous affublerait à tort du qualificatif d’indécrottables que l’Etat me délaisse ? Je ne saurai y répondre.

« Aide-toi et le ciel t’aidera » nous dit un adage populaire. Je demande donc à vous mes citadines, citadins et bac- citizens, de compter tout d’abord sur vous-mêmes, c’est-à-dire sur vos propres forces et non sur l’Etat pour refaire de moi ce beau quartier, sain d’antan où l’on pouvait dormir à la belle étoile et sans moustiquaire, où l’on pouvait circuler sans embarras, d’un bout de la rue ou de l’avenue à l’autre. Profitez, s’il vous plaît, de cette saison sèche pour me refaire ma beauté voire un bain de jouvence, en récurant les caniveaux qui sont devenus des nids de moustiques, en enlevant toutes ces épaves et carcasses de voitures qui encombrent la façade de ma mairie, mes rues et mes avenues. Je vous enjoins enfin de balayer vos concessions et devant vos rues, tous les matins, avant d’aller vaquer à vos occupations. Je suis très sale. Est-ce parce que vous l’êtes devenus, vous les sapeurs, les existentialistes d’hier et d’aujourd’hui ? Est-ce parce que, pour paraphraser James Gassongo, « vous auriez laissé filer l’abondance, la jouissance de vos fruits pour entretenir la maltraitance, embraser l’accoutumance à la somnolence, l’indifférence, la délinquance, l’intolérance, l’ignorance, l’arrogance, l’avarice, la violence et la démence ? Ou parce que vous auriez tué votre dynamisme et opté pour le pessimisme, l’affairisme, le despotisme, l’illettrisme, l’égoïsme, le vandalisme, l’anarchisme, le racisme, le tribalisme, l’incivisme, le terrorisme, le sadisme, l’intégrisme, le cynisme et le manque de réalisme ? »  Non je n’oserais y penser et y croire. Ne ménagez donc aucun effort pour me rendre on ne peut plus propre et sain. Ressaisissez-vous ! Je vous en saurai gré.

Je sais que vous les Bacongolais, vous les Bac-Citizens, vous avez une âme assez culturelle. Conservez et fructifiez et ne dilapidez pas ou ne détruisez le bijou que je suis. A ce propos sachez que ‘’tout héritage doit être bien conservé, fructifié et non dilapidé, profané ou détruit ; et qu’un peuple, un pays, une ville, un village, un arrondissement (comme moi) et un quartier sans histoire sont analogues à une gargoulette trouée par le fond.’’

Enfin, je vous invite à méditer sur ce qu’avait dit le Bacongolais Abbé Fulbert Youlou, alors Maire de Brazzaville « le propre d’une ville et d’offrir à ses habitants, outre le logement et l’équipement social, une infrastructure technique sous forme de voirie et de réseau d’eau, d’électricité et d’égouts. » Ces propos, cela va sans dire, restent d’actualité et ne doivent nous interpeler en permanence.

Avec toute mon affection.

Votre arrondissement Bacongo alias Bac-City.

Dieudonné ANTOINE-GANGA

Ancien Ministre des Affaires étrangère du Congo-Brazzaville

Diffusé le 13 août 2021, par www.congo-liberty.org

DIEUDONNÉ ANTOINE GANGA, APÔTRE DE LA PAIX ET ACTEUR DE LA DÉMOCRATIE AU CONGO-BRAZZAVILLE (joyeux anniversaire pour vos 75 ans).                                                                    

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