De l’escroquerie politique , par Félix Bankounda Mpélé

INTERVIEW EXCLUSIVE: DIX QUESTIONS DE FOND à Félix BANKOUNDA-MPELE, Juriste, diplômé de science politique, chercheur et membre de l’Association Française de Droit Constitutionnel.Nous diffuserons chaque semaine une ou deux questions clefs que nous lui avons posé car aujourd’hui plus que jamais les congolais doivent avoir l’avis de véritables spécialistes et experts.
Congo-liberty.com : Les ténors du régime de Brazzaville soutiennent toujours que Sassou avait accepté l’alternance en 1992, et que la situation de 1997 est le fait de Lissouba qui, ayant tribalisé son régime, a refusé ou n’a pu organiser les élections dans les délais par peur de perdre. Par ailleurs ils ajoutent que la Constitution de 2002 a été votée par référendum.
 
Félix bankounda Mpélé : Je connais ces thèses, qui étaient mises en exergue par certains médias en 1997, et qui, curieusement, sont encore soutenues par ceux dont vous parlez. Pas plus tard qu’au dernier anniversaire de l’indépendance, le 15 août de cette année, un représentant du pouvoir en place a repris, sans gêne, le même discours dans une grande chaîne de télévision africaine située à Paris. Elles ont évidemment tout faux.
D’abord, à propos de l’alternance, démocratique j’espère, la conférence nationale souveraine congolaise du printemps 1991 en avait fait le dessin, de manière claire, en retenant que le dernier président de l’ère monopartite, Sassou-Nguesso, qui avait pourtant perdu de façon évidente toute légitimité, ne pouvait être délogé de la présidence que par un successeur élu. C’est sur la base de ce principe, fort et pertinent à mon avis, que les demandes massives en faveur de son départ avaient été rejetées et que, pour la première fois, dans l’histoire constitutionnelle et politique congolaise, l’adoption d’un Acte fondamental ou régime provisoire n’a pas coïncidé avec le départ du président en place. Car, depuis l’indépendance, cela a été la règle absolue dans notre pays : Youlou, comme vous le savez, est éjecté formellement par le régime provisoire du 11 septembre 1963, Massambat Débat par celui du 14 août 1968, et la mort de Ngouabi est aussi, curieusement, consacrée par  l’Acte fondamental du 5 avril 1977. Même le court séjour présidentiel de Yhombi et donc son départ est couronné par l’Acte du 7 février 1979.
Pourquoi donc, comme par le passé et  de manière exclusive, l’Acte fondamental du 4 juin 1991 n’a pas entraîné le départ du général Sassou ? C’est, au nom de ce principe fondamental et autonome du droit constitutionnel congolais, fort et pertinent je le répète, et pour une fois répondant à une pratique endogène rétrograde qu’il fallait juguler et exorciser, que la Conférence nationale souveraine a fixé que désormais l’alternance démocratique, hors cas classiques et universels comme l’empêchement, la démission ou la mort, c’est le départ de l’ancien président et l’arrivée du nouveau par la voie des urnes. C’est cela l’alternance ! Reconnaissons que dans un pays où, selon la formule même de la Constitution unanime de 1992, « Le coup d’Etat s’est inscrit dans l’histoire politique… comme seul moyen d’accès au pouvoir… » (Préambule), c’était un principe à la fois réaliste, préventif et évidemment démocratique. C’est d’ailleurs au nom de ce principe, d’une acuité particulière au regard de notre histoire politique et constitutionnelle comme je viens de le rappeler, qu’il faut lire la décision à tort critiquée du Conseil constitutionnel (aux membres élus aux 2 /3 par leurs corporations) en date du 19 juillet 1997, puisque celle-ci, tout en demandant expressément « au Gouvernement, en accord avec l’ensemble de la classe politique, de fixer la période de l’élection présidentielle » pour prévenir toute dérive arbitraire de l’Exécutif, a, en contrepartie et pour prévenir le coup d’Etat comme seul moyen d’accéder au pouvoir, décidé que « le Président … demeure en fonction jusqu’à la passation des pouvoirs avec son successeur élu au suffrage universel direct » ; un président qui, s’ il « conserve toutes ses prérogatives constitutionnelles » selon la même décision, a peu de pouvoirs puisque, rappelons-le, sans pouvoirs d’ordonnances ni pouvoirs exceptionnels au contraire de la situation antérieure et d’aujourd’hui, et avec un gouvernement en cohabitation de fait avec l’opposition selon cette décision mais aussi dans la réalité de façon préventive [NDLR : cf. son étude: Bankounda-Mpélé F., « Vain sauvetage pour la démocratie : à propos de la décision du Conseil constitutionnel congolais du 19 juillet 1997 »].
