DE LA « COOPERATION »TRADITIONNELLE AU PARTENARIAT MODERNE , par Thomas Melonio

Quelle politique africaine pour la France en 2012 ? 

Voir la première partie de l’essai

Cinquième débat : de la « coopération »traditionnelle au partenariat moderne

L’aide au développement française n’est aujourd’hui plus suffisamment « lisible », ni en France, ni dans les pays qui en bénéficient, sans toujours le savoir. Il y a plusieurs raisons à cela. La première est que les déclarations françaises d’aide au développement sont devenues, au fil des années, de plus en plus éloignées de la réalité.

Coordination Sud, la plateforme qui regroupe les ONG françaises, a ainsi estimé que l’aide au développement française réelle était plus proche de 0,3 % du PIB que des

0,5 % annoncés, soit un résultat réel très éloigné de l’objectif des 0,7 %.

Une opération de transparence s’imposera donc, afin de faire le tri de ce qui relève vraiment de la solidarité internationale, de ce qui en est éloigné1 ou de ce qui est comptabilisé de manière peu convaincante (prêts, garanties…).

Il s’agit d’un impératif démocratique, car les citoyens et contribuables français doivent être mieux informés. Beaucoup de Français (près de 50 %) jugent l’aide inefficace, mais elle est souvent surtout faible voire inexistante ou sans rapport avec l’ampleur immense des besoins, ce qui explique pour beaucoup le manque de visibilité et d’impact de l’aide au développement. Une deuxième raison pour laquelle l’aide française est peu lisible consiste en la multiplication, pour ne pas dire la confusion, des objectifs qui lui sont assignés.

Il en va ainsi de l’assignation à l’aide au développement d’objectifs migratoires. Aider les migrants à s’impliquer dans le développement de leur pays d’origine est une bonne chose (c’était la définition initiale du co-développement).

En revanche, penser que l’aide au développement puisse avoir un impact réel sur les migrations à court terme est une erreur lorsqu’on s’intéresse à des horizons temporels inférieurs à 25 ou 30 ans. La recherche a ainsi démontré que le taux d’émigration des pays africains augmente en général avec le revenu de sa population, car des populations plus riches, si elles ont légèrement moins d’incitation à émigrer, ont surtout beaucoup plus la capacité de le faire. Les pays les plus pauvres (Niger, Burkina, Tchad) ont ainsi de très faibles taux d’émigration internationale car le coût de l’émigration est trop important. Ce constat n’interdit pas, bien évidemment, de renforcer la coopération pour lutter contre les filières illégales de migration avec beaucoup plus de moyens et de détermination, même si ces filières sont à l’origine de puissants intérêts, en France comme dans les pays de départ.

Il semble également nécessaire de déconnecter l’aide au développement des objectifs d’exportation. La « déliaison » de l’aide, décidée sous le gouvernement de Lionel Jospin et appuyée par l’OCDE, est aujourd’hui menacée. Il existe des crédits pour l’exportation (à la direction du Trésor) et des crédits pour le développement, mais leur porosité va croissante. Le principe de la déliaison de l’aide devra donc être réaffirmé et appliqué, en tout cas au sein d’un groupe de pays qui respectent le jeu de cette saine concurrence, et en excluant les pays qui ne respectent pas cette règle pour leurs propres financements.

L’ouverture et la compétition sont gages d’efficacité, pourvu qu’il y ait une véritable réciprocité entre financeurs du développement. Par ailleurs, le bilan de l’aide à l’exportation devra être fait. L’annulation des contrats Areva en Afrique du Sud, la remise en question de la vente du Rafale au Brésil ou encore le coût sans doute élevé du TGV marocain pour la France interpellent.

Beaucoup d’argent aura été dépensé, mais pour quel bilan réel en termes d’emplois créés en France ? L’Allemagne, qui soutient principalement ses PME, semble nettement plus performante que la France à l’export. La France négocie elle de gros contrats pour ses multinationales dans des contextes nécessairement très politisés, mais un bilan stratégique, face à l’exemple allemand, s’impose.

