FRANCE – ETUDIANTS ETRANGERS, VICTIMES COLLATERALES DU COVID-19 : SUGGESTIONS DE MESURES EXCEPTIONNELLES (Par Aliou TALL)

Dans les deux sens du terme les étudiants  étrangers  sont des victimes  collatérales  des conséquences  de la pandémie  du Coronavirus : Non seulement les difficultés spécifiques auxquelles ils sont confrontés sont en marge du débat public, mais aussi elles ne sont pas ligne direct avec celles des étudiants  nationaux. Certes, ils subissent au même titre que les étudiants nationaux les effets des confinements et des couvre-feux. Mais en plus, du fait de leur extranéité, ils endurent des galères existentielles indicibles, académiques, et administratives susceptibles de compromettre leur scolarité et leurs projets professionnels. Il urge que les autorités de leurs pays d’origine, mais surtout celles de la France, prennent des mesures exceptionnelles pour les soutenir. Je suggère des pistes pour négocier de telles mesures avec les autorités.

Suggestions de mesures à négocier avec les gouvernements des pays d’origine des étudiants  étrangers.

La sécurité et la défense des intérêts des étudiants étrangers en France incombent d’abord aux gouvernements de leurs pays d’origine. Les associations d’étudiants étrangers pourraient négocier avec leurs gouvernements respectifs :

– La mise en place d’une aide d’Etat ponctuelle sur critères  sociaux pour aider les étudiants en difficulté à surmonter les effets de la pandémie,  et à justifier  leurs revenus pour le renouvellement  de leurs titres de séjour. A défaut de mesures spéciales,  beaucoup d’étudiants étrangers  qui justifient leurs revenus par les ressources tirées de leur job étudiant, risquent de rencontrer des difficultés pour renouveler  leurs titres de séjour. Avec le Covid, la raréfaction des jobs étudiants, des stages payés et des contrats d’alternance, impactera inéluctablement les moyens d’existence des étudiants non boursiers. Les mesures épidermiques qui seront prises tardivement  ne serviront pas à grand-chose. Un problème prévisible se dénoue en amont, pas à l’aval. Gouverner c’est prévoir et anticiper.

– D’engager, en mandatant des experts de la question migratoire et des acteurs du terrain pour appuyer les officiels, des négociations avec les autorités  françaises pour adapter à la crise sanitaire les clauses du droit international conventionnel qui régissent  le séjour  des étudiants  étrangers. Les pays africains peuvent suggérer à la France une clause provisoire, emportant dérogation spéciale sur l’exigence des conditions de revenus et de progression dans les études  pour le renouvellement  des titres de séjour  « Etudiant ». D’autant plus que, le cas échéant, c’est ce droit spécial, et non le droit français, qui régit  le séjour de leurs ressortissants qui étudient en France. A défaut, le statu quo confortera la pratique du renvoi au droit français, et causera un tort aux étudiants étrangers, avec un risque de multiplication des OQTF au courant de l’année 2021.

Suggestions de mesures à négocier avec le gouvernement  français pour résoudre les difficultés existentielles des étudiants.

Le gouvernement français  a montré sa disposition à chercher des solutions  aux difficultés particulières  causées par la pandémie du Covid 19. Les associations  et syndicats  d’étudiants peuvent saisir cette ouverture pour demander, ensemble, au gouvernement  français :

– De mettre en place un chèque-restau accessible à tous les étudiants, pendant toute la durée de l’état d’urgence sanitaire. C’est plus pratique et plus démocratique que la mesure du repas en restaurant universitaire à 1 euro. Tous les étudiants  n’habitent pas à côté d’un restaurant  universitaire. Et même ceux qui habitent à côté ne peuvent pas forcément s’y rendre aux heures d’ouverture. Si la volonté de les aider à ne pas crever la dalle est réelle, un chèque-restau est plus adapté. Il sera aussi plus utile que le chèque-psy proposé aux étudiants pour consulter un psychologue. D’autant plus que le fait de se convaincre qu’on doive se faire examiner par un psy, parce qu’un chèque-psy est offert, peut engendrer une dépression placebo dont les étudiants n’ont pas besoin. Fort heureusement, tous les étudiants  ne sont devenus dépressifs à cause du Covid, des confinements, des couvre-feux et des cours à distance.

– De suspendre provisoirement, pendant toute la durée de l’état  d’urgence sanitaire, toute différence de traitement entre les étudiants, pour bénéficier des aides mises en place par l’Etat français. Il est incompréhensible, que pendant cette grave période de crise, on accorde des aides à des étudiants parce qu’ils sont boursiers ou bénéficient d’une aide au logement, et qu’on les refuse aux autres. Les étudiants  non boursiers ne souffrent pas moins des effets de la pandémie et des mesures de confinement, que ceux qui ont la chance d’avoir une bourse. De même, l’extranéité des étudiants  étrangers ne doit pas justifier, en période de crise sanitaire, qu’ils soient exclus des aides de l’Etat qui les a admis à séjourner et à étudier sur son territoire. Leur nationalité étrangère  ne justifie pas qu’ils supportent plus rudement les difficultés engendrées par les mesures contraignantes prises par le gouvernement pour maîtriser la pandémie.

