Discours du 1er président Malien Modibo KEITA prononcé devant l’assemblée nationale à l’occasion de l’émission d’une monnaie nationale le 30 juin 1962

Monsieur le Président de l’Assemblée Nationale,
Madame,
Messieurs les Députés,

Depuis la proclamation de l’Indépendance Nationale, le 22 septembre I960, la Nation, tendue dans un élan d’enthousiasme a rassemblé ses énergies et mobilisé ses forces vives pour consolider et renforcer cette indépendance. Ensemble, avec courage et détermination, nous avons déjà parcouru un long et dur chemin, franchi de grandes étapes et posé les jalons du succès. C’est avec une légitime fierté que nous pouvons rappeler ces réalisations positives que sont : l’évacuation des bases militaires étrangères, l’organisation du pays en régions administratives et économiques constituant des ensembles homogènes, la création des sociétés et entreprises d’Etat, appelées à assurer la relève des établissements étrangers et à donner un sang nouveau à la vie économique de la Nation épuisée pas des années de domination coloniale et, pour couronner ces réalisations, le lancement du Plan Quinquennal, clé de voûte du développement économique de la Nation orientée résolument vers le socialisme.
Si nous remontons ce soir le chemin parcouru, ce n’est pas seulement pour trouver dans l’évocation du passé des motifs de satisfaction, c’est aussi pour puiser dans l’effort accompli, des raisons de croire et d’espérer, et surtout faire en sorte que le passé nous serve de tremplin pour le grand bond en avant auquel le Parti vous convie ce soir afin de franchir une nouvelle étape qui devra marquer un tournant décisif dans la vie économique de la Nation.
Dans quelques heures, exactement à zéro heure du 1er juillet 1962, la République du Mali disposera de sa monnaie nationale, le franc malien, ayant seul, désormais, cours légal et pouvoir libératoire illimité sur l’étendue du territoire national.
A cet effet, le privilège de l’émission sera exercé par un Institut d’Emission National, la Banque de la République du Mali, qui détiendra l’ensemble des pouvoirs monétaires exercés auparavant par la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest.
Voilà annoncé dans ses grandes lignes l’essentiel de la réforme monétaire, qui sera soumise ce soir à votre sanction, et que tout à l’heure, M. le Ministre des Finances exposera en détail devant votre Commission des Finances, puis devant votre Assemblée en séance publique.
Je voudrais maintenant en dégager le sens et la signification profonde, en analysant devant vous les raisons de notre option, les conditions de son succès, pour tirer ensuite les conséquences qui en découleront sur le plan de nos relations extérieures.


Mes Chers Collègues, aussi loin que nous remontons dans le temps, l’histoire nous enseigne que le pouvoir politique s’accompagne toujours et nécessairement du droit régalien de battre monnaie, que le pouvoir monétaire est inséparable de la souveraineté nationale, qu’il en est le complément indispensable, l’attribut essentiel.
Pouvoir politique et pouvoir monétaire ne sont donc, à dire vrai, que les aspects complémentaires d’une seule et même réalité : la souveraineté nationale.
Or, vous savez comme moi que malgré son accession à l’indépendance, le Mali se trouve encore dans une position d’étroite dépendance économique vis-à-vis de l’ex-puissance coloniale.
Faut-il rappeler que nos importations en provenance de la France représentent encore 80% de l’ensemble ? Faut-il rappeler aussi que le solde de notre balance commerciale reste très largement débiteur sur la France ?
Cette situation résulte en effet des contraintes que fait peser sur nous l’appartenance à la zone d’émission ouest-africaine, commune à l’ensemble des Etats de l’ancienne A.O.F. – Guinée exceptée – et au sein de laquelle la France dispose de la réalité des pouvoirs monétaires. Car l’institut d’émission de cette zone monétaire, la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest échappe presque totalement au contrôle des Gouvernements Africains.
Tout se passe dans la pratique comme si la structure et l’activité de la Banque Centrale ne semblaient avoir été conçues que pour favoriser uniquement le commerce de traite et d’importations de biens de consommation grâce aux larges facilités des crédits commerciaux qu’elle continue d’accorder aux sociétés commerciales traditionnelles, au détriment des crédits destinés à l’équipement et à l’investissement.