Pour la gauche, le temps d’une implication plus forte est venue afin d’inventer un nouveau partenariat avec les pays en développement. Même si cela doit prendre deux législatures, l’objectif des 0,7 % de « vraie » aide doit être réaffirmé. Le « ni indifférence, ni ingérence », prononcé par Lionel Jospin au sujet de l’Afrique, a dans l’ensemble été critiqué en Afrique, où c’est le plus souvent le sentiment d’indifférence qui a dominé. Au-delà des enjeux d’implication personnelle sur le continent, ce sentiment a fortement été renforcé par la multilatéralisation croissante de l’aide au développement française. C’est la troisième raison pour laquelle l’aide française est trop peu connue. Les contributions considérables faites au Fonds européen de développement, aux banques multilatérales et aux fonds transversaux (fonds Sida, tuberculose et paludisme, mais pas seulement) ont fait « disparaître » la France dans les pays d’Afrique. L’aide bilatérale en subvention de la France transitant par le ministère des Affaires étrangères ou l’AFD (Agence française de développement) est désormais inférieure tous les ans à 500 millions d’euros, soit moins de 20 % de l’aide bilatérale britannique : un effort public devra être réalisé. La programmation budgétaire pour les années à venir et l’expérience des dernières années démontre d’ailleurs que les dons baissent en tendance et risquent fort de rester très bas sauf inflexion majeure dès 2012.

Une réorientation est indispensable pour retrouver des leviers d’influence. Cet effort pourrait être réalisé en prélevant par exemple sur les multilatéraux, les fonds transversaux (parfois quasiment exclusivement français, cas dans lequel il vaudrait mieux le dire et l’assumer comme un effort bilatéral) et en injectant des ressources via des taxes additionnelles (transport maritime, transactions de change, taxe sur le CO2 importé ou les produits fabriqués dans des régions où les conditions de travail ne sont pas décentes) pour nous rapprocher progressivement de l’objectif des 0,7 % pour l’aide « réelle », tout recul devant être absolument proscrit.

La relation de partenariat technique et financier doit aussi évoluer dans sa formulation et reposer sur quelques idées et valeurs simples, citons à titre d’exemple :

– la défense de l’idée d’une solidarité internationale et de transferts des plus riches vers les moins favorisés, dépassant la logique d’une solidarité contenue aux frontières nationales ou régionales. Les émeutes de la faim, qui sont apparues dans les villes de nombreux pays en développement et y réapparaîtront bientôt, ne font que rendre plus visible une misère qui frappait déjà les campagnes depuis de longues années. Dans les pays en développement, même les plus dynamiques, la pauvreté reste endémique. Il n’y a rien de naïf à vouloir s’en préoccuper et à y consacrer des moyens décents. La croissance des inégalités au niveau mondial impose au contraire de consacrer davantage de ressources à la solidarité ;

 

– la mise en avant de l’intérêt mutuel à coopérer. Le concept d’aide au développement renvoie pour la nouvelle génération d’Africains à une conception caritative qui nourrit une forme de paternalisme, antinomique avec le partenariat. Par ailleurs, l’éradication complète des pandémies, la protection de la biodiversité ou encore la lutte contre le changement climatique imposent d’agir au-delà du cadre national ou européen. Rien ne sert d’éradiquer une maladie en France si elle subsiste sur un continent aussi proche que l’Afrique. Le caractère global de la propagation des pandémies suppose une action globale, faute de quoi toute action serait profondément insuffisante. D’où la nécessité de parler de partenariat Nord-Sud et d’agir pour sa concrétisation, plutôt que d’utiliser un vocable daté ;

– l’utilité qu’il y a à accompagner les acteurs du changement plutôt que ceux de la conservation, en tenant compte du changement de générations. S’appuyer sur les responsables politiques progressistes, les universitaires, les responsables d’ONG, les journalistes, les artistes…

Pour mettre en œuvre ces principes, il sera indispensable d’imposer une gestion plus collective et plus transparente des politiques de coopération internationale. La « politique africaine » de la France a, plus que d’autres politiques, souffert du présidentialisme exagéré de la Vème République et du régime d’exception dans lequel elle a été maintenue. A titre d’exemple, les termes de nos accords de défense et de coopération militaire avec plusieurs pays africains restent largement inconnus et les textes qui ont été présentés au parlement n’éclairent pas beaucoup la lanterne collective, compte tenu de la persistance manifeste de clauses secrètes.

Sur quels secteurs faire porter l’effort financier additionnel ? La « communauté du développement » ne souffre pas d’un déficit de « théories englobantes du développement », mais plutôt d’un trop-plein, les « modes » se succédant au contraire à une vitesse stupéfiante : consensus de Washington, ajustements structurels, Objectifs du millénaire pour le développement, Biens publics mondiaux, Lutte contre la pauvreté, Dead Aid / « Aide fatale », etc.

