Faut-il supprimer l’élection présidentielle en Afrique ?

Les faits sont là. Indiscutables. La planète tourne à vive allure, et l’Afrique ressemble à « un serpent recroquevillé sur lui-même, qui se mord la queue ». Les chefs d’Etat africains doivent comprendre une fois pour toute, qu’ils ne feront pas carrière à la tête de leurs Etats. Qu’ils n’ont pas une longévité à rallonge, et qu’ils ne transmettront pas le pouvoir à leur progéniture comme un patrimoine personnel.

Adoptée au lendemain des indépendances par la plupart des constitutions africaines, l’élection présidentielle, était longtemps appréciée pour la « stabilité » qu’elle semblait conférer aux institutions, doit être réévaluée, et ses effets profondément délétères dénoncés (Thierry Michalon).

Par définition, l’élection présidentielle est « la rencontre entre un homme et le peuple ». Cet homme, avec ses idées et son programme, à force d’arguments, recevables ou discutables, cherche à convaincre le peuple en sollicitant son suffrage.

Cette démarche, simple en apparence, reste une gageure en Afrique, plus de cinquante après les indépendances. La culture de la confiscation du pouvoir reste la règle, au détriment de la culture de l’alternance politique. On encourage le peuple à se remettre à un Prince plutôt qu’à accorder sa confiance à des institutions.

Les constitutions africaines ne sont qu’une vitrine, une façade, voire un paillasson sur lequel les présidents à vie s’essuient les pieds. A l’image de la pâte à modeler, elles sont sans cesse réécrites et manipulées au gré des caprices du Prince. Elles permettent complaisamment à des dictateurs de se porter candidats, et donc, non seulement de se représenter à l’élection présidentielle (à laquelle ils n’auraient pas dû se (re) présenter), mais aussi de se faire réélire par la brutalité, l’intimidation, le crime, la peur, le désordre sciemment organisé, et par la force des armes. Le constitutionnaliste du droit africain G. CONAC estime: « Dans la mesure où la Nation reste un projet fragile, elle a besoin de s’incarner dans un homme qui lui donne en quelque sorte son identité ». Cet homme, le Président, « est au centre de tout » et parfois même se confond avec l’Etat. C’est lui qui bâtit la Nation, dirige l’Etat et le personnalise.

Pour preuve: Au Congo-Brazzaville, l’actuel président, Denis Sassou Nguesso a mis entre parenthèse la constitution de 1992, approuvée par une majorité de congolais. Il s’est fait tailler « sur mesure » sa constitution. Pris dans son propre étau, son mandat s’achève en 2016. Aura-t-il l’élégance morale de quitter le pouvoir, ou cèdera-t-il à sa « cour  » qui lui susurre de modifier « sa constitution » pour conserver le pouvoir? L’avenir nous le dira.

En République démocratique du Congo, la constitution vient d’être modifiée. La prochaine élection présidentielle sera à un seul tour.

En République Centrafricaine, le président Bozizé a été réélu après avoir organisé de fraudes massives.

Au Cameroun, Paul Biya dont la candidature est indubitable, veut se représenter après vingt-neuf ans au pouvoir.

Au Tchad, Idiss Déby vient de prêter serment après une élection présidentielle boycottée par l’opposition.

Au Gabon, l’élection du candidat André Ba Obam a été usurpée au profit du candidat de la Françafrique, Ali Bongo.

Au Sénégal, Abdoulaye Wade (86 ans), a voulu faire modifier l’article 71 de la constitution sénégalaise, pour se faire succéder par son fils, Karim Wade. Seule la mobilisation du peuple sénégalais a eu raison de ses velléités.

L’élection présidentielle reste profondément nocive en Afrique. Elle conduit l’électeur africain à se prononcer en fonction de considérations relationnelles et affectives. Elle le pousse à ignorer que « les mécanismes démocratiques doivent servir à exprimer des attentes différentes quant à l’avenir de la Cité, et qu’il n’y a pas de politique sans libre confrontation de ses attentes. Elle amène et le citoyen et l’homme politique à considérer l’Etat comme un réseau de relations et non pas comme un ensemble de fonctions devant être remplies de manière neutre et objectives. Elle encourage le citoyen africain à voir dans l’Etat un mécanisme d’accaparement légitime de biens collectifs par le clan du vainqueur. »(Thierry Michalon).

En outre, détourné de son devoir envers l’intérêt général, l’appareil d’Etat devient une machine de plaisir et de profit entre les mains de son chef et de ses amis. « La corruption, le népotisme, le favoritisme et le gaspillage s’installent, ainsi que l’indulgence à l’égard de l’incompétence des favoris et l’inconscience à l’égard de la sienne propre, qui ne peut que croître dans des conditions aussi protégées, aussi propices à l’enflure du Moi ».(Jean François Revel).

L’élection présidentielle en Afrique engendre l’autocratie, l’arbitraire, la médiocrité, la confiscation du pouvoir, et la dilapidation des deniers publics par le clan du vainqueur.

Plus grave, l’élection présidentielle est source d’insupportables violences, de guerres civiles ouvertes et larvées en Afrique. Les récentes exactions survenues en Côte-d’Ivoire en sont l’illustration parfaite. En sus, dans la nuit du 18 au 19 juillet, la résidence privée du chef de l’Etat guinéen, Alpha Condé, a été attaquée au bazooka par des groupes armés, sept mois après de vives crispations post-électorales.

Dès lors, une solution est-elle envisageable pour contenir les impasses et les errements de l’élection présidentielle en Afrique? N’ayant pas la science infuse, seules quelques pistes de réflexion sont envisageables. Aux effets désastreux de l’élection présidentielle en Afrique, il est opportun de réhabiliter les deux piliers de l’Etat de droit que sont: la Démocratie et la République.

La démocratie est la procédure d’élaboration des règles de droit à partir d’un compromis entre les attentes antagonistes des différentes catégories sociales.

La République quant à elle est l’ensemble des valeurs qui président à la mise en œuvre égalitaire des règles selon le principe de l’égalité des administrés devant la loi.

Une fois ces deux piliers mis en place, on envisagerait de

« refonder la légitimité » présidentielle par un mode de désignation moins solennel, en  » cantonnant le président à un rôle plus effacé, de « sage actif » par exemple, pour le plus grand profit des mécanismes de la démocratie représentative ».(Thierry Michalon)

Une autre solution, pragmatique, plausible, est suggérée par le constitutionnaliste congolais, Félix Bakounda. Il propose non seulement de « repenser le président africain, mais aussi de symboliser l’institution présidentielle ». Il poursuit sa démonstration en ces termes: » l’observation de presque l’ensemble des Etats africains, depuis l’indépendance, démontre que l’institution présidentielle, telle qu’elle a fonctionné jusqu’ici, et à des degrés différents selon les Etats, contribue à la destruction du tissu socio-culturel et économique. Le président africain, c’est une évidence, recherche inévitablement la fidélité et le soutien inconditionnels des « siens », finit par devenir dépendant, prisonnier de ceux-ci ».

En définitive, pour mettre un terme aux mascarades électorales, aux falsifications des listes électorales, aux fraudes massives, aux commissions électorales qui sont loin d’être « indépendantes », et à la manipulation du suffrage universel constatée ici ou là, l’élection présidentielle en Afrique mérite d’être revisitée. Sa suppression, voire son remplacement par un autre mode de désignation du président, épargnerait sans conteste à l’Afrique des violences et des drames inutiles.

 

Alexis BOUZIMBOU : Juriste Congolais

Cercle de réflexion pour des idées nouvelles

www.congo-liberty.org

 

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