Mais surtout, ces facilités de crédit à court terme ont imprimé à nos courants d’échanges, une direction unilatérale et rigide qui n’a que trop contribué à figer dans leur aspect rudimentaire nos structures économiques internes, empêchant cette diversification nécessaire et vivifiante de l’économie, soit par l’atrophie des secteurs vitaux et moteurs de l’activité économique, soit au contraire par l’hypertrophie de certaines forces productives moins essentielles au développement économique, singulièrement le secteur tertiaire du commerce et des services.
Certes, le souffle de la décolonisation a passé sur le vieil édifice mais sans trop l’ébranler. En effet, la réorganisation en cours de la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest aura pour effet d’introduire quelques réformes audacieuses, mais qui n’en seront pas moins en retard de quelques années encore sur nos jeunes indépendances.
Ainsi, l’organisation de la monnaie et du crédit ne relève pas des Gouvernements Africains. Tous les pouvoirs de décision dans ce domaine sont concentrés au sommet, c’est-à-dire à Paris.
Comment promouvoir dès lors le développement économique harmonieux de la Nation si l’on ne dispose pas de moyens nécessaires, du puissant levier de commande que constitue la monnaie ?
Point n’est besoin d’être économiste pour savoir que la monnaie, au niveau national, est à la fois une garantie de liberté et, mieux encore, un instrument de puissance.
Garantie de liberté, parce qu’elle nous permet, non pas de faire ce que l’on veut, mais bien plutôt d’agir dans le sens de l’intérêt national.
Instrument de puissance -dans la mesure où elle nous donne la possibilité de contraindre les féodalités économiques et les groupes de pression qui veulent ignorer l’intérêt national pour ne défendre que les privilèges exhorbitants hérités du régime colonial moribond.
Enfin, et surtout, par ce choix qui balaie une des survivances, une des séquelles les plus vivaces de l’ordre colonial, nous entendons demeurer résolument fidèles à l’esprit de décolonisation totale qui a animé le congrès historique du 22 septembre 1960 et qui a déterminé l’option socialiste de notre politique.
Car ce serait singulièrement en limiter la portée, en dénaturer le sens profond que de croire un instant que la décision de créer notre monnaie n’a d’autre ambition que de flatter l’orgueil national.
Par delà cette légitime fierté, apparaît surtout notre volonté inébranlable d’atteindre l’objectif essentiel que nous nous sommes fixé, je veux dire la réussite du Plan Quinquennal qui commande le développement économique harmonieux du pays, la promotion sociale de nos masses laborieuses, en un mot, le devenir même de la Nation.
La monnaie nationale, c’est d’abord l’instrument nécessaire d’un développement économique réel, c’est-à-dire axé sur la planification socialiste.
Or, l’expérience le prouve, la planification du développement ne peut être réalisée par un Gouvernement dépourvu de pouvoirs monétaires.
Avoir son autonomie monétaire, disposer des pouvoirs monétaires, c’est, sur le plan interne, pouvoir régler et contrôler comme on l’entend l’émission de la monnaie métallique et fiduciaire, la direction du crédit, aussi bien aux entreprises, privées ou publiques, qu’à l’Etat.
Mais, c’est aussi et surtout, sur le plan externe, avoir la possibilité de contrôler la validité des paiements extérieurs conformément au plan du commerce extérieur, d’assurer le rapatriement de la contre-valeur des exportations, d’empêcher les transferts spéculatifs.
Il est clair que la détention de tels pouvoirs est absolument nécessaire à un Etat qui veut promouvoir le développement harmonieux et planifié de son économie. Et le Mali, en raison même de sa situation géographique et de l’importance de ses courants d’échanges avec les autres Etats de l’Afrique de l’Ouest, ne peut logiquement faire abandon de sa souveraineté monétaire.
L’Etat, en recouvrant son autonomie monétaire, sera mieux armé pour orienter la vie économique de la Nation en fonction de l’intérêt général, en exerçant, au niveau de la distribution du crédit, un double contrôle quantitatif et qualitatif.
Un contrôle quantitatif tout d’abord qui permet à l’Institut d’Emission de proportionner les concours bancaires qui sont la contre-partie naturelle de l’émission monétaire, aux besoins réels de l’économie.