Nous ne nous risquerons pas ici à vouloir proposer une théorie du développement qui ’appuierait sur une liste restreinte de secteurs à financer prioritairement, mais plutôt quelques axes « discutables », en partant du principe que les Etats ou acteurs du Sud doivent de toute façon déterminer leurs propres stratégies et priorités sur lesquels les partenaires techniques et financiers doivent se greffer. En effet, les financements venant du Nord, parce qu’ils sont limités en montant par rapport aux besoins des pays en développement, doivent produire des effets démultiplicateurs pour permettre d’obtenir des résultats significatifs. Dans cet esprit, l’articulation entre coopération bilatérale et multilatérale doit être repensée pour confier aux opérateurs de l’aide les plus compétents sur chaque secteur la responsabilité ou le leadership en matière de partenariats techniques et financiers, afin de lutter contre la tendance naturelle à ce que chacun « fasse de tout ». L’éducation peut ainsi être au cœur de la lutte contre les inégalités. L’alphabétisation progresse en Afrique, mais la qualité de l’enseignement reste faible et les jeunes Africains souffrent de taux de chômage très élevés, au Sud du Sahara comme au Nord. Cela plaide pour des investissements significatifs dans l’éducation et sa qualité.

L’abandon des secteurs sociaux par les bailleurs de fond dans les années 1990 fut une regrettable erreur, impasse dans laquelle la France se trouve également coincée, puisque les enveloppes budgétaires en subvention destinées aux secteurs sociaux stagnent ou régressent au détriment des engagements en prêts. Les prêts sont utiles pour intervenir dans les pays émergents, notamment pour lutter contre le changement climatique, mais ils ne se substituent pas aux dons ! On ne répétera jamais assez le rôle fondamental de l’éducation dans les

processus de développement, son rôle dans l’émancipation des femmes, la maîtrise de la fécondité, l’amélioration de la santé de la population et, bien évidemment, sa contribution

à la création d’emplois et à la lutte contre la pauvreté. Une politique de coopération internationale, nécessairement limitée par ses moyens, doit se concentrer sur les secteurs susceptibles d’avoir des effets démultiplicateurs, faute de quoi elle ne serait qu’une goutte d’eau dans un océan d’obstacles au développement.

La gestion des biens communs de l’humanité (environnement, santé, etc.) est apparue de manière plus récente comme un objectif prioritaire. Il est logique, pour des socialistes et des internationalistes, de consacrer une attention importante aux biens publics, surtout lorsqu’ils

sont mondiaux et que leur rareté frappe plus durement les pays les plus pauvres. Dans ce domaine, qui n’est pas nécessairement coûteux, les échanges doivent avoir pour objectif une diffusion rapide de technologies et de bonnes pratiques d’économie d’énergie, de production propre d’énergie, d’aménagement urbain, etc., ensemble de politiques mutuellement bénéfiques.

Enfin, la promotion des échanges culturels reste un objectif philosophique. Les échanges culturels Nord-Sud constituent une richesse inestimable. La politique restrictive et étriquée de délivrance de visas pour les artistes ou les étudiants africains est non seulement un scandale, mais surtout un gâchis absurde et courttermiste qui privera, à terme, la France d’une part significative de son influence auprès de ses partenaires francophones.

La gauche doit porter une vision moderne de la politique de partenariat entre le Nord et le Sud. Plus transparente et démocratique dans sa définition, plus discutée avec nos partenaires, moins sensible aux modes de pensée mais surtout mieux dotée pour plus de solidarité, faute de quoi les discours sur la solidarité sonneraient très creux.

 

Conclusion

Les cinq grands enjeux évoqués dans ce texte ne suffisent pas à résumer la complexité de la relation franco-africaine.

D’autres grandes politiques nationales ont également une forte dimension africaine, qu’il s’agisse du partenariat économique et industriel à intensifier avec le Sud, thème survolé ici, de la politique migratoire, des échanges culturels, de la réforme nécessaire de l’audiovisuel extérieur ou encore de la défense de la Francophonie.

Cette contribution ne se veut donc en aucune façon exhaustive ou conclusive : l’ampleur du chantier de rénovation appelle à beaucoup de modestie et oblige à reconnaître le caractère impressionniste et exploratoire du texte présenté ici. La gauche devra donc, de manière

beaucoup plus systématique, questionner le « patrimoine » de politique africaine dont elle pourrait hériter en cas de victoire en 2012, tant le besoin de réformes vastes et profondes s’exprime chaque jour plus fort.

Auteur : Thomas Mélonio , pour la Fondation Jean Jaures

Economiste, spécialiste de l’Afrique et des questions de développement, il travaille en particulier sur les méthodes de valorisation du capital humain. Animateur du cercle de réflexion « A gauche, en Europe », co-fondé par Dominique Strauss-Kahn, Pierre Moscovici et Michel Rocard. Oeuvre aujourd’hui à la structuration d’un mouvement social-démocrate au sein du parti socialiste. Il est délégué national en charge de l’Afrique au PS et représente à ce titre le PS au comité Afrique de l’Internationale socialiste

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