Soyons clair : si, bien que jamais élu démocratiquement auparavant, le général Sassou manifestement délégitimé pourtant avec la fièvre démocratique du début des années 90, a survécu et profité en 1991, pour la première fois dans l’histoire constitutionnelle et politique congolaise, à un Acte fondamental, en raison du principe fondamental de l’alternance démocratique tel que défini par la conférence nationale souveraine comme je viens de le rappeler, il n’a pas laissé la possibilité d’application du même principe au premier président démocratiquement élu. Ainsi, sauf à considérer que d’être battu à la première élection présidentielle disputée du pays est un exploit, l’affirmation selon laquelle le général Sassou avait accepté et réussi l’alternance relève d’une véritable escroquerie politique, tout comme l’argument du retard dans l’organisation de l’élection de 1997 car, ni avant le président Lissouba, ni après lui, l’élection présidentielle ne fut organisée dans les délais : prévue textuellement par l’Acte fondamental pour une durée de douze mois, la transition post-conférence nationale, qui a clos ses portes le 10 juin 1991, et démarré immédiatement, n’a pu organiser les élections dans les délais puisqu’il a fallu proroger par consensus la transition de deux mois, jusqu’à la fin août. De même, comme je l’ai dit en réponse à la question précédente, la transition de l’Acte fondamental post-coup d’Etat du 24 octobre 1997, nulle part prévue par la Constitution démocratiquement adoptée du 15 mars 1992,  et donc caprice de son auteur, prévue par lui-même pour une durée flexible de deux à trois ans pour l’organisation des élections, n’a pu organiser celles-ci qu’au bout de cinq longues années !
Cinq ans d’exercice du pouvoir sans mandat ! Cinq ans jonchés de graves et massives atteintes aux droits de l’homme, et de milliers de morts selon les rapports unanimes de toutes les organisations humanitaires habituelles, et dont l’épisode connu des ‘Disparus du Beach’, peu banal, n’est qu’un parmi tant d’autres ! C’était déjà suffisamment constitutif d’un profil despotique et tyrannique! Cinq ans pour accoucher, en dernière instance, non pas du rétablissement de l’ordre démocratique et impersonnel adopté pour la première fois dans l’histoire constitutionnelle et politique du pays en 1992, mais plutôt des élections illégitimes parce que viciées et truquées!
Ainsi, la réalité, le droit et les principes démocratiques ne vont pas dans le sens du discours des ténors du pouvoir autocratique de Brazzaville sur la prétendue qualité de président de l’alternance de Sassou-Nguesso et rendent, par là-même, le référendum constitutionnel de 2002 juridiquement nul car, il est établi dans la doctrine et la jurisprudence françaises tout au moins, depuis l’expérience gaullienne de 1962, qu’un référendum n’est valide que si son recours est conforme à l’ordre en vigueur que, sur le fond, le juge constitutionnel vérifie depuis septembre 2000. Ordre qui, ici, comme on l’a démontré, aura été malmené par ce que l’on ne peut appeler autrement que par un coup d’Etat, et en cela, constitutionnellement condamné par la Constitution de 1992 au dernier alinéa de son préambule.
Ces questions, en dehors du contexte congolais plongé dans un véritable solipsisme politique, volontairement entretenu pour manipuler l’opinion nationale et justifier le retour sanglant du dictateur, sont de peu de portée car la nature putschiste du régime est sans équivoque aujourd’hui : quel rapport peut-on établir entre le prétendu retard d’organisation d’une élection présidentielle, monnaie courante en Afrique, et l’étranglement d’une Constitution régulièrement adoptée, ou encore le retour par effraction au pouvoir, sans préjudice des dizaines de milliers de morts, du général Sassou régulièrement battu antérieurement ! L’histoire universelle, je l’ai déjà dit, ne donne aucun exemple d’une prétendue provocation ou d’une guerre civile qui carbonise une constitution régulièrement adoptée !
L’escroquerie politique, seule, peut expliquer cela, tout comme elle explique la thèse d’un tribalisme ‘génération spontanée’, qui serait subitement arrivé en 1992 avec l’élection de Lissouba et se serait évanoui en 1997 avec son éviction ! Combien de Congolais y croiront ! L’histoire politique du continent noir, depuis les indépendances, à l’exception relative de quelques îlots d’Etats démocratiques, est celle de la démonstration d’un mariage perpétuel et intime entre dictature et tribalisme qui, tous les deux, s’entretiennent réciproquement. Ce qui signifie qu’en brisant la dictature, on déclenche, par ricochet et de façon progressive, le processus d’anéantissement du tribalisme, l’erreur jusque-là ayant consisté à croire à la disparition immédiate comme par enchantement du tribalisme après l’instauration de la démocratie, et donc à faire le procès prématuré de celle-ci, et favoriser la restauration autocratique…
Propos recueillis par Mingua mia Biango
Diffusé le 5 décembre 2011 par congo-liberty.org
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