Mais surtout, par ce biais, l’Etat peut, grâce à un réglage convenable de l’émission et des flux monétaires, favoriser et accélérer l’accumulation monétaire interne sans laquelle le Plan Quinquennal n’est plus qu’une affiche de propagande électorale, un immense trompe-l’œil, et sa réalisation, une chimère.
Un contrôle qualitatif ensuite, à la fois discriminatoire et sélectif qui permettra à notre Institut d’Emission, de refuser certains concours considérés comme nuisibles à l’économie, et de mesurer les crédits en fonction des objectifs prioritaires du plan.
Cette politique sélective du crédit permettra tout d’abord de renverser les priorités artificielles imposées par l’ordre économique colonial et qui n’avaient d’autres objectifs que de favoriser le commerce de traite d’importation qui constitue encore la source essentielle des profits du grand capital colonial.
Dans le même temps, l’Etat donnera la primauté aux investissements de base sacrifiés sous le régime colonial parce que, non immédiatement rentables et selon un ordre d’urgence fixé par les autorités du plan, donc conforme aux aspirations de nos masses.
Parallèlement, nous n’assisterons plus à la prolifération anarchique d’entreprises parasitaires, ou d’opérations spectaculaires à caractère de propagande, sans intérêt pour le pays et trop souvent financées au détriment de réalisations sans doute plus discrètes mais aussi plus décisives pour le développement de la Nation, telles que les routes, les écoles, les dispensaires de brousse, etc. . .
Voilà, mes chers Collègues, ramassées en quelques mots, les raisons profondes, politiques et économiques qui ont guidé notre choix, qui ont présidé à la création de notre monnaie nationale, le franc malien.
Mais, en hommes d’expérience avertis des problèmes économiques de notre temps et de notre pays, vous savez que pour être efficace, le maniement de l’instrument monétaire exige de la prudence.
Nous disposons de moyens puissants mais qui ne vaudront que par l’usage que nous en ferons. La monnaie, c’est d’abord un outil, mais un outil, si parfait soit-il, ne vaut que pour la main qui s’en sert. C’est pourquoi, vous comprendrez que notre entreprise, pour réussir, doit être conduite avec précaution et sagesse, en un mot, que notre succès dépendra tout d’abord de la réalisation d’un certain nombre de conditions objectives et impératives dont je voudrais maintenant vous entretenir.


L’instrument monétaire, nous le savons, peut agir comme un boomerang si l’on s’en sert maladroitement, mais rassurez-vous, nous ne jouerons pas les apprentis sorciers.
Disciplines internes rigoureuses, confiance en la monnaie nationale, telle me paraissent être les conditions objectives de notre réussite, la clé de notre succès.
Disciplines rigoureuses, tout d’abord, qui se traduiront avant tout par l’austérité budgétaire et financière. A cet égard, un certain nombre de mesures d’austérité vont être incessamment promulguées. Le Gouvernement n’épargnera aucun effort pour assurer l’équilibre budgétaire. Toutes les dépenses ont été passées au crible, et partout où des économies sont apparues possibles, elles ont été réalisées, que la dépense soit grande ou minime. C’est ainsi qu’une commission de contrôle et de répartition des effectifs du personnel a été mise sur pied afin de vérifier l’exactitude des emplois, la capacité des agents, leur répartition rationnelle en fonction des besoins réels des services.
D’autre part, seront considérablement réduits le nombre de missions à l’étranger, les frais de mission et le nombre de véhicules mis à la disposition des fonctionnaires. Le parc automobile sera ramené à des proportions compatibles avec la dignité nationale et les besoins réels des administrations. Les commandes de matériel et de biens d’équipement autrefois réalisées sans coordination entre les services et dans un désordre préjudiciable à l’intérêt général seront désormais regroupées au Service du Plan et le matériel réparti de manière plus rationnelle entre les différentes administrations pour éviter le gaspillage, aussi bien que pour obtenir les prix les plus favorables, les conditions d’achat les moins onéreuses.
Par ailleurs, la monnaie nationale, tout en étant un levier important pour le développement économique, recèle aussi des dangers que je me dois de vous exposer en toute franchise.
La tentation est en effet grande, pour les pays en voie de développement, dont la situation est caractérisée par la disproportion entre leurs besoins énormes et les moyens limités dont ils disposent, de suppléer à l’insuffisance des capitaux par des moyens monétaires. Mais que les bons apôtres, champions de l’orthodoxie monétaire, que les esprits chagrins professionnels de la catastrophe se rassurent : le Mali n’aura pas recours à la planche à billets.