Suggestions de mesures à négocier avec le gouvernement  français pour résoudre les difficultés académiques et d’insertion professionnelle des étudiants étrangers.

Pour atténuer ces difficultés les associations et syndicats d’étudiants peuvent négocier avec les autorités françaises :

– D’accorder un moratoire sur l’exigence du caractère  réel  et sérieux  et de la progression dans les études, comme condition sine qua non du renouvellement des titres de séjours des étudiants  étrangers.  Le gouvernement  a admis que la pandémie du Covid 19 est une force majeure au sens juridique et matériel, qui lui permet d’imposer des faits du prince, des restrictions de liberté et des atteintes aux principes démocratiques : gouvernement  par ordonnance, confinement, déconfinement, reconfinement, couvre-feux,  fermetures  des frontières,  etc. Cette même force majeure, et les faits du prince décidés, justifient qu’on ne puisse reprocher à un étudiant  étranger, qui demande le renouvellement de  son  titre de séjour, la non progression dans ces études pendant cette période. La fermeture de certaines  entreprises, des magasins, des restaurants et hôtels a impacté négativement la recherche d’un job étudiant, d’un stage obligatoire ou d’un contrat d’alternance. Les associations et syndicats d’étudiants  peuvent dès lors négocier que l’année 2020 soit considérée comme une année blanche dans la computation des années d’études en France, pour du renouvellement des titres de séjour « Etudiant ».

– Le renouvellement  automatique des cartes de séjour « Recherche d’emploi – Création d’entreprise » (RECE), pour les mêmes motifs susmentionnés. Nul besoin de démontrer que la situation sanitaire n’est pas favorable au recrutement des diplômés  par les entreprises. A cela s’y est ajouté des difficultés particulières pour les étudiants  étrangers d’obtenir cette carte à temps, ou même un rendez-vous en vue de déposer leur demande  de changement  de statut. Dès lors, il est légitime de négocier le renouvellement  automatique  des cartes de séjour RECE, pour une durée d’un an. Une application non circonstanciée de la réglementation sur la carte RECE, en vigueur depuis mars 2019, aboutirait à la délivrance d’obligations  de quitter le territoire français (OQTF) à beaucoup de diplômés étrangers d’ici la fin de l’année 2021. Les étudiants  doivent rappeler au gouvernement  les lois qui permettent aux diplômés  étrangers  d’acquérir une première  expérience  professionnelle  en France. Or, la crise du Covid 19 est un obstacle avéré à l’acquisition  de cette expérience professionnelle.  Donc la durée des cartes de séjour RECE ayant couru pendant les périodes  d’état d’urgence sanitaire, à savoir depuis mars 2020, ne doit pas être prise en compte. Le renouvellement systématique, à titre exceptionnel, des cartes de séjour RECE est légitime et fondé en droit.  

– D’accorder une exonération spéciale  des taxes que les employeurs qui souhaitent  recruter un diplômé étranger en France doivent payer à l’OFII. Déjà, en temps de prospérité, ces droits constituent  une restriction à l’embauche  des diplômés  étrangers.  Avec la baisse de l’activité économique et l’effondrement des recrutements en CDI dus à la crise sanitaire, les entreprises seront encore plus réticentes à devoir payer une taxe avant de pouvoir recruter un diplômé étranger. Les étudiants étrangers en prennent plus sur leurs figures que les nationaux et les européens. Sans cette mesure, les exonérations  de cotisations patronales et salariales destinées à favoriser l’embauche des jeunes ne profiteront pas aux diplômés étrangers en recherche d’emploi. Le plan jeune et  le dispositif exceptionnel d’exonération des charges pour le recrutement  des jeunes devraient intégrer  cette mesure qui ne coûtera  pas grand-chose, comparé au coût des 60 000 « contrats initiatives emploi » financés en partie par l’Etat français.

Le marché de l’emploi en France est déjà très tendu à cause de la pandémie du Covid 19. Il le sera davantage, quand l’Etat français sera contraint de mettre un terme au coma financier par lequel il maintient artificiellement la santé économique des entreprises. Les jeunes diplômés auront alors plus de mal à décrocher, à court terme, leur premier emploi. Avec l’opposabilité de la situation de l’emploi, les étudiants étrangers verront de nouveaux bunkers s’ériger sur le chemin de leur changement de statut. Par conséquent, il est légitime d’adopter des mesures exceptionnelles pour les aider à surmonter les affres du Coronavirus, qui sont constitutives d’une force majeure extérieure, imprévisible, et irrésistible.

© Aliou TALL,

Juriste spécialiste du Droit des étrangers en France.

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