Nous savons qu’en matière monétaire, il n’y a pas de miracle, et c’est pour cette raison qui résolument, nous nous détournons des chemins de la facilité et de l’aventure. La monnaie nationale n’est pas une panacée à nos difficiles problèmes de financement. Un pays ne vit que de ce qu’il produit, de ce qu’il gagne, de ce qu’on lui apporte.
Le déficit budgétaire ne sera pas financé par les moyens monétaires puisque le Trésor public s’adressera à la Banque de la République du Mali dans les mêmes conditions qu’un particulier, c’est-à-dire qu’il ne pourra en retirer des fonds que dans la mesure où son compte est alimenté ou dans la limite des crédits qui lui seront consentis.
Parallèlement, l’austérité budgétaire et financière doit être assortie d’un contrôle planifié du commerce extérieur qui seul peut nous permettre d’assurer l’équilibre de notre balance des paiements. Car si, à l’extrême limite, on peut combler un déficit budgétaire en créant sa propre monnaie, on ne peut en revanche fabriquer la monnaie des autres pour combler un déficit extérieur.
Le contrôle planifié du commerce à l’extérieur devra tendre à la suppression radicale des importations de luxe ou de biens de consommation superflus, qui font très souvent concurrence à nos propres produits. La consommation des produits du crû doit donc être très largement intensifiée. Par ailleurs, la raison essentielle de ce contrôle planifié, ce sera de donner la priorité à l’importation des biens d’investissement, sans quoi une nation ne peut se bâtir, ni renforcer son potentiel économique.
Mais, il ne suffit pas de s’imposer des disciplines rigoureuses afin d’échapper au cycle infernal de l’inflation, ce grand fléau des économies modernes qui menace en permanence la stabilité monétaire, donc le pouvoir d’achat des masses laborieuses. Ces disciplines ne suffisent pas à garantir cette stabilité, si par ailleurs elles ne se renforcent d’une confiance en sa propre monnaie.
Je le déclare sans ambages, vous devez faire confiance au franc malien qui n’a certes pas la prétention d’être une devise forte, mais qui se veut être d’abord un instrument au service de la promotion économique et sociale de la Nation. Le franc malien sera une monnaie instrumentale solide, gagé par une couverture d’un milliard de francs CF.A, en or et en devises. Défini par rapport à l’or, le franc malien aura la même valeur que le franc C.F.A. actuel, c’est-à-dire qu’un franc malien sera échangé contre un franc C.F.A. Toutes les mesures seront prises pour sauvegarder la valeur de notre monnaie tant à l’intérieur qu’à l’extérieur, de manière qu’aucune transaction ne puisse se réaliser à une valeur autre que celle légalement fixée.
Mais surtout, je voudrais dissiper ici une opinion couramment répandue et selon laquelle une monnaie solide doit être nécessairement rattachée à une monnaie directrice, de plus grande envergure. La garantie qu’un Etat peut accorder à une monnaie étrangère n’est trop souvent qu’une garantie illusoire, plus psychologique que réelle. L’expérience quotidienne nous prouve que l’on ne donne sa caution à une personne que lorsqu’on est sûr que cette caution ne sera pas utilisée ou que lorsqu’on a pris toutes les précautions nécessaires pour qu’elle ne le soit pas effectivement.
Ce qui est vrai au niveau des individus l’est davantage à l’échelle des relations monétaires entre Etats. La France ne garantit le franc C.F.A. que parce qu’elle sait que cette garantie ne jouera pas effectivement. Faut-il rappeler par exemple que les Etats africains membre de l’actuelle zone d’émission Ouest Africaine, disposent d’une créance de 30 milliards environ sur la France ? Cela signifie paradoxalement qu’au cours des dernières années le franc C.F.A. n’avait pas besoin de la garantie du franc français.
Les récentes discussions monétaires ont encore vérifié l’intangibilité de cet axiome : la France n’a accepté de garantir le nouveau franc C.F.A. – franc de la Communauté financière africaine – qu’après s’être assurée de la mise en place des mécanismes automatiques efficaces permettant d’éviter la dégringolade du franc C.F.A.
C’est donc vous dire, Messieurs, que la solidité d’une monnaie ne dépend réellement ni d’une couverture en métal précieux ni de la garantie d’une autre monnaie plus forte. La force d’une monnaie dépend avant tout de l’équilibre économique interne du pays et des ressources en devises étrangères qu’il tire de ses exportations et d’aides extérieures.
Or, à cet égard, le Mali a réalisé son équilibre alimentaire, notamment vivrier et cet atout lui donne de larges possibilités d’expansion et de grandes ouvertures sur l’extérieur, de telle sorte que toutes les conditions semblent réunies pour assurer à la monnaie nationale sa stabilité, et faciliter les règlements extérieurs, ce qui nous conduit tout naturellement à envisager avec vous les conséquences de notre choix sur nos relations avec l’extérieur.
Ces conséquences doivent être examinées sur deux plans : sur le plan de nos relations avec la France, d’une part, et sur celui de nos rapports avec les Etats de l’Union Monétaire Ouest Africaine, d’autre part.
En ce qui concerne nos relations avec la France, tout d’abord, je tiens à dire que nous n’avons pas agi par surprise. Un message a en effet été envoyé au Gouvernement Français, accompagné de tous les documents se rapportant à notre réforme monétaire. Au surplus, notre décision était attendue dans la mesure où elle reste conforme à l’esprit de l’accord franco-malien de coopération en matière économique, monétaire et financière ratifié par votre assemblée le 24 avril dernier.
Aux termes des dispositions des articles 8 et 9 de cet accord « la République du Mali se réserve le droit de créer sa monnaie nationale et un Institut d’émission qui lui soit propre », et « la République Française prend acte de cette déclaration ».
Dans le message adressé au Gouvernement français nous avons tout d’abord souligné que le choix du Mali ne devrait pas être interprété comme un geste de défiance et encore moins d’hostilité à l’égard de quiconque.
Nous avons d’autre part tenu à affirmer que notre décision ne saurait remettre en cause le principe même de notre appartenance à la zone franc, tout en reconnaissant par ailleurs la nécessité d’un réaménagement indispensable de nos rapports avec l’ensemble de cette zone pour les adapter à la situation nouvelle créée.
Je voudrais faire remarquer en passant que notre maintien dans la zone franc, sous réserve de ces adaptations, n’est pas incompatible avec notre souveraineté monétaire. Vous savez aussi bien que moi qu’il existe des Etats se trouvant dans une situation semblable.
C’est donc dans cet esprit que nous avons proposé à la République Française l’ouverture des négociations en vue de réexaminer sur des bases nouvelles les conditions et les modalités de notre coopération au sein de la zone franc, conformément aux dispositions des articles 8 et 9 de l’accord de coopération en matière économique, monétaire et financière signé à Bamako le 9 mars 1962 et ratifié par votre assemblée.
Quant aux rapports avec les Etats de l’Union Monétaire Ouest Africaine, je puis vous donner l’assurance qu’ils seront maintenus et même renforcés. Certes, la conséquence immédiate du choix que nous avons fait est la sortie du Mali de cette Union Monétaire Ouest Africaine, récemment mise sur pied à Paris. Mais ce départ ne saurait constituer une surprise pour ceux qui ont suivi les discussions relatives à la constitution de cette Union Monétaire, et qui savent que celle-ci a été le fruit de compromis laborieux. Car au sein de la Nouvelle Union Monétaire il existe en effet trop de contradictions internes et d’éléments centrifuges qui laissaient présager sa dislocation à terme. Déjà deux des anciens Etats de la zone d’émission Ouest Africaine ne font pratiquement plus partie de la nouvelle Union Monétaire.
Tous les pays africains voisins, et notamment ceux de la zone d’émission CF.A. ont été avisés par message personnel du Chef de l’Etat, de notre décision. Des pourparlers vont être engagés pour résoudre les différents problèmes qui pourraient surgir éventuellement.
En tout état de cause, le Mali se déclare disposé à respecter scrupuleusement ses engagements financiers, mais il réclamera aussi avec autant de fermeté sa quote-part des réserves de la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest.
Ainsi, notre départ de l’ancienne zone d’émission-je tiens à l’affirmer ici hautement – ne saurait signifier pour autant le relâchement des courants d’échanges traditionnels entre le Mali et les pays frères de l’Ouest Africain, auxquels nous lient des solidarités multiples, économiques et culturelles forgées au cours de longues années de luttes et de sacrifices communs que l’histoire, tout comme la géographie, et mieux encore – une grande et commune espérance : l’Unité Africaine – nous commande de préserver et de consolider, dans l’intérêt même de nos peuples.
C’est dans cette perspective que la République du Mali, toujours animée de cette volonté ardente de parvenir à l’Unité Africaine, souhaiterait voir se réaliser dans les meilleurs délais une rencontre entre les Etats de l’Ouest en vue de trouver dans une confrontation amicale et fraternelle les solutions les mieux appropriées aux problèmes immédiats nés de la situation nouvelle ainsi créée et surtout d’étudier en commun les modalités d’une coopération indispensable, mais rénovée et féconde.

Pour notre part, nous souhaiterions que ces rencontres se situent sur un plan bilatéral, permettant d’arriver à la conclusion rapide d’accords de compensations bilatérales. Ceux-ci pourraient ensuite se transformer progressivement en accords de compensations multilatérales, préfiguration d’une Union Africaine de Paiements, qui constituerait le premier jalon solide vers la voie de l’Unité Africaine.
Cette unité ne se fera que par les Africains, pour les Africains, et donc par des voies proprement africaines, qu’ensemble il nous faut patiemment rechercher. Les problèmes monétaires à eux seuls ne sauraient en tous cas servir de prétexte ni d’occasion pour autoriser un Etat extérieur à l’Afrique à rassembler sous sa houlette l’ensemble des Etats de l’ex-A.O.F. et de se présenter ainsi devant l’opinion publique internationale comme le sauveur et le restaurateur de l’Unité Africaine. Une telle entreprise qui n’est qu’une des manifestations les plus séduisantes du néo-colonialisme, serait immanquablement vouée à l’échec. L’expérience la plus récente est là pour nous rappeler que l’Afrique ne peut se construire à partir d’ensembles préfabriqués ou sur des modèles d’importation.
Voilà, Messieurs, les explications que j’ai tenu à vous donner ainsi qu’à tous nos amis de l’extérieur. Elles nous ont permis de dégager le sens et la signification profonde de notre réforme monétaire et du même coup de situer vos responsabilités, en tant qu’émanation de la souveraineté populaire, dans la réussite de cette grande entreprise qu’ils détiennent.
A partir de zéro heure, chaque député devra se considérer comme mobilisé au service de notre monnaie nationale. Dans les meilleurs délais, vous devez regagner vos circonscriptions et organiser une vaste campagne d’explications sur la porté de notre réforme monétaire, de telle sorte que chaque Malien se sente directement concerné par l’événement.
Et c’est pourquoi vous me permettrez, vous les représentants élus du peuple, de m’adresser à travers vos personnes à la Nation toute entière pour inviter instamment chaque Malienne et chaque Malien à échanger le plus rapidement possible les francs C.F.A.
Maliennes et Maliens, votre collaboration, votre coopération, votre enthousiasme seront décisifs dans la réussite de cette entreprise qui constituera un tournant important de la vie économique et politique de notre patrie. Dans les négociations qui vont s’ouvrir prochainement avec tous les Etats intéressés par notre réforme monétaire, la position de votre Gouvernement se trouvera d’autant plus renforcée que vous ferez preuve de civisme et de discipline pendant les opérations d’échanges de billets. Chaque franc C.F.A. qui ne sera pas échangé dans les délais et selon la procédure fixée, sera une perte sèche pour le Mali.
En négligeant vos obligations de citoyens, vous agirez non seulement contre les intérêts de l’Etat, mais aussi contre votre propre intérêt. Votre responsabilité individuelle est engagée au même titre que la responsabilité collective de la Nation. Du succès de la réforme monétaire dépendent en effet l’avenir économique de la Nation, la promotion sociale de nos masses laborieuses et l’audience internationale de notre jeune République.
Alors, nous ne pouvons pas échouer, nous sommes condamnés à réussir.

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Une réponse à Discours du 1er président Malien Modibo KEITA prononcé devant l’assemblée nationale à l’occasion de l’émission d’une monnaie nationale le 30 juin 1962

  1. Anonyme dit :

    cool

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